Soigner la maladie de Parkinson avec des cellules souches ?

 

Décrite pour la première fois en 1817 par James Parkinson, la shaking palsy (ou paralysie tremblante) se caractérise cliniquement par un tremblement de repos, une rigidité musculaire ainsi qu’une raréfaction progressive des mouvements du malade. Les symptômes s’expliquent par une dégénérescence de certains neurones à dopamine dans le cerveau, dont le rôle est prépondérant dans l’initiation et le contrôle des mouvements. De nombreux traitements ont été développés, le plus souvent avec succès, pour aider les malades. Cependant, aucun d’entre eux ne permet de guérir de la maladie, qui progresse inévitablement.

Ces dernières années, une nouvelle approche semble très prometteuse : la greffe de cellules souches neuronales. Cette prise en charge révolutionnaire fonctionne-t-elle vraiment ? Quelles sont ses forces et ses limites ?

Comment traite-t-on la maladie de Parkinson ? [1]

La maladie de Parkinson touche près de 100 000 personnes en France. Elle est classiquement responsable de troubles moteurs qui s’aggravent progressivement. Ces symptômes sont provoqués par la destructions de neurones dopaminergiques reliant la substance noire, un petit noyau neuronal dans le tronc cérébral, au striatum, logé sous notre cortex. Un mouvement est un phénomène complexe, codé au sein de notre cerveau au sein de boucles dites cortico-sous-corticales, qui permettent un contrôle avancé de ce processus. Le fonctionnement de ces boucles est finement régulé par les neurones dopaminergiques, et toute dégradation de ceux-ci va le perturber.

Cependant, la maladie de Parkinson ne touche pas seulement ces voies neuronales. Beaucoup de patients ressentent, plusieurs années avant les premiers signes moteurs, des prodromes à type de troubles digestifs ou de troubles du sommeil. Certains chercheurs pensent que la maladie de Parkinson pourrait débuter au niveau des neurones intestinaux, avant de se propager dans un deuxième temps au cerveau. Cette propagation atteindrait la substance noire dans un second temps, mais ne s’arrêterait pas là, et toucherait ensuite l’ensemble du cortex. Cette hypothèse expliquerait les prodromes de la maladie ainsi que les signes plus tardifs, comme les troubles cognitifs et la démence.

La destruction des neurones dopaminergiques semble provoquée par l’accumulation de protéines présentes naturellement dans nos neurones, l’alpha-synucléine (AS). Cette protéine est normalement utile au bon fonctionnement de nos synapses, les connexions entre neurones. Cependant, dans certaines conditions, l’AS peut se replier de façon anormale et s’agglomérer pour former des corps de Lewy, toxiques pour le neurone. On observe non seulement de nombreux corps de Lewy au sein des neurones dopaminergiques de la substance noire des malades, mais aussi au niveau de leurs neurones intestinaux et de leur cortex.

La maladie de Parkinson résulte de l'accumulation anormale d'une protéine synaptique, l'alpha-synucléine (A) qui forme au niveau des neurones des corps de Lewy (B). Cette accumulation au sein des neurones dopaminergiques de la voie nigro-striée (indiquée en 3 sur le schéma C) est responsable des symptômes moteurs de la maladie. Le schéma C représente les 4 grandes voies dopaminergiques du cerveau (1 : méso-corticale, 2 : méso-limbique, 3 : nigro-striée, 4 : tubéro-infundibulaire)


