Trouble oppositionnel : ce ne sont pas des enfants mal élevés !

 

L’opposition fait partie intégrante du développement de l’enfant et de la structuration de sa personnalité. En effet, dès les premières années de vie, l’enfant s’oppose à ses parents, ce qui lui permet de commencer à acquérir son identité propre : c’est la période qui correspond globalement aux “terrible two”, entre 2 et 4 ans. Cette notion grand-public est réductrice : cette période dure rarement 2 ans, elle peut démarrer avant le deuxième anniversaire, et surtout les phénomènes qui s’y passent sont incroyablement divers, hétérogènes, variables à mesure que l’enfant grandit, des interactions avec ses parents, et mille autres influences. De plus, les comportements d’opposition au cours de cette période peuvent recouvrir des origines et des significations diverses : pour se différencier de ses parents, mais aussi pour explorer le monde qui l’entoure, ou pour acquérir les règles et le cadre éducatif. Les comportements agressifs peuvent aussi refléter une angoisse ou un sentiment d’insécurité.

Ainsi, quand on parle d’opposition, on évoque en réalité des phénomènes de natures très différentes. Tout regrouper sont une appellation unique, c’est pratique, mais c’est réducteur.

Il peut arriver, chez certains enfants, dans certaines circonstances, que ces comportements d’opposition soient particulièrement intenses, fréquents ou prolongés. On peut alors se questionner sur le diagnostic de trouble oppositionnel avec provocation, qui est l’objet du présent article.

Le trouble oppositionnel avec provocation (TOP) a été formalisé pour la première fois en 1980, dans le DSM 3, le manuel de référence de la psychiatrie américaine. C’est donc un diagnostic relativement récent, bien qu’évidemment les comportements d’opposition qu’il regroupe existent depuis bien longtemps. Dès l’origine, la véracité de ce diagnostic est questionnée : s’agit-il d’une véritable identité propre, ou simplement une variation de la normale ? S’inclut il dans d’autres diagnostics psychiatriques, comme le TDAH (trouble de déficit attentionnel avec/sans hyperactivité) ou le trouble des conduites (TC) ? Ces questions sont encore débattues à l’heure actuelle, mais il semble qu’on puisse considérer le TOP comme un diagnostic propre : c’est le parti que nous prenons aujourd’hui.

Le TOP toucherait environs 3% des enfants. Il se caractérise par plusieurs symptômes que l’on regroupe dans 3 catégories : l’irritabilité et le caractère colérique, les comportements d’opposition et les vengeances. Les enfants avec un TOP sont souvent décrits comme irritables, rancunier. Ils tolèrent difficilement la frustration et le “non”, qui peuvent provoquer d’importantes colères au cours desquelles ils peuvent se montrer insultant ou agressifs. Ils ont tendance à désobéir, s’opposer frontalement aux ordres, en particulier lorsque ceux-ci émanent de figures d’autorité -et en premier lieu des parents. Ils sont en difficulté pour trouver des compromis, négocier ou donner aux autres, et certains peuvent chercher la vengeance en cas de conflit.

Le trouble oppositionnel avec provocation se décompose en 3 grands types de symptômes : l'irritabilité/colères, les comportements d'opposition et les comportements de vengeance.

Les 3 catégories symptomatiques du TOP sont importantes car elles permettent de dessiner des profils d’enfants différents, avec des évolutions et des pronostics différents, et répondant à des prises en charges spécifiques. Les origines et difficultés associées à ces catégories sont elles aussi différentes. C’est par exemple le cas des facteurs de risque génétiques du TOP. Ce trouble est en effet associé à une héritabilité importante, indépendamment des influences environnementales dont nous parlerons après. Plusieurs études ont montré que ces facteurs de risque génétiques sont communs avec de nombreux autres troubles psychiatriques. Mais cela est encore plus intéressant lorsqu’on s’intéresse aux différents symptômes du TOP, et leurs facteurs de risque génétiques propres. Ainsi, la dimension “irritabilité/caractère colérique” partage des facteurs de risque génétiques avec les troubles anxieux et la dépression, alors que la dimension “opposition” partage elle des prédispositions génétiques avec le trouble des conduites et le TDAH ! On se rend bien compte que la clinique, tout comme la biologie, permet d’identifier des profils d’enfants distinct au sein du TOP, qui auront probablement des trajectoires développementales et des pronostics différents -certains seront plus à risque de développer une dépression, et d’autre un trouble des conduites par exemple.

Malgré le fait que le TOP soit un diagnostic décrit et reconnu depuis plusieurs décennies, la recherche concernant ses bases physiopathologiques restent rares, et ses origines sont encore méconnues. Ces dernières sont complexes car elles regroupent, pour un même individu, de nombreux facteurs, à la fois neurobiologiques, mais aussi environnementaux. Ils peuvent concerner les parents, l’enfant et les interactions entre eux.

