De la psychiatrie... computationnelle ?

Il n’y a rien de plus commun et de plus angoissant qu’une douleur thoracique. Elle est parfois synonyme d’urgence vitale et mobilise souvent des médecins et des soignants pour éliminer toute cause grave. En fonction de son origine, elle s’accompagne de différents symptômes qui vont guider le clinicien dans son examen. Par exemple, elle fera évoquer un infarctus du myocarde si elle s’étend à la mâchoire ou au bras gauche. Une péricardite s’accompagnera d’une majoration de la douleur lors des grandes inspirations. Une asymétrie de la tension artérielle entre les deux bras fera évoquer une dissection aortique, une pathologie extrêmement grave qui nécessite une prise en charge immédiate.

Ainsi, le clinicien, à l’aide de son examen, des prises de sang et des imageries qu’il prescrit, pourra identifier la cause de cette douleur thoracique, et débuter un traitement adapté.

Ce cheminement, du symptôme jusqu’au diagnostic et l’identification du mécanisme physiologique défectueux, est beaucoup plus difficile en psychiatrie.

Une douleur thoracique peut être due à plusieurs pathologies, cardiaques ou pulmonaires, comme un infarctus du myocarde, causé par la thrombose d'une artère coronaire (A), un pneumothorax, qui résulte le plus souvent d'un rupture d'une malformation pulmonaire, les blebs (B), une embolie pulmonaire, dont le principal facteur favorisant est un alitement prolongé, par exemple après une chirurgie (C), ou encore la dissection aortique, favorisée par exemple par certaines pathologies génétiques comme le syndrome de Marfan (D). Autour d'un même symptôme (la douleur thoracique), ou peut identifier plusieurs syndromes qui ont chacun leur physiopathologie bien identifiée. Un tel raisonnement est beaucoup plus difficile en psychiatrie, en partie à cause de la complexité extrême de la physiopathologie sous-jacente. 

Il existe aujourd’hui plusieurs cadres de lecture des troubles psychiatriques, et plusieurs classifications diagnostiques qui structurent cette discipline. La plus commune, qui est enseignée à tous les étudiants en médecine, repose sur le DSM, ou Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, une classification américaine. Il existe en Europe une classification similaire, la CIM 11.

Ces deux classifications reposent sur le même principe. Il s’agit d’une classification descriptive, qui fait la liste, pour chaque trouble, des symptômes les plus fréquents. Cette liste n’est pas faite au hasard et se base sur des études scientifiques épidémiologiques. Par exemple, la tristesse de l’humeur est retrouvée presque tout le temps dans la dépression, elle est donc en pole position dans le chapitre du DSM correspondant à ce trouble.

Cette classification a de nombreux avantages. Elle permet d’uniformiser les diagnostics à travers le monde (même si on peut débattre de l’utilité de cette uniformisation) : quand un psychiatre français discute avec un psychiatre congolais d’un patient dépressif, les critères partagés permettent d’être sûr qu’ils se comprennent et parlent de la même chose. Cette harmonisation des définitions est aussi importante en recherche : une étude internationale sur la dépression recrutera le même profil de patients à Paris ou à Shanghai.

Cependant, ces classifications ont aussi leurs limites. Comme nous le disions précédemment, elles se basent sur des études épidémiologiques, et non pas sur un mécanisme physiopathologique identifié –tout simplement parce qu’un tel mécanisme n’est actuellement pas identifiable, c’est bien pour cela qu’on parle de trouble psychiatrique et non pas de pathologie psychiatrique.

Ces classifications ont une approche utilitariste du diagnostic, une approche qui est précieuse en pratique clinique : ainsi, il est simple de poser le diagnostic de dépression si on connaît la liste de symptômes inscrits dans le DSM. Si le patient en a plus de 5, sur un temps suffisant, et qu’ils ont un retentissement significatif sur sa vie quotidienne, on pose le diagnostic. Cela aide aussi beaucoup dans la prise en charge, qui est bien codifiée à partir de ce diagnostic. Cette simplicité est capitale dans la pratique quotidienne : un outil diagnostic qui est incroyablement complexe à utiliser, qui nécessite une formation, qui prend du temps, c’est un outil qui ne sera pas utilisé –à raison.

