Espace : quel effet sur notre cerveau ?



Le 6 juillet 1976, deux cosmonautes, décollent de Baïkonur à bord d’un vaisseau Soyouz. Leur mission est de s’amarrer à la station spatiale russe Salyout 5 et d’y mener un certain nombre d’expériences scientifiques et militaires. Cependant, le 17 août, les deux hommes sentent une forte odeur âcre dans la station. Craignant une intoxication, la mission avorte quelques jours plus tard et les deux cosmonautes rentrent sain et sauf sur Terre. L’enquête menée ne révélera aucune anomalie, et les rapports russes et américains concluront à une hallucination olfactive.

Les séjours dans l’espace peuvent avoir un impact important sur la santé mentale des astronautes. Dans les années 80, c’était un ingénieur américain, obsédé pendant des jours par une trappe du vaisseau, qui avait déclaré à ses coéquipiers : « Et donc, si je l’ouvre, tout l’oxygène part du vaisseau ? ». Le reste de l’équipage s’était empressé de verrouiller la trappe en question !

Quelles sont les répercussions des missions spatiales sur la santé mentale et sur le cerveau ? Qu’a-t-on appris des séjours prolongés d’hommes et de femmes dans la station Mir ou l’ISS ? Comment peut-on utiliser ces connaissances dans l’optique d’un futur voyage vers Mars ?

L’enfer, c’est les autres


Les missions spatiales sont des événements extrêmement stressant, au cours desquels alternent des périodes d’inactivité totale et de travail frénétique. Ce stress peut avoir des conséquences à la fois sur la qualité de vie des astronautes à bord, mais aussi sur leurs performances et sur la sécurité de l’équipage. La pression sur leurs épaules est majeure à chaque instant, tant chaque erreur peut compromettre l’ensemble de la mission.

Les expériences psychosociologiques sont très difficiles à réaliser lors des missions spatiales, que ce soit pour des raisons politiques ou méthodologiques. Le nombre de sujets étudiés est très restreint, fragilisant les conclusions que nous pouvons en tirer. Heureusement, certains environnements terrestres paraissent être de bons modèles sur lesquels se baser. En particulier, les différentes expéditions polaires présentent de nombreuses similitudes avec les missions spatiales : un environnement inhospitalier, un danger permanent, un isolement complet prolongé et une autonomie majeure nécessaire en cas d’incident. Les données issues de ces expériences sont bien plus nombreuses et leurs conclusions plus robustes. Cependant, il faut être extrêmement prudent avec leur extrap(ô)lation aux missions spatiales. Des différences majeures existent entre ces deux environnements, en particulier l’absence d’apesanteur. La psychologie de la terre ferme n’est pas celle de l’espace !

Il ressort de ces études que le fonctionnement de l’équipage détermine souvent le succès ou l’échec de la mission. Elles aident tout d’abord à dresser un profil type du parfait astronaute : il devrait être très tolérant à la frustration, avec une personnalité plutôt introvertie et des capacités d’adaptation importantes. Elles ont aussi permis d’étudier de près les interactions au sein d’une équipe, et de développer des techniques pour résoudre les conflits. Elles ont enfin permis de détecter deux périodes critiques au cours desquelles les tensions au sein de l’équipage sont maximales : à la moitié et lors des derniers jours de la mission. Elles mettent en évidence des symptômes dépressifs et anxieux parfois marqués, et rythmés par les saisons. Mais cette expérience peut aussi être décrite comme très positive.

L’intérêt porté à la dimension psychologique et sociale des voyages spatiaux a aussi été grandement influencée par les politiques publiques, les projets spatiaux et même les normes psychosociales [1]. La NASA par exemple, après s’être intéressé à ce domaine dans les années 50 et 60 lors du programme Mercury, l’a ensuite délaissé pendant près de 30 ans. Il n’était alors pas question de bien-être, mais plutôt de trouver les hommes qui étaient suffisamment endurant et résilient pour supporter la pression colossale d’une telle mission. L’enjeu résidait à maintenir des performances optimales malgré la solitude, le confinement et les tensions entre membres de l’équipage. Sur le plan psychologique, la sélection reposait sur des critères d’exclusion (de troubles psychiatriques) plutôt que sur des critères d’inclusion (de personnalités adaptées à ce type de mission).

