Parkinson est-elle une maladie à prion ?

 

En 1956, alors qu’il arrive en Nouvelle-Guinée, Carleton Gajdusek est plongé au cœur d’un mystère médical : les membres d'une tribu locale, les Fores, sont décimés par une maladie inconnue qui les emporte en quelques semaines, après une terrible agonie. L’autopsie des malheureux retrouve un cerveau complètement détruit, troué comme du gruyère ! Des amas protéiques étranges sont retrouvés dans ces cerveaux bien mystérieux... Cette maladie inconnue, surnommée kuru, ne ressemble à aucune autre. Elle ne semble pas infectieuse, même si le scientifique suspecte l’action d’un virus inconnu dans un premier temps. Elle ne semble pas non plus être génétique, car elle se propage bien trop rapidement. Après avoir scrupuleusement observé les rites fores, Gajdusek trouve l’origine du mal : la contamination s’effectue lors des rites funéraires cannibales de la tribu. Au cours de celles-ci, les femmes et les enfants mangent le cerveau du disparu. Ces mêmes femmes et enfants qui succombent au terrible kuru quelques mois ou quelques années plus tard !

Carleton Gajdusek (à gauche) étudia pendant plusieurs mois la tribu des Fores, décimée par une épidémie de kuru (enfant atteint, à droite)

Il faudra attendre plusieurs années avant qu’un autre grand scientifique, Stanley Prusiner, identifie l’agent responsable du kuru. Sa découverte allait révolutionner l’infectiologie, la médecine et même la biologie entière (rien que ça) : la propagation du kuru ne se fait pas via des bactéries ou autres microbes… mais par la protéine pathologique elle même ! Prusiner la surnomme prion, mot porte-manteau créé à partir des mots protéines et infection. Gajdusek et Prusiner recevront tous les deux le Prix Nobel de médecine pour leurs brillantes découvertes.

Depuis leurs découvertes, on pense que plusieurs maladies neurologiques (et en particulier neurodégénératives) reposent sur un mécanisme de type prion, en particulier la maladie d’Alzheimer et de Parkinson. Quelles sont les preuves en faveur d’un tel mécanisme ? Quelles sont les caractéristiques d’une maladie à prion, en quoi ressemble-t-elle ou diffère-t-elle de la maladie de Parkinson ?

Qu’est-ce qu’une maladie à prion ? [1, 2]

La séquence d’acides aminés constituant les protéines, essentielles au bon fonctionnement des cellules de notre organisme, est encodée au niveau de notre ADN. Ce code, retranscrit au niveau des ARN messagers (grâce aux nucléotides A, U, G, C), permet un premier assemblage de la séquence d’acides aminés, pour former une sorte de longue chaîne qui correspond à la structure primaire de la protéine. En fonction des interactions physico-chimiques entre acides aminés, cet assemblage peut se replier selon plusieurs conformations et plusieurs niveaux de complexité, que l’on appelle structures secondaire et tertiaires de la protéine. C’est globalement le même phénomène que l’on observe quand on fait une pelote avec un fil de laine : la pelote formée correspond à la structure secondaire et tertiaire du fil de laine. Ce processus est finement régulé par la machinerie cellulaire, afin que chaque chaîne d’acide aminé formée se replie correctement. Une erreur dans ce processus peut entraîner l’inactivation de la protéine, voir une activité anormale et un effet délétère sur la cellule.

Avant de nous pencher sur la maladie de Parkinson, examinons de plus près les caractéristiques et le fonctionnement du kuru et de la maladie de Creutzfeldt-Jakob tels qu'ils ont été mis en évidence par Gajdusek et Prusiner. Le prion responsable de cette maladie est une protéine appelée PrP, qui est naturellement présente dans nos cerveaux. Elle est présente chez la souris et les grands singes, même si elle diffère légèrement du modèle humain. On retrouve dans sa structure tertiaire normale plusieurs motifs appelés hélices alpha, qui permettent son bon fonctionnement. En revanche, une erreur de repliement, qui entraîne la formation de feuillets bêta au lieu de ces hélices, aboutit à la protéine prion pathologique.