Pendant longtemps, le traitement de la maladie de Parkinson a été très limité. En 1911, un chimiste polonais synthétisa pour la première fois la Levodopa, qui ne sera utilisée dans la maladie de Parkinson qu’un demi-siècle plus tard, en 1967. Il s’agit d’une véritable révolution thérapeutique dont le principe est simple : vu qu’il manque de la dopamine dans le striatum après la mort des neurones censé la sécréter, nous allons en fournir artificiellement au cerveau malade ! Cette approche est toujours aujourd’hui la plus utilisée. Elle est fiable et efficace, et nous possédons de solides connaissances nous permettant de connaître parfaitement son utilisation. Elle souffre cependant de plusieurs limitations. On l’imagine bien, la précision spatiale et temporelle de ce traitement est très mauvaise. En effet, la destruction des neurones dopaminergique, qui fonctionnent de manière pulsatile et intermittente, est très localisée : elle touche uniquement les neurones de la voie nigro-striatale (c’est-à-dire les neurones reliant la substance noire au striatum). Il existe d’autres neurones dopaminergiques dans le cerveau, qui seront tout autant stimulés par le traitement ! Cette mauvaise résolution spatiale et temporelle est responsable d’effets indésirables que l’on observe bien souvent avec la lévodopa. Par exemple, la stimulation d’autres voies dopaminergiques (méso-limbique par exemple) peut être responsable de symptômes psychiatriques et en particulier psychotiques (cette voie est anormalement activée dans la schizophrénie). L’administration de lévodopa peut déclencher des dyskinésies lorsqu’elle est présente en trop grande quantité dans le cerveau (de manière un petit peu simpliste : trop de dopamine = trop de mouvement !) ou peut engendrer une rechute des symptômes plusieurs heures après sa prise, après qu’elle ait été progressivement éliminée de l’organisme.

D’autres médicaments ont été développés pour lutter contre le manque de dopamine. Des agonistes dopaminergiques, des molécules mimant l’action de la dopamine, peuvent être utilisés, tout comme des traitements inhibant la dégradation enzymatique du peu de dopamine restant dans le cerveau malade. Dans ce dernier cas, l’idée est d’augmenter les concentrations de dopamine cérébrale non pas en en apportant avec de la Lévodopa, mais en inhibant sa dégradation normale dans le cerveau.

Depuis sa découverte en 1987 par des médecins grenoblois, la stimulation cérébrale profonde constitue une nouvelle révolution dans la prise en charge de la maladie de Parkinson. Son mécanisme d’action est bien différent de la supplémentation en dopamine : ici, il ne s’agit pas de stimuler la voie dopaminergique anormale, mais d’inhiber certains noyaux cérébraux (le noyau sub-thalamique en particulier) anormalement activé chez ces patients. La destruction des neurones dopaminergiques entraîne en effet une dérégulation des circuits cérébraux impliqués dans le mouvement, et si la voix nigro-striée s’éteint progressivement, d’autres voie s’activent de façon anormale. La stimulation cérébrale profonde, en ciblant spécifiquement ces voix impliquées dans le mouvement, est d’une redoutable efficacité. Cependant, ses indications sont bien précises et son efficacité ne dure qu’un temps. La technique est de plus nécessairement risquée : il s’agit d’implanter des sondes dans le cerveau ! Le risque d’infection ou de complication opératoire n’est jamais nul. Enfin, l’inhibition électrique de ce noyau cérébral nécessite des batteries qui sont le plus souvent implantées sous la peau (un petit boîtier est implanté au niveau du thorax). Ces dernières doivent être remplacées régulièrement, nécessitant une petite chirurgie.

La stimulation cérébrale profonde dans la maladie du Parkinson.
A. Radio du crâne d'un patient implanté. On visualise clairement les 2 électrodes ciblant le striatum, reliée avec de petits câbles jusqu'à leur batterie au niveau du thorax.
B. Schéma des boucles cortico-sous-corticales impliquées dans la maladie de Parkinson (fonctionnement normal à gauche, et pathologique à droite). Les neurones dopaminergiques de la substance noire (SN) favorisent le mouvement en stimulant la voie directe (flèche rouge) et en inhibant la voie indirecte (flèche bleue). L'absence de dopamine inverse la balance et provoque l'inhibition du mouvement. Le noyau sub-thalamique (STN) faisant partie de la voie indirecte, son inhibition permet de rétablir l'équilibre.

Ces différentes approches thérapeutiques sont très efficaces et permettent d’augmenter la qualité de vie des patients pendant de nombreuses années. Mais leur efficacité est temporaire et, fatalement, la maladie reprend le dessus. Cela est problématique car l’escalade thérapeutique que nous avons à disposition aujourd’hui est limitée. En cas d’inefficacité de la Lévodopa per os (c’est-à-dire des pilules prises par la bouche), nous pouvons l’administrer à fortes doses par sonde gastrique et par gastrostomie (qui correspond à une communication de l’estomac à la peau), mais cela est responsable, on peut s’en douter, d’un grand nombre d’effets indésirables. La stimulation cérébrale profonde, elle, n’est jamais plus efficace qu’en début de maladie.

