L'autisme est-il purement génétique ?
En 2003, l’équipe du Pr Thomas Bourgeron, de l’institut Pasteur, publie une étude qui fera date. Publiés dans la prestigieuse revue Nature Genetics, ces travaux identifiaient en effet pour la première fois une mutation génétique responsable de troubles du spectre de l’autisme.
On connaissait l’origine génétique des TSA bien avant l’étude dont nous parlions initialement. Dès les années 1970, plusieurs études de jumeaux ont permis de préciser la part génétique des TSA, par rapport à la part environnementale. Ces études comparent la probabilité de TSA chez des jumeaux monozygotes (ou « vrais » jumeaux) et dizygotes (« faux » jumeaux). Ces études permettent d’étudier spécifiquement l’influence de la génétique tout en annulant (théoriquement) l’influence de l’environnement : les jumeaux monozygotes partagent le même génome et le même environnement, alors que les jumeaux dizygotes partagent uniquement leur environnement (et sont semblables sur le plan génétique autant qu’une fratrie classique).
Les premières études de jumeaux ont porté sur l’autisme prototypique, ou de Kanner. Chez les jumeaux monozygotes, lorsque l’un des jumeaux avait le diagnostic d’autisme, l’autre avait 36 % de chance d’être diagnostiqué lui aussi. En revanche, chez les jumeaux hétérozygotes, ce taux tombait à… 0 %. Ces premières études portaient sur de petits échantillons et souffraient de nombreux biais. Depuis, plusieurs autres études, de grande ampleur et bien construites, ont été réalisées. Elles permettent d’estimer à l’heure actuelle une concordance de diagnostic de 45 % pour les jumeaux monozygotes, et de 16 % seulement pour les dizygotes. Si on parle en risque relatif plus qu’en concordance diagnostique, cela veut dire que si votre jumeau monozygote a un TSA, vous avez 153 fois plus chance d’être diagnostiqué qu’un individu lambda !
L’influence de la génétique dans la genèse des TSA ne fait donc pas débat.
Nous pouvons cependant nous demander de quelle manière, à quel moment, par quels mécanismes les variations génétiques peuvent influencer la trajectoire développementale au cours de l’enfance, et aboutir au diagnostic d’autisme. Dire qu’il existe des facteurs de risque génétiques, c’est bien, mais en expliciter les plus fins mécanismes, c’est mieux !
Lors d’un bilan diagnostic d’autisme en centre expert, un bilan génétique est systématiquement proposé à l’enfant et à sa famille. Ce bilan génétique revient très souvent négatif : en pratique, nous retrouvons une cause génétique dans une très petite minorité de cas.
Historiquement, les études génétiques dans l’autisme (et de manière générale, d’ailleurs) ont débuté par l’analyse des caryotypes, une technique qui permet de visualiser facilement, à l’œil nu, les chromosomes d’une cellule. Cependant, cette approche reste très grossière et permet de visualiser uniquement les grosses anomalies génétiques (par exemple, un chromosome en plus comme dans la trisomie 21, ou l’absence d’un gros bout de chromosome). Cependant, l’amélioration des techniques au fil du temps a permis de gagner en précision, même si elles ne permettent pas d’identifier précisément un gène précis. On estime actuellement que ces larges remaniements chromosomiques sont retrouvés dans 5 à 10 % des personnes avec autisme, principalement lorsqu’un déficit intellectuel est associé.
Depuis quelques années (décennies, même), l’apparition, le développement et la démocratisation du séquençage à haut débit a considérablement rebattu les cartes des études en génétique. Là où nous pouvions seulement observer des chromosomes, ou des bouts de chromosomes, le séquençage de l’ADN a permis d’identifier quel gène, et même quelle nucléotide (brique élémentaire de l’ADN) au sein de ce gène, est différent chez un individu donné. C’est cette technique qui a permis à l’équipe de Thomas Bourgeron d’identifier la mutation de la neuroligine chez des personnes avec autisme. Aujourd’hui, on estime que 4 à 8 % des personnes avec autisme sont porteuses d’une mutation identifiée comme liée à l’autisme. Ces mutations sont le plus souvent de novo, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas transmises par les parents, mais qu’elles apparaissent lors d’un mutation des cellules souches de l’embryon.
