De la psychiatrie... computationnelle ?
Il n’y a
rien de plus commun et de plus angoissant qu’une douleur thoracique. Elle est
parfois synonyme d’urgence vitale et mobilise souvent des médecins et des
soignants pour éliminer toute cause grave. En fonction de son origine, elle
s’accompagne de différents symptômes qui vont guider le clinicien dans son
examen. Par exemple, elle fera évoquer un infarctus du myocarde si elle s’étend
à la mâchoire ou au bras gauche. Une péricardite s’accompagnera d’une
majoration de la douleur lors des grandes inspirations. Une asymétrie de la
tension artérielle entre les deux bras fera évoquer une dissection aortique,
une pathologie extrêmement grave qui nécessite une prise en charge immédiate.
Ainsi, le
clinicien, à l’aide de son examen, des prises de sang et des imageries qu’il
prescrit, pourra identifier la cause de cette douleur thoracique, et débuter un
traitement adapté.
Ce cheminement, du symptôme jusqu’au diagnostic et l’identification du mécanisme physiologique défectueux, est beaucoup plus difficile en psychiatrie.
Il existe
aujourd’hui plusieurs cadres de lecture des troubles psychiatriques, et
plusieurs classifications diagnostiques qui structurent cette discipline. La
plus commune, qui est enseignée à tous les étudiants en médecine, repose sur le
DSM, ou Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, une
classification américaine. Il existe en Europe une classification similaire, la
CIM 11.
Ces deux
classifications reposent sur le même principe. Il s’agit d’une classification
descriptive, qui fait la liste, pour chaque trouble, des symptômes les plus
fréquents. Cette liste n’est pas faite au hasard et se base sur des études
scientifiques épidémiologiques. Par exemple, la tristesse de l’humeur est
retrouvée presque tout le temps dans la dépression, elle est donc en pole
position dans le chapitre du DSM correspondant à ce trouble.
Cette
classification a de nombreux avantages. Elle permet d’uniformiser les
diagnostics à travers le monde (même si on peut débattre de l’utilité de cette
uniformisation) : quand un psychiatre français discute avec un psychiatre
congolais d’un patient dépressif, les critères partagés permettent d’être sûr
qu’ils se comprennent et parlent de la même chose. Cette harmonisation des
définitions est aussi importante en recherche : une étude internationale
sur la dépression recrutera le même profil de patients à Paris ou à Shanghai.
Cependant,
ces classifications ont aussi leurs limites. Comme nous le disions précédemment,
elles se basent sur des études épidémiologiques, et non pas sur un mécanisme
physiopathologique identifié –tout simplement parce qu’un tel mécanisme n’est
actuellement pas identifiable, c’est bien pour cela qu’on parle de trouble
psychiatrique et non pas de pathologie psychiatrique.
Ces
classifications ont une approche utilitariste du diagnostic, une approche qui
est précieuse en pratique clinique : ainsi, il est simple de poser le
diagnostic de dépression si on connaît la liste de symptômes inscrits dans le
DSM. Si le patient en a plus de 5, sur un temps suffisant, et qu’ils ont un
retentissement significatif sur sa vie quotidienne, on pose le
diagnostic. Cela aide aussi beaucoup dans la prise en charge, qui est bien
codifiée à partir de ce diagnostic. Cette simplicité est capitale dans la
pratique quotidienne : un outil diagnostic qui est incroyablement complexe
à utiliser, qui nécessite une formation, qui prend du temps, c’est un outil qui
ne sera pas utilisé –à raison.
Les
classifications DSM ou CIM ont leurs limites, mais elles ont été pensées et
optimisées pour la pratique clinique, et c’est ce qui fait leur force. Elles
ont une base scientifique solide, un recul de près de 50 ans et sont
consensuelles à travers le monde –ce qui ne veut pas dire qu’elles ne sont pas
critiquables.
Mais le
diagnostic du DSM décrit une situation idéale : en réalité, il est évident
qu’un patient ne présentant que 4 symptômes sera tout autant dépressif qu’un
patient qui en présenterait 5. Mais, techniquement, le diagnostic ne peut pas
être posé. Une telle problématique se pose aussi en recherche. Les études sur
la dépression objectivent le diagnostic des patients inclus grâce à des
échelles. Le diagnostic peut être posé à partir d’un certain seuil (il faut bien
en définir un), mais il est évident qu’un patient situé juste en dessous du
seuil, s’il n’est pas inclus dans l’étude, est tout autant malade. Le
recrutement est donc, dans un certain sens, biaisé.