Ce type d'erreur arrive naturellement, de façon extrêmement rare, si bien que le neurone est capable de rapidement éliminer ces protéines anormales. En revanche, il peut arriver que ces mécanismes d'élimination soient dépassés. C'est le cas par exemple lors de l'ingestion d'une grande quantité de prion, comme c'était le cas chez le Fores, ou lorsque le gène codant la protéine PrP est muté, majorant le risque de mauvais repliement de la protéine produite (il s'agit dans ce dernier cas des cas de Creutzfeldt-Jakob familiaux).

Une maladie à prion répond ainsi à plusieurs caractéristiques fortes. Elle repose sur une protéine, normalement présente dans l’organisme, dont le repliement est anormal et qui perturbe le bon fonctionnement cellulaire. Cette protéine anormale n’a besoin de rien ni personne pour se propager dans l’organisme : elle est capable de le faire elle-même en catalysant le repliement pathologique des protéines normales adjacentes ! A l’instar du kuru ou de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, ces pathologies peuvent se transmettre entres les individus si la protéine pathologique est ingérée/injectée (la transmission inter-espèce est, elle, beaucoup plus rare).

L’hypothèse de Heiko Braak [4, 8, 9, 10]

La maladie de Parkinson correspond classiquement à la perte d’une population de neurones bien spécifique de notre cerveau : les neurones à dopamine présents dans la substance noire (au niveau du tronc cérébral) et qui projettent vers des noyaux cérébraux profonds appelés striatum. Ces neurones sont très importants dans le contrôle de nos mouvements, si bien que leur destruction provoque les symptômes typiques de la maladie de Parkinson : tremblements, lenteur et rareté des mouvements ainsi qu’une rigidité anormale des membres. Cependant, la clinique de la maladie de Parkinson ne se résume pas aux seuls symptômes moteurs. Il existe des symptômes de la maladie présents bien avant ceux-ci, comme des troubles digestifs et des troubles du comportement en sommeil paradoxal (une appellation bien compliquée pour dire que les patients « vivent leur rêves » pendant leur sommeil). Ces prodromes précèdent parfois de plusieurs décennies les premiers signes moteurs !

On sait depuis longtemps qu’avant leur destruction, on observe au sein des neurones dopaminergiques des tâches, les corps de Lewy, qui sont constitués en majorité d’agrégats de protéines anormales, l’alpha-synucléine.

Physiopathologie de la maladie de Parkinson.
La maladie de Parkinson est une synucléinopathie, marquée par l'agrégation anormale d'alpha-synucléine (structure protéine : A) formant des corps de Lewy dans les neurones (aspect au microscope : B). Selon l'hypothèse de Braak, l'alpha-synucléine pathologique pourrait se propager le long du nerf vague (C). On note que le nerf vague, qui relie le système digestif au système nerveux central, passe tout près de l'œsophage, l'aorte et la veine jugulaire. Au niveau cérébral, la maladie de Parkinson touche principalement les neurones dopaminergiques (D), et en particulier la voie nigro-striée (notée 3 sur le schéma D) responsable du contrôle des mouvements.

L’alpha-synucléine (notée AS) est une protéine présente naturellement dans notre cerveau, impliquée dans le bon fonctionnement de nos synapses. Son rôle est de guider la fusion des vésicules contenant les neurotransmetteurs pour permettre leur libération au sein de la synapse. Dans certains cas, cette protéine s’agrège de façon anormale et forme des agrégats, que l’on retrouve dans la maladie de Parkinson mais aussi dans tout un corpus de pathologies dont l’expression clinique se recoupent en partie, et que l’on regroupe sous le terme de « synucléinopathies ». Outre la maladie de Parkinson, on y regroupe la démence à corps de Lewy et l’atrophie multi-systématisée. Ces pathologies représentent probablement un continuum avec à la base des mécanismes physiopathologiques communs.

