Miracles et désespoirs du nerf vague

 

Sans doute avez-vous déjà expérimenté cette sensation très désagréable, lors d’un long trajet dans un train bondé, pendant une prise de sang ou un examen, d’une sensation de grand faiblesse, accompagnée de sueurs, de nausée, de vertiges ou de bouffées de chaleur. Un malaise vagal.

Il s’agit d’une cause très répandue et courante de perte de connaissance brutale, qui résulte d’un déséquilibre entre 2 grandes forces de notre organisme. Nos organes sont dirigés par de nombreux acteurs, et en particulier par le système nerveux dit autonome –qui travaille en dehors de notre champ de conscience. Au sein de ce système nerveux autonome, deux grandes forces se font face. D’une part, le système nerveux sympathique, qui s’active typiquement dans les situations de stress : le cœur s’accélère, la tension artérielle augmente, les pupilles se dilatent, tout se met en place pour que l’organisme puisse fuir ou affronter le danger. De l’autre côté, le système para-sympathique a les effets inverses : il ralenti le cœur, stimule le transit, diminue la tension artérielle.

Un malaise vagal survient lorsque le système para-sympathique l’emporte sur le système sympathique. Ainsi, le débit cardiaque diminue avec la fréquence cardiaque, la tension artérielle diminue, l’apport en oxygène au cerveau chute, provoquant la perte de conscience. C’est pour cette raison qu’on conseille dans ces cas-là de lever les jambes des patients : cela favorise le retour du sang veineux vers le haut du corps, et donc vers le cerveau.

Schémas des systèmes nerveux sympathiques (rouge, orange) et para-sympathiques (bleu, vert). Le systèmes sympathique se répartit le long de la moelle épinière et provoque par exemple une accélération de la fréquence cardiaque ou une diminution de l'activité intestinale. Le système para-sympathique se situe "aux bouts" : au sommet de la moelle épinière, via plusieurs nerfs crâniens et en particulier le nerf vague, et "en bas" au travers plusieurs plexus nerveux. Ses effets sont listés dans les encadrés verts.

Un malaise vagal ne représente pas une gravité particulière dans l’immense majorité des cas –à l’exception des risques liés à la chute par exemple. Il tient son nom à la principal structure para-sympathique qui en est à l’origine : le nerf vague.

Le nerf vague est un nerf crânien, c’est-à-dire un nerf qui émane directement de notre cerveau, et non pas de la moelle épinière. Il tient son nom du fait de son arborescence particulièrement bien développée et très impressionnante : en effet, partant de la base du cou, il innerve une grande partie des organes du thorax et de l’abdomen. Son rôle de régulation et d’homéostasie est fondamental.

Nous allons le voir, son action va pourtant bien au-delà.

Le cerveau est en interaction forte et étroite avec l’ensemble de l’organisme, et en particulier une structure complexe située au niveau de nos intestins : le système nerveux entérique. Ce deuxième cerveau (une aberration sur le plan anatomique et fonctionnel !) est probablement impliqué dans un grand nombre de pathologies cérébrales et de troubles psychiatriques.

Il faut dire que nos intestins sont un monde à eux seuls. Ils abritent des milliards de milliards de bactéries –plus de micro-organismes que l’ensemble des cellules qui vous composent- qui interagissent entre elles et avec leur hôte –nous. Ces interactions sont incroyablement complexes, font intervenir un nombre démentiel de partenaires, et stimulent la curiosité de nombreux chercheurs ces dernières années. Ces bactéries, champignons, virus, archées, sont capables de communiquer avec les cellules de l’organisme, et peuvent en modifier le fonctionnement. L’inverse est aussi vrai, si bien qu’il existe une certaine coopération entre les deux entités.

Il existe des liens étroits entre le microbiote intestinal et le cerveau.

Il existe ainsi un axe, reliant le microbiote intestinal au cerveau, passant par le système nerveux entérique et le nerf vague. Ce dernier représente une véritable autoroute du microbiote vers le cerveau (et inversement). Il envoie ses longues ramifications juste sous la muqueuse intestinale, à quelques micromètres des bactéries qui en peuplent la lumière –la cavité intestinale. De nombreux scientifiques cherchent à comprendre comment le nerf vague « sent » les variations de microbiote, communique avec les micro-organismes qui le composent, et transmet ces informations au cerveau. Et comment, dans le sens inverse, le cerveau, via le nerf vague, peut influencer le fonctionnement intestinal et la composition du microbiote.

