GILLES DE LA TOURETTE, BORDEL DE MERDE !
Encore une journée difficile.
Gilles rentrait chez lui de l’hôpital Cochin où il avait dû
se rendre pour examiner un patient. L’année 1893, qui touchait à sa fin, avait
été particulièrement éprouvante pour lui : il avait perdu son fils Jean,
victime d’une méningite, et son patron et ami, Jean-Martin Charcot, emporté par
un œdème pulmonaire foudroyant, en pleine campagne.
Et ce n’était pas cette soirée de décembre qui allait lui
remonter le moral.
A peine avait-il pénétré dans son immeuble, rue de l’Université,
que son valet lui annonça qu’une jeune femme l’attendait sur son palier.
Gentleman, il lui proposa de s’asseoir dans son cabinet.
A peine installés, Rose Kamper lui tendit un papier, où sont
inscrit 3 noms : ‘Rochas, Luys,
Charcot’.
« - Par pitié, donnez-moi 50 francs, je vous en
conjure ! Les médecins de la Salpêtrière m’ont ruiné ! »
Gilles réalisa que la femme qu’il avait en face de lui
n’était pas dans un état normal. Il avait l’œil aiguisé par plusieurs années de
pratique au sein du fameux service de neurologie et de psychiatrie du
professeur Charcot. Il tenta de refuser poliment, et de lui proposer un
traitement.
Elle refusa.
La situation étant bloquée, il tourna les talons pour ouvrir la porte de son cabinet, en priant la jeune femme de partir.
Rose enragea. Elle ne quitterait pas cette pièce sans avoir
ce qu’elle veut, ou sans avoir rendu justice ! Elle sorti de son sac un
revolver, et tira 3 fois !
Pan ! Pan ! Pan !
![]() |
Une du "Pays Illustré" évoquant l'attentat
contre Gilles de la Tourette. |
Le médecin,bien que touché au cou, réussit à fuir et à se mettre à couvert.
Rose, elle, ne tenta même pas de fuir. Elle descendit les marches
et s’assis dans le hall de l’immeuble. Lorsqu’elle fut capturée par les
policiers dépêchés sur place, elle déclara qu’elle savait que ce qu’elle avait
fait était mal, mais que cela était nécessaire et qu’elle était désormais
satisfaite. Au moins, l’un d’entre eux avait payé pour tous les autres.
L’un d’entre eux, c’était Gilles de la Tourette.
Il a alors 36 ans, et travaille comme médecin dans le
service du défunt Jean Martin Charcot, à l’hôpital de la Salpêtrière.
Passionné par les recherches sur l’hystérie qui s’y
déroulent, il avait appris à manier l’hypnose avec brio. C’était lui qui était
chargé de « préparer » les patients lors des célèbres « Leçons
du mardi » de Charcot.
C’est lui que l’on voit, assis de dos, sur ce tableau.
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La semaine dernière, je vous demandais quelle pouvait être l'identité de ce mystérieux
personnage, assis de dos au premier plan... La réponse est dans le titre ! |
C’est lui qui décrira, en 1885, la « Maladie des tics » qui prendra
ensuite son nom sous l’influence de Charcot (‘Quel joli nom pour une maladie aussi horrible !’).
Gilles de la Tourette avait eu l’occasion d’étudier, les 4
années précédentes, 8 cas de patients qui présentaient de curieux symptômes,
les tics. Cela pouvait être des mouvements de l’épaule par exemple, réalisés
involontairement. Certains ne pouvaient s’empêcher de répéter toutes les phrases
qu’ils entendaient. D’autres se mettaient même à insulter les passants sans pouvoir se contrôler !
Ces manifestations ressemblaient énormément au comportement
d’une certaine Marquise de Dampierre, décrit par le médecin français Jean Itard
60 ans plus tôt. Elle attirait continuellement l’attention par ses mouvements
de ses grognements incontrôlés, mais aussi par ses remarques obscènes qu’elle
ne pouvait réprimer !
