MA MOITIE INHIBE L'AUTRE
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Première "Une" du magasine Science, un des journaux scientifiques les plus prestigieux. |
La recherche s’est métamorphosée en l’espace de 100 ans. Cela saute aux yeux lorsque l'on a l’occasion de se plonger dans de vieux articles, publiés au début du 20ème siècle.
Il n’y avait alors pas la même rigueur scientifique et
statistique, codifiée, que nous connaissons aujourd’hui.
Les neuroscientifiques du début du 20ème siècle
exploraient la jungle, les scientifiques d’aujourd’hui y construisent des
buildings (qui n’ont pas toujours la même saveur que les études pionnières des
explorateurs).
C’est une impression que l’on retrouve tout à fait lors de
la lecture d’un article de 1911, rédigé par Knight Dunlap et publié dans la
revue Science.
Cette étude explore les bases de ce qui deviendra la TMS, la
stimulation magnétique transcranienne.
Depuis quelques siècles, certains scientifiques se prennent
de passion à stimuler certains muscles chez l’animal (et chez l’Homme) avec des
courants électriques. Galvani et Volta, au 18ème siècle, furent des
pionniers en la matière et leurs travaux permirent de découvrir que les influx
nerveux étaient bien d’authentiques courants électriques.
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Galvani observait une contraction musculaire des cuisses de grenouilles qu'il stimulait avec un courant électrique. |
Dans la continuité de ces découvertes, les scientifiques se sont demandé s’il était possible de faire de même avec le cerveau.
Non pas avec des courants électriques (bien que ce soit
possible, sans que cela nous grille la cervelle), mais avec des champs
magnétiques.
Pour cela, ils ont construit de grosses bobines de fils,
dans lequel ils faisaient passer un courant électrique (Rappelez-vous que la
boussole s’oriente perpendiculairement à un fil métallique parcouru d’un
courant électrique : une démonstration toute simple de la création d’un
champ magnétique par ledit circuit).
Le courant magnétique que cela produit permet de stimuler les réseaux neuronaux du cerveau lorsque la bobine est placée contre le crâne : par induction magnétique, les variations du champ magnétique engendrent un courant électrique chez les neurones qui y sont soumis : un influx nerveux.
Le courant magnétique que cela produit permet de stimuler les réseaux neuronaux du cerveau lorsque la bobine est placée contre le crâne : par induction magnétique, les variations du champ magnétique engendrent un courant électrique chez les neurones qui y sont soumis : un influx nerveux.
Grâce à son imposante bobine, Dunlap put stimuler
magnétiquement le cerveau et observer quels effets cela produisait.
Il testa sa bobine sur ses collègues et lui-même (ah, le
charme des explorateurs !), durant un bel après-midi ensoleillé (l'auteur s'est senti obligé de le préciser).
Malgré cet environnement lumineux, il put distinctement
observer des phosphènes (des éclairs lumineux) lorsque l'on stimulait son cerveau.
Certains de ses collègues ne les voyaient que s'ils étaient soumis à des champs magnétiques plus forts: il existe un effet seuil, propre à chacun, en dessous duquel
on ne perçoit rien. Aujourd'hui encore, la calibration de l’appareil lors d’une
expérience de TMS consiste (entre autre) à mesurer ce seuil.
Il était donc possible de stimuler directement le cerveau,
grâce à des champs magnétiques ! (En réalité, il s’avéra que Dunlap et ses
copains ne stimulaient pas leur cortex cérébral, mais directement leurs nerfs
optiques.)
Il fallut 70 années supplémentaires pour que la TMS se
perfectionne et soit utilisée pour la première fois en clinique.
Aujourd’hui en France, la TMS est principalement utilisée dans la recherche et les applications cliniques restent rares (ce n’est pas le cas aux Etats-Unis par exemple où elle est beaucoup plus utilisée à des fins thérapeutiques).
Aujourd’hui en France, la TMS est principalement utilisée dans la recherche et les applications cliniques restent rares (ce n’est pas le cas aux Etats-Unis par exemple où elle est beaucoup plus utilisée à des fins thérapeutiques).
La TMS peut être utilisée dans le traitement de la dépression ou des TOCs, par exemple. On peut aussi grâce à elle étudier des domaines aussi variés que la cognition sociale, la vue ou la conscience.
Elle permet aussi de s’intéresser au dialogue entre nos 2
hémisphères.
Nous l’avons vu dans l’article précédent, nos 2 hémisphères
sont reliés par un épais faisceau d’axones : le corps calleux. Composé de
plus de 300 millions de fibres, il permet aux régions homologues de chaque
hémisphère de communiquer. Lorsque ce
corps calleux est lésé, les 2 moitiés cérébrales ne peuvent plus communiquer et
on observe alors un syndrome de déconnexion.
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Le corps calleux est en rouge sur cette image. Il permet de relier nos 2 hémisphères cérébraux. |
Mais le corps calleux ne sert pas uniquement à transmettre des informations d’un hémisphère à l’autre. Il a un rôle capital dans la régulation du dialogue interhémisphérique.
Cela peut être mis en évidence par une expérience utilisant
la TMS -2 appareils de TMS pour être plus précis, grâce auxquels on va stimuler
le cortex moteur des 2 hémisphères.
Lorsque l'on stimule le cortex moteur avec la TMS, on va
entraîner un mouvement musculaire du côté
opposé : si on stimule l’hémisphère gauche, on observera un mouvement à
droite et vice-versa. Pour objectiver ce mouvement, on va placer au niveau des
muscles activés de petites électrodes qui vont pouvoir mesurer les contractions
musculaires, dans le cadre d’un examen que l’on appelle EMG –pour ElectroMyoGramme.