En 2003, Heiko Braak proposa un modèle original de propagation et de stratification de la maladie de Parkinson. Selon lui, la maladie ne débute pas dans la substance noire du tronc cérébral, mais dans les intestins des malades, et plus précisément dans le système nerveux qui lui est associé et qu’on nomme donc « entérique ». Ce serait au niveau des neurones présents dans la paroi de l’intestin que se formerai les premiers agrégats d’AS, qui migreraient ensuite vers le tronc cérébral via le nerf vague, qui est la principale voie nerveuse reliant les systèmes nerveux entérique et central. Cela expliquerait la présence précoce d’agrégats d’AS au niveau du noyau du nerf vague dans le tronc cérébral. Ensuite, la maladie se propagerait en suivant les grandes voies nerveuses vers les régions cérébrales connectées au noyau du nerf vague, avec en premier lieu la substance noire et aux derniers stades de la maladie l’ensemble du cerveau.

Stades de Braak de l'évolution de la maladie de Parkinson.
L'agrégation d'alpha-synucléine débute au niveau intestinal (stade 1) avant de gagner le tronc cérébral (stade 2) via le nerf vague. De là, l'agrégation d'alpha-synucléine se propage de proche en proche (stade 3) jusqu'à toucher l'ensemble du cortex lorsque la maladie est très avancée (stade 4).

Dans l’hypothèse de Braak, la maladie ne se propage pas en tâche d’huile, de proche en proche. Les agrégats d’AS se propagent au contraire en suivant les neurones et les connexions synaptiques : les régions successivement touchées peuvent donc être très distantes les unes des autres ! C’est leur connectivité avec les autres régions du cerveau qui importe !

L’AS est-elle une protéine prion ? [1, 2, 3]

Dès l’étude originelle de Braak, qui pose les bases de sa théorie, on évoque la possibilité d’une propagation de type prion de l’AS dans le cerveau. L’agrégation anormale débuterai dans le système nerveux entérique et se propagerai de proche en proche, les agrégats d’AS catalysant l’agrégation de l’AS normale adjacente. Cette hypothèse est appuyée par des études chez l’animal et in vitro. Chez des souris génétiquement modifiées « à risque » de synucléinopathie (en pratique, qui sur-expriment l’AS humaine), l’injection d’agrégats d’AS provenant de souris atteintes déclenche la maladie, tant au niveau histologique (c’est-à-dire que cela déclenche l’agrégation d’AS dans leur cerveau) que clinique. Un tel effet, quoiqu’atténué (des symptômes moteurs moins intenses) ont aussi été retrouvé chez des souris saines. De plus, une telle injection chez des souris qui n’expriment pas d’AS dans leur cerveau n’a aucun effet !

Une propagation de type prion est aussi suggérées par certaines études chez l’Homme. En effet, certains patients parkinsoniens peuvent bénéficier, dans le cadre de protocoles expérimentaux, de greffes de neurones dopaminergiques au niveau du striatum pour remplacer les neurones détruits [12]. Cette thérapie révolutionnaire permet d’améliorer significativement les malades. Cependant, des autopsies réalisées chez ces patients après leur mort révèlent que le greffon (qui provient de donneurs sains) a développé des agrégats d’AS, comme si les processus pathologiques s’étaient propagés depuis les neurones adjacents.

Quel rôle du microbiote ? [5, 6, 7]

Depuis 20 ans, le microbiote intestinal, c’est-à-dire les milliards de bactéries qui résident dans nos intestins, est le sujet d’intenses recherches. Les interactions et la symbiose existante entre cet écosystème et l’hôte qui l’abrite sont fascinantes. Certains travaux montrent, avec plus ou moins de force, et plus ou moins de biais, un lien entre les dérégulations du microbiote (que l’on appelle dysbiose) et un grand nombre de pathologies psychiatriques ou neurologiques. La maladie de Parkinson n’échappe pas à la règle.

Nous avons déjà évoqué de tels liens dans un précédent article. Nous pouvons rappeler que l’hypothèse d’un rôle du microbiote dans la physiopathologie parkinsonienne repose sur des études chez l’animal et chez l’Homme. Nous savons que le microbiote de patients parkinsoniens diffère du microbiote « normal » (bien que la normalité d’un microbiote n’est pas une notion triviale à définir). Chez la souris, la greffe fécale provenant d’un patient parkinsonien reproduit les symptômes de la maladie, alors qu’un traitement antibiotique (qui élimine donc le microbiote parkinsonien) les améliore. Chez l’Homme, des études épidémiologiques suggèrent que l’ablation de l’appendice (le plus souvent lors d’une appendicite) pourrait avoir un rôle protecteur concernant la maladie de Parkinson. Enfin, un tel effet protecteur a aussi été mis en évidence après le traitement (antibiotique) des infections à Helicobacter Pylori, une bactérie fréquemment présente dans nos estomacs et responsable de douloureux ulcères !