Des cellules souches fœtales comme traitement ?

En 1988, des neurologues et chirurgiens suédois prirent en charge un patient de 49 ans, souffrant depuis de nombreuses années de la maladie de Parkinson. Le traitement par Levodopa devenait inefficace, et entraînait de nombreux effets indésirables. Pour aider ce patient, ils développèrent une nouvelle approche prometteuse. En s’appuyant sur des études chez l’animal qui montraient sa faisabilité, ils tentèrent une transplantation de jeunes neurones fœtaux. L’idée est simple : tenter de remplacer les neurones dopaminergiques détruits par de nouveaux provenant de fœtus décédés, capables de se multiplier une fois implantés. La chirurgie se passa bien, permettant d’implanter de nombreux neurones dopaminergiques provenant de 4 fœtus dans l’hémisphère gauche du patient (le côté le plus atteint par la maladie, alors que le côté controlatéral servait de contrôle dans cet essai clinique), dans une région cérébrale profonde appelée putamen.

Approche n°1.
On prélève des neurones primitifs chez un fœtus, qu'on force à se différencier (artificiellement) en neurone dopaminergique, qu'on implante ensuite dans le cerveau du patient, où le greffon pourra se développer.

Cette chirurgie est un véritable tour de force technique et médical. Cependant, une telle greffe se doit de répondre à 4 grandes interrogations. En premier lieu, cette approche thérapeutique est-elle sûre ? Si elle fait plus de mal que de bien, elle n’est à coup sûr pas très prometteuse ! Ensuite, la greffe ainsi réalisée est-elle viable, durable dans le temps ? Est-elle fonctionnelle, c’est-à-dire, permet-elle de restaurer les niveaux de dopamine au niveau de la voie nigro-striée ? Enfin, cette amélioration sur le plan physiopathologique se traduit-elle par une amélioration clinique pour le patient ?

Le patient fut suivi pendant plusieurs mois après sa chirurgie. Les médecins ne notèrent pas d’effet indésirable particulier, que ce soit au niveau de l’acte chirurgical ou de la greffe en elle-même. L’état clinique du patient resta stable au cours des semaines suivantes, et il dut attendre environs 2 mois avant de constater une amélioration progressive de ses symptômes moteurs, permettant de diminuer significativement ses doses de Lévodopa (que le patient prenait toujours, à des posologies identiques à la période pré-implantatoire). Les tremblements et la rigidité étaient bien moindre, le traitement résiduel par Lévodopa plus efficace, et la qualité de vie du patient nettement améliorée !

Afin d’objectiver les changements au niveau cérébral, les médecins firent passer au patient un examen d’imagerie, la TEP, afin de visualiser le fonctionnement in vivo des neurones dopaminergiques. Ils relevèrent une augmentation de 130 % de la dopamine au niveau du striatum à 5 mois de l’opération, en comparaison au TEP passé juste avant la greffe. Ainsi donc, il existait une corrélation entre les changements biologiques et l’amélioration clinique, qui dans le contexte de la greffe suggère un effet causal.

Les neurones transplantés lors de cette greffe provenaient de 4 fœtus, issus pour la plupart d’IVG chirurgicales. Les chirurgiens prélevaient leurs neurones dopaminergiques au niveau du tronc cérébral, avant de les implanter chez notre patient. Cette méthode pose de nombreux problèmes. Tout d’abord, elle nécessite, pour un seul patient, de nombreux fœtus afin de prélever un nombre suffisant de neurones dopaminergiques. Ensuite, les neurones fœtaux ainsi prélevés ne peuvent se conserver très longtemps. Il faut donc disposer rapidement de plusieurs fœtus pour réaliser la greffe. Il s’agit d’une limitation technique importante, qui a pu conduire à de nombreux échecs de chirurgie pour plusieurs études, faute de neurones à transplanter suffisant !

Une technique imparfaite

Mais ce n’est pas la seule limitation de cette technique. Malgré un prélèvement méticuleux des neurones fœtaux, une telle source aboutit nécessairement à une grande hétérogénéité dans la qualité des greffons. La dissection des structures cérébrales fœtales est très difficile, aboutissant à une composition cellulaire des greffons hétérogène. Cela peut avoir des conséquences cliniques non négligeables : par exemple, l’un des seuls effets indésirables de la greffe mise en évidence, des dyskinésies tardives (des mouvements involontaires parfois très handicapants), s’explique selon toute vraisemblance par une contamination du greffon par des neurones sérotoninergiques qui interfèrent dans le bon fonctionnement des neurones dopaminergiques transplantés.

