Espace : quel effet sur notre cerveau ?
Le 6 juillet 1976, deux cosmonautes, décollent de Baïkonur à bord
d’un vaisseau Soyouz. Leur mission est de s’amarrer à la station
spatiale russe Salyout 5 et d’y mener un certain nombre
d’expériences scientifiques et militaires. Cependant, le 17 août,
les deux hommes sentent une forte odeur âcre dans la station.
Craignant une intoxication, la mission avorte quelques jours plus
tard et les deux cosmonautes rentrent sain et sauf sur Terre.
L’enquête menée ne révélera aucune anomalie, et les rapports
russes et américains concluront à une hallucination olfactive.
Les séjours dans
l’espace peuvent avoir un impact important sur la santé mentale
des astronautes. Dans les années 80, c’était un ingénieur
américain, obsédé pendant des jours par une trappe du vaisseau,
qui avait déclaré à ses coéquipiers : « Et donc, si je
l’ouvre, tout l’oxygène part du vaisseau ? ». Le
reste de l’équipage s’était empressé de verrouiller la trappe
en question !
Quelles sont les
répercussions des missions spatiales sur la santé mentale et sur le
cerveau ? Qu’a-t-on appris des séjours prolongés d’hommes
et de femmes dans la station Mir ou l’ISS ? Comment peut-on
utiliser ces connaissances dans l’optique d’un futur voyage vers
Mars ?
L’enfer, c’est les autres
Les missions
spatiales sont des événements extrêmement stressant, au cours
desquels alternent des périodes d’inactivité totale et de travail
frénétique. Ce stress peut avoir des conséquences à la fois sur
la qualité de vie des astronautes à bord, mais aussi sur leurs
performances et sur la sécurité de l’équipage. La pression sur
leurs épaules est majeure à chaque instant, tant chaque erreur peut
compromettre l’ensemble de la mission.
Les expériences
psychosociologiques sont très difficiles à réaliser lors des
missions spatiales, que ce soit pour des raisons politiques ou
méthodologiques. Le nombre de sujets étudiés est très restreint,
fragilisant les conclusions que nous pouvons en tirer. Heureusement,
certains environnements terrestres paraissent être de bons modèles
sur lesquels se baser. En particulier, les différentes expéditions
polaires présentent de nombreuses similitudes avec les missions
spatiales : un environnement inhospitalier, un danger permanent,
un isolement complet prolongé et une autonomie majeure nécessaire
en cas d’incident. Les données issues de ces expériences sont
bien plus nombreuses et leurs conclusions plus robustes. Cependant,
il faut être extrêmement prudent avec leur extrap(ô)lation aux
missions spatiales. Des différences majeures existent entre ces deux
environnements, en particulier l’absence d’apesanteur. La
psychologie de la terre ferme n’est pas celle de l’espace !
Il ressort de ces
études que le fonctionnement de l’équipage détermine souvent le
succès ou l’échec de la mission. Elles aident tout d’abord à
dresser un profil type du parfait astronaute : il devrait être
très tolérant à la frustration, avec une personnalité plutôt
introvertie et des capacités d’adaptation importantes. Elles
ont aussi permis d’étudier de près les interactions au sein d’une
équipe, et de développer des techniques pour résoudre les
conflits. Elles ont enfin permis
de détecter deux périodes critiques au cours desquelles les
tensions au sein de l’équipage sont maximales : à la moitié
et lors des derniers jours de la mission. Elles mettent en évidence
des symptômes dépressifs et anxieux parfois marqués, et rythmés
par les saisons. Mais cette expérience peut aussi être décrite
comme très positive.
