Autisme : génétique versus environnement.

 

Imaginez vous à bord d’un voilier, longeant la côte en plein été. La brise est légère, le soleil brille… tout va bien. Quand tout à coup, votre navire est secoué d’un terrible tressaillement : vous venez de heurter un récif ! C’est le branle-bas de combat, il faut colmater la brèche ! Heureusement, vous parvenez à maintenir votre voilier à flot, et pouvez poursuivre votre aventure, au moins jusqu’au prochain port.

L’image du voilier heurtant un récif est une métaphore intéressante de l’influence de la génétique et de l’environnement sur une pathologie ou un trouble psychiatrique. La part de prédisposition génétique est représentée par le tirant d’eau (la profondeur de la coque immergée), et l’influence de l’environnement par la profondeur des récifs : si le tirant d’eau est faible, et donc le bateau faiblement immergé, il pourra passer au dessus des récifs les plus haut. Cette situation représente une prédisposition génétique faible à la pathologie donnée. En revanche, en cas de forte prédisposition génétique, le bateau sera immergé plus profondément et sera alors très vulnérable au récifs, même les plus profonds -autrement dit, aux influences les plus marginales de l’environnement. Ainsi, l’apparition de la maladie (représentée par la collision avec les récifs) dépend à la fois du tirant d’eau et de la profondeur des récifs.

Cette image est bien adaptée à certains troubles psychiatriques, comme certaines schizophrénie ou certaines dépressions. Dans le premier cas, on peut évoquer l’effet du cannabis, un facteur de risque bien connu de trouble psychotique : chez certains, sa consommation n’aura aucun effet (lorsque la prédisposition génétique est faible, le bateau passe sans problème au dessus du récif). En revanche, chez d’autres, la consommation même d’un seul joint peut les faire basculer dans un véritable épisode psychotique : les individus à haut risque génétique. Il peut exister un phénomène similaire pour certaines dépressions : chez certains, une rupture ou un deuil seront très difficiles à gérer et pourront déclencher de véritables dépressions, alors que d’autres n’y seront pas confrontés.

Cependant, l’image du bateau et des récifs a ses limites et elle ne peut s’appliquer à tous les troubles psychiatriques, comme par exemple les troubles du neurodéveloppement. Ces derniers proviennent d’un développement cérébral différent de la majorité des autres enfants. Il s’agit d’un vaste ensemble de diagnostics, comme par exemple le déficit attentionnel avec/sans hyperactivité (TDAH), les divers troubles « dys », ou encore ce qui nous intéressera plus particulièrement ici, l’autisme.

L'image du bateau et du récif peut convenir à certains troubles psychiatriques, mais pas aux troubles du neurodéveloppement. Il illustre cependant bien l'interaction possible entre une prédisposition génétique et l'environnement.

Pour ce qui est des troubles du neurodéveloppement, une image plus appropriée serait celle du voyage, du trajet, de l’itinéraire entre Paris et Brest. Nous pouvons considérer que la conception de l’enfant se ferait sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame (une image fort incongrue, je vous l’accorde). Ensuite, les parents navigueraient dans les rues parisiennes pendant la grossesse, avant le point de passage clé, le périphérique -ou l’accouchement. Ensuite, la famille s’élancerait sur les autoroutes, les nationales, passant les péages et les ralentissements, avec comme objectif final l’arrivée dans le port de Brest. Une fois là-bas, une fois devenu adulte, la progéniture pourra prendre le bateau de son choix pour partir explorer le monde.

Il existe de nombreux moyens de rallier Brest depuis Paris. Certains itinéraires sont plus courts que d’autres, certains plus chers, on peut se perdre dans les embouteillages ou dans les déviations, s’égarer dans les chemins de terre, etc. Ces différents itinéraires correspondent à des trajectoires développementales différentes, dont certaines correspondent à des diagnostics ou des associations de diagnostics. Par exemple, une trajectoire de type « autisme » vous fera arriver à Bordeaux plus qu’à Brest, une trajectoire « TDAH » à Cherbourg… Ainsi, ce n’est pas tant le diagnostic qui est important, au final, que la destination : prendre le paquebot pour explorer le monde est tout à fait possible à Cherbourg ou à Bordeaux, même si les choix sont peut être différent de ceux de Brest. Cependant, cela est beaucoup plus difficile quand on arrive à Strasbourg : cette destination correspond à des situations beaucoup plus lourdes, avec plusieurs diagnostics associés, nécessitant une prise en charge intensive de l’enfant.


