L’HYSTÉRIE, OU LA PREUVE QUE LES HOMMES N'ONT JAMAIS RIEN COMPRIS AUX FEMMES !
Lors d’un accouchement difficile, le passage du bébé au
niveau du vagin peut présenter certaines complications pour la maman, et
notamment dans les semaines et mois qui le suivent, un prolapsus génital ou hysterocèle (des expressions bien
savantes qui correspondent en réalité à la « descente d’organe »
mieux connue du grand public).
En effet, les structures du périnée peuvent être lésées au
passage du bébé si celui-ci est trop gros ou s’il se présente en siège. Ces
structures peuvent aussi s’abîmer dans des contextes bien différents, de
l’obésité à la ménopause jusqu’à la constipation chronique (qui entraîne des
traumatismes répétés du périnée) !
Le périnée est une structure fragile, mais qui a une
fonction essentielle au maintien des organes du petit bassin. L’utérus, la
vessie, le vagin et le rectum chez la femme ; la vessie, la prostate, les
glandes séminales et le rectum chez l’homme ne sont pas (ou peu) lié aux os du
bassin : c’est le périnée, constitué uniquement de structures musculaires
et tendineuses, qui est chargé de maintenir tout ça et d’éviter à ces organes
d’être soumis à la dure loi de la gravitation universelle.
![]() |
Vue de profil (sagittale) du petit bassin féminin. |
Placé en dessous de ces organes, il les soutient tout en
laissant passer certaines structures vers le bas, notamment l’urètre, le rectum
et le vagin chez la femme.
Un petit peu comme le ferait un hamac.
Lors d’un traumatisme violent (comme l’accouchement), de
multiples traumatismes répétés (constipation ou toux chroniques), ou simplement
de l’usure (due à la ménopause), ces structures périnéales peuvent s’abîmer et
remplir moins bien leur rôle : les organes sont moins bien maintenus et
« descendent » progressivement.
Lorsque cette descente d’organe intéresse l’utérus, le terme
médical consacré est hysterocèle, qui
provient du grec hustera, relatif à
l’utérus ou matrice, et kêlê, hernie.
C’est cette même racine que l’on retrouve dans les termes hystérie ou hystérique. L’hystérie est une pathologie psychiatrique qui a
longtemps été rattachée à ce que Charcot nomma au 19ème siècle la grande crise hystérique :
l’individu semble dans un état de conscience secondaire, il se contorsionne, crie,
convulse, rit ou pleure. Aujourd’hui, on évoque l’hystérie à travers le syndrome de conversion, qui est suspecté
lorsqu’un patient présente une paralysie, ou la perte d'un sens, alors que son
corps semble en parfait état de fonctionnement.
Mais quel rapport entre l’utérus et l’hystérie ?
En 1889, Flinders Petrie découvre dans les ruines de l'antique village El-Lahoun, en Egypte, un papyrus vieux de plus de 3000 ans. Ce papyrus décrit certaines pratiques médicales de l'Egypte des pharaons. Nous pouvons y trouver la trace d'une curieuse pathologie touchant uniquement les femmes, due (selon les hiéroglyphes inscris) aux mouvement de l’utérus à l'intérieur du corps.
Il s'agit de la plus ancienne description de l'hystérie que l'on connaisse.
C'est Hippocrate, le père de la médecine, qui nommera cette mystérieuse maladie "hysteria". Il reprend dans ses ouvrages les théories égyptiennes et les croyances populaires qui rattachent ces manifestations souvent spectaculaires à la matrice (autre nom de l’utérus). Pour lui comme pour les égyptiens, les symptômes de la crise hystérique proviennent des mouvements de la matrice au sein de l’organisme, lorsque celle-ci est « desséchée, vide et légère »… En bref, lorsque la femme n’a pas eu suffisamment de rapports sexuels. Cela expliquerait d’ailleurs pourquoi cette mystérieuse maladie touche principalement les plus jeunes femmes et les plus âgées.
Il s'agit de la plus ancienne description de l'hystérie que l'on connaisse.
C'est Hippocrate, le père de la médecine, qui nommera cette mystérieuse maladie "hysteria". Il reprend dans ses ouvrages les théories égyptiennes et les croyances populaires qui rattachent ces manifestations souvent spectaculaires à la matrice (autre nom de l’utérus). Pour lui comme pour les égyptiens, les symptômes de la crise hystérique proviennent des mouvements de la matrice au sein de l’organisme, lorsque celle-ci est « desséchée, vide et légère »… En bref, lorsque la femme n’a pas eu suffisamment de rapports sexuels. Cela expliquerait d’ailleurs pourquoi cette mystérieuse maladie touche principalement les plus jeunes femmes et les plus âgées.