Par la suite, plusieurs petits essais cliniques tentèrent de reproduire les résultats, mais avec des résultats contrastés. Certains ne mettaient en évidence aucune amélioration clinique post-greffe. Cette hétérogénéité des résultats peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Tout d’abord, les critères de sélection des patients étaient différents entre ces études. Il semblerait que la greffe soit plus efficace dans les cas de maladie de Parkinson récente, chez les patients jeunes, avec une bonne réponse préalable à la dopamine. Une greffe chez un patient malade depuis longtemps et chez qui la dopamine est inefficace a peu de chance de réussir. La maladie de Parkinson est de plus un groupe assez hétérogène de pathologies, qui reposent sur une caractéristique commune (l’altération de la voie nigro-striée) mais qui peuvent avoir des origines très différentes. Il est possible que la greffe soit plus efficace pour certains sous-type de maladie. Par exemple, certains malades parkinsoniens présentant une mutation du gène PARK2, qui souffrent principalement de symptômes moteurs, sont plus susceptibles d’être améliorés par la greffe, alors que les patients ayant une mutation du gène GBA, souffrant en premier lieu de déficit cognitifs, y sont moins sensibles.

On peut aussi noter qu’à l’instar de la stimulation cérébrale profonde, certains symptômes ne pourront pas être améliorés par une telle greffe neuronale. Ainsi, le freezing, un symptôme particulièrement handicapant se traduisant par une « statufication » du malade pendant quelques secondes, n’est pas amélioré par la greffe, tout comme le déficit cognitif ou les troubles du sommeil. Ces symptômes reposent sur des circuits cérébraux distincts de la voie nigro-striée et sont donc inaccessibles à notre technique chirurgicale.

Ensuite, les différences dans la méthodologie de ces études peuvent avoir un impact important sur les résultats. Les techniques d’implantation peuvent être très différentes, les immunosuppresseurs (nécessaires à toutes greffes, nous y reviendrons) n’étaient pas les mêmes, pouvant fortement altérer les résultats d’une telle greffe.

Une nouvelle révolution

Pour pallier ce problème, de nouvelles techniques chirurgicales furent développées et de nouvelles sources de neurones dopaminergiques envisagées. Les connaissances en embryologie s’améliorant, les scientifiques ont identifié les facteurs permettant la différenciation de cellules souches fœtales (c’est-à-dire des cellules pouvant engendrer l’ensemble des cellules du corps humain) en neurones dopaminergiques. Ainsi, il était donc possible, en immergeant ces cellules souches dans des bains de facteurs de croissance soigneusement choisis, d’engendrer de façon reproductible des neurones dopaminergiques en quantité suffisante !

Approche N°2.
Avec le bon cocktail de facteurs de croissance, il est possible de générer des neurones dopaminergiques à partir de cellules souches fœtales. Ces dernières sont appelées "pluripotentes" car elles sont capable de se différencier en plusieurs types cellulaires distincts.

Il s’agit là d’une technique particulièrement intéressante qui résout un grand nombre d’inconvénients précédemment évoqués. Le prélèvement de telles cellules souches est plus simple, et elles se conservent plus longtemps, permettant aux médecins une flexibilité appréciable en comparaison avec les neurones fœtaux qui doivent être rapidement utilisés. De plus, la connaissance précise des mécanismes de différenciation des cellules souches permet de « fabriquer » de façon précise et reproductible des neurones dopaminergique. Ici, pas de contamination avec des neurones sérotoninergiques comme dans les greffes de neurones fœtaux ! Il s’agit en pratique d’une source bien plus fiable de neurones dopaminergiques.

C’est ainsi que depuis quelques années, plusieurs essais de greffe ont été lancés. Il est important de noter que le but de ces études n’est pas d’évaluer l’efficacité de telles procédures. Il ne s’agit que de critères secondaires. Ces essais évaluent en premier lieu l’efficacité et la tolérance de cette greffe neuronale. Cette distinction est importante car l’étude n’est pas conçue en soit pour mesurer l’amélioration clinique : sa puissance n’est pas suffisante pour cela ! Ce qui n’empêche pas, bien sûr, de les regarder avec un œil passionné, mais il faut bien garder en tête qu’il est difficile de conclure là-dessus.