L’abandon de recherches sur la psychologie de l’espace s’explique en partie par l’interdiction d’expérience psychosociale à bord des vaisseaux, motivée par la crainte des astronautes d’une influence délétère sur leur carrière si ces données étaient publiées. L’abandon des études dans ce domaine repose aussi sur les décisions politiques et le choix de projets spatiaux d’envergure. Alors qu’aux Etats-Unis, on mise sur la navette spatiale depuis les années 70, en Russie, on développe à ce moment là plusieurs générations de stations orbitales. Les missions russes, de longue durée pour la plupart dans un environnement très exigu, les ont donc poussé à s’intéresser beaucoup plus tôt que les américains à la psychologie spatiale. Ces derniers commenceront à s’y intéresser lors de leurs séjours à bord de la station russe Mir.

Plusieurs études ont porté sur les hommes et femmes qui ont séjourné dans la station Mir ou dans l’ISS [2]. Elles rapportent une évolution du comportement des membres d’équipage, qui deviennent plus égocentriques au fur et à mesure de la mission, et tendent à moins communiquer avec l’équipe au sol. Ces interactions avec le Mission Control sont cependant capitales à la réussite de la mission. En 1973, lors de la mission américaine Skylab 4, une violente dispute éclata entre l’équipage du vaisseau et le centre de contrôle. Les astronautes leur reprochent une trop grande rigidité de la gestion de leur emploi du temps surchargé. Ils coupent alors toute communication avec la Terre pendant une journée entière ! La NASA retiendra la leçon et incorporera désormais des temps de repos réguliers dans l’emploi du temps des astronautes en mission.
ISS

L’impact psychologique peut différer en fonction des cultures et du pays d’origine. Ainsi, les astronautes américains éprouvent une plus grande pression au travail que leurs homologues russes. Avec la fin de la guerre froide et la nécessité de coopérations internationales pour les missions spatiales actuelles, hommes et femmes de différentes cultures sont amenés à cohabiter au sein des stations spatiales (et en premier lieu l’ISS). Cette cohabitation peut être source de conflits au sein de l’équipage.

Une analyse des journaux de bords de 10 astronautes de l’ISS ont mis en évidence que les conflits entre membres de l’équipage augmentaient de 20 % au cours de la deuxième moitié de la mission. Cependant, de l’aveu des astronautes, la vie dans la station s’est révélé moins difficile que ce qu’ils avaient imaginé (redouté) avant leur départ.

Les missions spatiales peuvent aussi avoir un impact très positif sur la santé mentale des astronautes, qui décrivent souvent des expériences religieuses ou transcendantales marquantes à la vue de notre planète. Certains se prennent de passion à photographier la Terre depuis un hublot, comme Valentin Lebedev et plus récemment Thomas Pesquet, et en tirent un profond sentiment de bien-être.
Cupola de l'ISS

L’apesanteur en soit peut aussi avoir un impact sur le moral et la santé. De nombreux astronautes ont expérimentés au début de leur voyage le fameux « mal de l’espace », qui se caractérise par des nausées, des maux de tête, voire même une désorientation (certains astronautes se perdent dans l’ISS!). Expérimenté pour la première fois par le russe Guerman Titov en 1961, ce syndrome touche près le 75 % des astronautes au cours des premiers jours en impesanteur, avant de disparaître spontanément. Les symptômes sont extrêmement désagréables, peuvent entraîner un arrêt temporaire de toute alimentation solide et avoir une répercussion importante sur le moral. L’apesanteur est aussi connue pour favoriser l’apparition de calculs urinaires car l’urine a tendance à stagner au niveau du rein. Les astronautes sont donc plus à risque de colique néphrétique (lorsque l’uretère se bouche à cause d’un calcul), une pathologie dont la douleur extrême peut provoquer une agitation ou une confusion importante… posant la question d’un diagnostic différentiel psychiatrique.

Home, sweet home


L’expérience d’un voyage dans l’espace marque profondément et durablement les astronautes. A leur retour sur Terre, nombreux sont ceux qui notent un changement de leur vie quotidienne. Ils développent une conscience écologique et un universalisme plus marqués. Certains chercheurs notent une diminution des troubles anxieux et dépressifs chez des cosmonautes jusqu’à plusieurs années après leur retour sur terre, probablement du au développement de capacités d’adaptation importantes au cours de leur mission. Pour le dire plus simplement, ils ont déjà subit tellement de pression et d’anxiété que tout leur paraît plus simple désormais !