Le rôle du microbiote dans la physiopathologie de la maladie de Parkinson s’inscrit parfaitement dans l’hypothèse de Braak, qui fait débuter l’agrégation anormale d’AS au niveau du système nerveux entérique. Cette explication est appuyée par plusieurs études qui impliquent le nerf vague, qui connecte le système nerveux entérique et central, dans la transmission des agrégats d’AS. Ces études sont cependant peu convaincantes et nous devons prendre leurs conclusions avec beaucoup de précautions.

S’il semble exister une corrélation entre la composition du microbiote et l’alphasynucléinopathie de type Parkinson, la causalité, telle que proposée par Braak et ses collègues, est plus difficile à établir. En effet, du fait de l’énorme redondance des espèces microbiennes, il est difficile d’attribuer une fonction spécifique à chaque bactérie du microbiote. De plus, nous n’avons pas encore identifié toutes les espèces de bactérie présentes, sans compter les virus et autres Archées que nous ne connaissons que très peu, car ils sont très difficiles à étudier.

Certains chercheurs pensent que la maladie de Parkinson pourrait trouver sa source au sein du microbiote via un mécanisme de mimétisme moléculaire. Ce concept repose sur de fortes ressemblances entre des substances exogènes/étrangères (ADN, ARN ou protéines provenant de bactéries ou virus) et endogènes (c’est-à-dire de notre organisme). Le but de ce mimétisme serait, pour la bactérie, d’échapper à une pression de sélection pour pouvoir survivre au sein de l’organisme qui l’héberge.

En effet, le système immunitaire de notre organisme est très doué pour reconnaître ce qui ne nous appartient pas. Grâce à ses récepteurs, il scrute notre organisme et active ses défenses dès qu’il croise une molécule inconnue (par exemple, une protéine membranaire d’une bactérie). Une réponse immune équilibrée au niveau du système digestif est capitale pour maintenir l’harmonie du microbiote : il faut réussir à contrôler sa population microbienne sans pour autant la supprimer complètement, car son rôle est essentiel à notre organisme !

Pour échapper aux sbires du système immunitaire, certaines bactéries ont donc cherché à copier les protéines humaines. Au sein du microbiote, certaines bactéries produisent une protéine, appelée Curli, dont le repliement est semblable à l’AS pathologique. Même si elle est présente en faible abondance, elle pourrait constituer un point de départ de la maladie. Une greffe fécale de telles bactéries productrices de Curli chez des souris à risque de Parkinson déclenche l’agrégation d’AS au niveau des intestins ainsi qu’une inflammation au niveau cérébral. Cette neuro-inflammation favorisant l’agrégation anormale d’AS, et l’AS pouvant être reconnu (à tort) comme la protéine bactérienne anormale par le système immunitaire, c’est un véritable cercle vicieux qui se met en place dans le cerveau de ces souris !

Ces expériences mettent en évidence le rôle de l’inflammation dans la pathogénie de Parkinson. Si une telle réaction inflammatoire est sous-tendue directement par l’AS, elle peut l’être aussi par d’autres composants bactériens produit au niveau du microbiote intestinal. Ainsi, le LPS, une protéine constituant la coque protectrice des bactéries, provoque une réaction inflammatoire aussi bien dans l’intestin que dans le cerveau, favorisant l’agrégation d’AS. De la même manière, le butyrate provoque une neuro-inflammation, l’agrégation d’AS et des troubles moteurs caractéristiques de la maladie de Parkinson. Il est intéressant de noter qu’un tel effet n’est pas observé in vitro ni chez les souris traitées par des anti-inflammatoires, suggérant un rôle causal de l’inflammation dans ces processus.