Il existe
ainsi une certaine frustration par rapport à l’utilisation de ces catégories
diagnostiques, quand bien même elles sont très utiles. Pour reprendre notre
exemple initial, on se retrouve coincé à la première étape : on peut
caractériser la douleur thoracique, regrouper les symptômes en syndrome, mais
sans en connaître la base physiopathologique fine.
Bien
évidemment, les dernières décennies de recherche nous ont permis de
considérablement affiner nos connaissances sur les troubles psychiatriques, et
il ne s’agit absolument pas de dire que nous diagnostiquons et traitons à
l’aveugle. Mais nous restons la plupart du temps cantonné au niveau clinique,
sans pouvoir guider notre prise en charge par des examens d’imagerie ou des
prises de sang –même si cela se fait de plus en plus, surtout dans des centres
spécialisés.
Ces
classifications ont un autre désavantage. Elles reposent sur une approche
catégorielle, et pas dimensionnelle. Dit de manière vulgaire, ces
classifications « mettent les patients dans des cases ». Ce ressenti
rapporté par certains patients dépendent évidemment de la façon dont on leur a
présenté et expliqué le diagnostic, de la relation thérapeutique avec leur psychiatre, du
contexte, de l’utilisation de cette classification par le professionnel. Encore
une fois, il ne s’agit pas de dire que ces échelles sont froides et brutales
pour les patients. C’est l’utilisation par les soignants qui peut l’être. La
pose d’un diagnostic clair peut aussi être vécu comme un vrai soulagement par
certains, qui peuvent (enfin) mettre un mot sur leurs souffrances.
De plus, il
existe un chevauchement important entre les différents diagnostics ainsi
définis. Par exemple, un symptôme comme l’insomnie peut se retrouver à la fois
dans les troubles anxieux, la dépression, le trouble bipolaire… Une approche
catégorielle favorise ainsi la multiplication des diagnostics et des
comorbidités : un patient peut à la fois avoir un trouble bipolaire, une
personnalité borderline, un trouble anxieux, un syndrome de stress
post-traumatique et une addiction. Il peut être difficile de manier et de prendre
en charge ces différents diagnostics de front.
Il existe
aussi un chevauchement au niveau physiopathologique. Par exemple, une anomalie
du cortex cingulaire antérieur, une région profonde de notre cerveau, est
retrouvée dans la dépression, dans la schizophrénie et dans les troubles du
spectre de l’autisme. Certaines études montrent même que ces anomalies
pourraient prédire la récidive de personnes délinquantes ! En corollaire,
la visualisation d’une anomalie du cortex cingulaire antérieur chez un patient
n’apportera pas beaucoup d’informations pour son diagnostic personnel. De plus, la
plupart des études d’imagerie portent sur des populations, les résultats sont
des moyennes, et leur extrapolation à un individu particulier est très
périlleuse. Comme on le disait plus haut, le diagnostic psychiatrique ne peut
pas actuellement se faire sur une imagerie cérébrale. Elle se fait sur la
clinique.
Bien
évidemment, encore une fois, les connaissances actuelles vont bien au-delà de
ce qui est dit dans cet article. Ces anomalies cérébrales sont comprises dans
un fonctionnement cérébral global anormal différent en fonction des troubles. Mais il
existe tout de même, à l’instar du niveau clinique, un chevauchement au niveau
des hypothèses physiopathologiques. On peut le voir aussi par exemple avec la
dopamine, un neurotransmetteur qui est impliqué dans la schizophrénie, la
dépression, la maladie de Parkinson, le syndrome de Gilles de la Tourette, et
de nombreuses autres pathologies.
Une anomalie
cérébrale peut se retrouver dans plusieurs troubles, tout comme une anomalie
d’un neurotransmetteur, ou un symptôme donné. Leur spécificité est faible.
Le flou de
ces limites conceptuelles est bien illustré par le trouble borderline, dont nous avons déjà parlé sur ce blog. Les symptômes qui lui sont associés se retrouvent aussi
bien dans le trouble bipolaire, les troubles psychotiques, l’état de stress
post-traumatique… Et les facteurs de risque génétiques associés sont aussi
retrouvés dans un grand nombre de troubles psychiatriques.