Les classifications DSM ou CIM ont leurs limites, mais elles ont été pensées et optimisées pour la pratique clinique, et c’est ce qui fait leur force. Elles ont une base scientifique solide, un recul de près de 50 ans et sont consensuelles à travers le monde –ce qui ne veut pas dire qu’elles ne sont pas critiquables.

Mais le diagnostic du DSM décrit une situation idéale : en réalité, il est évident qu’un patient ne présentant que 4 symptômes sera tout autant dépressif qu’un patient qui en présenterait 5. Mais, techniquement, le diagnostic ne peut pas être posé. Une telle problématique se pose aussi en recherche. Les études sur la dépression objectivent le diagnostic des patients inclus grâce à des échelles. Le diagnostic peut être posé à partir d’un certain seuil (il faut bien en définir un), mais il est évident qu’un patient situé juste en dessous du seuil, s’il n’est pas inclus dans l’étude, est tout autant malade. Le recrutement est donc, dans un certain sens, biaisé.

Il existe ainsi une certaine frustration par rapport à l’utilisation de ces catégories diagnostiques, quand bien même elles sont très utiles. Pour reprendre notre exemple initial, on se retrouve coincé à la première étape : on peut caractériser la douleur thoracique, regrouper les symptômes en syndrome, mais sans en connaître la base physiopathologique fine.

Bien évidemment, les dernières décennies de recherche nous ont permis de considérablement affiner nos connaissances sur les troubles psychiatriques, et il ne s’agit absolument pas de dire que nous diagnostiquons et traitons à l’aveugle. Mais nous restons la plupart du temps cantonné au niveau clinique, sans pouvoir guider notre prise en charge par des examens d’imagerie ou des prises de sang –même si cela se fait de plus en plus, surtout dans des centres spécialisés.

Ces classifications ont un autre désavantage. Elles reposent sur une approche catégorielle, et pas dimensionnelle. Dit de manière vulgaire, ces classifications « mettent les patients dans des cases ». Ce ressenti rapporté par certains patients dépendent évidemment de la façon dont on leur a présenté et expliqué le diagnostic, de la relation thérapeutique avec leur psychiatre, du contexte, de l’utilisation de cette classification par le professionnel. Encore une fois, il ne s’agit pas de dire que ces échelles sont froides et brutales pour les patients. C’est l’utilisation par les soignants qui peut l’être. La pose d’un diagnostic clair peut aussi être vécu comme un vrai soulagement par certains, qui peuvent (enfin) mettre un mot sur leurs souffrances.

De plus, il existe un chevauchement important entre les différents diagnostics ainsi définis. Par exemple, un symptôme comme l’insomnie peut se retrouver à la fois dans les troubles anxieux, la dépression, le trouble bipolaire… Une approche catégorielle favorise ainsi la multiplication des diagnostics et des comorbidités : un patient peut à la fois avoir un trouble bipolaire, une personnalité borderline, un trouble anxieux, un syndrome de stress post-traumatique et une addiction. Il peut être difficile de manier et de prendre en charge ces différents diagnostics de front.

Il existe aussi un chevauchement au niveau physiopathologique. Par exemple, une anomalie du cortex cingulaire antérieur, une région profonde de notre cerveau, est retrouvée dans la dépression, dans la schizophrénie et dans les troubles du spectre de l’autisme. Certaines études montrent même que ces anomalies pourraient prédire la récidive de personnes délinquantes ! En corollaire, la visualisation d’une anomalie du cortex cingulaire antérieur chez un patient n’apportera pas beaucoup d’informations pour son diagnostic personnel. De plus, la plupart des études d’imagerie portent sur des populations, les résultats sont des moyennes, et leur extrapolation à un individu particulier est très périlleuse. Comme on le disait plus haut, le diagnostic psychiatrique ne peut pas actuellement se faire sur une imagerie cérébrale. Elle se fait sur la clinique.