L’intérêt porté
à la dimension psychologique et sociale des voyages spatiaux a aussi
été grandement influencée par les politiques publiques, les
projets spatiaux et même les normes psychosociales [1]. La NASA par
exemple, après s’être intéressé à ce domaine dans les années
50 et 60 lors du programme Mercury, l’a ensuite délaissé pendant
près de 30 ans. Il n’était alors pas question de bien-être, mais
plutôt de trouver les hommes qui étaient suffisamment endurant et
résilient pour supporter la pression colossale d’une telle
mission. L’enjeu résidait à maintenir des performances optimales
malgré la solitude, le confinement et les tensions entre membres de
l’équipage. Sur le plan psychologique, la sélection reposait sur
des critères d’exclusion (de troubles psychiatriques) plutôt que
sur des critères d’inclusion (de personnalités adaptées à ce
type de mission).
L’abandon de
recherches sur la psychologie de l’espace s’explique en partie
par l’interdiction d’expérience psychosociale à bord des
vaisseaux, motivée par la crainte des astronautes d’une influence
délétère sur leur carrière si ces données étaient publiées.
L’abandon des études dans ce domaine repose aussi sur les
décisions politiques et le choix de projets spatiaux d’envergure.
Alors qu’aux Etats-Unis, on mise sur la navette spatiale depuis les
années 70, en Russie, on développe à ce moment là plusieurs
générations de stations orbitales. Les missions russes, de longue
durée pour la plupart dans un environnement très exigu, les ont
donc poussé à s’intéresser beaucoup plus tôt que les américains
à la psychologie spatiale. Ces derniers commenceront à s’y
intéresser lors de leurs séjours à bord de la station russe Mir.
Plusieurs études
ont porté sur les hommes et femmes qui ont séjourné dans la
station Mir ou dans l’ISS [2]. Elles rapportent une évolution du
comportement des membres d’équipage, qui deviennent plus
égocentriques au fur et à mesure de la mission, et tendent à moins
communiquer avec l’équipe au sol. Ces interactions avec le Mission
Control sont cependant capitales à la réussite de la mission. En
1973, lors de la mission américaine Skylab 4, une violente dispute
éclata entre l’équipage du vaisseau et le centre de contrôle.
Les astronautes leur reprochent une trop grande rigidité de la
gestion de leur emploi du temps surchargé. Ils coupent alors toute
communication avec la Terre pendant une journée entière ! La
NASA retiendra la leçon et incorporera désormais des temps de repos
réguliers dans l’emploi du temps des astronautes en mission.
ISS |
L’impact
psychologique peut différer en fonction des cultures et du pays
d’origine. Ainsi, les astronautes américains éprouvent une plus
grande pression au travail que leurs homologues russes. Avec la fin
de la guerre froide et la nécessité de coopérations
internationales pour les missions spatiales actuelles, hommes et
femmes de différentes cultures sont amenés à cohabiter au sein des
stations spatiales (et en premier lieu l’ISS). Cette cohabitation
peut être source de conflits au sein de l’équipage.
Une analyse des
journaux de bords de 10 astronautes de l’ISS ont mis en évidence
que les conflits entre membres de l’équipage augmentaient de 20 %
au cours de la deuxième moitié de la mission. Cependant, de l’aveu
des astronautes, la vie dans la station s’est révélé moins
difficile que ce qu’ils avaient imaginé (redouté) avant leur
départ.
Les missions
spatiales peuvent aussi avoir un impact très positif sur la santé
mentale des astronautes, qui décrivent souvent des expériences
religieuses ou transcendantales marquantes à la vue de notre
planète. Certains se prennent de passion à photographier la Terre
depuis un hublot, comme Valentin Lebedev et plus récemment Thomas
Pesquet, et en tirent un profond sentiment de bien-être.
