Pourquoi la Dépakine est à risque d'autisme ?

 

En 1962, le chimiste Pierre Eymard travaille, au sein de son laboratoire, sur de nouvelles molécules anti-convulsivantes, en particulier les khellines, qui sont très peu solubles dans l'eau. Afin de tester ces nouveaux traitements sur des modèles animaux d'épilepsie, il utilise un solvant à base d'acide valproïque et de ses dérivés. Ce composé est souvent utilisé comme tel depuis sa synthèse en 1882. Les khellines testée sont prometteuses : elles possèdent un puissant effet anti-épileptique. En parallèle, un de ses collègues trouve des propriétés similaires d'une molécule d'une toute autre classe chimique, elle aussi solubilisée dans une solution d'acide valproïque.

Ils remettent alors en cause leurs certitudes et se penchent sur ce curieux solvant : et s'il était la source de l'effet anticonvulsivant ? C'est ainsi que l'acide valproïque fut découvert, puis mis sur le marché 5 petites années plus tard sous le nom de Dépakine [1]. Bien qu'il soit un traitement particulièrement puissant et utilisé à travers le monde dans l'épilepsie, le trouble bipolaire ou même la migraine, on entend surtout parler ces dernières années de ses effets indésirables, en particulier tératogènes, et les séquelles psychiatriques chez le bébé d'un tel traitement pendant la grossesse.


Comment fonctionne la Dépakine ? Peut-on encore l'utiliser chez la femme enceinte ? Par quels mécanismes ce traitement majore-t-il le risque de trouble du spectre autistique ?


Assez rapidement, il apparaît que la Dépakine représente un risque pour le fœtus. Dès les années 1980, une augmentation significative du risque de spina bifda, une malformation grave du système nerveux, est notée chez les enfants de patientes traitées par Dépakine au cours de la grossesse [2]. On s'aperçut peu après que les malformations pouvaient être bien plus étendues, de la trigonocéphalie (c'est-à-dire une déformation du crâne en forme de triangle) à la fente palatine en passant par des malformations digitales diverses.

Spina Bifida chez un nouveau-né.
La spina bifida est une anomalie de fermeture du tube neural, le
système nerveux central primitif présent au tout début de la vie foetale.
Par Centers for Disease Control and Prevention

Dès 2005, l’association entre traitement par valproate in utero et comportements autistiques sont mises en évidence chez la souris [2]. Très rapidement, ces souris deviennent même un modèle expérimental des troubles autistiques humains. Ces découvertes ne sont cependant pas prises en compte initialement par les autorités sanitaires, qui tardent à mettre à jour leurs recommandations. C'est véritablement en 2013, après la mise en évidence par une grosse étude danoise d'un sur-risque de trouble du spectre de l'autisme (TSA) chez les enfants dont la mère avait reçu du valproate pendant la grossesse, que débutera ce qu'on appelle désormais le scandale de la Dépakine et qui aboutira à une vaste prise en conscience de ses effets sur le développement cérébral [3].

Lorsque nous cherchons la cause des symptômes autistiques chez la descendance des femmes traitées par Dépakine, il faut rester extrêmement vigilant. En effet, nous venons de le voir, les scientifiques ont très tôt utilisé l'acide valproïque pour créer des avatars animaux d'autisme. Ces modèles, plus facilement manipulables que l'Homme, ont permis d'importantes découvertes sur la physiopathologie des TSA. C'est donc le serpent qui se mord la queue. L'approche correcte est de déterminer ce que le modèle valproate nous a permis de découvrir sur les TSA, et non en quoi le traitement par Dépakote engendre de tels symptômes.

Il faut de plus bien souligner que nous parlerons le plus souvent dans cet article de corrélations, et non de causalité, entre le traitement par Dépakine et les anomalies biologiques et comportementales observées. Il est très difficile d’établir un lien causal entre ces différentes échelles. Nous y reviendrons plus tard. Quoiqu’il en soit, il serait donc plus juste de répondre à la question « Quels sont les effets physiopathologiques d’un traitement par Dépakine au cours de la grossesse et avec quels types de comportements sont-ils corrélés ? ». Nous tenterons dans cet article de comparer les données provenant du modèle Dépakine avec les découvertes provenant d'autres modèles animaux ou de l'Homme. Ces données reposant en grande partie sur des modèles animaux (dont la mère a reçu de la Dépakine au cours de la grossesse), nous pouvons de plus nous demander dans quelle mesure ces modèles animaux sont fiables, si nous pouvons extrapoler ces découvertes à l’Homme, et dans quelle mesure on peut les associer aux syndromes autistiques humains.