![]() |
Hippocrate, le papa de la médecine (460 avJC-370 avJC). |
Cette idée est reprise par Platon, pour qui l’hystérie
résulte du désir utérin de faire des enfants, notamment lorsque « la
matrice est demeurée stérile en dépit des saisons favorables ». L'hystérie serait la manifestation d'une sorte de mélancolie utérine... Lors de la
crise, la femme est la proie de l’animalité qui se débat en elle, dans son
ventre et son thorax. Elle gémit, cherche son souffle, halète. La nature
sexuelle de la crise est évidente !
Ces premiers médecins-philosophes distinguent cependant
nettement l’hystérie de l’épilepsie, malgré l’apparente similarité de leurs
crises. Ainsi, le célèbre médecin romain Celse note bien que dans le cas de
l’hystérie, « il n’y a ni renversement des yeux, ni écume dans la bouche,
ni convulsions ». L’épilepsie est du domaine divin (« la maladie
sacrée ») alors que l’hystérie est du domaine humain et sexuel.
![]() |
Galien, beau gosse. |
Au 1er siècle après Jésus-Christ, le médecin attitré des empereurs romain, Galien, s'oppose aux théories hippocratique. A la différence de son illustre prédécesseur, il pratique régulièrement des autopsies et connait donc bien l'anatomie humaine. Il sait donc que les mouvements
de l’utérus dans l'organisme sont très limités et ne peuvent pas être responsables des crises, qui sont
selon lui dues à la rétention de la semence féminine au sein de l’organe.
D’où, on en revient, à la justification que la maladie touche principalement
les veuves et les femmes ayant peu de rapports sexuels. Cette semence détenue
dans l’utérus agirait selon lui comme un venin sur l’encéphale.
Dès lors que l’on avance cette hypothèse, une question se
pose : qu’en est-il de la rétention de la semence masculine ?
Galien
tente d’en dresser le tableau clinique, qu’il nomme hypochondrie, et qui se rapproche de notre définition actuelle de
la dépression.
On soignait alors l’hystérie par le sexe, mais aussi par
l’inhalation d’odeurs particulièrement répugnantes, telles que des poils
brûlés, dans le but de chasser l’utérus du foie où il s’était installé vers sa
place originelle. Au nom du même principe, on prescrivait à ces femmes des
fumigations odorantes (agréables cette fois) au niveau de la vulve pour attirer
l’utérus de ce côté-là.
Le millénaire qui suit la chute de l’empire romain est le
siège d’une sorte d’immobilisation judéo-chrétienne des sciences et de la
médecine. Les théories antiques d’Aristote et de Galien sont gravées dans le
marbre et considérée comme indépassables, interdisant tout progrès scientifique
ou presque –ne soyons pas extrémiste, même si les progrès médicaux durant le
Moyen-Âge furent effectivement très
limités.
L’hystérie n’est, elle, plus mentionnée durant ce millénaire
si ce n’est lors d’épisodes d’hystérie collective très spectaculaires –la
fameuse danse de Saint Guy. Des
dizaines de personnes pouvaient se mettre à danser des jours durant dans les
rues, nuits et jours, parfois même jusqu’à la mort ! On raconte que les
reliques de Saint Guy aurait permis de miraculeusement guérir certains malades.
![]() |
Scène d'hystérie collective, la fameuse "danse de Saint Guy". |
Elle revient en force à la Renaissance sous d’autres noms,
sorcellerie et possession, durant les chasses aux sorcières qui secouent toute
l’Europe. La maladie échappe à l’expertise médicale et ce sont désormais les
religieux et exorcistes (mais encore plus souvent les bourreaux et leur bûcher)
qui prennent en charge les patientes hystériques, possédées par le diable.
On torture et on brûle ces dépravées sexuelles, sorcières
volant sur des balais, assassinant des enfants et répandant la peste à travers l'Europe.
Cette chasse aux sorcières ne s’arrêtera qu’en 1682 et son
interdiction par Louis XIV, qui déclare que cela relève de l’exploitation de la
crédulité et de l’ignorance des populations.
L’hystérie réapparait en tant que telle au cours du 17ème
siècle. Elle perd progressivement sa connotation démoniaque et devient à
nouveau une préoccupation médicale.
