Placenta : quel rôle dans les troubles psychiatriques ?

 

Il y a 150 millions d’années, l’ancêtre des mammifères actuels a été infecté par plusieurs rétrovirus, des organismes qui ont la capacité, dans des circonstances bien particulières, d’incorporer leur génome au nôtre. Le plus (tristement) célèbre des rétrovirus actuels est le VIH, responsable de dizaines de millions de morts à travers le monde. Cependant, l’infection par des rétrovirus peut aussi avoir des effets tout à fait bénéfiques et inattendus : chez nos ancêtres du Crétacé, elle a permis la création d’un organe absolument indispensable : le placenta.

Juste après la fécondation, l’œuf nouvellement formé va migrer au travers des trompes de Fallope vers l’utérus, où il va s’implanter. Une fois au chaud dans la muqueuse utérine, l’endomètre, il devra développer un système d’interaction avec l’organisme maternel, afin de pouvoir capter tous les nutriments et l’oxygène dont il aura besoin pour se développer, et éliminer les déchets qu’il va produire. C’est ainsi qu’un contingent cellulaire va se déployer vers l’endomètre et les petites artères qui y cheminent. Une fois en contact, elles débuteront une danse fœto-maternelle et progressivement formeront le placenta. Ainsi, le placenta, d’origine fœtale, est absolument indispensable au dialogue entre les organismes maternels et fœtaux, ainsi qu’à la survie de ces derniers.

Le rétrovirus du Crétacé aurait permis la formation du placenta en introduisant dans le génome humain une protéine appelée syncytine, permettant la colonisation de l’endomètre par les cellules fœtales.


Le placenta, à l'interface entre le fœtus et la mère, permet des interactions fines entre les deux organismes.

Depuis plusieurs années, le placenta intéresse fortement certains chercheurs en neurosciences, qui ont même forgé un nom à une nouvelle discipline, la neuroplacentologie. Leur idée est simple. Nous savons que les processus de développement cérébraux sont majeurs au cours de la vie fœtale, et que de nombreux facteurs environnementaux peuvent l’influencer -nous en parlions dans un précédent article de blog. Or, le fœtus n’est jamais directement au contact de l’environnement : entre les deux se place toujours l’organisme maternel, et en dernier rempart, le fameux placenta. Il est donc probable que ce dernier joue un rôle capital dans le développement du fœtus en général, et du cerveau tout particulièrement.

On peut envisager le placenta comme un organe de transit, qui permet d’acheminer, dans un sens comme dans l’autre, les éléments essentiels au bon développement du fœtus. Mais on peut aussi l’envisager comme un formidable chef d’orchestre, qui va diriger d’une main de maître le dialogue entre la mère et le fœtus, détecter les menaces, les variations et dangers provenant de la mère pour protéger le fœtus, et permettre une adaptation fine de l’environnement in utero. Le cerveau en développement étant particulièrement fragile, on comprend bien qu’une adaptabilité placentaire non optimale peut avoir de lourdes conséquences.

De nombreuses études épidémiologiques mettent en lien une dysfonction du placenta et divers troubles psychiatriques chez l’enfant, et même chez l’adulte. On peut citer l’autisme, le trouble de déficit attentionnel avec ou sans hyperactivité ou encore la schizophrénie. Nous y reviendrons.

Parmi les dysfonctions placentaires, ont a rapidement en tête la plus dramatique d’entre elle : la perte brutale des apports placentaire secondaire à une naissance prématurée. La prématurité est en effet un facteur de risque bien connu de nombreux troubles psychiatriques, et en particulier les troubles du neurodéveloppement. Elle peut aussi engendrer des séquelles neurologiques, même si cela reste rare. Cet arrêt des apports placentaire peut entraîner un défaut d’oxygénation du cerveau et donc une mort neuronale. La prématurité en elle-même est un facteur de risque de trouble psychiatrique (la naissance survenant alors que le cerveau n’a pas atteint le degré de maturité suffisant), mais elle l’est d’autant plus qu’une dysfonction placentaire y est associée : par exemple, plusieurs études portant sur le TDAH ont montré que les difficultés attentionnelles étaient plus fréquentes chez les enfants nés prématurés, d’autant plus si cette prématurité était en lien avec un retard de croissance intra-utérin (du fait d’un mauvais passage des nutriments au travers du placenta) ou d’une pré-éclampsie (une défaillance du placenta qui provoque une hypertension chez la mère et possiblement un risque pour le fœtus).