Mais le retour sur Terre peut aussi s’avérer plus difficile. En 2007, une femme nommée Lisa Nowak a tenté d’assassiner un capitaine de l’US Air Force à l’aéroport d’Atlanta. L’affaire avait passionné l’opinion publique, et pour cause : Lisa Nowak venait de voyager, quelques mois plus tôt, à bord de la navette spatiale Discovery et de l’ISS. Un diagnostic de dépression avec caractéristiques psychotiques fut posé. Cette affaire déclencha une prise de conscience au sein de la NASA qui entreprit au cours des années suivantes plusieurs évaluations de la santé mentale de ses astronautes. Aujourd’hui, l’état psychologique des habitants de l’ISS est évalué toutes les deux semaines par un psychiatre, puis régulièrement après leur retour sur Terre.

Seul sur Mars


Nous avons beaucoup apprit ces dernières décennies sur l’impact psychologique d’un séjour prolongé en apesanteur. Cependant, le plus long séjour dans l’espace ne dépasse pas les 14 mois, et seulement 4 hommes ont déjà passé plus d’un an dans l’espace. C’est énorme, mais ce n’est rien comparé aux deux ans de voyage d’une mission martienne. Au plus proche, la Terre et Mars sont distantes de plus de 56 millions de kilomètres. A comparer aux modestes 300 000 kilomètres séparant la Terre de la Lune… Nous saurons bientôt fabriquer des fusées d’une puissance monstrueuse rendant possible les voyages inter-planétaires. Mais il nous est difficile voir impossible de prédire comment se comportera un équipage au cours d’un voyage aussi long et périlleux. La principale inconnue du voyage martien réside dans le cerveau humain !

L’étude des expéditions scientifiques en Antarctique, que nous avons déjà évoqué, peuvent être d’une grande aide dans notre préparation d’un voyage inter-planétaire. Cependant, la durée maximale de ces études ne dépassent pas 1 an, soit à peine de quoi faire un aller simple pour la planète rouge...

Afin d’évaluer l’impact psychologique d’un isolement aussi long, des chercheurs russes ont lancé un projet fou au début des années 2010 : recréer sur Terre un pseudo-vaisseau dans lequel un équipage de six personnes resteraient confinées pendant 17 mois (mesurez l’exploit réalisé par ces hommes, quand nous avons déjà du mal à rester confiné plus de deux mois chez nous!) en simulant un voyage vers Mars. Pendant toute la simulation, les membres d’équipage ont été isolés du cycle jour/nuit terrestre et des expériences scientifiques leur ont été confiées. On mesurait en temps réel leur activité grâce à une montre connectée et les scientifiques pouvaient évaluer chaque semaine l’évolution de leur comportement ainsi que la qualité de leur sommeil et leur fatigue [4]. Ils ont mis en évidence une diminution rapide de l’activité au début de la mission, avec par la suite une stabilisation au cours des mois suivants, puis d’une nouvelle chute dans le troisième quart-temps, avant de brutalement augmenter quelques jours avant la fin de la mission. Les membres d‘équipage expliquaient cette augmentation par l’anticipation de la sortie du vaisseau. Le temps de repos et de sommeil suivaient des variations opposées : il était en moyenne de moins de 7h en début de mission (pouvant d’ailleurs être problématique, car potentiellement à l’origine de moins bonne performances cognitives) et augmentait en moyenne d’une heure au cours du voyage.

Globalement, le cycle circadien des sujets n’étaient pas affecté [5]. Notre horloge interne est naturellement réglée sur des journées de 24h10, soit légèrement plus qu’une journée terrestre. Seul un membre d’équipage s’éloigna significativement de cette limite (il avait un cycle d’environ 25h). Cette exception pouvait s’expliquer par des couchers très tardifs avec une exposition prolongée à la lumière, entraînant un retard d’endormissement conséquent. Ainsi donc, il existait une désynchronisation de ce sujet avec les autres membres d’équipage, ce qui peut être problématique lors d’une vraie mission !

Aucun trouble psychiatrique majeur n’a été relevé au cours de la mission excepté des épisodes dépressifs répétés chez l’un des sujet, d’intensité modérée et pour la plupart lors de la deuxième moitié de la mission [4]. Ces troubles n’étaient pas sans conséquences, 85 % des conflits au sein de l’équipage impliquant les deux sujets les plus angoissés. Globalement, seuls 2 des 6 membres d’équipage n’ont pas souffert de problème de sommeil et n’ont pas eu de retentissement psychologique.