Cupola de l'ISS |
L’apesanteur en
soit peut aussi avoir un impact sur le moral et la santé. De
nombreux astronautes ont expérimentés au début de leur voyage le
fameux « mal de l’espace », qui se caractérise par des
nausées, des maux de tête, voire même une désorientation
(certains astronautes se perdent dans l’ISS!). Expérimenté pour
la première fois par le russe Guerman Titov en 1961, ce syndrome
touche près le 75 % des astronautes au cours des premiers jours
en impesanteur, avant de disparaître spontanément. Les symptômes
sont extrêmement désagréables, peuvent entraîner un arrêt
temporaire de toute alimentation solide et avoir une répercussion
importante sur le moral. L’apesanteur est aussi connue pour
favoriser l’apparition de calculs urinaires car l’urine a
tendance à stagner au niveau du rein. Les astronautes sont donc plus
à risque de colique néphrétique (lorsque l’uretère se bouche à
cause d’un calcul), une pathologie dont la douleur extrême peut
provoquer une agitation ou une confusion importante… posant la
question d’un diagnostic différentiel psychiatrique.
Home, sweet home
L’expérience
d’un voyage dans l’espace marque profondément et durablement les
astronautes. A leur retour sur Terre, nombreux sont ceux qui notent
un changement de leur vie quotidienne. Ils développent une
conscience écologique et un universalisme plus marqués. Certains
chercheurs notent une diminution des troubles anxieux et dépressifs
chez des cosmonautes jusqu’à plusieurs années après leur retour
sur terre, probablement du au développement de capacités
d’adaptation importantes au cours de leur mission. Pour le dire
plus simplement, ils ont déjà subit tellement de pression et
d’anxiété que tout leur paraît plus simple désormais !
Mais
le retour sur Terre peut aussi s’avérer plus difficile. En 2007,
une femme nommée Lisa Nowak a tenté d’assassiner un capitaine de
l’US Air Force à l’aéroport d’Atlanta. L’affaire avait
passionné l’opinion publique, et pour cause : Lisa Nowak
venait de voyager, quelques mois plus tôt, à bord de la navette
spatiale Discovery et de l’ISS. Un diagnostic de dépression avec
caractéristiques psychotiques fut posé. Cette affaire déclencha
une prise de conscience au sein de la NASA qui entreprit au cours des
années suivantes plusieurs évaluations de la santé mentale de ses
astronautes. Aujourd’hui, l’état psychologique des habitants de
l’ISS est évalué toutes les deux semaines par un psychiatre, puis
régulièrement après leur retour sur Terre.
Seul sur Mars
Nous
avons beaucoup apprit ces dernières décennies sur l’impact
psychologique d’un séjour prolongé en apesanteur. Cependant, le
plus long séjour dans l’espace ne dépasse pas les 14 mois, et
seulement 4 hommes ont déjà passé plus d’un an dans l’espace.
C’est énorme, mais ce n’est rien comparé aux deux ans de voyage
d’une mission martienne. Au plus proche, la Terre et Mars sont
distantes de plus de 56 millions de kilomètres. A comparer aux
modestes 300 000 kilomètres séparant la Terre de la Lune… Nous
saurons bientôt fabriquer des fusées d’une puissance monstrueuse
rendant possible les voyages inter-planétaires. Mais il nous est
difficile voir impossible de prédire comment se comportera un
équipage au cours d’un voyage aussi long et périlleux. La
principale inconnue du voyage martien réside dans le cerveau
humain !
L’étude
des expéditions scientifiques en Antarctique, que nous avons déjà
évoqué, peuvent être d’une grande aide dans notre préparation
d’un voyage inter-planétaire. Cependant, la durée maximale de ces
études ne dépassent pas 1 an, soit à peine de quoi faire un aller
simple pour la planète rouge...
