La maladie de Parkinson provient-elle de notre bidon ?

 

La maladie de Parkinson touche aujourd’hui 7 millions de personnes dans le monde. Il s’agit d’une cause majeure de handicap, qui ne cesse de progresser : d’ici 2040, on estime que plus de 14 millions de malades en souffriront. La maladie de Parkinson se manifeste classiquement par une atteinte du système nerveux, et plus particulièrement par une destruction de certains neurones dopaminergiques, qui a pour effet une « statufication » progressive des malades : les mouvements sont de plus en plus lents et difficiles à initier. Le tremblement est l’un des signes les plus évocateur de cette maladie.

Depuis près de 20 ans, certains chercheurs avancent l’hypothèse que cette maladie aurait comme origine le système nerveux entérique, c’est-à-dire l’ensemble des neurones liés au système digestif. Il se pourrait de plus que le microbiote, les bactéries et autres virus colonisant naturellement nos intestins, soient impliqué. Sur quels arguments se basent ces hypothèses ? Quelles questions cela soulève, en particulier sur la définition même de la maladie de Parkinson ? Ces origines supposées peuvent-elles nous permettre d’envisager de nouvelles pistes diagnostiques ou thérapeutiques ?

La maladie de Parkinson n’est pas (qu') une maladie cérébrale [1].

Cliniquement, la maladie de Parkinson touche plutôt les individus âgés et se définit par une triade symptomatique : un tremblement, une lenteur et une raréfaction des mouvements, ainsi qu’une hypertonie musculaire responsable d’une rigidification importante. L’espérance de vie chez les malades nouvellement diagnostiqués n’est pas bonne : 10 ans en moyenne.

Biologiquement, on rattache classiquement la maladie de Parkinson à une destruction de certains neurones dopaminergiques dans le cerveau, en particulier ceux de la substance noire, un petit noyau localisé dans le tronc cérébral. Ces neurones, qui naissent de la substance noire et se projettent vers le striatum, une structure située sous le cortex cérébral, ont un rôle capital dans la régulation des mouvements volontaires. Leur destruction est donc responsable des symptômes moteurs observés. Cependant, ces derniers arrivent très tard dans l’histoire de la maladie : lorsque les tremblements apparaissent, plus de 70 % des neurones dopaminergiques ont déjà été détruits !

On observe dans ces neurones malades des lésions bien particulières, les corps de Lewy, qui s’accumulent progressivement et qui entraînent à terme la mort neuronale. Ils sont constitué d’une protéine appelée alpha-synucléine (AS), qui est normalement dissoute dans le milieu intracellulaire, mais qui dans la maladie de Parkinson s’accumule et s’agrège de façon anormale.

La maladie de Parkinson ne touche pas seulement les neurones dopaminergiques de la substance noire. Les corps de Lewy ont aussi été retrouvés au sein de neurones corticaux, et pourraient être responsable de certains symptômes associés à la maladie de Parkinson comme un déficit cognitif ou des symptômes psychiatriques comme la dépression.

De manière plus élargie, la maladie de Parkinson peut se définir comme une maladie de l’alpha-synucléine (ou synucléinopathie). On connaît depuis plus de 20 ans maintenant le gène qui code cette protéine, et dont les mutations sont responsables de certaines formes génétiques de la maladie de Parkinson (qui sont par ailleurs très rare). Son rôle est essentiel dans la transmission synaptique entre 2 neurones (les synapses étant les connexions existant entre deux neurones). En effet, au niveau des synapses, lors de l’arrivée d’un influx nerveux, de petites molécules appelées neuromédiateurs, juste là tranquillement stockées dans des vésicules cellulaires, sont relarguées en dehors du neurone. Une fois dans la fente synaptique, elles vont se lier au neurone adjacent pour l’activer ou l’inhiber. L’alpha-synucléine est une pièce maîtresse de la fusion des vésicules de stockage à la membrane cellulaire : son agrégation empêche cette fusion, aboutissant à une raréfaction des neurotransmetteurs dans l’espace synaptique, et donc diminuant l’efficacité du transfert d’information d’un neurone à l’autre. L’agrégation de l’alpha-synucléine est le principal constituant des corps de Lewy que l’on observe dans les neurones des patients parkinsoniens.