Ainsi, avant même de nous pencher sur les influences de l’environnement sur le diagnostic d’autisme, il nous faut bien garder ce point en tête : il est, à mon sens, vain de chercher un facteur déclenchant ou précipitant le diagnostic d’autisme. Notre quête vise surtout à identifier les points de passages majeurs, les périodes critiques du neurodéveloppement (dans notre image, les principaux échangeurs) et les facteurs qui peuvent faire dévier significativement (dans un sens comme dans l’autre) la trajectoire développementale de l’enfant. De plus, nous n’allons pas lister tous les facteurs de risque de TSA au cours du neurodéveloppement de l’enfant, mais plutôt en cibler quelques uns qui soulèvent des questions pertinentes quant à leur action ou leur interprétation.

Contrairement au TDAH par exemple, la trajectoire développementale de l’autisme dévie assez « tôt » de l’itinéraire moyen : alors qu’on ne diagnostic le TDAH qu’à partir de 6 ans, on peut le faire dès 3 ans dans les TSA. Cela ne reflète pas une gravité plus importante des TSA, mais des fonctions cognitives différentes touchées dans ces 2 diagnostics : dans le cas du TDAH, ce sont les fonctions exécutives et attentionnelles, qui deviennent matures à partir de 6 ans, alors que dans les TSA, ce sont des fonctions de cognition sociale, qui se développement dès la première année de vie (contact oculaire, sourire social, etc.). Ainsi, on peut déjà cibler la zone géographique au niveau de laquelle on va chercher nos bouchons et nos échangeurs : plutôt dans Paris et sa banlieue. Une fois sur l’autoroute, ces derniers n’auront plus d’impact sur le diagnostic (mais ils auront plutôt un impact sur la sévérité de ses manifestations).


La circulation parisienne n’est pas réputée pour sa fluidité et sa simplicité, et à son image il existe de nombreux facteurs de risques d’autisme dès la vie intra-utérine. C’est par exemple le cas des infections, en particulier lorsqu’elles ont lieu pendant le 1er trimestre de la grossesse. Des études montrent l’influence d’infections tant virales que bactériennes, sur le neurodéveloppement de l’enfant à naître. Cependant, lorsqu’on y regarde de plus près, il ne s’agit pas tant de l’infection en tant que telle qui est à risque… mais de la réaction immunitaire de la mère pour lutter contre ce micro-organisme ! Pour ce qui est de la grippe par exemple, le risque d’autisme n’était pas tant lié au fait d’être exposé au virus, mais à la fièvre que la mère développait, ainsi qu’à plusieurs marqueurs sanguins de réaction inflammatoire (comme a CRP, par exemple). Ce facteur de risque s’inscrit dans la lignée d’une vaste littérature scientifique reliant les bases physiopathologiques de l’autisme aux dérèglements du système immunitaire.

Parmi les facteurs de risque intra-utérins, on entend souvent parler de certains traitements, et en particulier des traitements psychotropes (qui agissent sur le cerveau). Le premier d’entre eux étant la Dépakine, un anti-épileptique qui porte un scandale à son nom, car son implication dans l’autisme et les troubles du neurodéveloppement avaient été cachés ou mal expliquée aux patientes enceintes. Il y a quelques mois, nous avions dédié un article entier pour comprendre par quels mécanismes cette molécule pouvait favoriser l’apparition d’un trouble du neurodéveloppement. Si la prescription de Dépakine chez les jeunes femmes reste occasionnelle (elle est même désormais fortement déconseillée, voire interdite), ce n’est pas le cas des inhibiteurs de recapture de la sérotonine, une classe d’antidépresseurs prescrite à près de 4 % des femmes enceintes (l’occasion de relever la prévalence importante de la dépression antepartum, qui concerne une femme sur 10). Certaines études avaient retrouvé un risque d’autisme accru en cas d’utilisation de ces traitements pendant la grossesse. Cependant, cette association, inquiétante de prime abord, peut être expliquée par plusieurs facteurs confondants difficiles à mesurer expérimentalement. Par exemple, la part de génétique étant significative dans l’autisme (près de 50%), les parents peuvent tout à fait être concernés directement, ou avoir des manifestations atténuées d’autisme. Si la mère appartient au spectre autistique, elle se trouve alors plus à risque de faire une dépression antepartum, et donc statistiquement, ces femmes prendront plus souvent des antidépresseurs. Par la suite, le sur-risque d’autisme de leur enfant ne sera pas tant à leur prise d’anti-dépresseur pendant la grossesse, mais aux facteurs génétiques transmis. Récemment, une vaste étude portant sur plus de 6000 enfants n’a retrouvé aucun risque d’autisme associé à la prise d’antidépresseurs pendant la grossesse. Il faut de plus bien noter que la dépression anté-partum peut avoir en elle même une répercussion sur la santé mentale de la mère et sur la bonne mise en place des interactions précoces. Même si ces dernières NE SONT PAS IMPLIQUÉES D’AUCUNE MANIÈRE QUE CE SOIT dans la genèse autistique, elles restent très importantes pour le bon développement psycho-affectif et émotionnel de l’enfant.