Nous avons évoqué récemment le nerf vague et les répercussions de sa stimulation sur le fonctionnement cérébral. Voyons aujourd’hui ce qu’il se passe « de l’autre côté », du côté de nos tripes et de nos viscères.

Anatomie du nerf vague.
Le nerf vague est une structure tentaculaire qui se projette sur les intestins et l'estomac (A), dans l'ensemble de la cavité abdominale (B), mais aussi au niveau du cœur (C).

Nous avons déjà évoqué dans un article précédent le rôle potentiellement important du nerf vague dans la maladie de Parkinson. Cette dernière, qui découle d’une destruction des neurones dopaminergiques dans le cerveau, se manifeste principalement par des symptômes moteurs –un tremblement et une raréfaction des mouvements. Cette destruction neuronale serait due à l’accumulation pathologique d’une protéine naturellement présente dans nos neurones, l’alpha-synucléine. Certains scientifiques pensent que cette accumulation débuterai plusieurs années avant l’apparition des premiers symptômes, au niveau du système nerveux entérique, avant de se propager de proche en proche via le nerf vague jusqu’au tronc cérébral, où se situent les neurones dopaminergiques. La maladie de Parkinson serait aussi liée à des anomalies du microbiote (qu’on appelle une dysbiose). Ainsi, la greffe du microbiote de patients parkinsoniens à des souris induisent les symptômes moteurs caractéristiques chez ces dernières. Certaines bactéries du microbiote peuvent aussi influencer l’efficacité des traitements médicamenteux. Il est donc particulièrement intéressant de se pencher sur ces anomalies.

La maladie de Parkinson provient de l'accumulation pathologique d'une protéine appelée alpha-synucléine (A), formant au microscope des corps de Lewy dans les neurones (B) et provoquant leur destruction. Selon l'hypothèse de Braak, l'accumulation d'alpha-synucléine débuterait au niveau intestinal avant de se propager vers le cerveau via le nerf vague (C). Une fois au cerveau, l'alpha-synucléine s'accumulerait préférentiellement dans les neurones dopaminergiques (D), et en particulier la voie nigro-striatale (D, 3), provoquant les symptômes moteurs de la maladie.

Mais le nerf vague pourrait influencer le fonctionnement cérébral bien au-delà de la simple régulation motrice. Dans une expérience célèbre chez la souris, des scientifiques ont montré que la greffe d’une bactérie appelée Campylobacter jejunii au sein du microbiote permettait une activation des neurones du nerf vague et provoquait l’apparition de symptômes anxieux.

De plus, la section du nerf vague, que l’on peut pratiquer pour traiter les ulcères de l’estomac très sévères, semble augmenter le risque de trouble psychiatrique. Chez la souris, cela provoque une diminution de la neurogenèse (la création de nouveaux neurones) ainsi qu’une inflammation cérébrale, des phénomènes que l’on observe dans plusieurs troubles psychiatriques comme la dépression par exemple.

Si le lien entre le microbiote, le nerf vague été le cerveau est plutôt robuste dans le cas de la maladie de Parkinson, il est beaucoup moins fiable pour ce qui est des troubles psychiatriques. Il existe beaucoup de facteurs confondants et de biais qui peuvent influencer les résultats. Il faut donc les prendre avec prudence : rien ne sert de présenter les probiotiques comme des produits miracles. Ils ont peut-être des effets bénéfiques dans certains troubles, comme la dépression ou l’autisme, mais les preuves en faveur sont encore minces.

Il faut noter que le nerf vague n’est pas la seule voie de communication entre les intestins et le cerveau. En particulier, comme nous le disions en début d’article, le système sympathique (qui passe par des voies nerveuses différentes) constitue un contre-pouvoir nécessaire au bout fonctionnement –nous l’avons vu, la déficience sympathique peut causer un malaise vagal jusqu’à la perte de connaissance ! Ce réseau de neurones est en particulier important dans les sensations douloureuses associées aux viscères.