Ces techniques permettent de déterminer la séquence complète de notre génome, soit près de 3.2 milliards de paires de nucléotides. Cependant, cette précision extraordinaire pose aussi des problèmes méthodologiques importants, particulièrement pour savoir si la variation ou la mutation que nous identifions est anormale, et si elle est anormale, si elle est responsable des symptômes cliniques (que ce soit de l’autisme, un cancer ou une maladie auto-immune!). Ainsi, l’ADN de chaque individu diffère pour environs 3 millions de paires de nucléotides par rapport à la séquence humaine de référence. Ces différences peuvent être des variations d’une nucléotide (les SNC pour single nucleotid variant), des petites délétions ou duplications de la séquence génétique (les CNV pour copy number variant). Plus de 95 % de ces différences sont partagées par au moins 5 % de la population : elles sont donc fréquentes. Moins de 1 % sont uniques à l’individu considéré. Trouver des différences et des mutations, c’est donc la norme en génétique, plus que l’exception !
Ces mutations peuvent de plus toucher des régions non codantes de l’ADN, alors que d’autres vont directement toucher les gènes et aboutir à la modification de la séquence d’acides-aminés des protéines qu’ils codent, provoquant au final une perturbation du fonctionnement cellulaire et, dans le pire des cas, à un trouble ou une pathologie. A nouveau, trouver ce type de mutation est loin d’être l’exception : au-delà de l’autisme, on estime que chaque individu est porteur de 40 à 110 mutations connus pour être potentiellement à l’origine d’une pathologie ! Trouver ce type de mutation est donc la règle… et de loin.
Ainsi, la recherche en génétique, et encore plus dans l’autisme, ne consiste pas seulement à identifier chez un individu ce qui est différent des autres. Il s’agit d’interpréter les milliers de différence que l’on met en évidence, et de savoir identifier laquelle ou lesquelles sont pertinentes.
Les chercheurs font, depuis des décennies maintenant, un effort incroyable pour comprendre la génétique des TSA. Ces recherches nécessitent de très larges cohortes de patients, de nombreux scientifiques et un financement important. Elles ont permis d’identifier des centaines de gènes impliquées, et de mieux comprendre le poids de la génétique et ses mécanismes physiopathologiques.
Actuellement, on estime que 2 grandes forces génétiques s’affrontent ou s’allient pour aboutir au phénotype autistique. D’une part, il existe des mutations ayant un très fort impact sur la destinée autistique de l’individu. Par exemple, le gène FMR1, responsable du syndrome de l’X fragile, peut induire à lui seul un tableau autistique. D’autre part, il existe de très nombreuses mutations dont l’effet à elle seul majore de façon infinitésimale le risque d’autisme. Ainsi, certains individus auront un autisme parce qu’ils sont porteurs d’une mutation à fort impact, alors que d’autres le seront parce qu’ils ont accumulé un très grand nombre de mutations à faible impact, qui ensemble vont avoir le poids nécessaire pour influencer la trajectoire développementale de l’enfant qui en est porteur. Le plus souvent, les mutations à fort impact sont connues et facilement identifiables par nos bilans diagnostiques. Elles sont cependant relativement rares. De l’autre côté, les mutations à faible impact sont souvent des SNV. Elles sont donc partagées par l’ensemble de la population, et en particulier les individus neurotypiques ! Nous sommes tous porteurs de variants à risque d’autisme, mais chez les individus neurotypiques, leur nombre n’est pas suffisant pour « faire basculer » la balance du côté de l’autisme.
Mais ces modèles génétiques vont encore plus loin. Reprenons l’image de la balance. Nous avons vu que certaines mutations sont très « lourdes » et permettent à elles seules de basculer du côté de l’autisme, alors que de très nombreuses mutations sont très « légères » et ne font pencher la balance que si elles sont très nombreuses. Cependant, toutes les variations et mutations de notre génome ne sont pas délétères : certaines peuvent au contraire avoir un effet protecteur ! Ainsi, certaines mutations « lourdes » peuvent être compensées par un grand nombre de mutations « légères » et vice-versa !
La complexité des interactions entre mutations peut se retrouver à d’autres endroit. On peut dire que l’autisme est secondaire à des difficulté pour acquérir les mécanismes cognitifs nécessaires aux interactions sociales. Les enfants neurotypiques le font spontanément, intuitivement, et cela est plus difficile pour les enfants avec autisme. Cependant, ces derniers peuvent le faire « par d’autres moyens », « consciemment ». Par exemple, les personnes neurotypiques regardent intuitivement dans les yeux quand elles interagissent avec quelqu’un, et une personne avec autisme aura du mal à le faire spontanément. Mais elle peut apprendre à le faire et ainsi « compenser » le symptôme initial. Cette « compensation » est facilitée par des capacités intellectuelles préservées, et au contraire est plus difficile en cas de déficit intellectuel associé.