Face à cette
approche catégorielle, de plus en plus de soignants se tournent vers une
approche dimensionnelle. Plutôt que de chercher un regroupement de symptômes
pour poser un diagnostic, on cherche à évaluer le niveau d’intensité de tous
les symptômes possibles. Ainsi, on évalue le niveau de tristesse, d’anxiété,
d’insomnie, de sensibilité au rejet… Et on va prendre en charge les symptômes
les plus invalidants. Cette approche permet de prendre en compte le continuum
entre le normal et le pathologique des différents symptômes : même les
hallucinations, qui pourtant sont l’apanage des troubles psychiatriques, se
retrouvent en population normale. De plus, s’il est courant et tout à fait
normal d’angoisser, le trouble psychiatrique nait de l’intensité et du
retentissement de cette angoisse.
Cette
approche à de nombreux bénéfices mais aussi ses limites. Elle reste ainsi dans
un certain flou diagnostic, là où l’approche catégorielle arrive toujours à
classer un patient (qui a ou n’a pas les symptômes requis pour le poser).
Face à ces
écueils, une solution a pu être proposée en 2009. Un nouveau type de
classification, entièrement basée sur les neurosciences et les hypothèses
physiopathologiques : les RDoC (pour Research Domain Council). Ce nouveau
cadre conceptuel propose de penser l’étude des fonctions élémentaires
cérébrales (par exemple la prise de décision ou la motivation) selon 7 niveaux
d’analyse, du gène au comportement en passant par les mécanismes moléculaires,
cellulaires et des réseaux de neurones.
Les RDoC
représentent une approche novatrice dans le sens où ils cherchent à s’émanciper
des classifications catégorielles type DSM en proposant un cadre de lecture
dimensionnel et trans-diagnostique (par exemple, les anomalies de la motivation
se retrouvent dans de très nombreux troubles psychiatriques).
Cette approche est novatrice mais peine à s’imposer dans la recherche internationale. Elle souffre d’une limitation majeure –qui ne leur est d’ailleurs pas propre, qui concerne toutes les neurosciences mais qui sont particulièrement mise en valeur dans les RDoC. Celle de l’inférence causale entre les différents niveaux n’analyse. Il est par exemple difficile de certifier d’un lien causal entre le niveau cellulaire et comportemental. Si une étude d’imagerie cérébrale montre une diminution du volume d’une zone cérébrale particulière, proportionnellement à l’intensité d’un symptôme précis, il ne s’agit que d’une corrélation : on ne peut pas, stricto sensu, conclure à un lien causal –ici, l’anomalie de la région cérébrale est responsable de l’intensité du symptôme étudié.
Plusieurs
techniques et méthodologies peuvent fortement suggérer un tel lien causal. On
peut par exemple citer l’optogénétique, une technique permettant d’allumer et
d’éteindre des neurones bien ciblés chez l’animal. Elle permet, de façon
réversible, d’agir directement sur les réseaux neuronaux et d’évaluer les
conséquences sur le plan cérébral ou comportemental. On peut aussi évoquer les
différentes techniques de stimulation, envisageables chez l’Homme, comme la
stimulation cérébrale profonde ou la stimulation magnétique transcrânienne.
La
psychiatrie computationnelle permet elle aussi d’apporter des éléments en
faveur de liens causaux entre niveau cérébral et comportemental. Récemment née
des neurosciences computationnelles (le premier congrès international de
psychiatrie computationnelle a eu lieu en 2013), son but est de modéliser la
fonction d’un système ou d’un réseau neuronal. Il est important de savoir ce
que fait un système pour pouvoir le décrire, et c’est à cela que s’attaque la
psychiatrie computationnelle.
Si un alien
découvre à son arrivée sur Terre un poisson mort par terre, il peut décrire
avec une infinie précision ses nageoires, mais s’il ne sait pas quelle est leur
fonction, sa description ne sera pas très utile.
L’approche
est similaire en psychiatrie computationnelle. Ainsi, les scientifiques
cherchent à modéliser une fonction cérébrale (la prise de décision, la
régulation des croyances, la perception de l’environnement…), à expliciter sa
finalité, puis à extrapoler leur modèle aux réseaux neuronaux bien réels. Leur
modélisation doit nécessairement être plausible sur le plan biologique pour
qu’elle ait une portée significative en neurosciences et en psychiatrie.