Le microbiote pourrait donc avoir de multiples rôles dans la maladie de Parkinson. Via un mécanisme de mimétisme moléculaire, il pourrait être à l’origine du repliement anormale de l’AS présente sur place. Ces agrégats d’AS se propageraient ensuite, à la manière d’un prion, via le nerf vague pour toucher le tronc cérébral puis le reste des structures cérébrales. Au niveau du cerveau, le microbiote pourrait favoriser une neuro-inflammation qui catalyserait la propagation de l’AS pathologique !

Une hypothèse alternative [11]

Il existe donc, à première vue, de nombreuses similitudes entre les maladies à prions telles que décrites par Prusiner et la maladie de Parkinson, en particulier la capacité de l’AS à catalyser sa propre déformation pour former des repliements pathologiques. Il existe cependant quelques différences notables qu’il est important de relever.

Chez les études animales, l’injection d’AS pathologique en périphérie ne déclenche pas de maladie de Parkinson, contrairement à l’injection de PrP qui, elle, déclenche rapidement le kuru puis la mort des souris. Pour être plus précis, cela est vrai pour les souris normales, mais pas pour les souris « à risque » de synucléinopathie. Chez ces dernières, tout comme les injections intracérébrales, l’injection d’AS en périphérie déclenche l’agrégation d’AS au sein du système nerveux central et les symptômes qui vont avec. Par ailleurs, l’interprétation de ces études est limitée. En effet, la quantité d’agrégats d’AS injectée est démentielle comparée aux concentrations que l’on observe chez les patients parkinsoniens. Il se pourrait donc que l’on force artificiellement le système, en simulant une propagation de type prion-like qui n’existe pas en réalité.

Une autre différence importante entre AS et PrP repose sur les formes familiales de la maladie, que l’on retrouve dans la maladie de Parkinson mais pas dans la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Chez certains patients, la duplication du gène SNCA (qui code l’AS) majore considérablement le risque de maladie de Parkinson et provoque une apparition des premiers symptômes beaucoup plus précoce. On n’observe pas de tel phénomène dans la maladie de Creutfleft-Jakob ou d’autres maladies à prion. Une telle différence s’expliquerait peut être par la létalité élevée (supposée) d’une duplication du gène PNRP (codant la protéine PrP) qui entraînerait la mort dès les premiers stades embryonnaires.

Enfin, et c’est peut être la critique la plus forte du modèle prion de la maladie de Parkinson, nous n’avons aucune preuve solide à l’heure actuelle d’une transmission de la maladie entre humains ! Il s’agit pourtant d’une caractéristique centrale, inscrite dans la dénomination même du prion ! Alors que nous savons que le kuru se transmettait via les rituels anthropophages des Fores, et que le tristement célèbre scandale des hormones de croissance a montré une telle propagation de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'Homme, il n’existe aucune preuve épidémiologique à l’heure actuelle concernant la maladie de Parkinson. Cela est peut-être dû à une incubation particulièrement longue de la maladie.

A la lumière de ces différences, nous pouvons donc conclure que la maladie de Parkinson ne peut être, à l’heure actuelle, considérée comme une maladie à prion. Malgré une propagation de l’AS pathologique de type prion-like, et certaines caractéristiques communes, l’absence de transmission interhumaine constitue une différence majeure et rédhibitoire à l’heure actuelle.

Il faut aussi noter que l’hypothèse de Braak, au sein de laquelle la propagation de type prion s’inscrit, est elle aussi critiquée, comme nous l’évoquions dans un article précédent. Une propagation ascendante de ce type n’expliquerait que certains cas de maladie de Parkinson. Au contraire, certains patients présentent une évolution descendante de la maladie [14]. Certaines études pointent aussi une discordance entre la présence d’agrégats d’AS, plus importants dans l’estomac que dans le colon, et la clinique (la constipation trouvant sa source au niveau du colon et pas de l’estomac).

Si l’hypothèse d’un mécanisme prion-like est retenue par un grand nombre de chercheurs (dont le grand Prusiner) et motive un grand nombre d’études, d’autres scientifiques ont émis des hypothèses alternatives pour expliquer la propagation de l’AS pathologique dans l’organisme. Par exemple, des scientifiques israéliens et américains ont proposé, en 2017, une théorie dite du seuil.