De plus, la complexité d’une mission vers Mars rendrait nécessaire une coopération internationale de grande ampleur. Il y a donc tout à parier que l’équipage sera multi-culturel, pouvant renforcer les tensions au quotidien.

Et la durée prolongée d’isolement ne serait pas le seul problème d’un voyage vers la planète rouge. Le séjour en orbite terrestre permet une communication rapprochée et facile avec la Terre, que ce soit avec le centre de contrôle ou avec les proches. Les délais de communication varient proportionnellement avec la distance par rapport à la Terre. Ainsi, s'il est quasiment nul en orbite terrestre, il faudra attendre 45 minutes aux astronautes martiens pour avoir la réponse à leur appel ! De quoi majorer grandement leur sentiment d’isolement par rapport à leur proches, mais aussi leur solitude face aux problèmes et dangers qu’ils peuvent rencontrer, qu’ils devront donc résoudre sans la moindre aide immédiate. En deux ans et demi, outre les problèmes techniques, comment ne pas être sur qu’un des passagers n’aura pas besoin d’une intervention chirurgicale ou d’une prise en charge médicale ou psychologique urgente ?

Enfin, si la vue de la Terre depuis l’espace procure un sentiment de bien-être profond chez l’immense majorité des astronautes, nous ne pouvons pas imaginer leur réaction psychologique… lorsqu’ils ne la verront plus. Lorsque la terre ne sera qu’un infime point bleu dans la voûte céleste. C’est pour cette raison que certains psychologues spécialisés préconisent d’installer un télescope dans le vaisseau spatial afin de maintenir ce fragile lien vers la planète mère.

Il sera donc capital d’anticiper tous ces troubles et de prévenir leur apparition en amont. La NASA prend ce problème très au sérieux et mène plusieurs programmes de recherche dans ce sens. Cette prévention passe tout d’abord par une sélection efficace des futurs astronautes, basé sur leurs capacités psychologiques et sociales. Il s’agit de sélectionner des individus particulièrement résilients, c’est à dire résistants aux facteurs de stress, tout en ayant les capacités d’empathie et de solidarité nécessaire à la bonne cohésion de l’équipe. Cette prévention se base aussi sur un développement au sol et au cours du voyage d’un programme d’entraînement destiné à augmenter cette résilience ainsi qu’à apprendre les bonnes attitudes en cas de conflit (une stratégie appelée copping). Enfin, l’expérience des stations orbitales et les données issues des expériences de simulation au sol permettent de concevoir des habitats adaptés aux séjours spatiaux prolongés.

Quels effets sur notre cerveau ?


Si les séjours prolongés dans l’espace peuvent avoir un impact important sur la santé mentale, leurs effets peuvent aussi se voir très concrètement sur la structure même de notre cerveau. Les études sur le sujet sont peu nombreuses et portent sur de très petits échantillons. Les limitations méthodologiques sont importantes : essayez donc de réaliser une IRM dans l’ISS !

On a donc développé des équivalents terrestres de l’apesanteur spatiale, à l’instar des études de psychologie dont nous avons parlé plus tôt. Parmi ces modèles, on peut notamment citer les études d’immersion, au cours desquelles on immerge un sujet dans une immense cuve, la poussée d’Archimède mimant l’apesanteur, ou encore les vols paraboliques « 0g », qui permettent de reproduire fidèlement une apesanteur totale pendant quelques secondes.
Expérience d'immersion en cuve.

L’EEG permet de mesurer de façon très précise l’activité électrique de notre cerveau. On obtient un tracé sur lequel on peut discerner plusieurs types d’ondes. Par exemple, l’activité cérébrale lorsque nous fermons les yeux se caractérise par des ondes alpha, qui représentent l’activité du cortex visuel mis au repos. Ces ondes alpha disparaissent lorsqu’on ouvre les yeux. Votre activité cérébrale actuelle ressemblerait plutôt à un agglomérat d’ondes bêta, qui caractérisent le fonctionnement conscient normal du cerveau actif et éveillé.
Tracé d'un EEG

Les études d’EEG [6] réalisées en apesanteur révèlent une augmentation des ondes alpha au niveau du cortex sensorimoteur et pariéto-occipital en rapport avec une diminution de l’afflux d’informations sensorielles provenant du corps. Au contraire, il existe une diminution des ondes alpha au niveau du cervelet et du système vestibulaire, impliqués dans la coordination motrice et la stabilisation de la posture. En effet, en apesanteur, les informations posturales, si importantes pour notre lutte continuelles contre la pesanteur terrestre, deviennent anarchiques, et le cerveau, dans son habitude de toujours trouver de la cohérence, essaye de rendre tout cela logique… en vain ! Des études réalisées lors de vols paraboliques retrouvent une diminution des ondes bêta, pouvant expliquer une réaction émotionnelle intense à l’apesanteur soudaine.
Lobes cérébraux.
Lobes frontal (bleu), temporal (vert), pariétal (jaune) et occipital (rouge). Le cervelet n'est pas colorisé.