Ainsi, certaines mutations génétiques à risque de déficience intellectuelle (mais pas directement d’autisme) peuvent « révéler » un autisme en abaissant le niveau intellectuel. Sans cette mutation, l’individu aurait pu compenser ses difficultés sociales. La base génétique des TSA implique donc des gènes bien au-delà de l’autisme.
Mais comment ces mutations peuvent elles influencer la trajectoire développementale des enfants ? Par quels mécanismes peuvent-elles favoriser une trajectoire de type autistique ?
Si on regarde un petit peu plus en détails les mutations qui ont été identifiées comme à risque de TSA, on retrouve un grand nombre de gènes impliqués, plus ou moins directement, dans le fonctionnement des synapses. Ces zones de contact entre les neurones sont capitales au bon fonctionnement cérébral. Elles permettent la communication entre 2 neurones, grâce à de petites molécules appelées neurotransmetteurs, dont le rôle est de transmettre l'influx nerveux d'un neurone à l'autre. La déformation des synapses, l'atération de leur développement ou de leur fonctionnement est retrouvé dans de nombreux troubles psychiatriques.
Parmi les gènes retrouvés dans les TSA et dans le fonctionnement synaptique, on retrouve la neuroligine dont nous parlions en début d'article, l'un des premiers gènes identifiés par l"équipe de Thomas Bourgeron. Le gène code pour une protéine du même nom, dont le rôle principal est d'ancrer les deux membranes neuronales au niveau de la synapse. Si la neuroligine est déficiente, les 2 neurones ne sont pas bien attachés l'un l'autre, et la synapse s'en trouve fragilisée. Il faut envisager cette fragilité d'un point de vue développemental : des synapses fragilisées, ce sont des circuits neuronaux qui se construisent différemment, un dialogue neuronal qui ne peut pas se faire, et donc des fonctions cognitives, affectives, motrices ou comportementales qui ne peuvent pas se faire tout à fait correctement.
On retrouve dans l'autisme d'autres mutations qui affectent l'architecture des neurones au niveau de la synapse. C'est le cas par exemple du gène SHANK3, l'une des mutations les plus étudiées dans les TSA. Ce gène code pour une protéine qui permet d'ancrer des récepteurs aux neurotransmetteurs au niveau des synapses. Sans neurotransmetteur, on comprend bien que la communication synaptique n'est pas optimale !
On connaît certains gènes associés aux TSA qui ne semblent pas du tout en lien, au premier abord, avec le fonctionnement synaptique. C'est le cas par exemple du gène EIF4E, qui est important pour le transport des ARN messagers, les précurseurs des protéines dans les cellules. Cependant, une dérégulation de ce gène peut affecter significativement le fonctionnement des synapses. En effet, leur mutation dans l'autisme entraîne une augmentation de la translocation au niveau des synapses, provoquant une majoration des protéines correspondantes et in fine une dérégulation de la synapse, car l'équilibre protéique est rompu.
Ainsi, la perturbation du fonctionnement synaptique est le lien principal entre les gènes à risque et les signes cliniques d'autisme. Ces derniers perturbent la mise en place et la plasticité synaptique au cours du neurodéveloppement, aboutissant à une trajectoire développementale spécifique.
La recherche en génétique de l’autisme est un domaine incroyablement complexe. Il existe une hétérogénéité majeure qui provoque des difficultés méthodologiques importantes. Chaque mutation connue à ce jour explique à elle seule moins de 1 % des cas d’autisme. Afin de mieux connaître les mécanismes génétiques, de vastes études sont en cours à travers le monde. On ne peut aujourd'hui pas nier la part importante de la génétique dans la genèse neurodéveloppementale de l'autisme. Cependant, il ne faut pas tomber dans un extrémiste qui ne reflète pas la réalité : comme nous le disions précédemment, la part de génétique dans les TSA est actuellement estimée à 50%. Ce qui reste une belle marge de manœuvre aux influences environnementale ! C'est ce que nous chercherons à explorer au cours des prochains articles du blog.
SOURCES :
- Bourgeron T. From the genetic architecture to synaptic plasticity in autism spectrum disorder. Nat Rev Neurosci. 2015 Sep;16(9):551-63. doi: 10.1038/nrn3992. PMID: 26289574.
- Mandy W, Lai MC. Annual Research Review: The role of the environment in the developmental psychopathology of autism spectrum condition. J Child Psychol Psychiatry. 2016 Mar;57(3):271-92. doi: 10.1111/jcpp.12501. Epub 2016 Jan 19. PMID: 26782158.
- Bourgeron T. Current knowledge on the genetics of autism and propositions for future research. C R Biol. 2016 Jul-Aug;339(7-8):300-7. doi: 10.1016/j.crvi.2016.05.004. Epub 2016 Jun 8. PMID: 27289453.
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