Bien évidemment, encore une fois, les connaissances actuelles vont bien au-delà de ce qui est dit dans cet article. Ces anomalies cérébrales sont comprises dans un fonctionnement cérébral global anormal différent en fonction des troubles. Mais il existe tout de même, à l’instar du niveau clinique, un chevauchement au niveau des hypothèses physiopathologiques. On peut le voir aussi par exemple avec la dopamine, un neurotransmetteur qui est impliqué dans la schizophrénie, la dépression, la maladie de Parkinson, le syndrome de Gilles de la Tourette, et de nombreuses autres pathologies.

Une anomalie cérébrale peut se retrouver dans plusieurs troubles, tout comme une anomalie d’un neurotransmetteur, ou un symptôme donné. Leur spécificité est faible.

Le flou de ces limites conceptuelles est bien illustré par le trouble borderline, dont nous avons déjà parlé sur ce blog. Les symptômes qui lui sont associés se retrouvent aussi bien dans le trouble bipolaire, les troubles psychotiques, l’état de stress post-traumatique… Et les facteurs de risque génétiques associés sont aussi retrouvés dans un grand nombre de troubles psychiatriques.

Face à cette approche catégorielle, de plus en plus de soignants se tournent vers une approche dimensionnelle. Plutôt que de chercher un regroupement de symptômes pour poser un diagnostic, on cherche à évaluer le niveau d’intensité de tous les symptômes possibles. Ainsi, on évalue le niveau de tristesse, d’anxiété, d’insomnie, de sensibilité au rejet… Et on va prendre en charge les symptômes les plus invalidants. Cette approche permet de prendre en compte le continuum entre le normal et le pathologique des différents symptômes : même les hallucinations, qui pourtant sont l’apanage des troubles psychiatriques, se retrouvent en population normale. De plus, s’il est courant et tout à fait normal d’angoisser, le trouble psychiatrique nait de l’intensité et du retentissement de cette angoisse.

Cette approche à de nombreux bénéfices mais aussi ses limites. Elle reste ainsi dans un certain flou diagnostic, là où l’approche catégorielle arrive toujours à classer un patient (qui a ou n’a pas les symptômes requis pour le poser).

Il existe 2 grandes approches diagnostiques en psychiatrie. D'une part, l'approche catégorielle (A) permet de définir des catégories diagnostiques. On retrouve cette approche dans le DSM, qui propose pour chaque trouble une liste de symptômes, plus ou moins fréquents, dont l'accumulation permet de poser une diagnostic. D'autre part, il existe une approche catégorielle (B), au cours de laquelle on va considérer, pour chaque individu, l'intensité d'un vaste ensemble de symptômes et aboutir à un tableau clinique bien plus diversifié (mais aussi plus complexe). Chacune de ces approches ont leurs avantages et leurs inconvénients.  

Face à ces écueils, une solution a pu être proposée en 2009. Un nouveau type de classification, entièrement basée sur les neurosciences et les hypothèses physiopathologiques : les RDoC (pour Research Domain Council). Ce nouveau cadre conceptuel propose de penser l’étude des fonctions élémentaires cérébrales (par exemple la prise de décision ou la motivation) selon 7 niveaux d’analyse, du gène au comportement en passant par les mécanismes moléculaires, cellulaires et des réseaux de neurones.

Les RDoC représentent une approche novatrice dans le sens où ils cherchent à s’émanciper des classifications catégorielles type DSM en proposant un cadre de lecture dimensionnel et trans-diagnostique (par exemple, les anomalies de la motivation se retrouvent dans de très nombreux troubles psychiatriques).

Cette approche est novatrice mais peine à s’imposer dans la recherche internationale. Elle souffre d’une limitation majeure –qui ne leur est d’ailleurs pas propre, qui concerne toutes les neurosciences mais qui sont particulièrement mise en valeur dans les RDoC. Celle de l’inférence causale entre les différents niveaux n’analyse. Il est par exemple difficile de certifier d’un lien causal entre le niveau cellulaire et comportemental. Si une étude d’imagerie cérébrale montre une diminution du volume d’une zone cérébrale particulière, proportionnellement à l’intensité d’un symptôme précis, il ne s’agit que d’une corrélation : on ne peut pas, stricto sensu, conclure à un lien causal –ici, l’anomalie de la région cérébrale est responsable de l’intensité du symptôme étudié.