D’autres expériences, basées sur l’imagerie par IRM, ont été réalisées chez l’Homme en vue de déterminer les changements morphologiques de notre cerveau au cours d’un voyage dans l’espace. Les effets de l’apesanteur sur notre corps sont étonnants. Par exemple, on observe une répartition bien différente des fluides corporels dans l’espace.

En 2017, une brillante étude publiée dans le prestigieux New England Journal Of Medicine [7] a utilisé l’imagerie IRM afin de déterminer les changements morphologiques que subissait le cerveau pendant un séjour prolongé dans l’espace. Pour cela, les chercheurs ont comparé les IRM avant la mission et après le retour sur Terre. Ils ont mis en évidence une augmentation du volume des ventricules cérébraux, des structures qui contiennent le liquide céphalo-rachidien. En conséquence, tout se passait comme si le cerveau était comprimé contre le crâne par ces ventricules, aboutissant à une augmentation de la pression intracrânienne. Cette surpression n’est pas sans conséquence : elle entraîne des troubles visuels qui peuvent persister plusieurs années après le retour sur Terre ! En effet, l’augmentation de la pression intracrânienne empêche d’une part le drainage sanguin des yeux et aboutir à une souffrance oculaire, et d’autre part comprimer le nerf optique pouvant entraîner des troubles de la vision. L’accumulation de liquide céphalo-rachidien proviendrait d’une légère bascule du cerveau en apesanteur, empêchant sa résorption et donc facilitant son accumulation dans les ventricules. La surpression engendrée serait majorée par la volume sanguin cérébral plus important en apesanteur. Plusieurs astronautes durent subir une ponction lombaire à leur retour afin d’évacuer le liquide excédentaire. Une récente étude a même montré que ces anomalies persistaient au moins 1 an après le retour sur Terre [8] !
Coupe de cerveau humain mettant en évidence les ventricules cérébraux. Ces derniers servent d'armature au cerveau. Mais ils peuvent comprimer le cerveau contre la voûte crânienne s'ils prennent du volume !

L’IRM permet aussi de mesurer la connectivité entre les différentes régions cérébrales. La seule étude portant sur de véritables astronautes (enfin, sur un véritable astronaute) a mis en évidence une diminution de la connectivité entre le système vestibulaire et l’insula au cours de la mission, en lien avec la privation sensorielle et vestibulaire en apesanteur. D’autres études au cours d’expériences d’immersion ont montré une diminution de la connectivité du gyrus angulaire droit avec le reste du cerveau. Cette découverte est intéressante car cette région est impliquée dans l’intégration des différentes informations sensorielles en un tout cohérent, mais aussi dans des activités cognitives.

Comme toujours, il faut prendre ces informations avec prudence et réserve, car les études qui les portent présentent de nombreux défauts. L’activité électrique cérébrale peut être influencée par de très nombreux facteurs et il est difficile d’affirmer que les changements décrits sont en lien avec l’apesanteur uniquement. Comme pour les études précédentes (et même encore plus), elles reposent sur de petits échantillons du à la difficulté technique de réaliser ces expériences. En particulier pour les IRM, il est difficile de les réaliser dans les heures suivant le retour sur Terre, et il n’est donc pas exclu que les changements visualisés sont faussés par une ré-adaptation du cerveau à la pesanteur terrestre.

Si on veut étudier les changements cérébraux au niveau cellulaire, il faut se tourner vers les modèles animaux [9, 10]. Si plusieurs agences spatiales ont tenté (et réussi) d’envoyer des souris dans l’espace, ils n’ont fait qu’analyser leur comportement, sans disséquer leur cerveau. Ces études n’ont pour la plupart pas la rigueur nécessaire pour tirer de solides conclusions : le taux de mortalité était particulièrement élevé (50% des souris) et la méthodologie d’analyse comportementale peu objective. Cependant, la NASA a pu effectuer une étude plus rigoureuse en 2019, portant sur une dizaine de souris ayant passé 50 jours en orbite à bord de l’ISS.