Physiopathologie de la maladie de Parkinson.
La maladie de Parkinson est une synucléinopathie, marquée par l'agrégation anormale d'alpha-synucléine (structure protéine : A) formant des corps de Lewy dans les neurones (aspect au microscope : B). Selon l'hypothèse de Braak, l'alpha-synucléine pathologique pourrait se propager le long du nerf vague (C). On note que le nerf vague, qui relie le système digestif au système nerveux central, passe tout près de l'œsophage, l'aorte et la veine jugulaire. Au niveau cérébral, la maladie de Parkinson touche principalement les neurones dopaminergiques (D), et en particulier la voie nigro-striée (notée 3 sur le schéma D) responsable du contrôle des mouvements.

Depuis longtemps, des chercheurs tentent de comprendre l’origine de cette accumulation d’alpha-synucléine et les mécanismes physiopathologiques de la maladie de Parkinson. En 2003, un chercheur allemand, H. Braak, proposa une hypothèse originale. Selon lui, l’origine de cette pathologie neurodégénérative n’est pas dans le cerveau, mais dans notre système digestif. En particulier, dans le système nerveux qui lui est attitré, et qu’on appelle système nerveux entérique.

Il base son hypothèse sur plusieurs grandes observations. En particulier, les lésions cérébrales les plus précoces de la maladie semblent apparaître au niveau du noyau du nerf vague, dans le tronc cérébral. Le nerf vague étant la principale voie de connexion nerveuse entre le cerveau et le système nerveux entérique, il propose une accumulation originelle d’alpha-synucléine pathologique au niveau du système digestif. La maladie se propagerait ensuite le long du nerf vague jusqu’au tronc cérébral, avant de se propager le long des grandes voies nerveuses de proche en proche.

Stades de Braak de l'évolution de la maladie de Parkinson.
L'agrégation d'alpha-synucléine débute au niveau intestinal (stade 1) avant de gagner le tronc cérébral (stade 2) via le nerf vague. De là, l'agrégation d'alpha-synucléine se propage de proche en proche (stade 3) jusqu'à toucher l'ensemble du cortex lorsque la maladie est très avancée (stade 4).

Cliniquement, nous l’avons vu, la maladie de Parkinson se caractérise par des troubles moteurs d’apparition très tardive dans la progression du processus pathologique à l’œuvre. Il existe cependant de discrets symptômes beaucoup plus précoces, appelés prodromes, qui peuvent pré-exister plusieurs années voire plusieurs décennies avant l’apparition des troubles moteurs. Parmi les plus courant, on peut noter les troubles du comportement lors du sommeil paradoxal, au cours desquels un sujet semble « vivre » ses rêves (il en reproduit les mouvements dans son lit). Mais il existe aussi très souvent des troubles digestifs comme la constipation. Des études histologiques montrent que chez ces patients à risque, des amas d’alpha-synucléine sont présents dans les neurones du système nerveux entérique, plusieurs années avant l’apparition des symptômes moteurs [2] !

L’alpha-synucléine (non pathologique) étant présente dans la majorité des neurones du système nerveux, il est étonnant de constater que son agrégation anormale ne touche que certains types de neurones. Ce processus pathologique touche en premier lieu les neurones de projection dont les axones sont particulièrement grands, et ce d’autant plus qu’ils sont peu myélinisés (la myéline étant la couche de gras recouvrant les axones et permettant une conduction plus rapide des influx nerveux). Ces observations s’accordent plutôt bien avec l’hypothèse de Braak, les neurones du nerf vague étant particulièrement long et peu myélinisés.

Les partisans de cette théorie citent souvent une étude suédoise publiée en 2017, qui met en évidence une diminution du risque de maladie de Parkinson chez les patients ayant subit une vagotomie [2]. Cette chirurgie consiste à sectionner le nerf vague afin de traiter les ulcères gastriques graves (dans la plupart des cas). La diminution de l’incidence de maladie de Parkinson est donc un argument fort pour la théorie de Braak, d’autant plus qu’il existe une corrélation marquée entre les agrégats d’alpha-synucléine et la densité d’innervation par le nerf vague [7]. Cependant, le risque en question n’est pas totalement aboli, soulignant la présence d’autres voies de communication ou d’autres processus pathologiques.