Cette hypothèse bas en brèche toute propagation de type prion de l’AS pathologique, et affirme qu’un tel phénomène est présent de manière bien plus générale au niveau du système nerveux. Les symptômes cliniques observés, et notamment les prodromes intestinaux, s’expliqueraient en fonction de deux paramètres : la vulnérabilité intrinsèque du neurone et la réserve fonctionnelle du réseau dont il fait partie.

Comme nous l’avons vu dans un article précédent, certains neurones semblent plus à risque d’accumulation d’AS que d’autres. Les neurones non myélinisés, qui doivent donc dépenser plus d’énergie pour transmettre les influx nerveux, semblent plus sensible que les neurones myélinisés. Le nerf vague, peu myélinisé, est un exemple type sur lequel Braak s’appuyait pour défendre son hypothèse et expliquer une apparition plus précoce au niveau du système nerveux entérique. Cependant, et à la différence notable du système nerveux central, l’agrégation d’AS à ce niveau ne provoque pas de mort neuronale, ce qui n’empêche pas d’en altérer le fonctionnement, probablement à l’origine des symptômes intestinaux de la maladie de Parkinson.

Le critère principal permettant d’expliquer la progression de la maladie résiderait, selon ces chercheurs, par la réserve fonctionnelle des neurones touchés. On ne peut pas s’intéresser à chaque neurone particulier sans considérer le réseau neuronal dont il fait partie. La densité peut être très variable : au niveau du système nerveux central, et en particulier au niveau du striatum, il existe une très grande densité de ces réseaux à l’origine d’une forte redondance et de possible mécanismes compensatoires si certains neurones sont détruits. Ce n’est pas le cas du système nerveux entérique. Ainsi donc, l’agrégation d’AS, concomitante au sein du système nerveux entérique et central, aura un impact très différent, en entraînant une défaillance du système plus précoce au niveau entérique ! Cela expliquerait les symptômes intestinaux précoces. Cette explication est aussi concordante avec le fait que les symptômes moteurs n’apparaissent qu’après la disparition de 70 % des neurones dopaminergiques au niveau du striatum. Dans cette conception de la maladie, le symptôme ne dépend pas uniquement de la défaillance neuronale due à l’agrégation d’AS, mais surtout du réseau dans lequel le neurone en question s’insère !

Selon ces mêmes chercheurs, l’agrégation anormale d’AS n’est pas directement responsable de la mort neuronale. Nous savons en effet que l’AS peut activer les cellules gliales, ayant pour conséquence le déclenchement d’une réaction inflammatoire cérébrale toxique pour les neurones environnants. Cette étiologie est supportée par un certain nombre de cas de maladie de Parkinson post-encéphalite (c’est-à-dire une inflammation cérébrale globale) ou post-traumatique (pensez à Mohammed Ali!). Cette hypothèse est aussi appuyée par les études portant sur le LPS bactérien dont nous parlions plus tôt, qui est capable de déclencher la maladie en stimulant l’inflammation et non pas (directement) l’agrégation d’AS.

Le dernier élément de discorde entre partisan de la propagation de type prion et la théorie du seuil repose sur un traitement révolutionnaire et en plein essor : la greffe de neurones. Depuis 30 ans, certains chercheurs tentent de guérir les malades parkinsoniens en leur greffant de nouveaux neurones dopaminergiques au niveau du striatum. Quelques études ont été menées et montrent une efficacité variable de cette technique. Un suivi au long court de ces patients a été mis en place, et des autopsies ont été réalisées à leur mort. Ces autopsies ont mis en évidence des agrégats d’AS au niveau du greffon, appuyant la théorie de la propagation prion-like de l’AS pathologique : les neurones du greffon ont ainsi été contaminé par les neurones adjacents ! Cependant, de tels agrégats pourraient provenir d’une réaction inflammatoire du greffon (que l’on observe lors de toute greffe) et donc aller dans le sens de la théorie du seuil ! Ainsi donc, ces données ne nous permettent pas de conclure sur la véracité de l’une ou de l’autre hypothèse.