Enfin, parmi les différentes molécules à risque auxquelles peuvent être exposées les mères et leur fœtus, on peut noter divers polluants et microparticules, dont plusieurs études suggèrent l’effet pathogène. Cependant, ces études élégantes utilisent comme reflet indirect de la concentration en polluants atmosphériques la distance du domicile des parents par rapport à une autoroute : il s’agit donc d’un reflet très indirect, avec de nombreux facteurs confondants difficiles à prendre en compte.

Mais les facteurs influençant la trajectoire développementale de l’enfant peuvent jouer dans l'autre sens : certains peuvent aussi être protecteurs ! C’est par exemple le cas de la prise de vitamine B9 pendant le premier trimestre de grossesse. Cela s’expliquerait par le fait que celle-ci est essentielle à certains mécanismes épigénétiques, qui permettent « d’allumer » ou « d’étreindre » des gènes pendant le développement. En effet, pendant le premier trimestre de grossesse a lieu une importante période de remaniement épigénétique, qui explique que l’effet protecteur de la B9 soit présent uniquement au début de la grossesse. Cependant, cet effet ne concernerait pas l’ensemble du spectre autistique : il n’est par exemple pas retrouvé pour le syndrome d’Asperger.

On peut identifier plusieurs facteurs de risque pendant la grossesse, comme par exemple les infections sévères, certains traitements psychotropes comme la Dépakine, ou la pollution de l'air. Au contraire, la prise de vitamine B9 en début de grossesse est un facteur protecteur reconnu.

Une fois extrait des rues tortueuses parisienne, et déjà apparaît un défi encore plus grand pour le fœtus : le périphérique. La naissance est en effet une période critique du neurodéveloppement, comme nous l’évoquions dans un article précédent. Cependant, les facteurs de risque dits « périnataux » ne sont dans leur majorité absolument pas spécifique de l’autisme, mais concernent de manière plus générale le neurodéveloppement. On peut en citer plusieurs, comme une anémie néonatale, un petit poids de naissance ou l’encombrement des voies aériennes, qui ont toutes en commun de provoquer un manque d’apport en oxygène au cerveau. On peut imaginer les conséquences que cela peut avoir sur le neurodéveloppement. Cependant, certains facteurs de risque n’ont probablement aucun lien causal direct avec un neurodéveloppement atypique. Par exemple, naître avec une malformation congénitale est statistiquement un facteur de risque d’autisme, mais cela reflète en réalité un neurodéveloppement qui était déjà atypique, dès la vie intra-utérine.

On ne prend pas toujours du plaisir à rouler sur le périphérique parisien, mais le plus souvent, ça se passe bien !

Certains facteurs de risque peuvent se trouver bien en amont de la naissance, avant même la vie fœtale, dès la conception de l’enfant ! C’est le cas par exemple de l’âge des parents. Il est désormais bien établi que le risque d’autisme croit avec l’âge paternel et maternel. Par exemple, les pères âgés de plus de 50 ans ont près de 2.5 fois plus de chance d’avoir un enfant avec autisme, comparé aux pères âgés de moins de 30 ans. Comment expliquer ce phénomène ?

Nous pouvons identifier 2 théories explicatives, mettant toutes les deux en jeu la génétique. La première serait des anomalies qui se glisserait durant la spermatogenèse du père, autrement dit, la formation de ses spermatozoïdes. Avec l’âge, le risque de mutations à risque serait plus importants et donc le risque génétique augmenterait. Au passage, on remarque ici, contrairement à ce qu’on a spontanément en tête, que c’est bien l’environnement qui influence la génétique, et non l’inverse.