Quel rôle du microbiote ? [1, 3]

Notre corps est colonisé en permanence par des milliards de bactéries qui forment des milieux complexes appelés microbiotes. Ces derniers vivent en harmonie avec leur hôte et interagissent constamment avec lui. On observe sur la dernière décennie un intérêt croissant des chercheurs à propos du dialogue entre le microbiote intestinal et le cerveau. Ce dialogue, d’une très grande complexité, a été étudié dans un grand nombre de pathologies psychiatriques ou neurologiques, dont la maladie de Parkinson.

Dans son article originel, Braak suppose que la porte d’entrée de la maladie de Parkinson se trouve dans l’estomac. Il s’appuie sur plusieurs arguments : des amas d’alpha-synucléine particulièrement importants à cet endroit là, l’innervation très dense du nerf vague, la finesse de l’épithélium, et l’infection à Helicobacter Pylorii. Cette dernière est très fréquente et peu être à l’origine d’ulcères gastriques. C’est d’ailleurs une des principales indications de la vagotomie dont nous parlions plus haut. Des études épidémiologiques montrent un lien statistique entre cette infection et la maladie de Parkinson. De plus, l’éradication de H. Pylorii par antibiotiques permettrait de retarder l’apparition de la maladie.

D’autres éléments appuient le lien entre microbiote et la maladie de Parkinson. Une étude particulièrement éclairante, publiée en 2016, expose plusieurs de ces éléments [4]. Les expériences décrites utilisent des souris « à risque » de Parkinson, qui sont génétiquement modifiées pour surexprimer l'alpha-synucléine dans leur cerveau. Il est important de souligner que c’est l’agrégation, et non la surexpression d’alpha-synucléine, qui est la signature de la maladie de Parkinson. En ce sens, il s’agit bien d’un modèle animal « à risque », mais pas de la maladie en elle-même. Les performances motrices de ces souris se dégradent progressivement avec le temps, et l’alpha-synucléine en excès fini fatalement par s’agréger, aboutissant à une pathologie de type Parkinson. On a observé chez ces souris une inflammation cérébrale importante, en lien avec l’agrégation pathologique. Ces deux phénomènes se renforcent l’un l’autre, formant un véritable cercle vicieux : l’inflammation majore l’agrégation protéique qui à son tour augmente l’inflammation cérébrale...

On sait, en plus de ces modifications génétiques, supprimer totalement le microbiote intestinal d’une souris. On peut utiliser de puissants antibiotiques à large spectre d’action, permettant de tuer l’ensemble des bactéries du microbiote [3]. Mais on peut aussi concevoir des souris « stériles », qui ne possèdent pas de microbiote dès leur naissance. La vie in utero est stérile : dans le ventre de la mère, sauf si celle-ci est victime d’une infection, le fœtus n’est exposé à aucun microbe et l’ensemble de son organisme est stérile. C’est lors de la naissance, lorsqu’il se confronte à la flore vaginale et périnéale de la mère, que son microbiote commence à se former. Pour aboutir au modèle stérile animal, les chercheurs procèdent donc à une césarienne en milieu parfaitement stérile, évitant toute contamination microbienne. Le bébé est ensuite élevé en milieu stérile et nourri de nourriture aseptique pour préserver cette caractéristique. On peut noter qu’un tel phénomène n’existe pas chez l’Homme : même en cas de césarienne, le bébé est rapidement au contact des bactéries cutanées de la mère et son microbiote est rapidement colonisé (on pourra revenir sur ce point dans un prochain article!).

On peut ainsi créer des souris « à risque » de Parkinson stériles, qui semblent protégées par rapport aux souris à risque classiques. En effet, comme nous le disions plus haut, les souris à risque évoluent défavorablement avec le temps, et développent des symptômes moteurs de plus en plus graves. Ce phénomène n’existe pas chez les souris stériles, tout comme l’inflammation cérébrale et l’agrégation d’alpha-synucléine [4] !

Expérimentation sur l'effet du microbiote chez des souris "à risque" de Parkinson.
Les souris dont on ne touche pas au microbiote (à gauche) développent avec le temps des symptômes moteurs de type Parkinson. Au contraire, les souris chez qui on supprime le microbiote (à droite) semblent protégées d'une telle évolution.