Comment agit la Dépakine sur le cerveau en développement ? [4]

Les activités antiépileptiques de la Dépakote reposent sur son profil de liaison spécifique aux récepteurs neuronaux. D’une part, elle est capable de stimuler les synapses GABAergiques, qui représentent le principal système inhibiteur cérébral. D’autre part, elle peut inhiber les synapses glutamatergiques qui font partie du grand système excitateur du cerveau.

Ces actions sur le cerveau en formation peut avoir des conséquences importantes, en particulier en regard des troubles du spectres autistiques. Nous allons le voir, se pencher sur les conséquences fœtales du valproate, c’est s’intéresser aux hypothèses physiopathologiques mêmes de l’autisme. Il faut cependant bien garder en tête que nous aborderons dans cet article un nombre limité de ces hypothèses (celle en rapport avec les effets du valproate) et qu’il en existe d’autres, dont nous parlerons probablement dans d’autres articles sur le blog.

Le bon fonctionnement cérébral repose sur un équilibre entre excitation (glutamate)
et inhibition (GABA) au sein des circuits cérébraux.

Nous l’avons vu, il existe dans notre cerveau deux grands systèmes antagonistes, l’un excitateur supporté par le glutamate et l’autre inhibiteur régit par le GABA. Un fonctionnement normal du cerveau repose sur un juste équilibre entre ces deux forces opposées, et tout déséquilibre pourra aboutir à la pathologie. C’est ainsi que les syndromes autistiques ont été associés à de tels processus. Une augmentation du rapport excitation/inhibition est retrouvée chez un certain nombre de patients autistes, avec comme conséquence un risque accru d’épilepsie par exemple. Ce déséquilibre peut être dû à une anomalie du GABA qui pourrait avoir une action excitatrice paradoxale chez ces patients. Il aurait des conséquences significatives sur le fonctionnement cérébral. En effet, l’action inhibitrice du GABA est essentielle car elle coordonne l’activité excitatrice qui, elle, supporte les transferts d’informations entre neurones. Une diminution de l’inhibition ou une augmentation de l’excitation aboutirai à une augmentation du « bruit de fond » et empêcherai un bon traitement des informations complexes, comme celles liées à l’environnement social.

Un tel déséquilibre a été décrit sur des modèles animaux « Dépakine ». Il existe en effet une sur-activation glutamatergique chez ces derniers, corrélée avec des déficits de comportement social. Cet effet se retrouve chez certains patients autistes, chez qui les symptômes ont pu être rattachés à des mutations génétiques impliquant le système glutamatergique. Un traitement permettant de freiner les neurones glutamatergiques, administré aux modèles animaux, permet d’améliorer significativement leurs anomalies comportementales.

Mais le GABA et le glutamate ne sont pas les seuls neurotransmetteurs à être anormalement régulés dans les TSA. Certaines études suggèrent que le système dopaminergique serait lui aussi anormal. Certaines mutations associées aux TSA portent sur plusieurs récepteurs dopaminergiques ainsi que sur son enzyme de recyclage. Un fonctionnement anormal de certaines voies dopaminergiques est corrélé aux troubles des interactions sociales (voies mésolimbiques et mésocorticales) et aux stéréotypies (voie nigrostriée), 2 symptômes clés des syndromes autistiques. De plus, le taux de dopamine pré-frontale semble diminuée chez ces patients.

Schéma des grandes voies dopaminergiques cérébrales. Les neurones dopaminergiques
ne sont pas distribués globalement dans le cerveau, mais naissent de structures
profondes (tronc cérébral) et se projettent vers de nombreuses aires cérébrales.
Voie 1 : méso-corticale
Voie 2 : méso-limbique
Voie 3 : nigro-striatale
Voie 4 : tubéo-infandibulaire

Les études portant sur la sérotonine sont plus controversées. Certains travaux suggèrent une augmentation chez les patients autistes, en se basant sur le taux de sérotonine plasmatique. Les études histologiques cérébrales de patients autistes décédés ne mettent pas en évidence de telle dérégulation. Cependant, certains syndromes autistiques sont lié à une mutation du gène SERT, codant pour une protéine clé de la recapture de la sérotonine dans la fente synaptique (cette même protéine ciblée par les antidépresseurs). On peut enfin noter que les deux seuls traitements aujourd’hui autorisés chez les patients autistes, l’Abilify et le Risperdal, agissent à la fois sur le système dopaminergique et serotoninergique.