Les RDoC proposent une approche hiérarchisée, qui va de l'ADN aux comportements humains, en passant par les molécules (ici de caféine) aux neurones puis aux réseaux de neurones, et enfin au cerveau dans son ensemble. Les RDoC réorganisent les sujets de cherche selon 5 grands domaines fonctionnels (systèmes des valences négatives, systèmes des valences positives, systèmes cognitifs, systèmes des processus sociaux, systèmes d’éveil et de modulation).

Plusieurs techniques et méthodologies peuvent fortement suggérer un tel lien causal. On peut par exemple citer l’optogénétique, une technique permettant d’allumer et d’éteindre des neurones bien ciblés chez l’animal. Elle permet, de façon réversible, d’agir directement sur les réseaux neuronaux et d’évaluer les conséquences sur le plan cérébral ou comportemental. On peut aussi évoquer les différentes techniques de stimulation, envisageables chez l’Homme, comme la stimulation cérébrale profonde ou la stimulation magnétique transcrânienne.

La psychiatrie computationnelle permet elle aussi d’apporter des éléments en faveur de liens causaux entre niveau cérébral et comportemental. Récemment née des neurosciences computationnelles (le premier congrès international de psychiatrie computationnelle a eu lieu en 2013), son but est de modéliser la fonction d’un système ou d’un réseau neuronal. Il est important de savoir ce que fait un système pour pouvoir le décrire, et c’est à cela que s’attaque la psychiatrie computationnelle.

Si un alien découvre à son arrivée sur Terre un poisson mort par terre, il peut décrire avec une infinie précision ses nageoires, mais s’il ne sait pas quelle est leur fonction, sa description ne sera pas très utile.

L’approche est similaire en psychiatrie computationnelle. Ainsi, les scientifiques cherchent à modéliser une fonction cérébrale (la prise de décision, la régulation des croyances, la perception de l’environnement…), à expliciter sa finalité, puis à extrapoler leur modèle aux réseaux neuronaux bien réels. Leur modélisation doit nécessairement être plausible sur le plan biologique pour qu’elle ait une portée significative en neurosciences et en psychiatrie.

La psychiatrie computationnelle se situe dans la continuité des neurosciences « classiques ». Elle s’inspire des théories existantes, peut les questionner ou les réfuter. Elle peut formuler de nouvelles hypothèses qui peuvent ensuite être testées, acceptées ou réfutées, par les neurosciences « biologiques ». C’est par exemple le cas pour les TOC, ou troubles obsessionnels-compulsifs, qui se caractérisent par des pensées intrusives et très anxiogènes (est-ce que j’ai bien fermé la porte ?), les obsessions, suivies par des comportements répétitifs dont le but est de répondre à l’obsession et diminuer l’angoisse (vérifier qu’on a bien fermé la porte). Dans une étude de psychiatrie computationnelle, des chercheurs ont diminué dans leur modèle les taux (virtuels) de sérotonine et de glutamate, deux anomalies bien identifiées dans le cerveau de ces patients. En retour, l’activation du modèle mimait ce qu’on pouvait assimiler à une obsession. Ensuite, ils remontèrent le niveau de sérotonine de leur modèle, mimant ainsi l’action des antidépresseurs que l’on prescrit dans ces cas-là, aboutissant à la résolution des « symptômes ».

On avait aussi évoqué un modèle d’élagage synaptique virtuel pour mimer le début d’un trouble schizophrénique dans un article précédent.