La
psychiatrie computationnelle se situe dans la continuité des neurosciences
« classiques ». Elle s’inspire des théories existantes, peut les
questionner ou les réfuter. Elle peut formuler de nouvelles hypothèses qui
peuvent ensuite être testées, acceptées ou réfutées, par les neurosciences
« biologiques ». C’est par exemple le cas pour les TOC, ou troubles
obsessionnels-compulsifs, qui se caractérisent par des pensées intrusives et
très anxiogènes (est-ce que j’ai bien fermé la porte ?), les obsessions,
suivies par des comportements répétitifs dont le but est de répondre à
l’obsession et diminuer l’angoisse (vérifier qu’on a bien fermé la porte). Dans
une étude de psychiatrie computationnelle, des chercheurs ont diminué dans leur
modèle les taux (virtuels) de sérotonine et de glutamate, deux anomalies bien
identifiées dans le cerveau de ces patients. En retour, l’activation du modèle
mimait ce qu’on pouvait assimiler à une obsession. Ensuite, ils remontèrent le
niveau de sérotonine de leur modèle, mimant ainsi l’action des antidépresseurs
que l’on prescrit dans ces cas-là, aboutissant à la résolution des
« symptômes ».
On avait
aussi évoqué un modèle d’élagage synaptique virtuel pour mimer le début d’un
trouble schizophrénique dans un article précédent.
Contrairement
aux études d’imagerie, qui sont souvent corrélationnelles et descriptives,
l’approche computationnelle cherche à reproduire le fonctionnement neuronal et
permet d’expliciter des liens causaux entre les différents niveaux d’analyse,
en particulier entre le niveau cérébral/neuronal et psychologique. Les études
de psychiatrie computationnelle produisent des modèles qui peuvent ensuite être
appliqués à un individu particulier, contrairement aux études d’imagerie par
exemple dont on ne pouvait pas extrapoler à un individu unique sans prendre
d’énormes risques. En psychiatrie computationnelle, face à son patient, on
cherche à modifier certains paramètres du modèle pour l’adapter au plus proche
de la réalité. L’amplitude de ces modifications nous donne des indices à propos des
problématiques à travailler chez cette personne.
Il est
capital de préciser que l’approche computationnelle ne remplace pas les
neurosciences classiques : elle s’enrichit de leurs données, y appliquent
une grille de lecture différente pour leur apporter du sens. Elle représente (mais
elle n’est pas la seule !) une approche dimensionnelle et
trans-diagnostique, qui n’est pas simplement descriptive mais explicative, basé
sur un mécanisme physiopathologique.
Ainsi, la
psychiatrie computationnelle représente un nouveau cadre de lecture de la
physiopathologie des troubles psychiatriques, sans pour autant s’affranchir
complètement des connaissances actuelles.
Plusieurs
domaines gravitent autour de la psychiatrie computationnelle sans pour autant
en faire pleinement partie –en fonction des sensibilités. C’est par exemple le
cas du data mining, grossièrement des techniques de traitement de données grâce
à des algorithmes d’intelligence artificielle. Cette approche permet, en
psychiatrie, d’affiner ou de redéfinir les catégories diagnostiques, de prédire
la réponse à un traitement et donc de guider nos choix thérapeutiques, tout en
incluant, au-delà des symptômes cliniques, de nombreuses données d’imagerie ou
de paramètres biologiques. Mais la psychiatrie computationnelle n’est pas
forcément des neurosciences computationnelles appliquées à la psychiatrie. Les neurosciences computationnelles représentent en tout cas un outil puissant permettant
de redéfinir des diagnostics, indépendamment des classifications connues, en se
basant sur les données neuroscientifiques -dans la droite lignée des RDoC.
Plusieurs
techniques et méthodologies peuvent fortement suggérer un tel lien causal. On
peut par exemple citer l’optogénétique, une technique permettant d’allumer et
d’éteindre des neurones bien ciblés chez l’animal. Elle permet, de façon
réversible, d’agir directement sur les réseaux neuronaux et d’évaluer les
conséquences sur le plan cérébral ou comportemental. On peut aussi évoquer les
différentes techniques de stimulation, envisageables chez l’Homme, comme la
stimulation cérébrale profonde ou la stimulation magnétique transcrânienne.
La
psychiatrie computationnelle, permet-elle aussi d’apporter des éléments en
faveur de liens causaux entre niveau cérébral et comportemental. Récemment née
des neurosciences computationnelles (le premier congrès international de
psychiatrie computationnelle a eu lieu en 2013), son but est de modéliser la
fonction d’un système ou d’un réseau neuronal. Il est important de savoir ce
que fait un système pour pouvoir le décrire, et c’est à cela que s’attaque la
psychiatrie computationnelle.
Si un alien
découvre à son arrivée sur Terre un poisson mort par terre, il peut décrire
avec une infinie précision ses nageoires, mais s’il ne sait pas quelle est leur
fonction, sa description ne sera pas très utile.