Les études chez l’animal (souris et singes) semblent montrer que la greffe de cellules souches différenciées est tout aussi efficace qu’une greffe de neurones dopaminergiques fœtaux (lorsqu’on normalise par le nombre de neurone transplantés). Cette donnée est particulièrement intéressante et souligne l’apport de la greffe de cellules souches différenciées : il ne s’agit pas d’être plus efficace, mais d’être plus fiable et reproductible !

La greffe de cellules souches différentiées montre de bons résultats cliniques. Cependant, comment cela se traduit-il au niveau neuronal et cérébral ? Des études chez la souris et le singe montrent que les cellules implantées (quelle que soit leur origine) sont capables de former des synapses avec leurs neurones adjacents, et donc de s’intégrer dans les circuits corticaux altérés ! Cette reconstruction de circuits neuronaux alternatifs (les corps cellulaires des neurones greffés ne sont pas dans la substance noire, mais dans le striatum : les réseaux neuronaux sont donc différents) n’est pas immédiate : dans les modèles animaux, elle nécessite environs 6 semaines… Ce qui correspond bien aux délais avant amélioration clinique chez l’Homme.

Nos dernières observations mettent en valeur des corrélations entre des mécanismes physiologiques à l’échelle neuronale et des symptômes cliniques. Afin de montrer une causalité entre ces deux phénomènes, des chercheurs ont réalisé une greffe de cellules souches différentiées un petit peu particulière chez des souris parkinsoniennes. Non seulement les cellules souches initiales avaient été soigneusement programmées pour se transformer en neurone dopaminergique, mais elles avaient en plus été génétiquement modifiées pour que l’on puisse contrôler à loisir leur activation… grâce à la lumière. Cette technique, appelée optogénétique, repose sur l’implantation au sein de la membrane neuronale de canaux spécifiques, capables de s’ouvrir lorsqu’ils sont stimulés par des photons. Après implantation de fibres optiques au sein du crâne des souris, qui diffusent un puissant faisceau lumineux dans le cerveau de l’animal, il devient possible de contrôler l’activité des neurones porteurs de tels canaux.

Les neurones greffés étaient donc porteurs de canaux qui, stimulés, entraînaient une inhibition immédiate de leur activité. A l’instar des expériences précédentes, la greffe améliorait significativement les symptômes moteurs des pauvres souris. Et lorsque le greffon était éteint par la lumière (!), les animaux présentaient à nouveau un état parkinsonien typique, démontrant le lien causal entre la greffe de cellules souches différenciées et l’amélioration clinique !

Bien qu’elle présente des avantages indéniables sur les neurones dopaminergiques fœtaux, la greffe de cellules souches différentiées présentent tout de même certaines limitations. Les prélèvements sur des embryons humains restent difficiles. Si leur stockage prolongé est possible et appréciables, certaines études sur des banques cellulaires (pas forcément de neurones ou de cellules souches) montrent que l’apparition de mutations carcinogènes est possible, majorant le risque d’apparition de cancer cérébraux à partir du greffon. Enfin, les symptômes ne reposant pas sur les neurones dopaminergiques du striatum (comme les troubles cognitifs, le freezing ou les chutes) restent inaccessibles à une telle procédure.

La question du rejet

Le cerveau est un organe protégé au sein de notre organisme. Une barrière cellulaire et moléculaire, que l’on appelle la barrière hémato-encéphalique (BHE), l’isole de l’environnement intérieur et en particulier de la circulation sanguine, pourvoyeuse de microbes et autres substances toxiques. La BHE est une structure très complexe qui doit, en parallèle de ce rôle protecteur, être capable de laisser passer les éléments nécessaires au bon fonctionnement cérébral, comme le glucose ou l’oxygène. Une telle structure avait, selon l’avis général, une conséquence importante : le cerveau était un territoire où le système immunitaire de l’organisme ne s’aventurait pas. Le cerveau possède son propre système de défense, porté par les cellules microgliales, qui peut être influencé par le système immunitaire mais sans que ce dernier puisse intervenir directement.