La découverte de cette pathologie nouvelle n’enthousiasma
pas la communauté scientifique de l’époque. Elle tomba rapidement dans
l’oubli : seulement 50 cas furent décrits dans la littérature entre 1885
et 1975 !
C’est depuis 1978 et les travaux de Shapiro et ses collègues
que le syndrome de Gilles de la Tourette est revenu au premier plan des
neurosciences. Aujourd’hui, de plus en plus d’équipes tentent de comprendre
cette maladie qui lie de manière indissociable mouvement et émotion.
Qu’est-ce que le syndrome de Gilles de la Tourette ?
Le syndrome de Gilles de la Tourette est une pathologie
neurologique qui se caractérise par des tics brefs, répétés et (partiellement)
incontrôlés.
Il débute le plus souvent dans l’enfance. Les premiers tics
à apparaitre sont le plus souvent moteurs : un haussement d’épaule, des
clignements des paupières, un raclement de gorge… Qui peuvent parfois être plus
complexes, comme l’imitation des gestes des personnes en face de soi par
exemple.
Plusieurs semaines ou plusieurs mois après le début des tics
moteurs peuvent apparaitre les tics vocaux, du simple reniflement à la coprolalie (insulter ses interlocuteurs
involontairement) en passant par le rire incontrôlé.
Il est important de noter que la coprolalie, qui est le
symptôme le plus caricatural et connu du grand public lorsque l’on évoque le
syndrome de Gilles de la Tourette (et qui est repris dans le titre de
l’article) n’est présent que chez 20% des malades.
Par définition, ces tics peuvent être contrôlés par les
patients durant plusieurs minutes, voire plusieurs heures. Mais après cette
période de contrôle, les tics reviennent plus souvent et plus intensément. La
réalisation du tic permet au patient de se décharger de la situation d’inconfort
psychologique qui le prend (une ‘urgence de tiquer’, si l’on veut).
Un petit peu comme lorsqu’on a envie de faire pipi. On est
capable de se retenir un certain temps... mais au prix d’un mal-être certain.
Les personnes souffrant de tics peuvent les réprimer pendant
un certain temps, mais au bout d’un moment l’envie devient ‘trop pressante’.
Le tic n’est donc pas complètement involontaire : il
peut être transitoirement contrôlé, au prix d'une tension psychologique grandissante pour le patient.
Tout le but des thérapies dans ce genre de cas est d'entraîner le patient à contrôler ses tics sans cette sensation d'inconfort.
Tout le but des thérapies dans ce genre de cas est d'entraîner le patient à contrôler ses tics sans cette sensation d'inconfort.
Le syndrome Gilles de la Tourette s’accompagne souvent
d’autres troubles psychologiques, comme l’hyperactivité, les TOCs (troubles
obsessionnels compulsifs) voire même de l’automutilation.
Il s’agit d’un trouble fréquent, touchant un petit peu moins
de 1% des enfants. Fort heureusement, une prise en charge adaptée permet de
limiter les impacts sur la vie sociale. Dans l’immense majorité des cas (80%),
les manifestations s’arrêtent spontanément durant l’adolescence.
D’où provient ce syndrome ?
Dans la philosophie chinoise, le Tao (le chemin, la voie)
résulte de l’intrication entre 2 principes complémentaires (mais pas opposés),
le yin et le yang. Telle une balance, ces 2 forces doivent en permanence s’égaliser pour assurer l’équilibre du monde.
Il se passe exactement la même chose dans nos cerveau, qui
est soumis à une double influence, excitatrice par ses neurones glutamatergiques, et inhibitrice par ses
neurones GABAergiques. L’équilibre
entre ces 2 ressorts est capital au bon fonctionnement du cerveau.
Son dérèglement est mis en évidence ou suspecté dans un
grand nombre de maladies neurologiques ou psychiatriques, tel que l’autisme ou
le syndrome de Gilles de la Tourette.
Dans le cas des patients souffrant de tics, ce déséquilibre
est localisé en particulier (mais pas seulement) au niveau de structures
profondes du cerveau : les noyaux gris centraux.