Afin
d’évaluer l’impact psychologique d’un isolement aussi long,
des chercheurs russes ont lancé un projet fou au début des années
2010 : recréer sur Terre un pseudo-vaisseau dans lequel un
équipage de six personnes resteraient confinées pendant 17 mois
(mesurez l’exploit réalisé par ces hommes, quand nous avons déjà
du mal à rester confiné plus de deux mois chez nous!) en simulant
un voyage vers Mars. Pendant toute la simulation, les membres
d’équipage ont été isolés du cycle jour/nuit terrestre et des
expériences scientifiques leur ont été confiées. On mesurait en
temps réel leur activité grâce à une montre connectée et les
scientifiques pouvaient évaluer chaque semaine l’évolution de
leur comportement ainsi que la qualité de leur sommeil et leur
fatigue [4]. Ils ont mis en évidence une diminution rapide de
l’activité au début de la mission, avec par la suite une
stabilisation au cours des mois suivants, puis d’une nouvelle chute
dans le troisième quart-temps, avant de brutalement augmenter
quelques jours avant la fin de la mission. Les membres d‘équipage
expliquaient cette augmentation par l’anticipation de la sortie du
vaisseau. Le temps de repos et de sommeil suivaient des variations
opposées : il était en moyenne de moins de 7h en début de
mission (pouvant d’ailleurs être problématique, car
potentiellement à l’origine de moins bonne performances
cognitives) et augmentait en moyenne d’une heure au cours du
voyage.
Globalement,
le cycle circadien des sujets n’étaient pas affecté [5]. Notre
horloge interne est naturellement réglée sur des journées de 24h10,
soit légèrement plus qu’une journée terrestre. Seul un membre
d’équipage s’éloigna significativement de cette limite (il
avait un cycle d’environ 25h). Cette exception pouvait s’expliquer
par des couchers très tardifs avec une exposition prolongée à la
lumière, entraînant un retard d’endormissement conséquent. Ainsi
donc, il existait une désynchronisation de ce sujet avec les autres
membres d’équipage, ce qui peut être problématique lors d’une
vraie mission !
Aucun
trouble psychiatrique majeur n’a été relevé au cours de la
mission excepté des épisodes dépressifs répétés chez l’un des
sujet, d’intensité modérée et pour la plupart lors de la
deuxième moitié de la mission [4]. Ces troubles n’étaient pas
sans conséquences, 85 % des conflits au sein de l’équipage
impliquant les deux sujets les plus angoissés. Globalement, seuls 2
des 6 membres d’équipage n’ont pas souffert de problème de
sommeil et n’ont pas eu de retentissement psychologique.
De
plus, la complexité d’une mission vers Mars rendrait nécessaire
une coopération internationale de grande ampleur. Il y a donc tout à
parier que l’équipage sera multi-culturel, pouvant renforcer les
tensions au quotidien.
Et
la durée prolongée d’isolement ne serait pas le seul problème
d’un voyage vers la planète rouge. Le séjour en orbite terrestre
permet une communication rapprochée et facile avec la Terre, que ce
soit avec le centre de contrôle ou avec les proches. Les délais de
communication varient proportionnellement avec la distance par
rapport à la Terre. Ainsi, s'il est quasiment nul en orbite
terrestre, il faudra attendre 45 minutes aux astronautes martiens
pour avoir la réponse à leur appel ! De quoi majorer
grandement leur sentiment d’isolement par rapport à leur proches,
mais aussi leur solitude face aux problèmes et dangers qu’ils
peuvent rencontrer, qu’ils devront donc résoudre sans la moindre
aide immédiate. En deux ans et demi, outre les problèmes techniques, comment ne pas être sur qu’un des
passagers n’aura pas besoin d’une intervention chirurgicale ou
d’une prise en charge médicale ou psychologique urgente ?
Enfin,
si la vue de la Terre depuis l’espace procure un sentiment de
bien-être profond chez l’immense majorité des astronautes, nous
ne pouvons pas imaginer leur réaction psychologique… lorsqu’ils
ne la verront plus. Lorsque la terre ne sera qu’un infime point
bleu dans la voûte céleste. C’est pour cette raison que certains
psychologues spécialisés préconisent d’installer un télescope
dans le vaisseau spatial afin de maintenir ce fragile lien vers la
planète mère.