Les anomalies dopaminergiques et sérotoninergiques décrites chez l’Homme se retrouvent dans notre modèle animal « Dépakine ». L’administration in utero d’acide valoproïque perturbe la migration, la distribution et la maturation des neurones sérotoninergiques et aboutit à une augmentation des taux dans le cerveau. Il est intéressant de noter que chez ces mêmes animaux, si le taux de sérotonine plasmatique est bien augmenté, il est diminué au niveau du système digestif. Cela nous montre bien la nécessité d’être prudent dans l’extrapolation des mesures périphériques au cerveau. Les anomalies dopaminergiques sont, elles, controversées et certains travaux infirment une quelconque altération chez ce modèle animal. Ces données sont consistantes avec d’autres modèles animaux de TSA.

Plusieurs études ont noté une altération des récepteurs cannabinoïdes dans le cerveau de patients autistes. Les anomalies de ces récepteurs, impliqués dans la plasticité synaptique et la neuro-inflammation notamment, ont été corrélées avec les anomalies de la direction du regard chez ces patients. Elles n’ont été que peu étudiées sur le modèle « Dépakine ».

Au niveau moléculaire, l’acide valproïque semble agir sur deux grandes voies de signalisation. D’une part, elle stimulerait la voie Wint-mTOR, impliquée dans de nombreux processus neuro-développementaux comme la neurogénèse, la migration neuronale et la synaptogénèse. Une telle anomalie a été mise en évidence chez l’Homme. De plus, le traitement des souris par de la Rapamycine, qui a la capacité d’inhiber cette voie de signalisation (mTOR signifie «mamalian target of rapamycin»), aboutie à une amélioration de leur comportement social et de leurs capacités cognitives.

Outre son action sur les récepteurs GABAergiques et glutamatergiques, l’acide valproïque est capable de stimuler l’acétylation des histones, qui sont de grosses protéines sur lesquelles sont enroulé l’ADN des cellules. Ces modifications chimiques ont des répercussions majeures, car elles permettent de réguler l’accès de la machinerie cellulaire aux gènes. Ce mécanisme, dit épigénétique, entraîne l’activation ou l’inhibition de gènes neuronaux, dont certains sont impliqués dans le développement cérébral. Ces perturbations épigénétiques peuvent donc entraîner de sensibles anomalies développementales, et aboutir aux TSA. Il est intéressant de noter que les molécules analogues au valproate, mais qui ne possède pas d’action épigénétique, ne sont pas tératogènes [6].

Le modèle « Dépakine » est-il fiable ? [2]

Nous l’avons vu, le modèle murin (c’est-à-dire chez la souris) « Dépakine » est à l’origine de nombreuses découvertes concernant l’autisme. Mais il est toujours compliqué d’extrapoler ces données animales à l’Homme, d’autant plus lorsque nous parlons de comportements aussi complexes que ceux impliqués dans notre vie sociale. Pour juger de la confiance que l’on peut avoir dans un modèle animal, on peut se baser sur une triple validité : de construction, isomorphique et prédictive.

La validité de construction repose sur une étiologie commune du trouble humain et animal, c’est-à-dire des mécanismes physiopathologiques semblables. Ce point est peut être le plus problématique concernant notre modèle « Dépakine ». En effet, les mécanismes neuronaux à l’origine des TSA sont extrêmement variés et toujours entremêlés. Il existe, dans de rares cas, des TSA dits « syndromiques » qui reposent sur une anomalie génétique bien définie : c’est le cas par exemple du syndrome de l’X fragile, du à une mutation du gène FMR1. La reproduction de cette mutation chez la souris et possible, aboutissant à une forte validité de construction. Ce n’est malheureusement pas le cas de notre modèle Dépakine, même si on retrouve un grand nombre des processus neuronaux pathologiques de l’autisme. Si on veut être parfaitement rigoureux, le modèle Dépakine a une bonne validité de construction… Des TSA post-Dépakine ! Mais même dans ce cas, la validité de construction n’est pas parfaite étant donné l’intrication importante des influences génétiques et environnementales (à la fois in utero et après la naissance!).