De plus, lorsqu’on transplante le microbiote d’un patient (humain!) parkinsonien à une souris stérile, celle-ci développe de graves symptômes moteurs, en comparaison à une souris dont on a transféré un microbiote humain normal (d’une personne qui n’a pas Parkinson) qui n’a aucun déficit [4] !

En étudiant le microbiote de patients parkinsoniens, des scientifiques ont pu déterminer les variations de population bactérienne spécifiques de cette pathologie. Certaines espèces prolifèrent et d’autre périclitent. Ces études sont très difficiles car de nombreux facteurs influencent le microbiote, bien au-delà de la maladie de Parkinson. Sa composition est unique à chacun d’entre nous, et elle varie constamment au cours chez une même personne tout au long de sa vie, voire même d’un jour sur l’autre ! Les comparaisons sont donc périlleuses, d’autant plus qu’on sait que les médicaments utilisés dans la maladie de Parkinson (la Lévo-dopa en particulier) ont une influence certaine [5]. Cette dysbiose (ou déséquilibre du microbiote) est tout de même retrouvée chez les individus à risques présentant les prodromes de la maladie, comme les troubles du comportement en sommeil paradoxal.

Le microbiote semble donc capable d’influencer l’agrégation d’alpha-synucléine dans notre système nerveux entérique et central. Nous avons déjà évoqué plusieurs moyens d’action. Mais les bactéries le constituant sont aussi capables de sécréter des molécules qui peuvent favoriser indirectement la pathologie. C’est le cas par exemple des acides gras à chaînes courtes (AGCC), produits activement par certaines espèces et qui possèdent de multiples actions [4]. Ils sont capables de moduler la perméabilité de l’épithélium intestinal ainsi que de la barrière hémato-encéphalique, qui isole le cerveau du reste de l’organisme. Ils exposent donc le cerveau aux agressions extérieures et pourraient être à l’origine d’une réaction inflammatoire de celui-ci. L’exposition de souris « à risque de Parkinson » à ces AGCC reproduit les déficits moteurs de la maladie et provoque l’accumulation d’alpha-synucléine. Les AGCC constituent une voie alternative de communication microbiote-cerveau indépendante du nerf vague. Nous ne savons cependant pas, actuellement, s’ils agissent directement ou indirectement sur le cerveau.

Un autre élément bactérien paraît impliqué dans la physiopathologie de la maladie de Parkinson, le LPS (lipo-poly-saccharide) faisant partie de la paroi protectrice bactérienne [1]. Au cours d’une expérience, des scientifiques ont injecté à des souris de l’alpha-synucléine directement dans leur cerveau. Certaines d’entre elles avaient, au sein de leur microbiote, des bactéries possédant une paroi (et donc du LPS), alors que d’autres souris étaient porteuses de bactéries sans LPS. L’alpha-synucléine s’agrégeait uniquement chez les souris porteuse de LPS, et pas chez les autres, mettant en lumière son rôle probable dans l’origine de la maladie de Parkinson.

La question de fond lorsqu’on s’intéresse aux liens entre microbiote et maladie de Parkinson réside dans l’étude des interactions entre génétique et environnement, l’inné et l’acquis, dans la genèse de la maladie. Il existe assez peu de facteurs de risque génétiques forts dans ce cas, mis à part quelques mutations très rares qui provoquent l’apparition très précoce de la maladie. Le rôle de l’environnement (dont fait partie le microbiote) semble donc important dans la physiopathologie. Le système digestif est, dans cette conception, particulièrement intéressant car il constitue une interface majeure entre notre organisme et son environnement.

Évitons de trop se Braak-er

La théorie de Braak, développée et complétée par l’influence du microbiote dans la genèse de la maladie de Parkinson, est séduisante. L’agrégation d’alpha-synucléine débuterait au niveau du système nerveux entérique sous l’influence d’un microbiote anormal. Ce dernier pourrait aussi favoriser la propagation de l’alpha-synucléine pathologique via le nerf vague et en favorisant l’inflammation cérébrale. Une fois le tronc cérébral atteint, l’alpha-synucléine se propagerait de neurone en neurone, de proche en proche, jusqu’à toucher l’ensemble du cerveau dans les stades les plus tardifs de la maladie. Cette agrégation anormale d’alpha-synucléine aboutirai à la destruction neuronale, en particulier des neurones à dopamine, aboutissant après plusieurs années d’évolution silencieuse aux troubles moteurs caractéristiques.