Il
sera donc capital d’anticiper tous ces troubles et de prévenir
leur apparition en amont. La NASA prend ce problème très au sérieux
et mène plusieurs programmes de recherche dans ce sens. Cette
prévention passe tout d’abord par une sélection efficace des
futurs astronautes, basé sur leurs capacités psychologiques et
sociales. Il s’agit de sélectionner des individus particulièrement
résilients, c’est à dire résistants aux facteurs de stress, tout
en ayant les capacités d’empathie et de solidarité nécessaire à
la bonne cohésion de l’équipe. Cette prévention se base aussi
sur un développement au sol et au cours du voyage d’un programme
d’entraînement destiné à augmenter cette résilience ainsi qu’à
apprendre les bonnes attitudes en cas de conflit (une stratégie
appelée copping). Enfin, l’expérience des stations
orbitales et les données issues des expériences de simulation au
sol permettent de concevoir des habitats adaptés aux séjours
spatiaux prolongés.
Quels effets sur notre cerveau ?
Si
les séjours prolongés dans l’espace peuvent avoir un impact
important sur la santé mentale, leurs effets peuvent aussi se voir
très concrètement sur la structure même de notre cerveau. Les
études sur le sujet sont peu nombreuses et portent sur de très
petits échantillons. Les limitations méthodologiques sont
importantes : essayez donc de réaliser une IRM dans l’ISS !
On
a donc développé des équivalents terrestres de l’apesanteur
spatiale, à l’instar des études de psychologie dont nous avons
parlé plus tôt. Parmi ces modèles, on peut notamment citer les
études d’immersion, au cours desquelles on immerge un sujet dans
une immense cuve, la poussée d’Archimède mimant l’apesanteur,
ou encore les vols paraboliques « 0g », qui permettent de
reproduire fidèlement une apesanteur totale pendant quelques
secondes.
Expérience d'immersion en cuve. |
L’EEG
permet de mesurer de façon très précise l’activité électrique
de notre cerveau. On obtient un tracé sur lequel on peut discerner
plusieurs types d’ondes. Par exemple, l’activité cérébrale
lorsque nous fermons les yeux se caractérise par des ondes alpha,
qui représentent l’activité du cortex visuel mis au repos. Ces
ondes alpha disparaissent lorsqu’on ouvre les yeux. Votre activité
cérébrale actuelle ressemblerait plutôt à un agglomérat d’ondes
bêta, qui caractérisent le fonctionnement conscient normal du
cerveau actif et éveillé.
Tracé d'un EEG |
Les
études d’EEG [6] réalisées en apesanteur révèlent une
augmentation des ondes alpha au niveau du cortex sensorimoteur et
pariéto-occipital en rapport avec une diminution de l’afflux
d’informations sensorielles provenant du corps. Au contraire, il
existe une diminution des ondes alpha au niveau du cervelet et du
système vestibulaire, impliqués dans la coordination motrice et la
stabilisation de la posture. En effet, en apesanteur, les
informations posturales, si importantes pour notre lutte continuelles
contre la pesanteur terrestre, deviennent anarchiques, et le cerveau,
dans son habitude de toujours trouver de la cohérence, essaye de
rendre tout cela logique… en vain ! Des études réalisées
lors de vols paraboliques retrouvent une diminution des ondes bêta,
pouvant expliquer une réaction émotionnelle intense à l’apesanteur
soudaine.
Lobes cérébraux. Lobes frontal (bleu), temporal (vert), pariétal (jaune) et occipital (rouge). Le cervelet n'est pas colorisé. |
D’autres
expériences, basées sur l’imagerie par IRM, ont été réalisées
chez l’Homme en vue de déterminer les changements morphologiques
de notre cerveau au cours d’un voyage dans l’espace. Les effets
de l’apesanteur sur notre corps sont étonnants. Par exemple, on
observe une répartition bien différente des fluides corporels dans
l’espace.