Plusieurs études se sont penchées sur les anomalies placentaires dans l’autisme, qui est définit par des difficultés dans les interactions sociales, dans la communication, mais aussi par des particularités comportementales et sensorielles. Certaines études ont ainsi montré que la survenue d’une pré-éclampsie augmentait le risque d’autisme de 25%. La physiopathologie de la pré-éclampsie reste mystérieuse encore aujourd’hui. Elle semble reposer sur une invasion anormale des faisceaux maternels pas les cellules placentaires, à l’origine d’un défaut de vascularisation du placenta. Afin de maintenir les apports nécessaires, l’organisme maternel augmenterai sa tension artérielle, pouvant si cela est trop important mettre en danger la mère comme le fœtus. Au delà du manque d’apports nutritifs au fœtus, son neurodéveloppement peut aussi être influencé par la réaction inflammatoire que la pré-éclampsie provoque.


Les troubles du spectre de l'autisme (TSA) se caractérisent par des difficultés dans les interactions sociales, la communication, associées à certaines particularités comportementales et sensorielles. On retrouve fréquemment des comorbidités, comme l'épilepsie ou de retard développemental.

Plusieurs équipes ont suivi les enfants dont ils avaient précieusement conversé et étudié le placenta à la naissance. Ils ont ainsi pu comparer les caractéristiques de ces derniers entre les enfants neurotypiques et avec autisme. Ces études ont mis en lumière des anomalies anatomiques du placenta plus fréquentes chez les enfants avec autisme : par exemple, ils ont tendance à être plus épais que la normale, ce qui pourrait refléter une perméabilité moindre à certains nutriments. Une autre étude, MARBLES, s’est elle penchée sur les modifications épigénétiques du placenta chez les enfants avec autisme. L’épigénétique correspond aux mécanismes biologiques permettant de modifier l’expression du génome, sans modifier la séquence d’ADN en elle-même. Le plus souvent par le biais de méthylations (la greffe de molécules CH3 sur l’ADN), elle permet d’allumer ou d’éteindre les gènes ciblés. Le processus de méthylation est absolument indispensable au bon fonctionnement placentaire, particulièrement en début de grossesse. L’étude MARBLES a mis en évidence une méthylation légèrement différente chez les enfants qui seront plus tard diagnostiqués. Elle a aussi montré que le profil de méthylation placentaire était significativement modifiée en cas d’exposition à certains pesticides, qui constituent un facteur de risque connu de trouble du neurodéveloppement. Il est difficile d’affirmer aujourd’hui que ce risque est lié aux modification épigénétiques du placenta, et si ces dernière sont une quelconque influence sur le développement cérébral. Mais nous pouvons le supposer.


Les mécanismes épigénétiques sont complexes. Il s'agit de réactions chimiques qui vont modifier l'accessibilité de l'ADN à la machinerie cellulaire, et donc permettre d'éteindre ou d'allumer certains gènes ciblés.

Il existe certes des associations épidémiologiques entre les anomalies placentaires et certains troubles du neurodéveloppement comme l’autisme, mais cela ne nous donne pas d’indice sur les mécanismes physiopathologiques qui pourraient expliquer cette corrélation.

Comme nous le disions plus haut, le placenta n’est pas seulement un transporteur, un vulgaire organe de transit. En particulier, il a un rôle hormonal capital. Il est en effet capable de sécréter un certains nombre d’hormones et autres substances qui vont pouvoir interagir à la fois avec l’organisme maternel (c’est le cas par exemple de l’hCG, que le placenta sécrète afin de maintenir la grossesse) ou fœtal. Plusieurs études suggèrent par exemple que le placenta serait capable de secréter de la sérotonine, un neurotransmetteur déjà impliqué dans la physiopathologie autistique. La sérotonine est en effet indispensable au bon développement du cerveau, par exemple pour guider les axones des neurones qui le composent vers la bonne destination. Une perturbation des taux de sérotonine chez le fœtus pourrait donc influencer son neurodéveloppement vers un phénotype de type autistique, directement ou par le biais d’autres mécanismes intermédiaires (la sérotonine a par exemple une action sur le récepteur à l’ocytocine, un autre neurotransmetteur impliqué dans l’autisme). Même si la sécrétion de ces neurotransmetteurs par le placenta semble faire consensus, on manque actuellement cruellement de preuve quant à leur effet sur le cerveau en formation -on ne sait même pas si ces substances sont capables de l’atteindre ! Ces mécanismes sont donc encore très hypothétiques.

Enfin, le placenta peut aussi s’envisager comme une protection, une barrière qui permet de filtrer les éléments toxiques ou dangereux pour le fœtus. Ces éléments peuvent provenir de l’extérieur, comme par exemple des bactéries ou des virus, mais aussi de la mère elle-même. C’est par exemple le cas du cortisol. Cette hormone, connue sous le nom « d’hormone du stress », a de puissants effets sur le cerveau, d’autant plus lorsqu’il est en plein développement. Ainsi, il est nécessaire de protéger le fœtus de trop grandes concentrations de cette hormone, qui normalement augmente au cours de la grossesse -une augmentation tout à fait physiologique. C’est là le rôle du placenta.