Cependant, de nombreux scientifiques restent sceptiques devant cette explication, qui ne fait pas l’unanimité. Plusieurs études, chez l’animal comme chez l’Homme, appuient l’hypothèse de Braak. Mais de nombreuses autres études échouent à démontrer un lien entre système nerveux entérique et central dans la maladie de Parkinson, voire vont à l’encontre d’un tel mécanisme physiopathologique.

L’effet protecteur d’une vagotomie ou d’une appendicectomie est loin d’être prouvé et serait dans tous les cas assez faible [8]. Lorsqu’on analyse en détail les résultats des études citées un petit peu plus haut, on se rend compte que cet effet n’est pas significatif quand on prend en compte l’ensemble des vagotomies. Il ne devient significatif que lors d’une analyse ad hoc si on restreint l’analyse à un sous-groupe de patient (qui reçoivent une vagotomie troncale et non partielle). Les études concernant le rôle protecteur de l’appendicectomie aboutissent à des résultats tout aussi contrastés [8].

La présence pathologique d’agrégats d’alpha-synucléine au sein du système nerveux entérique est elle aussi remise en cause. Les premières études chez l’Homme, qui se basent sur des biopsies du colon chez des individus à risque de Parkinson (qui faisaient une coloscopie pour une suspicion de cancer colorectal), montraient une très forte sensibilité et spécificité de ce marqueur précoce de la maladie de Parkinson. Cependant, plusieurs études tempèrent fortement la valeur de ces mesures. En effet, la détection d’alpha-synucléine sur ce type de biopsies souffre de nombreux biais que l’on doit aborder pour comprendre les limites de cette méthode.

L’alpha-synucléine est présente naturellement au sein des neurones entériques. Comme nous l’avons vu, elle a un rôle important dans le fonctionnement synaptique en permettant la fusion des vésicules contenant les neurotransmetteurs, permettant leur libération dans la synapse. L’alpha-synucléine est donc présente naturellement et physiologiquement au sein de nos neurones ! C’est uniquement son agrégation (et encore) qui est pathologique. Cette agrégation se caractérise par une conformation et une phosphorylation anormales de la protéine. Hors, les anticorps les plus souvent utilisés permettent d’identifier l’alpha-synucléine normale et pathologique, expliquant, d’autant plus avec l’augmentation impressionnante de la sensibilité des mesures, la détection d’alpha-synucléine chez des individus sains et donc annulant toute différence avec un patient malade. Des anticorps ciblant spécifiquement l’alpha-synucléine phosphorylée existent, mais ils sont plus difficiles d’utilisation et leur usage est donc moins répandu.

Il est de plus important de normaliser les mesure d’alpha-synucléine en fonction de la densité neuronale de notre échantillon : plus il y a de neurones, plus il y a d’alpha-synucléine ! L’observation d’un fort marquage d’alpha-cynucléine ne correspond donc pas forcément à un pathologie avancée. Cette correction n’est malheureusement pas toujours appliquée dans les études.

Si la simple présente d’agrégats pathologiques d’alpha-synucléine n’est pas assurée au sein du système nerveux entérique, leur impact fonctionnel n’est pas non plus clairement déterminé. Dans quel mesure cela perturbe le fonctionnement du neurone et de la synapse ? Il n’existe a priori pas de mort neuronale massive au sein du système nerveux entérique, à l’instar du système nerveux central, dans la maladie de Parkinson.

Le rôle du microbiote dans la pathogénie de la maladie de Parkinson n’est lui aussi pas encore complètement élucidé. Nous l’avons vu, il existe de façon très précoce des signes digestifs et en particulier une constipation, qui selon la théorie de Braak reflète l’atteinte précoce du système nerveux entérique. De plus, le microbiote des patients parkinsoniens semble altéré (on parle de dysbiose) par rapport à un individu sain. Mais la constipation en elle-même est un facteur de confusion important. En effet, une dysbiose peut être à la fois la cause ou la conséquence d’une constipation ! Il est donc difficile de démêler l’œuf de la poule dans cette situation (même s’il ne faut pas oublier que les études dont nous parlions plus haut permettaient de suspecter un lien causal).