En
2017, une brillante étude publiée dans le prestigieux New England
Journal Of Medicine [7] a utilisé l’imagerie IRM afin de
déterminer les changements morphologiques que subissait le cerveau
pendant un séjour prolongé dans l’espace. Pour cela,
les chercheurs ont comparé les IRM avant la mission et après le
retour sur Terre. Ils ont mis en évidence une augmentation du volume
des ventricules cérébraux, des structures qui contiennent le
liquide céphalo-rachidien. En conséquence, tout se passait comme si
le cerveau était comprimé contre le crâne par ces ventricules,
aboutissant à une augmentation de la pression intracrânienne. Cette
surpression n’est pas sans conséquence : elle entraîne des
troubles visuels qui peuvent persister plusieurs années après le
retour sur Terre ! En effet, l’augmentation de la pression
intracrânienne empêche d’une part le drainage sanguin des yeux et
aboutir à une souffrance oculaire, et d’autre part comprimer le
nerf optique pouvant entraîner des troubles de
la vision. L’accumulation de liquide céphalo-rachidien
proviendrait d’une légère bascule du cerveau en apesanteur,
empêchant sa résorption et donc facilitant son accumulation dans
les ventricules. La surpression engendrée serait majorée par la
volume sanguin cérébral plus important en apesanteur. Plusieurs
astronautes durent subir une ponction lombaire à leur retour afin
d’évacuer le liquide excédentaire. Une récente étude a même
montré que ces anomalies persistaient au moins 1 an après le retour
sur Terre [8] !
L’IRM
permet aussi de mesurer la connectivité entre les différentes
régions cérébrales. La seule étude portant sur de véritables
astronautes (enfin, sur un véritable astronaute) a mis en évidence
une diminution de la connectivité entre le système vestibulaire et
l’insula au cours de la mission, en lien avec la privation
sensorielle et vestibulaire en apesanteur. D’autres études au
cours d’expériences d’immersion ont montré une diminution de la
connectivité du gyrus angulaire droit avec le reste du cerveau.
Cette découverte est intéressante car cette région est impliquée
dans l’intégration des différentes informations sensorielles en
un tout cohérent, mais aussi dans des activités cognitives.
Comme
toujours, il faut prendre ces informations avec prudence et réserve,
car les études qui les portent présentent de nombreux défauts.
L’activité électrique cérébrale peut être influencée par de
très nombreux facteurs et il est difficile d’affirmer que les
changements décrits sont en lien avec l’apesanteur uniquement.
Comme pour les études précédentes (et même encore plus), elles
reposent sur de petits échantillons du à la difficulté technique
de réaliser ces expériences. En particulier pour les IRM, il est
difficile de les réaliser dans les heures suivant le retour sur
Terre, et il n’est donc pas exclu que les changements visualisés
sont faussés par une ré-adaptation du cerveau à la pesanteur
terrestre.
Si
on veut étudier les changements cérébraux au niveau cellulaire, il
faut se tourner vers les modèles animaux [9, 10]. Si plusieurs
agences spatiales ont tenté (et réussi) d’envoyer des souris dans
l’espace, ils n’ont fait qu’analyser leur comportement, sans
disséquer leur cerveau. Ces études n’ont pour la plupart pas la
rigueur nécessaire pour tirer de solides conclusions : le taux
de mortalité était particulièrement élevé (50% des souris) et la
méthodologie d’analyse comportementale peu objective. Cependant,
la NASA a pu effectuer une étude plus rigoureuse en 2019, portant
sur une dizaine de souris ayant passé 50 jours en orbite à bord de
l’ISS.
L’immense
majorité de nos connaissances d’un séjour dans l’espace au
niveau cellulaire provient donc… de la Terre. Plusieurs équipes
ont simulé en laboratoire les rayonnements cosmiques auxquels sont
soumis les astronautes en orbite basse. Ils observaient, après
irradiation de souris, de plus grandes difficultés cognitives et en
particulier en mémoire spatiale, dans la capacité à reconnaître
les objets et même pour les interactions sociales. Ces troubles
cognitifs et comportementaux étaient corrélés à une dysfonction
du cortex préfrontal et de l’hippocampe. Ces anomalies étaient
associées à une destruction des synapses, ces connexions entre deux
neurones qui leur permet de communiquer.