Ces derniers ont un rôle capital dans l’exécution de
l’action et son apprentissage. Ils peuvent être imaginés comme de grands
entonnoirs qui concentrent, petit à petit, les informations qui lui proviennent
de l’ensemble du cortex cérébral. Des informations motrices, mais aussi
émotionnelles ou sensorielles qui sont rattachées à l’action.
Lorsque vous embrassez votre chéri(e), l’action peut se
décomposer en informations motrices (le fait d’embrasser), émotionnelle (enfin,
normalement !) et perceptive.
Le rôle des noyaux gris centraux est alors de comprimer ces
informations, de les mixer, de les mélanger, pour en fournir une sorte de
synthèse au cortex préfrontal, le
chef d’orchestre de notre cerveau qui lui va prendre la décision d’effectuer le
mouvement ou non.
Au sein de ces noyaux gris centraux, le rôle des neurones GABAergiques est particulièrement
important. Ce sont eux qui sont impliqués dans les tics. Une équipe de
chercheurs israéliens ont réussi à reproduire des pseudo-tics chez des souris
en leur injectant, dans leurs noyaux gris centraux, une molécule capable de
bloquer de ces neurones !
Il a de plus été montré que le nombre de neurones GABAergiques
était diminué chez les patients souffrant du syndrome de Gilles de la Tourette. Moins de neurones inhibiteurs, et l'équilibre excitation/inhibition est rompu : la pathologie apparaît.
Certains scientifiques ont émis l’hypothèse que l’origine du
syndrome serait dans un défaut d’inhibition des actions et du comportement en
général : les noyaux gris centraux et le cortex préfrontal ne savent plus
inhiber les mouvements inutiles et répétés, qui se traduisent donc par les
tics.
Cependant, cette théorie est à prendre avec des pincettes
car les études ne sont pas du tout unanimes à propos d’un quelconque défaut d’inhibition
comportementale.
D’une manière générale, nous ne pouvons pas tirer de
conclusions trop générales des études portant sur le syndrome de Gilles de la
Tourette, car il existe de très nombreuses comorbidités. De plus, il est
souvent très difficile de déterminer si la différence que l’on observe est due
au syndrome, ou s’il résulte d’une adaptation du cerveau !
Il semblerait que le dysfonctionnement des noyaux gris
centraux soit à l’origine d’un apprentissage anormal de certains mouvements qui
deviennent alors automatiques, répétés
et involontaires. S’établissant tôt dans l’enfance, ils sont ensuite très
difficiles à désapprendre.
Pourquoi la majorité des enfants atteints du syndrome guérissent-ils spontanément durant l’adolescence ?
On peut naturellement penser que l’enfant, devant la
nécessité de contrôler sans cesse ses tics, exercera et développera ses
capacités d’inhibition motrice. Il acquiert ainsi progressivement des mécanismes compensatoires qui
lui permettent de gommer ses tics.
Une des structures cérébrales essentielles dans ce processus
est le cortex préfrontal, le grand chef d'orchestre de notre cerveau. C'est lui qui nous permet de contrôler de ce que l'on fait et de prendre des décisions.
Des études utilisant l’EEG (l’électro-encéphalogramme, qui permet d’étudier le fonctionnement de notre cerveau) ont montré que ce dernier était connecté de manière plus étroite avec le cortex moteur chez les patients qui étaient capables de réprimer leurs tics.
Des études utilisant l’EEG (l’électro-encéphalogramme, qui permet d’étudier le fonctionnement de notre cerveau) ont montré que ce dernier était connecté de manière plus étroite avec le cortex moteur chez les patients qui étaient capables de réprimer leurs tics.
Une autre étude s’est attachée à mesurer le volume du cortex
préfrontal chez des enfants et des adultes atteints du syndrome de Gilles de la
Tourette. Leurs conclusions sont stupéfiantes.