L’approche
est similaire en psychiatrie computationnelle. Ainsi, les scientifiques
cherchent à modéliser une fonction cérébrale (la prise de décision, la
régulation des croyances, la perception de l’environnement…), à expliciter sa
finalité, puis à extrapoler leur modèle aux réseaux neuronaux bien réels. Leur
modélisation doit nécessairement être plausible sur le plan biologique pour
qu’elle ait une portée significative en neurosciences et en psychiatrie.
La
psychiatrie computationnelle se situe dans la continuité des neurosciences
« classiques ». Elle s’inspire des théories existantes, peut les
questionner ou les réfuter. Elle peut formuler de nouvelles hypothèses qui
peuvent ensuite être testées, acceptées ou réfutées, par les neurosciences
« biologiques ». C’est par exemple le cas pour les TOC, ou troubles
obsessionnels-compulsifs, qui se caractérisent par des pensées intrusives et
très anxiogènes (est-ce que j’ai bien fermé la porte ?), les obsessions,
suivies par des comportements répétitifs dont le but est de répondre à
l’obsession et diminuer l’angoisse (vérifier qu’on a bien fermé la porte). Dans
une étude de psychiatrie computationnelle, des chercheurs ont diminué dans leur
modèle les taux (virtuels) de sérotonine et de glutamate, deux anomalies bien
identifiées dans le cerveau de ces patients. En retour, l’activation du modèle
mimait ce qu’on pouvait assimiler à une obsession. Ensuite, ils remontèrent le
niveau de sérotonine de leur modèle, mimant ainsi l’action des antidépresseurs
que l’on prescrit dans ces cas-là, aboutissant à la résolution des
« symptômes ».
On avait
aussi évoqué un modèle d’élagage synaptique virtuel pour mimer le début d’un
trouble schizophrénique dans un article précédent.
Contrairement
aux études d’imagerie, qui sont souvent corrélationnelles et descriptives,
l’approche computationnelle cherche à reproduire le fonctionnement neuronal et
permet d’expliciter des liens causaux entre les différents niveaux d’analyse,
en particulier entre le niveau cérébral/neuronal et psychologique. Les études
de psychiatrie computationnelle produisent des modèles qui peuvent ensuite être
appliqués à un individu particulier, contrairement aux études d’imagerie par
exemple dont on ne pouvait pas extrapoler à un individu particulier sans prendre
d’énormes risques. En psychiatrie computationnelle, face à son patient, on
cherche à modifier certains paramètres du modèle pour l’adapter au plus proche
de la réalité. L’amplitude de ces modifications nous donne des indices des
problématiques à travailler chez cette personne.
Il est
capital de préciser que l’approche computationnelle ne remplace pas les
neurosciences classiques : elle s’enrichit de leurs données, y appliquent
une grille de lecture différente pour leur apporter du sens. Elle représente (mais
elle n’est pas la seule !) une approche dimensionnelle et
trans-diagnostique, qui n’est pas simplement descriptive mais explicative, basé
sur un mécanisme physiopathologique.
Ainsi, la
psychiatrie computationnelle représente un nouveau cadre de lecture de la
physiopathologie des troubles psychiatriques, sans pour autant s’affranchir
complètement des connaissances actuelles.
Plusieurs
domaines gravitent autour de la psychiatrie computationnelle sans pour autant
en faire pleinement partie –en fonction des sensibilités. C’est par exemple le
cas du data mining, grossièrement des techniques de traitement de données grâce
à des algorithmes d’intelligence artificielle. Cette approche permet, en
psychiatrie, d’affiner ou de redéfinir les catégories diagnostiques, de prédire
la réponse à un traitement et donc de guider nos choix thérapeutiques, tout en
incluant, au-delà des symptômes cliniques, de nombreuses données d’imagerie ou
de paramètres biologiques. Mais la psychiatrie computationnelle n’est pas
forcément des neurosciences computationnelles appliquées à la psychiatrie. Mais
les neurosciences computationnelles représentent un outil puissant permettant
de redéfinir des diagnostics, indépendamment des classifications connues, en se
basant sur les données neuroscientifiques -dans la droite lignée des RDoC.
SOURCES :
-
Beaumont, Sami. "La psychiatrie
computationnelle: vers une nouvelle approche théorique de la
psychopathologie." (2018): 91.
-
Friston, Karl J., et al. "Computational
psychiatry: the brain as a phantastic organ." The Lancet Psychiatry 1.2
(2014): 148-158.
-
Huys, Quentin JM, Tiago V. Maia, and Michael J.
Frank. "Computational psychiatry as a bridge from neuroscience to clinical
applications." Nature neuroscience 19.3 (2016): 404-413.
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