Contrairement aux études d’imagerie, qui sont souvent corrélationnelles et descriptives, l’approche computationnelle cherche à reproduire le fonctionnement neuronal et permet d’expliciter des liens causaux entre les différents niveaux d’analyse, en particulier entre le niveau cérébral/neuronal et psychologique. Les études de psychiatrie computationnelle produisent des modèles qui peuvent ensuite être appliqués à un individu particulier, contrairement aux études d’imagerie par exemple dont on ne pouvait pas extrapoler à un individu unique sans prendre d’énormes risques. En psychiatrie computationnelle, face à son patient, on cherche à modifier certains paramètres du modèle pour l’adapter au plus proche de la réalité. L’amplitude de ces modifications nous donne des indices à propos des problématiques à travailler chez cette personne.

Il est capital de préciser que l’approche computationnelle ne remplace pas les neurosciences classiques : elle s’enrichit de leurs données, y appliquent une grille de lecture différente pour leur apporter du sens. Elle représente (mais elle n’est pas la seule !) une approche dimensionnelle et trans-diagnostique, qui n’est pas simplement descriptive mais explicative, basé sur un mécanisme physiopathologique.

Ainsi, la psychiatrie computationnelle représente un nouveau cadre de lecture de la physiopathologie des troubles psychiatriques, sans pour autant s’affranchir complètement des connaissances actuelles.

Plusieurs domaines gravitent autour de la psychiatrie computationnelle sans pour autant en faire pleinement partie –en fonction des sensibilités. C’est par exemple le cas du data mining, grossièrement des techniques de traitement de données grâce à des algorithmes d’intelligence artificielle. Cette approche permet, en psychiatrie, d’affiner ou de redéfinir les catégories diagnostiques, de prédire la réponse à un traitement et donc de guider nos choix thérapeutiques, tout en incluant, au-delà des symptômes cliniques, de nombreuses données d’imagerie ou de paramètres biologiques. Mais la psychiatrie computationnelle n’est pas forcément des neurosciences computationnelles appliquées à la psychiatrie. Les neurosciences computationnelles représentent en tout cas un outil puissant permettant de redéfinir des diagnostics, indépendamment des classifications connues, en se basant sur les données neuroscientifiques -dans la droite lignée des RDoC.

La psychiatrie computationnelle propose un nouveau cadre de lecture très pertinent, permettant de reconsidérer certaines catégories diagnostiques et de nouvelles prises en charge, personnalisées, très prometteuses.

Plusieurs techniques et méthodologies peuvent fortement suggérer un tel lien causal. On peut par exemple citer l’optogénétique, une technique permettant d’allumer et d’éteindre des neurones bien ciblés chez l’animal. Elle permet, de façon réversible, d’agir directement sur les réseaux neuronaux et d’évaluer les conséquences sur le plan cérébral ou comportemental. On peut aussi évoquer les différentes techniques de stimulation, envisageables chez l’Homme, comme la stimulation cérébrale profonde ou la stimulation magnétique transcrânienne.

La psychiatrie computationnelle, permet-elle aussi d’apporter des éléments en faveur de liens causaux entre niveau cérébral et comportemental. Récemment née des neurosciences computationnelles (le premier congrès international de psychiatrie computationnelle a eu lieu en 2013), son but est de modéliser la fonction d’un système ou d’un réseau neuronal. Il est important de savoir ce que fait un système pour pouvoir le décrire, et c’est à cela que s’attaque la psychiatrie computationnelle.

Si un alien découvre à son arrivée sur Terre un poisson mort par terre, il peut décrire avec une infinie précision ses nageoires, mais s’il ne sait pas quelle est leur fonction, sa description ne sera pas très utile.

L’approche est similaire en psychiatrie computationnelle. Ainsi, les scientifiques cherchent à modéliser une fonction cérébrale (la prise de décision, la régulation des croyances, la perception de l’environnement…), à expliciter sa finalité, puis à extrapoler leur modèle aux réseaux neuronaux bien réels. Leur modélisation doit nécessairement être plausible sur le plan biologique pour qu’elle ait une portée significative en neurosciences et en psychiatrie.