Enfin, de nombreuses données concernant la théorie de Braak proviennent de modèles animaux, qui sont par définition imparfaits qui ne peuvent mimer qu’une partie de la symptomatologie et de la physiopathologie de la maladie. Il faut souligner que le système nerveux entérique des souris diffère légèrement du notre, en possédant 2 couches de neurones et nous trois. Notre système nerveux entérique est donc plus complexe et l’impact de la synucléinopathie est différente.

Un grand nombre d’études utilise des souris « à risque » de Parkinson, qui ont été génétiquement modifiées pour surexprimer l’alpha-synucléine. Cette souris permet de modéliser un patient possédant des facteurs de risque génétique. Cependant, il est difficile de transposer et d’inférer les résultats de ces études chez l’Homme. De plus, la majorité des études sur la souris ne prennent pas en compte un facteur pourtant essentiel dans la maladie de Parkinson : l’âge ! Il s’agit pourtant du facteur de risque principal de la maladie ! Les résultats chez la souris sont limités car la majorité sont des animaux jeunes chez qui ont veut étudier une maladie touchant l’individu âgé et ayant une évolution assez lente.

Enfin, les différentes études s’appuient sur des méthodologies parfois très différentes rendant difficile leur comparaison entre elles. Ces différences méthodologiques peuvent expliquer une partie de l’hétérogénéité des résultats de la littérature.

Vers un compromis ? [6]

Il existe donc une controverse certaine à propos de l’origine digestive de la maladie de Parkinson. Aucun consensus n’est ressorti des nombreuses études sur le sujet et dont vous n’avez ici qu’une présentation partielle. Cependant, certains scientifiques tentent d’établir un chemin alternatif.

Au fil des dernières décennies, la maladie de Parkinson nous est apparue de plus en plus hétérogène. Il n’existe pas une maladie de Parkinson, mais plusieurs, dont chacune a une origine différente. Si elles possèdent plusieurs caractéristiques communes, et en particulier l’agrégation pathologique d’alpha-synucléine et la destruction des neurones dopaminergiques, il existe des différences subtiles entre ces différentes formes cliniques.

Des scientifiques danois ont proposé 2 grands schémas évolutifs de la maladie de Parkinson. Dans le premier, le cerveau serait touché en premier avec une prédominance des symptômes moteurs. Dans le deuxième, en accord avec les théories de Braak, il existerait une atteinte précoce du système nerveux entérique qui se propagerait dans un second temps au système nerveux central. La distinction entre ces deux formes pourrait se faire cliniquement à partir d’un prodrome courant dans la maladie de Parkinson et que nous avons brièvement évoqué plus haut : les troubles du comportement pendant le sommeil paradoxal (TCSP).

Au cours de ce trouble, le patient vit ses rêves dans son lit. Lui-même ne s’en rend pas compte (il dort!), et c’est souvent le compagnon ou la compagne qui rapporte ce curieux phénomène en consultation : le patient bouge et agit comme s’il vivait son rêve. S’il rêve d’une bagarre, il donnera des coups à son oreiller (dans le meilleur des cas) ! Ce trouble est très fortement lié aux synucléinopathies : dans les 15 ans qui suivent son diagnostic, tous les patients développeront une maladie de Parkinson ou une pathologie apparentée. Cependant, tous les patients parkinsoniens n’ont pas eu de type de prodrome !

Les scientifiques danois appuient leur hypothèse par plusieurs études d’imagerie chez l’Homme permettant de visualiser in vivo l’état des connexions synaptiques dans le corps (la TEP-MIBG) et dans le cerveau (la TEP-DOPA). Chez les patients souffrant de TCSP, ces études mettent en évidence une altération des connexions neuronales périphériques (en particulier au niveau du cœur) dans 95 % des cas, alors que les neurones dopaminergiques cérébraux son intacts dans plus de 50 % des cas. D’un autre côté, 50 % des patients parkinsoniens n’ayant pas eu de TCSP présentent une connectivité périphérique normale, alors que la TEP-DOPA montre une destruction des neurones dopaminergiques cérébraux. Cependant, la connectivité périphérique tend à diminuer chez ces patients au fur et à mesure de la progression de la maladie cérébrale.

