LA LEÇON DU MARDI
Le nitrate de potassium, ou salpêtre, a longtemps été très
précieux : c’est à partir de lui que l’on pouvait fabriquer de la poudre
noire pour les canons de nos armées.
On le retrouve souvent sur les murs des caves des vieilles
maisons, ou dans les grottes, du fait du ruissellement de l’eau chargée en
nitrates le long des parois.
A l’intérieur même de l’enceinte de Paris, il existait une
carrière où l’on extrayait cette précieuse matière première et où elle était
transformée en poudre à canon.
C’est précisément à cet endroit là que Louis XIV ordonne la
création d’un immense asile destiné à y enfermer les mendiants de la capitale.
Rapidement sera y sera greffé un centre d’internement pour femmes.
L’acte de naissance de l’hôpital de la Salpêtrière.
Cinquante ans plus
tôt, le père du roi soleil, Louis XIII, avait lui ordonné la création d’un
autre asile, destiné aux mêmes usages, sur le site qui correspond aujourd’hui à
la grande mosquée de Paris : l’hôpital de la Pitié. Il sera déplacé en
1911 juste à côté de la Salpêtrière.
Le rôle de l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière fut donc durant
ses premiers siècles d’existence exclusivement de se débarrasser des mendiants,
des pauvres et des femmes malades de la capitale.
C’est grâce à l’action en 1795 d’un homme visionnaire,
Philippe Pinel, que les malades mentaux sont libérés des geôles de l’hôpital et
traités avec humanisme et empathie.
Depuis le 19ème siècle, la Pitié-Salpêtrière est
à l’avant-garde des recherches sur le cerveau, la neurologie et les maladies mentales.
C’est notamment là que travailla Jean-Martin Charcot,
considéré comme le fondateur de la neurologie moderne.
Il avait pour habitude de présenter ses travaux et les cas
cliniques particulièrement intrigants (comprenez : il donnait certains de
ses patient(e)s en spectacle…) au cours de ses fameuses « Leçons du
mardi » qui réunissaient à la fois des médecins mais aussi tous les
grands de ce monde.
L’ambiance était parfois plus proche d’un cocktail mondain
que d’une conférence scientifique.
C’est précisément un de ces évènements que représente
« Une leçon clinique à la
Salpêtrière », peint par André Brouillet en 1887.
On distingue nettement, légèrement excentré, la figure
imposante, charismatique, du Professeur Charcot. Juste à côté, inconsciente, c’est
Blanche, une patiente hystérique très souvent exhibée lors de ses
leçons.
Issu de la petite bourgeoisie, Charcot s’est construit seul.
Acharné de travail, empli d’ambition, ses travaux révolutionneront la
neurologie et la psychiatrie.
Son génie résidera dans l’application aux maladies mentales
et neurologiques de la méthode dite anatomo-clinique. Grâce à elle, il cherche
à détecter les anomalies cérébrales des patients après leur mort pour expliquer
leurs symptômes lorsqu’ils étaient encore en vie. Il cherche les réponses dans
les autopsies. Il s’agit d’une approche particulièrement novatrice qui fera
énormément progresser les connaissances à propos de ces pathologies.
Ses recherches furent pléthoriques, touchant à l’ensemble du
spectre des pathologies neurologiques et psychiatriques, mais aussi
pulmonaires, cardiaques, hépatiques ou néphrologiques (reins).
Mais si on entend aujourd’hui le nom de Charcot dans les médias, c’est le plus souvent pour évoquer la (terrible) maladie à laquelle il a donné son nom : la sclérose latérale amyotrophique.
Mais si on entend aujourd’hui le nom de Charcot dans les médias, c’est le plus souvent pour évoquer la (terrible) maladie à laquelle il a donné son nom : la sclérose latérale amyotrophique.
En 1865, il suit l’évolution d’une patiente, souffrant d’une
paralysie progressive des membres à laquelle s’ajoutent des contractures incontrôlées (ou fasciculations) de ses muscles.
Elle fut considérée comme hystérique toute sa vie. Mais Charcot, lui, n’y croit
pas : après son décès, il décide de disséquer sa moelle épinière.
Il découvre alors que des régions latérales de la moelle
sont complètement fondues. Cette dégénérescence touche uniquement les voies
nerveuses motrices qui descendent du cerveau au travers de la moelle :
cela explique que cette patiente ne souffre ni de trouble sensitif, ni de trouble
cognitif.
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Coupe de moelle épinière. L'avant est en bas, l'arrière en haut. Le cercle rouge indique la zone lésée chez la patiente de Charcot en 1865. |
Quatre ans plus tard, en 1869, Charcot s’intéresse à des cas
de paralysie chez des enfants. Au contraire de la dame dont nous venons de
parler, ceux-ci n’ont pas de fasciculations, mais une atrophie de
leurs muscles (ou amyotrophie) :
autrement dit, un amaigrissement progressif de leurs muscles.