Cette vision des choses était particulièrement séduisante dans le cas de nos greffes neuronales : elles ne devraient pas nécessiter de traitement immunosuppresseur, à l’instar des autres greffes ! En effet, pour toute greffe, l’organisme hôte reconnaît le greffon comme du « non-soi », et déclenche une réaction immunitaire pour le détruire. Pour cela, le système immunitaire sait « lire » la carte d’identité des cellules du corps, le système HLA. Ce système moléculaire est unique à chacun d’entre nous. Il représente en quelques sortes notre « empreinte digitale » cellulaire.

C’est pour cette raison que tout patient greffé (de rein, de foie, etc.) doit prendre au décours un traitement destiné à supprimer ou diminuer la réaction immunitaire de son organisme. C’est aussi pour cette raison qu’on cherche pour toute greffe une compatibilité maximale entre donneur et receveur : on sélectionne le donneur dont le système HLA est le plus proche possible du receveur, afin de minimiser au mieux la réaction de rejet immunitaire.

On aurait donc pu être rassuré quant à une telle réaction de rejet de nos greffes neuronales. Cependant, les scientifiques se sont rapidement rendu à l’évidence : une immunosuppression serait bien nécessaire aux patients greffés. En effet, le cerveau apparaît au fil des études beaucoup moins privilégié sur le plan immunitaire. De plus, la chirurgie en elle même rompt la BHE sur le lieu de la greffe, permettant au système immunitaire d’agir directement sur le greffon. De façon indirecte, l’inflammation cérébrale due à une telle procédure peut mettre en péril la survie et la fonctionnalité du greffon. Il ne faut aussi pas oublier que l’agrégation pathologique d’alpha-synucléine dans la maladie de Parkinson est provoquée par une réaction neuro-inflammatoire…

Un traitement immunosuppresseur chez les patients greffés a donc été mis en place. Ce traitement est bien toléré mais il limite les indications d’une telle chirurgie - les immunosuppresseurs ont des contre-indications parfois nombreuses.

Le risque de rejet varie en fonction de la technique de préparation et d’implantation du greffon. Nous pouvons cependant imaginer plusieurs solutions afin de contrôler ce risque. On peut notamment mettre en place des manipulations génétiques permettant aux neurones d’échapper au système immunitaire. Même si cela n’a jamais été réalisé lors d’un essai clinique, il est possible de supprimer le système HLA des cellules et donc de les rendre invisibles aux radars immunitaires de notre organisme. En théorie, cette manipulation permettrait de se passer d’immunosuppresseurs lors d’une greffe. Cependant, une telle procédure majore considérablement le risque de dégénérescence cancéreuse du greffon ! En effet, un des rôles du système immunitaire est de détecter le développement de cellules cancéreuses dans notre organisme et aussitôt de les éliminer ! Le risque est ici encore plus grand car nous transplantons des cellules souches (par définition à haut potentiel de réplication) qui ont subies des manipulations génétiques ! Ainsi donc, si la suppression du système HLA apporte des bénéfices indéniables sur le traitement immunosuppresseur, elle est indissociable de risques majeurs de transformation cancéreuse du greffon !

Une telle technique est-elle donc à abandonner ? Peut-être pas. On peut en effet imaginer contrôler ce risque grâce à de nouvelles modifications génétiques. On peut en effet exprimer chez les neurones du greffon des gènes de suicide cellulaire, ou apoptose, nous permettant de tuer une cellule qui deviendrait dangereuse. Il nous est aujourd’hui possible de contrôler in vivo l’expression de tels gènes dans une population cellulaire donnée. En effet, les techniques d’ingénierie génétique permettent de conditionner l’activation de ces gènes après administration de substances particulières. C’est ainsi que nous sommes capables d’incorporer des gènes suicides s’activant uniquement après la prise de ganciclovir, un traitement couramment utilisé dans le traitement de l’herpès ! Un tel montage dans les cellules de notre greffon nous permettrait, s’il existe un doute de dégénérescence cancéreuse, d’administrer du ganciclovir entraînant le suicide du greffon devenu cancéreux !