Deux évolutions, deux maladies de Parkinson.
Dans certains cas, l'évolution peut être ascendante : l'atteinte primitive est intestinale et la maladie se propage secondairement au cerveau. Ces patients présentent précocement des troubles comportement en sommeil paradoxal et une dénervation cardiaque.
Chez d'autres patients, l'atteinte débute au cerveau et se propage dans un second temps au système nerveux entérique.

Ces résultats suggèrent que le TCSP pourrait bien être un marqueur entre 2 formes de maladie de Parkinson. D’une part, les patients ayant un TCSP ont une atteinte précoce du système nerveux périphérique et secondairement central. D’autre part, les patients sans TCSP ont une évolution inverse.

Cette théorie est de plus appuyée par plusieurs études histologiques. Dans le cadre d’un dépistage du cancer colorectal, des individus souffrant de TCSP ont été amené à subir une coloscopie et des biopsies de la paroi colique. L’étude de ces biopsies montre qu’il existe une agrégation d’alpha-synucléine dans le système nerveux entérique de ces patients (mais cela est à nuancer avec les limites dont nous parlions précédemment).

Chez l’animal, plusieurs études montrent que si une propagation du système nerveux entérique vers central est possible, l’inverse était aussi vrai ! Ainsi, il a été mis en évidence une propagation intestin-nerf vague-estomac chez un modèle de souris à risque ! On peut donc tout à fait imaginer une évolution descendante de la maladie, du système nerveux central vers le système nerveux entérique.

Nous l’avons vu, l’origine digestive de la maladie de Parkinson est un domaine de recherche très dynamique, au sein duquel il n’existe pas de consensus clair. La maladie de Parkinson nous apparaît plus hétérogène que jamais : sous une même présentation clinique se cache en réalité de nombreuses origines physiopathologiques !

SOURCES :

- [1] : Fitzgerald, Emily, Sarah Murphy, and Holly A. Martinson. "Alpha-synuclein pathology and the role of the microbiota in Parkinson’s disease." Frontiers in neuroscience 13 (2019): 369.

- [2] : Liu, Bojing, et al. "Vagotomy and Parkinson disease: A Swedish register–based matched-cohort study." Neurology 88.21 (2017): 1996-2002.

- [3] : Cryan, John F., et al. "The microbiota-gut-brain axis." Physiological reviews 99.4 (2019): 1877-2013.

- [4] : Sampson, Timothy R., et al. "Gut microbiota regulate motor deficits and neuroinflammation in a model of Parkinson’s disease." Cell 167.6 (2016): 1469-1480.

- [5] : Hill‐Burns, Erin M., et al. "Parkinson's disease and Parkinson's disease medications have distinct signatures of the gut microbiome." Movement Disorders 32.5 (2017): 739-749.

- [6] : Borghammer, Per, and Nathalie Van Den Berge. "Brain-first versus gut-first Parkinson’s disease: a hypothesis." Journal of Parkinson's disease 9.s2 (2019): S281-S295.

- [7] : Shannon, Kathleen, and Pieter Vanden Berghe. "The enteric nervous system in PD: gateway, bystander victim, or source of solutions." Cell and tissue research 373.1 (2018): 313-326.

- [8] : Breen, David P., Glenda M. Halliday, and Anthony E. Lang. "Gut–brain axis and the spread of α‐synuclein pathology: Vagal highway or dead end?." Movement Disorders 34.3 (2019): 307-316.


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- By William Richard Gowers (1845–1915) after St. Leger (unknown dates) - Herter, Christian Archibald (1907) [1892]. "Fig 66 — Paralysis agitans. (After St. Leger.) (Gowers)". Diagnosis of Organic Nervous Diseases (2nd ed.). New York and London: G. P. Putnam's Sons. p. 589. Retrieved 2011-03-24., PD-US, https://en.wikipedia.org/w/index.php?curid=31434429

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