Après leur mort, une nouvelle fois, Charcot tente de trouver
une corrélation entre ces symptômes et des anomalies à l'autopsie. Cette fois
ci, il découvre des lésions localisées spécifiquement au niveau d’une région
appelée « corne antérieure » de la moelle épinière. C’est elle qui
contient les motoneurones (ou neurones moteurs), qui vont transmettre l’ordre aux muscles de se
contracter au travers les nerfs du corps.
Lorsque ce motoneurone meure, le muscle qu’il innerve meure
aussi, et l’on aboutit à une amyotrophie.
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Coupe de moelle épinière (comme si on la coupait en rondelle... Ce qu'à fait Charcot d'ailleurs !). |
Charcot déduit de ces 2 séries d’observations une
organisation du système nerveux moteur en 2 parties. La première est constituée
des voies nerveuses qui émanent du cerveau (plus précisément du cortex moteur)
et cheminent au travers des régions latérales de la moelle épinière. Ce sont
elles qui sont lésées chez la patiente de 1865.
Ces voies nerveuse se connectent ensuite, au niveau de la
corne antérieure de la moelle, avec les motoneurones qui forment la deuxième
partie du système nerveux moteur. Ces motoneurones transmettent l’information
motrice qu’ils ont reçus du cerveau jusqu’au muscle, pour qu’il se contracte.
Mais les observations les plus intrigantes de Charcot
concernent un petit groupe de patients (adultes) paralysés, qui souffrent à la fois de fasciculations de leurs muscles et d’une amyotrophie ! Ces
patients sont très sévèrement atteints, et ne survivent que 3 ans tout au plus
après l’apparition des premiers symptômes. Rapidement, la paralysie gagne les 4
membres et le sujet se retrouve complètement dépendant et alité.
Cette fois encore, après le décès de ces patients, Charcot
analysera leur moelle épinière. Comme on peut le supposer, il y trouva à la
fois des lésions de la corne antérieure et des régions latérales.
Parce que ces patients souffrent à la fois d’une
amyotrophie, signe de la destruction des motoneurones, et de lésions des
régions latérales de la moelle, il nommera leur maladie : la « sclérose latérale amyotrophique ».
La SLA est une maladie particulièrement terrible, très
rapidement progressive, au pronostic toujours fatal. Le décès survient lorsque,
après avoir paralysé l’ensemble du corps, la maladie s’attaque aux neurones
innervant le diaphragme -le muscle qui nous permet de respirer.
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Symptômes de la sclérose latérale amyotrophique (SLA en français, ALS en anglais). |
Malgré cet horizon très sombre, l’espoir est tout de même
présent. Stephen Hawking vit avec la maladie depuis plus de 40 ans ! Elle
ne l’a pas empêché d’être l'un des esprits les plus brillants de notre époque, de
se marier… et de réaliser ses rêves !
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Stephen Hawking en apesanteur lors d'un vol "0g" en 2007. |
Légèrement en retrait, soutenant la pauvre Blanche qui vient
de perdre connaissance, c’est l'un des élèves préférés de Charcot.
Joseph Babinski
Joseph Babinski (1857-1932) soutenant Blanche. |
Le médecin, d’origine polonaise, a alors 30 ans. Après avoir
longtemps étudié la sclérose en plaques et les fuseaux neuromusculaires
(sorte de capteurs sensibles à l’étirement, placés dans les muscles, qui
interviennent notamment dans les réflexes ostéo-tendineux), il se consacrera à
la recherche des signes cliniques neurologiques les plus objectifs possibles.
Babinski a été très influencé par les travaux de Charcot sur
l’hystérie, notamment ses tentatives de décrire le plus précisément possible
les signes cliniques de la maladie. Chose très difficile tant la variété de
ceux-ci est grande : de la grande crise hystérique, durant laquelle le
malade se contorsionne, gémit, prend des attitudes grotesques, à la paralysie
inexpliquée en passant par la perte de
la vue ou du toucher… Tous les symptômes sont possibles et malgré un examen
clinique rigoureux, l'organisme de ces patients semble fonctionner parfaitement bien.
C’est dans cette optique là que Babinski va passer une
grande partie de sa vie à rechercher des signes cliniques objectifs, qui ne
peuvent pas être mimés, consciemment ou inconsciemment, par le patient.
Il est en effet capital pour un neurologue de savoir si la
paralysie qu’il observe chez son patient est d’origine psychogène (sans aucune
altération de l’organisme) ou dû à une véritable lésion du système nerveux. La
prise en charge sera, on le comprend bien, radicalement différente.