Chose essentielle, c’est à ce moment-là que le problème de
l’hystérie migre de l’utérus vers le cerveau, notamment grâce à Thomas Sydenham,
un médecin anglais. Dès lors, il n’y aura pas lieu de distinguer l’hystérie
féminine de l’hypochondrie masculine, qui selon Sydenham, ne sont qu’une seule
et même pathologie.
Selon Charles Lepoix, l’hystérie naît des ventricules
cérébraux qui contiennent les « esprits animaux ». Ces derniers se diffusent
dans le corps sous forme de vapeur et causent les symptômes très variés de
l’hystérie : cécité, paralysie, crise hystérique…
Cette théorie des
vapeurs sera progressivement abandonnée au début du 18ème
siècle, au cours duquel la source de la maladie sera déplacée vers les
mauvaises mœurs et la dépravation : l’hystérie survient chez les jeunes
femmes dévergondées aux comportements immoraux. Cinquante ans après les
théories de Sydenham, l’utérus est encore placé au premier plan de l’hystérie.
C’est durant ce siècle qu’Anton Mesmer, considéré comme le
créateur de l’hypnose (appelée magnétisme
animal à son époque), affirme avoir soigné certaines de ses patientes
hystériques grâce à sa méthode révolutionnaire. Sa carrière fut très brève, ses
travaux rapidement rejeté par le monde scientifique de l’époque, notamment par
Lavoisier ou Benjamin Franklin.
Il faut bien se garder d’avoir une vision linéaire des
progrès scientifiques et médicaux au cours des siècles, qui irait de
l’obscurité vers la lumière. L’histoire des sciences et de la médecine est
faite d’à-coups, d’avancées mais aussi de régressions.
Il faut aussi avoir en tête que ces découvertes ne sont pas
indépendantes du contexte social, économique et politique de l’époque. Il nous
faut faire l’effort de replacer les termes dans leur temps : ainsi,
certaines idées deviennent nettement plus avangardistes. Je pense notamment à
la distinction entre hystérie et épilepsie dans l’antiquité, qui ne va pas de
soi, ou encore l’ignorance flagrante concernant la mobilité de l’utérus qui
s’explique simplement par la pauvreté des connaissances anatomiques (dues au
faible nombre de dissections pratiquées) au temps d’Hippocrate.
Enfin, il nous faut lutter contre cette manie inconsciente
et présente chez chacun d’entre nous qui est d’interpréter l’histoire à travers
nos yeux d’Homo sapiens du 21ème siècle. Elle est à l’origine d’une
vision difforme des temps passés.
Décrite il y a plus de 4000 ans, l’hystérie a été considérée comme exclusivement féminine jusqu'au 19ème siècle. Son étude et sa compréhension sont intimement liées à l'évolution de la condition féminine au cours des siècles.
Elle a recouvert au fil du temps des concepts très différents, de la sorcellerie au trouble psychiatrique, mais aussi des réalités bien différentes : nous avons ici essentiellement parlé de la crise hystérique, l’hysteria major que décrira Charcot, mais nous n’avons que peu abordé ce que l’on appelle aujourd’hui la conversion hystérique (la paralysie hystérique, on en parlera très bientôt). Or c’est de nos jours cette réalité là qui est mise sous le terme d’hystérie, dans le cadre plus général d’une médecine dite psychosomatique.
Décrite il y a plus de 4000 ans, l’hystérie a été considérée comme exclusivement féminine jusqu'au 19ème siècle. Son étude et sa compréhension sont intimement liées à l'évolution de la condition féminine au cours des siècles.
Elle a recouvert au fil du temps des concepts très différents, de la sorcellerie au trouble psychiatrique, mais aussi des réalités bien différentes : nous avons ici essentiellement parlé de la crise hystérique, l’hysteria major que décrira Charcot, mais nous n’avons que peu abordé ce que l’on appelle aujourd’hui la conversion hystérique (la paralysie hystérique, on en parlera très bientôt). Or c’est de nos jours cette réalité là qui est mise sous le terme d’hystérie, dans le cadre plus général d’une médecine dite psychosomatique.
SOURCES :
- http://bibulyon.hypotheses.org/497
- cours de J. Lansac, CHU de Tours
- http://tecfa.unige.ch/tecfa/teaching/UVLibre/0001/bin51/interpretation.htm
- Trois itinéraires à travers l'histoire de l'hystérie, Dr
E. TRILLAT
- Les sortilèges du cerveau, Pr Patrick Berche- Tasca, C., Rapetti, M., Carta, M. G., & Fadda, B. (2012). Women and hysteria in the history of mental health. Clinical Practice & Epidemiology in Mental Health, 8(1).