La validité isomorphique du modèle « Dépakine » est en revanche bien meilleure. Elle correspond à une reproduction fidèle des symptômes du trouble ; dans le cas des TSA, des déficit d’interaction sociale, des comportements stéréotypés et certaines comorbidités associées (retard de développement, troubles du sommeil). Il faut en revanche rester très prudent dans l’analyse que nous pouvons en faire. Il ne s’agit, bien entendu, pas de souris « autistes » ! Il ne s’agit que de corrélations entre certaines anomalies cérébrales et certains types de comportement objectivables.

Enfin, la validité prédictive est peut être celle qui nous ouvre le plus de portes. Il s’agit de la réaction similaire entre modèle et humain à un traitement donné. Par exemple, alors que les TCC (thérapies cognitivo-comportementales) montrent une amélioration significative chez l’Homme, leur pendant animal, l’environnement enrichi, améliore lui aussi significativement les symptômes du modèle « Dépakine ». Cette validité prédictive est importante car elle nous permet de tester des traitements sur ce modèle animal, en espérant une efficacité similaire s’il est administré ensuite chez l’Homme.

Quoiqu’il en soit, et encore plus dans cet article où nous naviguons de la souris à l’Homme, il faut bien garder en tête toutes les limites d’un modèle animal (même bien fait!) et les extrapolations permises et interdites à l’Homme.

Dépakine et grossesse : une question compliquée [5]

Nous l’avons vu, les effets de la Dépakine sur le cerveau en développement sont importants et de mieux en mieux connus. Aujourd’hui, l’administration de Dépakine chez la femme jeune est strictement encadrée : la prescription de ce traitement n’est pas autorisé en l’absence d’une preuve en début de traitement que la patiente n’est pas enceinte et par l’obligation d’une contraception efficace pendant toute la durée du traitement. La Dépakine est ainsi généralement prescrite chez la femme jeune uniquement s’il n’existe pas d’autres alternatives. Elle est bien entendue contre-indiquée pendant la grossesse. Après avoir développé l’ensemble des effets sur le développement cérébral, et au regard de ses conséquences, il apparaît imprudent, voire criminel, de prescrire un tel traitement à une femme enceinte ou pouvant l’être. Nous allons cependant voir que la question, lorsqu’elle se pose au médecin et à la patiente, est loin d’être aussi simple.

L’acide valproïque est le plus souvent prescrit dans deux indications : le trouble bipolaire et l’épilepsie. Il peut aussi être prescrit chez des patients migraineux. L’épilepsie est une pathologie neurologique très handicapante qui entraîne la survenue de crises comitiales dont certaines sont bénignes et d’autres très graves. Une épilepsie généralisée qui se prolonge et qui résiste au traitement, que l’on appelle un état de mal épileptique, peut aboutir au décès du patient. L’épilepsie correspond à une décharge anormalement synchrone de tout ou partie des neurones du cerveau. Il existe plusieurs types d’épilepsie, dont les symptômes sont différents en fonction du réseau neuronal touché.

Le trouble bipolaire est un trouble psychiatrique fréquent qui se caractérise par des variations anormales de l’humeur. Cette dernière oscille normalement entre des phases de déprime ou d’excitation, tout en restant proche d’un certain niveau moyen. Chez les patients bipolaires, l’humeur varie dans des proportions beaucoup plus dramatiques, de la dépression à la manie. On prescrit chez ces patients des stabilisateurs de l’humeur (ou thymorégulateurs) qui ont à la fois une action antidépressive et anti-maniaque. La Dépakine fait partie de cette classe médicamenteuse.

Le lithium fait partie des thymorégulateurs les plus efficaces.

Ces deux pathologies sont particulièrement handicapantes, d’autant plus qu’elles débutent souvent à l’adolescence ou chez le jeune adulte. Il existe, pour chacune d’elle, de nombreuses options thérapeutiques. Cependant, le choix peut vite être restreint chez la femme jeune. Plusieurs autres anti-épileptiques sont tératogènes. C’est aussi le cas des thymorégulateurs, et en particulier le litihum qui peut entraîner des malformations cardiaques. Dans le cas du trouble bipolaire, il existe cependant des alternatives plus sûres, comme la Lamotrigine (qui est un anti-épileptique) ou les antipsychotiques.