L’autre théorie explicative serait que les individus avec autisme, du fait de leurs difficultés dans les interactions sociales, auraient des enfants plus tard que les individus neurotypiques. Ainsi, le fait que les enfants avec autisme aient des pères plus âgés pourraient simplement être dû au fait que leurs parents (et ici plus particulièrement leur père) sont eux même autistes. Cette hypothèse a été invalidée par une élégante étude scientifique, portant sur plus de 650 familles dont l’un des enfants étaient autistes. Pour ces derniers, l’âge du père lors de la conception était en effet plus élevé que la moyenne. Cependant, le risque d’autisme était aussi corrélé avec l’intervalle de temps entre l’aîné de la famille et l’enfant avec autisme : plus cette période était longue, plus le risque d’autisme était grand. Le risque d’autisme était donc bien lié à l’âge du père, plus qu’à son unique patrimoine génétique.

Dans les faits, c’est en effet l’apparition de mutations de novo avant même la fécondation qui est associé au risque d’autisme. La littérature scientifique tend à montrer que l’apparition de ces anomalies génétiques sont surtout liées à l’âge du père, plus que la mère.

Il existe donc de nombreux facteurs de risque d’autisme, pendant la grossesse, à la naissance et même dès la conception de l’enfant. Les premiers signes d’autisme apparaissant dès les premiers mois de vie, et la trajectoire développementale de type « autisme » peut être identifiée entre 2 et 3 ans : cela veut-il dire que l’environnement n’a plus aucune influence à partir de ce moment-là ? Pas si vite !

On peut en effet penser que les effets de l’environnement sur la genèse de l’autisme s’estompent rapidement après la naissance. Cependant, les influences environnementales restent très importantes sur la symptomatologie autistique. Selon un modèle actuel, l’environnement pourrait fortement influencer le développement des capacités sociales des enfants avec autisme, positivement ou négativement.

Si vous voulez apprendre à jouer au tennis, il faudra nécessairement vous entraîner. Si vous voulez exceller dans ce sport, il faudra même vous entraîner intensément, quotidiennement. Vous aurez beau avoir un don, vous ne pourrez pas en tirer profit sans développer vos capacités à partir de celui-ci. Federer n’a pas gagné 20 titres du Grand Chelem en se reposant sur son seul talent, aussi démesuré soit-il. Pour les capacités sociales, c’est exactement la même chose. Dans le cas de l’autisme, l’enfant naît avec des difficultés innées en communication et dans les interactions sociales. Il lui manque certains outils dans sa mallette, par exemple le contact oculaire ou le sourire social. Ces difficultés vont entraver les relations sociales qu’il peut nouer avec sa famille, ou plus tard avec ses camarades d’école. Ainsi, il aura moins l’occasion de « s’entraîner » que ses semblables neurotypiques, qui eux pourront nouer un grand nombre de relation et donc développer finement leurs compétences sociales. Ainsi, il se forme une sorte de cercle vicieux pour les enfants avec autisme, les difficultés sociales provoquant un environnement social perturbé, lui même majorant d’autant plus les difficultés sociales.

C’est sur ce constat que reposent bon nombre de prises en charge validées de l’autisme, dont le but est d’entraîner les enfants aux interactions sociales, de les aider à acquérir les outils de base pour se débrouiller dans la vie de tout les jours. Par exemple, en apprenant à fixer le regard de leur interlocuteur, ou à interpréter toutes la variétés des mimiques faciales associées, les enfants avec autisme pourront mieux décrypter les situations sociales auxquelles ils sont confrontés, leur permettant par la suite de diversifier ces situations et ainsi de développer leurs compétences sociales par eux même. Et nous voilà passés dans un cercle vertueux.

L'environnement peut influencer l'intensité symptomatique, dans un sens comme dans l'autre.

Les exemples que nous venons de citer nous montrent bien toute la complexité des échanges entre les facteurs de risques génétiques et environnementaux, que nous ne devons pas opposer mais associer. Ces deux composantes sont en dialogue constant. Ils s’influencent mutuellement, et sont souvent difficiles à individualiser clairement, à l’échelle d’une population et encore plus à l’échelle de l’individu. 

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SOURCES :

- Mandy W, Lai MC. Annual Research Review: The role of the environment in the developmental psychopathology of autism spectrum condition. J Child Psychol Psychiatry. 2016 Mar;57(3):271-92. doi: 10.1111/jcpp.12501. Epub 2016 Jan 19. PMID: 26782158.


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