La psychiatrie computationnelle se situe dans la continuité des neurosciences « classiques ». Elle s’inspire des théories existantes, peut les questionner ou les réfuter. Elle peut formuler de nouvelles hypothèses qui peuvent ensuite être testées, acceptées ou réfutées, par les neurosciences « biologiques ». C’est par exemple le cas pour les TOC, ou troubles obsessionnels-compulsifs, qui se caractérisent par des pensées intrusives et très anxiogènes (est-ce que j’ai bien fermé la porte ?), les obsessions, suivies par des comportements répétitifs dont le but est de répondre à l’obsession et diminuer l’angoisse (vérifier qu’on a bien fermé la porte). Dans une étude de psychiatrie computationnelle, des chercheurs ont diminué dans leur modèle les taux (virtuels) de sérotonine et de glutamate, deux anomalies bien identifiées dans le cerveau de ces patients. En retour, l’activation du modèle mimait ce qu’on pouvait assimiler à une obsession. Ensuite, ils remontèrent le niveau de sérotonine de leur modèle, mimant ainsi l’action des antidépresseurs que l’on prescrit dans ces cas-là, aboutissant à la résolution des « symptômes ».

On avait aussi évoqué un modèle d’élagage synaptique virtuel pour mimer le début d’un trouble schizophrénique dans un article précédent.

Contrairement aux études d’imagerie, qui sont souvent corrélationnelles et descriptives, l’approche computationnelle cherche à reproduire le fonctionnement neuronal et permet d’expliciter des liens causaux entre les différents niveaux d’analyse, en particulier entre le niveau cérébral/neuronal et psychologique. Les études de psychiatrie computationnelle produisent des modèles qui peuvent ensuite être appliqués à un individu particulier, contrairement aux études d’imagerie par exemple dont on ne pouvait pas extrapoler à un individu particulier sans prendre d’énormes risques. En psychiatrie computationnelle, face à son patient, on cherche à modifier certains paramètres du modèle pour l’adapter au plus proche de la réalité. L’amplitude de ces modifications nous donne des indices des problématiques à travailler chez cette personne.

Il est capital de préciser que l’approche computationnelle ne remplace pas les neurosciences classiques : elle s’enrichit de leurs données, y appliquent une grille de lecture différente pour leur apporter du sens. Elle représente (mais elle n’est pas la seule !) une approche dimensionnelle et trans-diagnostique, qui n’est pas simplement descriptive mais explicative, basé sur un mécanisme physiopathologique.

Ainsi, la psychiatrie computationnelle représente un nouveau cadre de lecture de la physiopathologie des troubles psychiatriques, sans pour autant s’affranchir complètement des connaissances actuelles.

Plusieurs domaines gravitent autour de la psychiatrie computationnelle sans pour autant en faire pleinement partie –en fonction des sensibilités. C’est par exemple le cas du data mining, grossièrement des techniques de traitement de données grâce à des algorithmes d’intelligence artificielle. Cette approche permet, en psychiatrie, d’affiner ou de redéfinir les catégories diagnostiques, de prédire la réponse à un traitement et donc de guider nos choix thérapeutiques, tout en incluant, au-delà des symptômes cliniques, de nombreuses données d’imagerie ou de paramètres biologiques. Mais la psychiatrie computationnelle n’est pas forcément des neurosciences computationnelles appliquées à la psychiatrie. Mais les neurosciences computationnelles représentent un outil puissant permettant de redéfinir des diagnostics, indépendamment des classifications connues, en se basant sur les données neuroscientifiques -dans la droite lignée des RDoC.

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SOURCES :

-          RDoC : quand la recherche veut tourner la page du DSM ! – Congrès Français de Psychiatrie (congresfrancaispsychiatrie.org)

-          Beaumont, Sami. "La psychiatrie computationnelle: vers une nouvelle approche théorique de la psychopathologie." (2018): 91.

-          Friston, Karl J., et al. "Computational psychiatry: the brain as a phantastic organ." The Lancet Psychiatry 1.2 (2014): 148-158.

-          Huys, Quentin JM, Tiago V. Maia, and Michael J. Frank. "Computational psychiatry as a bridge from neuroscience to clinical applications." Nature neuroscience 19.3 (2016): 404-413.

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