Le réflexe ostéo-tendineux est un mot bien compliqué pour
simplement évoquer le phénomène que recherche votre médecin lorsqu’il vous tape
sous la rotule avec son marteau à réflexe : son observation permet de lui
apporter toute une myriade d’informations et d’explorer le fonctionnement tout
à la fois des nerfs moteurs et sensitifs connectés au muscle, jusqu’à la moelle
épinière !
C’est d’ailleurs Babinski lui-même qui préconisa l’utilisation d’un marteau pour les rechercher, plutôt que de taper avec la tranche de la main comme cela se faisait à l’époque !
Le réflexe en lui-même est uniquement géré par la moelle
épinière. Les voies motrices qui descendent de notre cerveau ont elles plutôt
tendance à inhiber ce phénomène.
En conséquence, chez un patient dont la moelle épinière a
été sectionnée (accident de moto, que sais-je), ses réflexes ostéo-tendineux
seront beaucoup plus amples car les relais nerveux de la moelle épinière ne
seront plus freinés par le cerveau.
Ce type de patients sera beaucoup plus sensible au marteau à
réflexe : non seulement on en observera lorsqu’on percute sous la rotule,
mais aussi lorsqu’on percute à mi-cuisse !
Babinski découvrira que ces réflexes ostéo-tendineux sont inchangés chez les patients paralysés
hystériques, signant le bon fonctionnement de leur système nerveux moteur.
Il ne s’arrêtera pas en si bon chemin et continuera de
rechercher les signes cliniques de ce syndrome « pyramidal ».
C’est en 1898 qu’il décrira pour la première fois le
« phénomène des orteils », ou réflexe cutanéo-plantaire, que l’on appelle aujourd’hui « signe de Babinski » en son honneur.
Si vous vous amusez à gratter la plante du pied de votre
voisin avec un stylo (vous allez voir, c’est très drôle), vous observerez qu’il
fléchi automatiquement le gros orteil –c’est-à-dire qu’il se plie vers le bas. Il
s’agit d’une réaction tout à fait normale, le réflexe cutanéo-plantaire en
flexion.
En revanche, la réaction sera tout à fait différente si vous
le faites sur le patient dont la moelle épinière est sectionnée dont on parlait plus haut.
Chez lui, le gros orteil va au contraire se redresser vers le haut. C’est ce
que l’on appelle un réflexe cutanéo-plantaire « en extension », ou
signe de Babinski.
Tout le génie du disciple de Charcot sera de rattacher ce
signe à une atteinte des voies nerveuses pyramidales, qui transmettent les ordres moteurs du cerveau jusqu’à la
moelle épinière. Ce sont elles aussi qui freinent les réflexes ostéo-tendineux,
comme nous le disions plus haut.
Schématiquement, les voies pyramidales
inhibent les réflexes ostéo-tendineux automatiques et au contraire, sont
essentielles aux actions motrices volontaires.
Si ces voies sont sectionnées, on observera donc une
paralysie et une exagération des réflexes ostéo-tendineux.
En ce qui concerne le signe de Babinski, il serait expliqué
par une inhibition préférentielle des muscles extenseurs du gros orteil par les
voies pyramidales, faisant pencher la balance vers la flexion à l’état normal.
Si ces voies sont lésées, la balance penchera tout naturellement vers
l’extension.
Même si l’on se souvient aujourd’hui de Babinski
essentiellement pour la description de ces signes neurologiques, ses idées ont
eu une influence bien plus importante sur l’histoire de la neurologie en
France. En particulier, c’est lui qui signera l’acte de naissance de la
neurochirurgie française, en collaboration avec son élève Clovis Vincent.
Mais il n’y a pas que des médecins qui assistent aux leçons
du mardi du professeur Charcot. Si l’on regarde bien dans la foule, on peut
voir cet homme, barbu et presque chauve, qui regarde attentivement la scène.
Sans doute est-il là pour rapporter ce qu’il se passe lors
de ces présentations.
Il écrivait, en 1868 :
« Sans en être jaloux, sachons admirer partout la
grandeur et la beauté »
La libre parole
Merci d'être de plus en plus nombreux à suivre le blog ! N'hésitez
pas à commenter, partager et critiquer l'article si vous en avez envie !
Avant de vous souhaiter un bon week-end... selon vous, qui
est l'homme assis, de dos, juste sous le portrait de Claretie ?
SOURCES :
- http://www.baillement.com/lettres/charcot-brouillet.html
- Futagi, Y; Suzuki, Y (August 2010). "Neural mechanism and clinical significance of
the plantar grasp reflex in infants.". Pediatric
neurology 43 (2): 81–6
- L’œuvre de Joseph Babinski, Jacques Philippon*, Jacques
Poirier, La revue du praticien.
- Goetz, C. G. (2000).
Amyotrophic lateral sclerosis: early contributions of Jean‐Martin Charcot.
Muscle & nerve, 23(3), 336-343.
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Claretie
- http://www.mon-poeme.fr/citations-jules-claretie/