Comme nous le disions dans un article précédent, le corps
est représenté de manière somatotopique le long du cortex moteur : c’est
l’homonculus de Penfield. En plus de
représenter chaque partie du corps le long du cortex moteur, c’est chaque
muscle qui possède sa région propre en son sein, avec un petit
nombre de neurones qui lui sont dédiés.
La TMS est une technique suffisamment précise pour stimuler
sélectivement une de ces régions. Il est donc possible de cibler un muscle tout
particulier « sur le cortex ». Il est par
exemple possible de stimuler sélectivement les neurones qui codent pour la contraction du
1er muscle interosseux dorsal de la main –nom barbare qui correspond
au muscle qui participe à la saisie d’un objet entre son pouce et son index.
Lorsque l'on stimule cette région précise sur le cortex, on
observe quelques centaines de millisecondes plus tard une contraction du muscle
interosseux controlatéral, et donc un pic sur l’EMG.
Si on stimule les cortex moteurs des 2 hémisphères en même temps (grâce à 2 appareils de
TMS), on observera une contraction musculaire des 2 côtés, aussi bien au niveau
de la main droite que de la gauche.
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Lors de notre expérience, nous utiliserons 2 appareils de TMS pour stimuler les mêmes régions motrices des 2 hémisphères. |
Plusieurs équipes de scientifiques ces dernières décennies
ont cherché à savoir ce qu’il se passait lorsque les 2 cortex moteurs étaient
stimulés non pas simultanément, mais avec un léger décalage.
Ils constatèrent que lorsque l’intervalle entre les 2
stimulations était de 10 millisecondes (ms), le signal recueilli sur l’EMG
était beaucoup plus faible. La contraction musculaire était beaucoup plus
faible.
Ainsi, lorsque l'on stimule le cortex moteur droit, on observe
un signal EMG au niveau de la main gauche. Mais lorsque la stimulation du côté
droit est précédée, 10ms plus tôt, d'une stimulation du cortex moteur gauche correspondant, le signal EMG est drastiquement diminué.
Pourquoi ?
Notre corps calleux ne permet pas seulement la communication
d’informations entre nos 2 hémisphères cérébraux. Il permet aussi à un
hémisphère d’inhiber l’autre, de manière transitoire.
Notre moitié inhibe l’autre.
C’est un mécanisme très important dans le fonctionnement de
notre cerveau.
En ce qui concerne nos mains, il s’agit peut-être d’une des
raisons de notre préférence manuelle –le fait d’être droitier ou gaucher.
De la même manière, lorsque nous avons besoin de parler,
nous mettons en jeu notre hémisphère gauche, qui dit alors au droit :
« T’inquiète, je m’en occupe, je sais faire ». Ou encore, lorsque
nous devons reconnaitre un visage, l’hémisphère droit dit au gauche :
« Tu ne pourrais même pas reconnaître ta propre mère, laisse tomber !
Moi, je suis expert là-dedans. »
Tout ça grâce à une inhibition de l’autre hémisphère.
D’où provient cette inhibition ?
Dans notre cerveau, nous n’avons pas seulement des
mécanismes excitateurs –des neurones, fonctionnant avec une molécule appelée glutamate, qui servent à transmettre des
informations. Nous avons aussi des neurones qui fonctionnent avec une autre
molécule, l’acide-γ-aminobutyrique (mais
vous avez le droit de l’appeler GABA) : les interneurones.
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Marquage des interneurones (en vert) dans un cortex de souris. Ce marquage est obtenu grâce à une protéine fluorescente, la GFP. |
Ces interneurones sont de puissants inhibiteurs. Leur rôle
est fondamental : ce sont eux qui régulent les décharges des neurones
excitateurs. Ce sont eux qui règlent le fonctionnement des réseaux neuronaux.
On retrouve des dysfonctionnements de ces interneurones dans
la schizophrénie ou l’autisme par exemple. Dans ces pathologies, ce déficit de régulation pourrait expliquer certains mécanismes pathologiques.
On parle de balance excitation/inhibition : un
contre-pouvoir à l’excitation neuronale est nécessaire au bon fonctionnement
cérébral. Si cette balance est déséquilibrée (que ce soit par trop
d’excitation, pas assez d’inhibition ou vice versa) notre cerveau fonctionne moins
bien et apparaît la pathologie.
L’inhibition interhémisphérique est nécessaire au bon
fonctionnement du cerveau et notamment à la spécialisation hémisphérique et la
latéralisation des capacités cognitives –comme nous l’avons vu pour le langage
ou la reconnaissance des visages.
Les capacités cognitives ne sont pas réparties
symétriquement entre les 2 hémisphères : cela permet de « libérer de la
place » pour de nouvelles aptitudes.
L’inhibition mutuelle de nos hémisphères est peut-être ce qui
nous a permis de développer nos capacités cognitives hors du commun.
SOURCES :
- Dunlap, K. (1911).
Visual sensations from the alternating magnetic field.Science, 68-71.
- van der Knaap, L. J., & van der Ham, I. J. (2011). How does the
corpus callosum mediate interhemispheric transfer? A review. Behavioural brain research, 223(1),
211-221.
- Daskalakis, Z. J., Christensen, B. K., Fitzgerald, P. B., Roshan, L.,
& Chen, R. (2002). The mechanisms of interhemispheric inhibition in the
human motor cortex. The Journal of physiology, 543(1), 317-326.
- Schnitzler, A., Kessler, K. R., & Benecke, R. (1996).
Transcallosally mediated inhibition of interneurons within human primary motor
cortex. Experimental brain research, 112(3), 381-391.
- Bloom, J. S., & Hynd, G. W. (2005). The role of the corpus
callosum in interhemispheric transfer of information: excitation or inhibition?.Neuropsychology review, 15(2), 59-71.