Une nouvelle génération de greffons

Récemment, une nouvelle technique révolutionnaire valu le prix Nobel à son inventeur : la reprogrammation cellulaire. Elle permet, à partir de n’importe quelle cellule de notre corps, en les manipulant génétiquement, de les transformer en cellule souche, capable de donner n’importe quelle type cellulaire par la suite. Comme si nous étions capables de remonter le temps - à l’échelle cellulaire. A partir de ces cellules reprogrammées, devenues cellules souches, d’aboutir à des neurones dopaminergiques !

Approche n°3.
On prélève des cellules chez le malade parkinsonien (par exemple ici une cellule de la peau, en bleue), qu'on va ensuite manipuler génétiquement pour qu'elle se transforme en cellule souche de type embryonnaire (en rose). On va ensuite forcer la différenciation de cette cellule souche artificielle en neurone dopaminergique (en vert) qu'on va réimplanter dans le cerveau du même patient.

Cette technique est particulièrement puissante car il est désormais possible de faire des auto-greffes. Donneur et receveur sont donc désormais une seule et même personne ! Cela résout le problème de la compatibilité : le système HLA étant le même, un traitement immunosuppresseur est théoriquement inutile !

Cependant, un tel traitement apporte malheureusement ses risques. Les manipulations génétiques de cellules, qui portent sur les gènes régulant la réplication cellulaire entre autres, ne sont pas anodines. Ces mêmes gènes peuvent être impliqués dans les processus cancéreux et il faut donc être extrêmement prudent dans la reprogrammation en cellule souche. Malgré ces risques, les premiers essais cliniques ont été lancés il y a quelques années. Le champs d’application d’une telle thérapie reste limitée pour le moment, et la maladie de Parkinson en fait partie (avec la dégénérescence maculaire liée à l’âge ou DMLA notamment).

La greffe de neurones ou de cellules souches est donc une piste thérapeutique prometteuse. Cependant, une telle chirurgie ne peut pas être envisagée pour toutes les pathologies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer par exemple. Elle est permise, dans la maladie de Parkinson, par une destruction ciblée de neurones spécifiques, qu’il est donc possible de remplacer. Au contraire, la plupart des autres démences se caractérisent par une destruction globale, diffuse et progressive des neurones cérébraux. Une greffe est donc beaucoup plus difficile à envisager. Dans la maladie de Parkinson, tous les symptômes ne reposent pas sur la dopamine, et au fur et à mesure de la progression de la maladie, de nombreux systèmes cérébraux sont touchés. Même si le mode de propagation est débattu (certains avancent une propagation de type prion, d’autre une « théorie du seuil », avec un rôle de l’inflammation prédominant), la maladie de Parkinson touche inévitablement des régions bien au-delà de la voie nigro-striée. On ne peut pas espérer améliorer ces symptômes grâce à notre greffe dopaminergique. Par exemple, il existe fréquemment des troubles cognitifs tardifs dans la maladie de Parkinson, qui ne reposent pas sur des anomalies dopaminergiques mais sur une destruction de certains neurones cholinergiques. On peut par contre envisager de nouvelles greffes neuronales ciblée permettant de réparer, petit à petit les systèmes cérébraux détruits par la maladie !

Les greffes neuronales sont encore balbutiantes. Les procédures, encore très lourdes, doivent être standardisées et évaluées, tant sur le plan de leur sécurité que de leur efficacité. Nous devons être capable de mieux sélectionner les patients répondeurs et les profils à risque. Les manipulations des neurones greffés sont ambitieuses mais nous devons en connaître parfaitement les effets indésirables. Ces avancées ne seront possibles qu’avec l’amélioration de nos connaissances sur la physiopathologie de la maladie et la multiplication des essais cliniques. Plusieurs sont actuellement en cours à travers le monde, et nous attendons leurs résultats avec impatience !

SOURCES :

- [1] : Gershanik, Oscar S. "Past, present, and future of Parkinson's disease." Movement disorders: official journal of the Movement Disorder Society 32.9 (2017): 1263-1263.

- [2] : Lindvall, Olle, et al. "Grafts of fetal dopamine neurons survive and improve motor function in Parkinson's disease." Science 247.4942 (1990): 574-577.

- [3] : Parmar, Malin, Shane Grealish, and Claire Henchcliffe. "The future of stem cell therapies for Parkinson disease." Nature Reviews Neuroscience 21.2 (2020): 103-115.


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