Cerveau et intestins peuvent aussi communiquer par hormones interposées, comme le cortisol (l’hormone du stress), ainsi que diverse molécules pro- ou anti-inflammatoire, qu’on appelle des cytokines, et des acides gras.

L’ensemble de ces voies de communications s’intriquent et s’influencent mutuellement, si bien qu’il est très difficile en pratique de savoir, au cours d’une expérience, qui fait quoi. Il faut donc garder son esprit critique face à un article qui serait trop tapageur : la recherche dans le domaine est très prometteuse, en enthousiasmante, mais elle reste complexe.

Il existe ainsi des redondances, qui peuvent prendre le relai lorsque l’un de ces structures est lésée. Mais le nerf vague pourrait de plus servir de suppléance lors de certaines lésions… de la moelle épinière.

Avoir un orgasme en étant paraplégique

La moelle épinière est une structure nerveuse absolument essentielle, qui se loge au cœur de votre colonne vertébrale. De nombreuses informations, en particulier sensorielles et motrices, mais aussi viscérales, transitent à ce niveau de façon bidirectionnelle –du cerveau vers la périphérie et vice-versa.

Cependant, lors de traumatismes violents, la moelle épinière peut être endommagée, voire complètement sectionnée. Cela peut avoir de lourdes séquelles, dont les plus significatives sont une paralysie et une anesthésie en dessous du niveau de la lésion. Ainsi, une section au niveau du dos entraîne une paralysie des jambes et de la partie basse du tronc : une paraplégie. Lorsque cette lésion a lieu au-dessus, elle peut aussi engendrer une atteinte de la sensibilité du périnée et du bon fonctionnement des organes génitaux qui y sont présents…

Cela peut alors avoir un impact important sur la vie sexuelle de ces personnes, et diminuer fortement leur qualité de vie.

Nous avons vu précédemment que le nerf vague pouvait agir pour le pire, mais dans ce cas précis, nous allons voir qu’il peut aussi faire des miracles.

La moelle épinière chemine dans le dos, dans la colonne vertébrale qui la protège (A). Lors d'un traumatisme violent, elle peut cependant être endommagée (B, IRM d'une lésion cervicale de la moelle épinière), entraînant une section des voies sensitives et motrices qui cheminent tout du long. On observe alors une paralysie (motrice) et une anesthésie (sensitive) en dessous de la lésion. On peut déterminer cliniquement le niveau de la lésion en étudiant les dermatomes d'un patient (C), car la sensibilité de chaque région du corps transite par un niveau bien déterminé de la moelle épinière. Selon ce schéma, une lésion au dessus de T10 provoque une anesthésie des organes génitaux.

Plusieurs études ces dernières décennies ont rapporté, chez des femmes paraplégiques, la persistance de sensations tactiles au niveau de leurs organes génitaux, en particulier au niveau du vagin et du col de l’utérus. Cette observation pose question, car il est alors certain qu’aucune information tactile ne peut transiter de l’épithélium vaginal jusqu'au cerveau. L'information, transmise par le nerf pudendal (qui innerve les organes génitaux) puis la moelle épinière, accuse une fin de non-recevoir dans le bas du dos. Aucune information ne peut passer la lésion et atteindre le cerveau, préalable nécessaire à la prise en conscience d’une telle sensation.

Alors, par où cette information peut-elle bien passer ? Par le nef vague, bien sûr. On sait que son territoire d’innervation, extrêmement vaste, s’étend jusqu’aux organes pelviens dont le vagin. C’est donc tout naturellement que plusieurs médecins ont fait l’hypothèse que c’était via le nerf vague que l’information tactile génitale pouvait arriver jusqu’au cerveau.

Mais encore faut-il le prouver.

Ainsi, chez des rates, des chercheurs ont injecté au niveau du col de l’utérus un marqueur neuronal qui permet de « colorer » les neurones qui se projettent à cet endroit là. Le marqueur pénétra les terminaisons nerveuses présentes dans l’épithélium vaginal, remonta progressivement l’abdomen, le thorax puis le cou, et colora le neurone jusqu’à son origine, dans une petite région du tronc cérébral, situé juste à la base de notre cerveau… le noyau du nerf vague. Toujours chez le rat, d’autres études ont montré plus tard que la stimulation vaginale et cervicale (c’est-à-dire du col de l’utérus) activait ce même noyau.