Ces
expériences ont aussi mis en évidence une majoration de
l’inflammation cérébrale, liée en grande partie par une
suractivation de la microglie qui correspond aux cellules
immunitaires présentes dans notre cerveau. Cette neuroinflammation,
associée à une dysfonction des mitochondries neuronales à
l’origine d’un stress oxydatif toxique, était encore majorée
par des anomalies de la barrière hémato-encéphalique. Cette
dernière protège le cerveau des dangers véhiculés par la
circulation sanguine (bactéries, substances neuro-toxiques...). Son
altération majore donc d’autant plus le risque d’agression et
donc l’inflammation cérébrale. L’ensemble de ces paramètres se
combinant dans un cercle vicieux inflammatoire, probablement à
l’origine de la destruction synaptique et neuronale observée
précédemment.
Ces
études chez la souris sont passionnantes, mais leurs conclusions
doivent être prudentes pour deux raisons. Tout d’abord, elles
portent toutes sur de jeunes souris mâles soumises à la gravitation
terrestre. Un modèle imparfait donc d’un astronaute humain (40 %
de femmes de nos jours) d’âge moyen en orbite basse !
Ensuite, ces études ciblent en particulier l’effet des radiations
cosmiques. Cependant, les astronautes en mission sont soumis à
beaucoup d’autres contraintes, comme la microgravité et
l’isolement social, qui ont montré leur effet sur les structures
cérébrales et en particulier sur les dendrites et synapses.
D’autres études sont donc nécessaires pour étudier les
interactions entre ces phénomènes.
Enfin,
dans l’optique d’un futur voyage inter-stellaire, nous devons
envisager les effets d’un tel rayonnement sur le cerveau d’un
enfant. En effet, ces voyages seront nécessairement
multigénérationnels. Au delà des questions sociétales et
philosophiques que cela soulève (et si la deuxième génération
décide de retourner sur Terre avant d’avoir atteint l’objectif
?), comment le développement cérébral sera-t-il modifié par
l’environnement spatial ?
SOURCES :
-
https://www.theguardian.com/science/2014/oct/05/hallucinations-isolation-astronauts-mental--
health-space-missions
-
[1] Kanas,
Nick. "Psychology in deep space." Psychologist 28.10
(2015): 804-807.
-
[2] Douglas,
A. "Psychology of space Exploration." National
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(2011): 883583.
-
[3]
Kanas,
Nick. "Psychosocial issues during an expedition to Mars." The
New Martians.
Springer, Cham, 2014. 103-123.
-
[4] Basner,
Mathias, et al. "Psychological and behavioral changes during
confinement in a 520-day simulated interplanetary mission to
mars." PloS
one 9.3
(2014).
-
[5] Basner,
Mathias, et al. "Mars 520-d mission simulation reveals
protracted crew hypokinesis and alterations of sleep duration and
timing." Proceedings
of the National Academy of Sciences 110.7
(2013): 2635-2640.
-
[6]
Van
Ombergen, Angelique, et al. "The effect of spaceflight and
microgravity on the human brain." Journal
of neurology 264.1
(2017): 18-22.
-
[7]
Roberts,
Donna R., et al. "Effects of spaceflight on astronaut brain
structure as indicated on MRI." New
England Journal of Medicine 377.18
(2017): 1746-1753.
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[8]
Kramer,
Larry A., et al. "Intracranial Effects of Microgravity: A
Prospective Longitudinal MRI Study." Radiology (2020):
191413.
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[9] Parihar,
Vipan K., et al. "Cosmic radiation exposure and persistent
cognitive dysfunction." Scientific
reports 6
(2016): 34774.
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[10] Cekanaviciute,
Egle, Susanna Rosi, and Sylvain V. Costes. "Central Nervous
System Responses to Simulated Galactic Cosmic Rays." International
journal of molecular sciences 19.11
(2018): 3669.
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