Cette étude mis en évidence que chez les enfants atteints
(et uniquement chez eux !), la partie dorsale du cortex préfrontale était en moyenne significativement plus grosse
que chez les enfants normaux.
En revanche, aucune différence n’était notée chez les
adultes malades.
Pourquoi ne retrouve-t-on pas d'adulte malades avec un cortex préfrontal dorsal épaissi ?
Pourquoi ne retrouve-t-on pas d'adulte malades avec un cortex préfrontal dorsal épaissi ?
Nous pouvons supposer que les enfants qui possèdent un plus gros cortex
préfrontal dorsal (ou qui sont capables de plus le développer) sont ceux qui
réussiront à inhiber leur tics à l’adolescence, et ils n’en souffriront plus à
l’âge adulte.
Au contraire, les enfants malades avec un cortex préfrontal
dorsal de taille normale ne développeront pas les capacités de contrôle
nécessaires à l’inhibition de leurs tics, qui persisteront à l’âge adulte.
Cela explique qu’on ne retrouve aucun adulte malade avec un
cortex préfrontal dorsal plus large que la moyenne !
Il existe d’autres régions très importantes dans la
génération et la mise en place du contrôle des tics du syndrome de Gilles de la
Tourette. En particulier, l’aire motrice
supplémentaire (ou AMS) a un rôle important dans le contrôle conscient et
inconscient d’une action. En inhibant cette région chez des patients grâce à la
TMS (ou stimulation magnétique
transcrânienne, qui permet d’agir sur le fonctionnement de certaines
régions cérébrales grâce à un champ magnétique), des chercheurs ont réussis à
faire diminuer transitoirement la sévérité des tics.
Ces théories sont actuellement fortement débattues et
remises en question par de nouvelles études qui montrent qu’il n’existe pas de
connections plus fortes entre le cortex préfrontal et le cortex moteur.
Nous ne comprenons pas encore très bien les tics, ces
curieux phénomènes durant lesquels les actions et les émotions
s’entrechoquent !
Rose Kamper fut
arrêtée pour son crime, et enfermée dans un asile. Elle réussit à s’enfuir
quelques années plus tard, et vécut paisiblement ensuite jusqu’à ses 92 ans.
Gilles de la Tourette survécu à cette tentative
d’assassinat. La balle n’avait fait que l’effleurer. Il poursuivit sa brillante
carrière à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, et fut même le responsable
médical de l’exposition universelle de 1900 à Paris.
![]() | ||
Le Grand Palais fut construit à l'occasion de l'exposition universelle
de Paris en 1900. |
Son état de santé se dégrada rapidement après. En 1901, il
commence à ressentir les premiers symptômes de ce qu’il pense être la
neurosyphylis, très commune à l’époque.
Pour le protéger de la presse à scandale, le fils de Jean
Martin Charcot lui-même le fit interner de force dans un hôpital psychiatrique
suisse. Gilles de la Tourette devint de plus en plus dépressif, mégalomane,
halluciné, et tenta de mettre fin à ses jours.
Ses dernières années de vie lui furent extrêmement pénibles,
sombrant de plus en plus dans la psychose.
Il mourut entouré de sa famille le 22 mars 1904, à l’âge de
47 ans.
SOURCES :
- http://www.baillement.com/lettres/tourette_attentat.html
- Krämer, H., & Daniels,
C. (2004). Pioneers of movement disorders: Georges Gilles de la Tourette. Journal of neural transmission, 111(6), 691-701.
- Jackson, G. M., Draper,
A., Dyke, K., Pépés, S. E., & Jackson, S. R. (2015). Inhibition,
Disinhibition, and the Control of Action in Tourette Syndrome. Trends in cognitive sciences, 19(11), 655-665.
- Israelashvili, M., Loewenstern, Y., & Bar-Gad, I. (2015). Abnormal
neuronal activity in Tourette syndrome and its modulation using deep brain
stimulation.Journal of neurophysiology, 114(1), 6-20.
- www.orpha.net/data/patho/Pub/fr/GillesdelaTourette-FRfrPub43v01.pdf