Ces études sont précieuses, mais qu’en est-il chez la femme ? Il est difficilement envisageable d’injecter un marqueur neuronal au niveau du vagin ou de col de l’utérus puis de disséquer le tronc cérébral de volontaires. En revanche, on peut s’aider de l’IRM fonctionnelle pour réaliser ces marquages et dissections virtuellement.

L'imagerie par résonnance magnétique (ou IRM, A) permet d'étudier très précisément l'anatomie cérébrale (B), mais aussi son fonctionnement in vivo (C, les zones activées en orange).

L’IRM fonctionnelle est une modalité d’imagerie qui permet non seulement de visualiser coupe par coupe l’intérieur du corps humain avec une grande précision, mais aussi de mettre en évidence l’activation de groupes de neurones en réponse à un stimulus donné.

C’est ainsi que des scientifiques américains ont mesuré l’activité du noyau du nerf vague, dans le tronc cérébral, chez 5 femmes paraplégiques. Elles avaient été rigoureusement sélectionnées, ne présentaient aucun trouble psychiatrique ou gynécologique pouvant biaiser les observations. Consigne leur fut donnée de se masturber dans l'IRM à l’aide d’une sorte de sex-toy -l’appellation est très avantageuse étant donné la description qui en est faite dans l’article.

Lors de cette tâche, non seulement les patientes pouvaient consciemment ressentir la stimulation, mais une petite région du tronc cérébral s’activait lors de celle-ci : le noyau du nerf vague !

Ainsi, le nerf vague peut bel et bien permettre la préservation d’une sensibilité génitale. Il s’agit d’une donnée capitale, qui peut fortement influencer la qualité de vie de ces femmes après leur accident.

Mais l’étude montra autre chose. Chez certaines femmes, le noyau du nerf vague n’était pas la seule région qui s’activait lors de la stimulation. A certains moments, les scientifiques pouvaient mesurer une sorte d’embrasement cérébral : de vastes régions s’activaient, comme l’hypothalamus, le cortex cingulaire ou l’insula. Ces personnes avaient un orgasme dans l’IRM !

Activations cérébrales en rapport avec l'orgasme. On note en particulier des structures cérébrales médianes, comme le tronc cérébral (A, vert), l'hypothalamus (A, bleu) et le cortex cingulaire (A, rouge), mais aussi le lobe de l'insula (B).

Ainsi, les sensations tactiles qui transitent par le nerf vague ne sont pas seulement grossières, voire douloureuses –elles peuvent l’être. Elles peuvent au contraire être plaisantes (pas toujours) et aboutir jusqu’à l’orgasme.

Ces études restent peu fiables et reposent sur des cas anecdotiques. Il est donc difficile d’extrapoler et de généraliser à l’ensemble des personnes paraplégiques –et je n’évoque pas dans cet article les problématiques masculines. Mais ces données sont précieuses, car elles nous permettent d’envisager des solutions et des prises en charge aux femmes avec handicap ou victime de mutilations génitales par exemple.

SOURCES :

  • Nerf vague — Wikipédia (wikipedia.org)

  • Malaise vagal — Wikipédia (wikipedia.org)

  • Système nerveux sympathique — Wikipédia (wikipedia.org)

  • Cryan, John F., et al. "The microbiota-gut-brain axis." Physiological reviews (2019).

  • Bonaz, Bruno, Thomas Bazin, and Sonia Pellissier. "The vagus nerve at the interface of the microbiota-gut-brain axis." Frontiers in neuroscience 12 (2018): 49.

  • Yuan, Hsiangkuo, and Stephen D. Silberstein. "Vagus nerve and vagus nerve stimulation, a comprehensive review: part II." Headache: The Journal of Head and Face Pain 56.2 (2016): 259-266.

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  • Par Pietro Longhi — 1. The Yorck Project (2002) 10.000 Meisterwerke der Malerei (DVD-ROM), distributed by DIRECTMEDIA Publishing GmbH. ISBN : 3936122202.2. National Gallery of Art, Washington, D. C., online collection, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=153973

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