Lors de toute instauration de traitement, et même de toute décision médicale, le médecin et le patient doivent évaluer deux grandes attentes : le bénéfice du traitement et le risque induit. Toute décision et tout traitement comporte ces deux aspects indissociables. Il en va de même pour la Dépakote. Cependant, dans ce cas précis, il ne faut pas oublier que cette réflexion doit incorporer à la fois le point de vue de la mère et du fœtus. Ainsi, il faut bien envisager les bénéfices et les risques d’un tel traitement (ou d’une absence de traitement) pour les deux partis !

Nous avons déjà largement évoqué les risques fœtaux associés à la prise de Dépakine pendant la grossesse. Chez la mère, il n’existe pas d’effet indésirable spécifique à la grossesse exceptée de légères anomalies de la coagulation sanguine qu'il faut donc surveiller lors de l’accouchement.

Mais il existe aussi des risques, maternels et fœtaux, d’un arrêt de traitement par Dépakine ! Imaginons la situation suivante : une patiente traitée par Dépakine au long court pour un trouble bipolaire ou une épilepsie tombe enceinte malgré les moyens contraceptifs mis en place (aucun d’entre eux n’est infaillible!). Doit-on arrêter immédiatement le traitement ?

La grossesse constitue une période à risque pour les patientes épileptiques, chez qui le risque de crise est augmenté. Ce n’est donc pas le bon moment pour arrêter un quelconque traitement. De plus, un changement thérapeutique constitue lui aussi une période à risque, au cours de laquelle le traitement est déséquilibré. Le choix d’un remplacement de la Dépakine chez une femme enceinte comporte donc une prise de risque. Cette décision est d’autant plus difficile lorsque la patiente en question souffre d’une épilepsie résistante et que le traitement par Dépakine est bien efficace.

Concernant le trouble bipolaire, une telle situation est là aussi compliquée. La grossesse est une période à haut risque sur le plan psychiatrique pour toutes les mamans, du classique baby blues peu après la naissance à la dépression ou à la manie du post-partum. Ce risque est encore majoré chez les patientes bipolaires. Les risques pour la maman sont donc importants, mais ils peuvent aussi l’être pour le bébé. En effet, les interactions mère-enfant sont capitales au cours des toutes premières semaines de vie, et permettent le bon développement psychique du bébé. Ces états pathologiques (dépression et manie) peuvent les altérer voire aboutir, dans de rares cas, à une maltraitance de l'enfant. Il existe donc un risque significatif portant sur la mère et sur le bébé en cas d’arrêt d’un traitement thymorégulateur, d’autant plus si cet arrêt est fait brutalement (ce qui déstabilise d’autant plus le trouble).

La découverte d’une grossesse chez une patiente sous Dépakine est donc une situation très compliquée, qui doit être précautionneusement évaluée par le médecin, et être longuement discutée avec la patiente. Dans tous les cas, la décision qui en découle ne peut se concevoir que de façon partagée entre la patiente et son médecin, en connaissance des bénéfices et des risques de chaque option, à la fois pour le fœtus (on y pense spontanément) mais aussi pour la maman (on y pense moins souvent!).

Dans le cas d’un trouble bipolaire, on peut de plus avancer qu’un traitement thymorégulateur efficace permet de limiter un grand nombre de situations à risque associées à ce trouble. Les phases maniaques peuvent s’associer à des prises de risque notamment au niveau sexuel (rapports non protégés typiquement) qui peuvent être prévenus par un traitement psychotrope efficace. On peut aussi penser aux comorbidités addictives et parmi elles alcooliques, qui peuvent mettre en danger le fœtus et qui peuvent être aidées par un thymorégulateur efficace. Si le seul traitement efficace possible repose sur la Dépakine chez la femme jeune, doit-on la prescrire malgré le risque tératogène ? La question se pose au cas par cas.

Vers une médecine personnalisée ? [6]

Ces décisions difficiles seront peut être bientôt aidées par la génétique. Dans une vieille étude de 2010, des scientifiques américains notaient en effet que l’effet tératogène de la Dépakine variaient en fonction des souches de souris qu’ils traitaient. Par exemple, les souris « B6 » étaient plus sensibles aux malformations digitales et vertébrales, alors que les souris « D2 » avaient plus fréquemment des côtes malformées.