Le placenta possède une enzyme au nom un petit peu barbare de 11β-Hydroxysteroid dehydrogenase 2 (ou 11β-HSD2), capable de métaboliser le cortisol maternel qui transite par le placenta. Cette transformation en cortisone inactive permet de protéger le cerveau du fœtus. Cependant, dans certaines situations, ce mécanisme peut être dépassé. C’est par exemple le cas lorsque des modifications épigénétiques interviennent sur le gène de la 11β-HSD2 placentaire, aboutissant à une augmentation du passage du cortisol maternel vers le fœtus. Dans ces cas là, le cortisol peut activer au passage son récepteur au niveau du placenta. Des études ont montré que les modifications épigénétique au niveau du gène codant ce récepteur étaient corrélées avec l’intensité et la variabilité des pleurs des bébés, une fois nés !

Ce système peut aussi être dépassé en cas de concentration en cortisol maternel trop important, prenant alors le dessus sur la 11β-HSD2. Ce surplus de cortisol chez la mère peut avoir plusieurs origines, par exemple une malnutrition ou une pathologie organique, mais peut aussi provenir d’un traumatisme psychique, d’un trouble anxieux ou d’une dépression. Cela est d’autant plus intéressant quand on sait que le stress perçu par la mère pourrait influencer les mécanismes épigénétiques au niveau du placenta, en particulier au niveau d’un gène… le 11β-HSD2 ! Les concentration de cortisol se majorant d’autant plus !


Il y a 2 moyens de saturer le système de filtration du cortisol par le placenta : soit par diminution de l'activité enzymatique du 11β-HSD2, soit par majoration des concentrations maternelle en cortisol. Ces deux mécanismes peuvent s'associer.

Ces études reliant une dépression ou une anxiété maternelle, exposition fœtale au cortisol et comportement chez le bébé sont très intéressantes car l’une des grandes hypothèses physiopathologiques de la dépression est la dysfonction du système régulant les taux de cortisol dans l’organisme. On peut imaginer qu’une exposition trop importante en cortisol au cours de la vie fœtale pourrait altérer ce système chez le fœtus, et ainsi constituer un facteur de fragilité au cours de sa future vie.

Il faut pourtant rester extrêmement prudent par rapport aux conclusions que nous pouvons tirer de ces études, et ma dernière phrase fait de scandaleux raccourcis. On est loin aujourd’hui de relier avec certitude et d’établir une causalité entre la dépression maternelle, le cortisol et le placenta, et le comportement de l’enfant des années plus tard ! Et encore plus concernant une dépression qui l’affecterait une fois devenue adulte. Cependant, il est capital de garder en tête ces mécanismes, que l’on pourra affiner au fur et à mesure des recherches, pour caractériser au mieux ce possible facteur de risque et son poids dans la physiopathologie dépressive.

La recherche en neuroplacentologie est naissante, il existe peu d'études sur le sujets et donc peu de consensus. Cependant, elle met en lumière le rôle prépondérant du placenta sur la vie intra-utérine et le développement du fœtus, lors d’une période au cours de laquelle il est particulièrement sensible. La recherche sur le placenta est complexe car elle ne s’intéresse pas qu’au placenta, ni même qu’au fœtus, mais bien au dialogue constant et dynamique entre mère et fœtus, au travers du placenta qui lui même a son droit de parole ! Si l’article que vous venez de lire vous paraît complexe, il faut bien garder en tête que la réalité l’est bien plus !

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SOURCES :

- https://www.lemonde.fr/archives/article/2009/08/29/le-placenta-invention-virale_4317014_1819218.html

- Rosenfeld CS. The placenta-brain-axis. J Neurosci Res. 2021 Jan;99(1):271-283. doi: 10.1002/jnr.24603. Epub 2020 Feb 27. PMID: 32108381; PMCID: PMC7483131.

- Lodefalk M, Chelslín F, Patriksson Karlsson J, Hansson SR. Placental Changes and Neuropsychological Development in Children-A Systematic Review. Cells. 2023 Jan 28;12(3):435. doi: 10.3390/cells12030435. PMID: 36766778; PMCID: PMC9913696.

- Kratimenos P, Penn AA. Placental programming of neuropsychiatric disease. Pediatr Res. 2019 Aug;86(2):157-164. doi: 10.1038/s41390-019-0405-9. Epub 2019 Apr 19. PMID: 31003234.


CREDITS PHOTOS :

- Par Henry Vandyke Carter — Henry Gray (1918) Anatomy of the Human Body (See "Livre" section below)Bartleby.com: Gray's Anatomy, Planche 39, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=792233

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- By OpenStax College - Anatomy & Physiology, Connexions Web site. http://cnx.org/content/col11496/1.6/, Jun 19, 2013., CC BY 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=30148598

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- By National Institutes of Health - http://commonfund.nih.gov/epigenomics/figure.aspx (rasterized from PDF), Public Domain, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=89191872

- By Bernstein0275 - Own work, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=103163908

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