On pourrait penser que ces différentes approches ne sont qu’un débat de spécialistes sans rapport avec la réalité des malades. Cependant, elles aboutissent à des approches thérapeutiques complètement opposées. Selon la théorie de Braak, l’agrégation de l’AS est au centre de la physiopathologie parkinsonienne : il faut donc la freiner au mieux ! Pour cela, des médecins tentent de mettre en place des immunothérapies permettant d’orienter notre système immunitaire contre ces agrégats pour les détruire. Au contraire, selon la théorie du seuil, le mécanisme toxique est centré sur l’inflammation cérébrale : une immunothérapie, qui peut la stimuler, pourrait donc être délétère ! Cela reste très théorique à l’heure actuelle, mais les supporters de la théorie du seuil ne manquent pas de souligner les effets indésirables graves de certaines immunothérapies testées dans la maladie d’Alzheimer, en particulier certains cas d’encéphalite et d’œdème cérébral très grave.

La vérité se trouve probablement entre ces deux théories. Nous ne pouvons pas nier la capacité de l’AS pathologique de diffuser de façon prion-like in vitro et in vivo. Mais ce type de propagation n’est sûrement pas retrouvée chez tous les malades, et n’explique pas tous les symptômes. La maladie de Parkinson est un ensemble hétérogène de pathologies qui partagent des caractéristiques communes (en particulier la mort des neurones dopaminergique au niveau du tronc cérébral) mais qui peuvent avoir des étiologies, et donc des mécanismes physiopathologiques très différents. Ce n’est que l’accumulation d’études bien construites sur le sujet qui nous permettra d’y voir plus clair !

SOURCES :

- [1] : Tamgüney, Gültekin, and Amos D. Korczyn. "A critical review of the prion hypothesis of human synucleinopathies." Cell and tissue research 373.1 (2018): 213-220.

- [2] : Steiner, Jennifer A., Emmanuel Quansah, and Patrik Brundin. "The concept of alpha-synuclein as a prion-like protein: ten years after." Cell and tissue research 373.1 (2018): 161-173.

- [3] : McCann, Heather, Heidi Cartwright, and Glenda M. Halliday. "Neuropathology of α‐synuclein propagation and braak hypothesis." Movement Disorders 31.2 (2016): 152-160.

- [4] : Braak, Heiko, et al. "Idiopathic Parkinson's disease: possible routes by which vulnerable neuronal types may be subject to neuroinvasion by an unknown pathogen." Journal of neural transmission 110.5 (2003): 517-536.

- [5] : Sampson, Timothy R., et al. "Gut microbiota regulate motor deficits and neuroinflammation in a model of Parkinson’s disease." Cell 167.6 (2016): 1469-1480.

- [6] : Cryan, John F., et al. "The microbiota-gut-brain axis." Physiological reviews (2019).

- [7] : Miraglia, Fabiana, and Emanuela Colla. "Microbiome, Parkinson’s disease and molecular mimicry." Cells 8.3 (2019): 222.

- [8] : Shannon, Kathleen, and Pieter Vanden Berghe. "The enteric nervous system in PD: gateway, bystander victim, or source of solutions." Cell and tissue research 373.1 (2018): 313-326.

- [9] : Liu, Bojing, et al. "Vagotomy and Parkinson disease: A Swedish register–based matched-cohort study." Neurology 88.21 (2017): 1996-2002.

- [10] : Borghammer, Per, and Nathalie Van Den Berge. "Brain-first versus gut-first Parkinson’s disease: a hypothesis." Journal of Parkinson's disease 9.s2 (2019): S281-S295.

- [11] : Engelender, Simone, and Ole Isacson. "The threshold theory for Parkinson's disease." Trends in neurosciences 40.1 (2017): 4-14.

- [12] : Parmar, Malin, Shane Grealish, and Claire Henchcliffe. "The future of stem cell therapies for Parkinson disease." Nature Reviews Neuroscience 21.2 (2020): 103-115.


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- By Henry Vandyke Carter - Henry Gray (1918) Anatomy of the Human Body (See "Book" section below)Bartleby.com: Gray's Anatomy, Plate 793, Public Domain, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=526636