En croisant des souris B6 et D2 entre elles (et en les traitant pendant la gestation), ils ont de plus découvert que cette susceptibilité génétique variait en fonction du parent transmetteur. Ainsi, les souriceaux nés de mère B6 étaient plus susceptibles aux malformations digitales et vertébrales que les souriceaux nés de père B6. Ce phénomène est appelé « empreinte maternelle » et traduit le fait que les 2 allèles d’un même gène s’expriment différemment en fonction de leur origine paternelle ou maternelle.

Cette empreinte semble liée à une acétylation des histones différente entre les souris B6 et D2. On peut imaginer que certains profils d’acétylation peuvent se montrer protecteurs chez certaines souches de souris.

Cette étude nous fait rêver d’une médecine personnalisée dans laquelle on pourrait analyser en amont le génome et l’épigénome des patientes épileptiques ou bipolaires afin d’estimer leur risque propre de malformation ou de TSA chez leur futur enfant en cas de grossesse. Cependant, il nous faut noter les nombreuses limitations de cette étude, qui porte sur un petit nombre de souris et qui n’analyse pas le métabolisme du valproate dans l’organisme des mère enceintes. De plus, l’acétylation des histones est mesurée de manière globale (sur l’ensemble de l’embryon) et représente donc une estimation très grossière. Nous ne pouvons pas savoir si cet effet est spécifique d’organes ou de régions du génome particuliers. Le processus d’acétylation repose sur un équilibre constant entre acétylation et desacétylation et cette étude ne permet pas de conclure à un effet inhibiteur de la Dépakine sur l’acétylation. Enfin, cette étude n’a, à ma connaissance, pas été répliquée à ce jour.

On peut donc imaginer, avec toutes les précautions dont nous avons déjà parlé plus haut, par quels mécanismes la Dépakine majore le risque de TSA si elle est administré pendant la grossesse. Elle induit un certains nombre d’anomalies cérébrales, en particulier sur les grands systèmes de neurotransmetteurs (GABA, glutamate, sérotonine, dopamine), retrouvées chez les patients et les modèles animaux d’autisme. Ces actions seraient la conséquence d’une altération des mécanismes épigénétiques, à la base d’un grand nombre de processus neuro-développementaux. Ces effets sont de mieux en mieux connus et l’impact sur le fœtus, clairement démontré. Cependant, l’adaptation thérapeutique des patientes épileptiques ou bipolaires est toujours complexe et doit être mûrement réfléchie. Cette réflexion doit impérativement impliquer la patiente, dans le cadre d’une décision partagée.

SOURCES :

- [1] : https://www.pharmacorama.com/2008/11/exemple-serendipite-decouverte-acide-valproique-grenoble-1960/

Chateauvieux, Sébastien, et al. "Molecular and therapeutic potential and toxicity of valproic acid." Journal of Biomedicine and Biotechnology 2010 (2010).

Scott, Donald F. The history of epileptic therapy: An account of how medication was developed. CRC Press, 1993.

- [2] : Bossu, Jean-Louis, and Sébastien Roux. "Les modèles animaux d’étude de l’autisme-Le modèle «valproate»." médecine/sciences 35.3 (2019): 236-243.

- [3] : Christensen, Jakob, et al. "Prenatal valproate exposure and risk of autism spectrum disorders and childhood autism." Jama 309.16 (2013): 1696-1703.

- [4] : Kuo, Hsiao-Ying, and Fu-Chin Liu. "Molecular pathology and pharmacological treatment of autism spectrum disorder-like phenotypes using rodent models." Frontiers in Cellular Neuroscience 12 (2018): 422.

- [5] : Macfarlane, Alastair, and Trisha Greenhalgh. "Sodium valproate in pregnancy: what are the risks and should we use a shared decision-making approach?." BMC pregnancy and childbirth 18.1 (2018): 200.

- [6] : Downing, Chris, et al. "Genetic and maternal effects on valproic acid teratogenesis in C57BL/6J and DBA/2J mice." Toxicological sciences 116.2 (2010): 632-639.

- Bossu, Jean Louis. "The Sodium Valproate: Doctor Jekyll and Mister Hyde." Neurology 11: 1-9.


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