L’immense majorité de nos connaissances d’un séjour dans l’espace au niveau cellulaire provient donc… de la Terre. Plusieurs équipes ont simulé en laboratoire les rayonnements cosmiques auxquels sont soumis les astronautes en orbite basse. Ils observaient, après irradiation de souris, de plus grandes difficultés cognitives et en particulier en mémoire spatiale, dans la capacité à reconnaître les objets et même pour les interactions sociales. Ces troubles cognitifs et comportementaux étaient corrélés à une dysfonction du cortex préfrontal et de l’hippocampe. Ces anomalies étaient associées à une destruction des synapses, ces connexions entre deux neurones qui leur permet de communiquer.

Ces expériences ont aussi mis en évidence une majoration de l’inflammation cérébrale, liée en grande partie par une suractivation de la microglie qui correspond aux cellules immunitaires présentes dans notre cerveau. Cette neuroinflammation, associée à une dysfonction des mitochondries neuronales à l’origine d’un stress oxydatif toxique, était encore majorée par des anomalies de la barrière hémato-encéphalique. Cette dernière protège le cerveau des dangers véhiculés par la circulation sanguine (bactéries, substances neuro-toxiques...). Son altération majore donc d’autant plus le risque d’agression et donc l’inflammation cérébrale. L’ensemble de ces paramètres se combinant dans un cercle vicieux inflammatoire, probablement à l’origine de la destruction synaptique et neuronale observée précédemment.

Ces études chez la souris sont passionnantes, mais leurs conclusions doivent être prudentes pour deux raisons. Tout d’abord, elles portent toutes sur de jeunes souris mâles soumises à la gravitation terrestre. Un modèle imparfait donc d’un astronaute humain (40 % de femmes de nos jours) d’âge moyen en orbite basse ! Ensuite, ces études ciblent en particulier l’effet des radiations cosmiques. Cependant, les astronautes en mission sont soumis à beaucoup d’autres contraintes, comme la microgravité et l’isolement social, qui ont montré leur effet sur les structures cérébrales et en particulier sur les dendrites et synapses. D’autres études sont donc nécessaires pour étudier les interactions entre ces phénomènes.

Enfin, dans l’optique d’un futur voyage inter-stellaire, nous devons envisager les effets d’un tel rayonnement sur le cerveau d’un enfant. En effet, ces voyages seront nécessairement multigénérationnels. Au delà des questions sociétales et philosophiques que cela soulève (et si la deuxième génération décide de retourner sur Terre avant d’avoir atteint l’objectif ?), comment le développement cérébral sera-t-il modifié par l’environnement spatial ?


SOURCES :



- [1] Kanas, Nick. "Psychology in deep space." Psychologist 28.10 (2015): 804-807.
- [2] Douglas, A. "Psychology of space Exploration." National Aeronautics and Space Administration 9.780160 (2011): 883583.
- [3] Kanas, Nick. "Psychosocial issues during an expedition to Mars." The New Martians. Springer, Cham, 2014. 103-123.
- [4] Basner, Mathias, et al. "Psychological and behavioral changes during confinement in a 520-day simulated interplanetary mission to mars." PloS one 9.3 (2014).
- [5] Basner, Mathias, et al. "Mars 520-d mission simulation reveals protracted crew hypokinesis and alterations of sleep duration and timing." Proceedings of the National Academy of Sciences 110.7 (2013): 2635-2640.
- [6] Van Ombergen, Angelique, et al. "The effect of spaceflight and microgravity on the human brain." Journal of neurology 264.1 (2017): 18-22.
- [7] Roberts, Donna R., et al. "Effects of spaceflight on astronaut brain structure as indicated on MRI." New England Journal of Medicine 377.18 (2017): 1746-1753.
- [8] Kramer, Larry A., et al. "Intracranial Effects of Microgravity: A Prospective Longitudinal MRI Study." Radiology (2020): 191413.
- [9] Parihar, Vipan K., et al. "Cosmic radiation exposure and persistent cognitive dysfunction." Scientific reports 6 (2016): 34774.
- [10] Cekanaviciute, Egle, Susanna Rosi, and Sylvain V. Costes. "Central Nervous System Responses to Simulated Galactic Cosmic Rays." International journal of molecular sciences 19.11 (2018): 3669.


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