Le style d’éducation des parents a été précocement identifié comme un facteur de risque de TOP. Par exemple, il semble qu’un cadre ou qu’une discipline trop rigide (toujours la même réponse face aux transgressions ou aux bêtises, sans tenir compte du contexte), trop imprévisible (avec des règles qui changent sans raison) ou trop explosive (réponse “de haute intensité” qu’importe la gravité de la transgression) favorisent la survenue et la pérennisation des comportements d’opposition. L’absence d’implication du parent dans la vie et dans l’éducation de l’enfant semble aussi un facteur important. Ces origines parentales sont importantes à connaitre, mais il ne faut pas oublier la complexité de ces situations, et ne pas culpabiliser des parents en souffrance. D’autant plus que de nombreux autres facteurs rentrent en jeu, par exemple du côté de l’enfant.

Les enfants développent, au cours de leur développement, de nombreuses capacités leur permettant de canaliser et de gérer leurs émotions et leur comportement –ce qui est indispensable pour développer la capacité de compliance face aux ordres et injonctions, la tolérance à la frustration et la résolution des problèmes et des conflits. Les comorbidités associées au TOP permettent de nous éclairer sur ces points. En effet, 2 troubles sont particulièrement associés au TOP : le TDAH et le retard de langage, qui viennent mettre en lumière certains mécanismes psychopathologiques du TOP.

Le TDAH se caractérise par une fragilité des fonctions exécutives, qui regroupent tout un ensemble de capacités cognitives comme la mémoire de travail (qui permet de garder en mémoire à court terme des informations afin de pouvoir les manipuler mentalement), l’inhibition (de pensées, émotions ou comportements parasites ou inappropriés), la flexibilité mentale (le fait de passer facilement d’une idée ou d’un comportement à un autre) ou encore l’attention. Ces fonctions exécutives sont essentielles pour obéir à un ordre. En effet, lorsqu’on donne un ordre à un enfant, il doit tout d’abord pouvoir focaliser son attention dessus. Il doit pouvoir faire preuve de flexibilité mentale afin de passer de l’activité qu’il était en train de faire à la réalisation de l’injonction, et inhiber les comportements concurrent (par exemple, si on lui donne l’ordre d’aller prendre une cuillère dans la cuisine, ne pas prendre le gâteau juste à côté), et de pouvoir garder l’injonction en mémoire de travail le temps de sa réalisation (il est difficile de réaliser l’ordre si on oublie en arrivant dans la cuisine ce qu’on était venu y faire !). Les enfants avec des fragilités exécutives seront plus en difficulté pour obéir aux ordres de leurs parents, pouvant aboutir à des situations conflictuelles pouvant majorer les comportements d'opposition.

Le langage apparait aussi particulièrement important dans gestion émotionnelle et des comportements. L’accès au langage permet de mieux décrire ses émotions, et aussi de mieux les catégoriser. Il est par exemple fréquent que les enfants avec des retards de langage se frustrent devant leurs difficultés à communiquer leurs états d’âme. Il est aussi plus difficile pour eux de les analyser et de les nommer. Le langage est aussi capital dans le feedback que font les parents à propos des situations, des émotions et des comportements de leur enfant (“Je sens que tu es stressé, qu’est ce qui se passe ?”, “Tu fais une colère, ce n’est pas acceptable !”), et donc limite les capacités d’apprentissage de l’enfant par rapport à ces situations.

Les difficultés exécutives ou langagières n’expliquent pas systématiquement les comportements d’opposition de l’enfant. Cependant, ce qui est certain, c’est que ces difficultés entravent les enfants dans leur compliance face aux ordres de leurs parents, et qu’il faut en tenir compte dans le style éducationnel des parents.

On le pressent, l’origine du TOP ne réside pas seulement dans le style d’éducation des parents, ni dans les caractéristiques propres des enfants, mais bien des interactions entre les deux parties. Au cours des situations conflictuelles, c’est bien 2 tempéraments qui s’affrontent. La combinaison de ces tempéraments rend le risque d’escalade et d’opposition plus ou moins fort –certains sont plus “explosifs” que d’autres. Par exemple, un parent de tempérament anxieux aura tendance à être moins patient, plus directif. En retour, un enfant anxieux aura tendance à moins bien réguler ses émotions et supporter la frustration. L’association des deux est donc à risque de majoration des conflits et de l’opposition. Il est donc important de prendre en considération les tempéraments des parents et de l’enfant pour réfléchir à des solutions permettant d’apaiser les choses. Dans le cas contraire, on peut vite se retrouver dans un cercle vicieux (voir la figure ci-dessous) qui va renforcer les comportements d’opposition chez l’enfant, qui deviendront progressivement de plus en plus systématiques.

Image reproduite de l'article de Hawes et al. (2023).

Il est évident que ces renforcements, tant du côté de l’enfant que du parent, sont inconscients, et résultent de stratégies de résolution de conflit dysfonctionnelles, ainsi que des tempéraments des deux parties.

De plus, il faut garder en tête que ces comportements d’opposition de se réalisent pas indépendamment des autres systèmes psychiques des parents, et surtout de l’enfant. Ainsi, il existe de fortes connexions avec le système attachemental –dont nous parlions dans cet article. Comme nous le disions plus haut, un cercle vicieux de la coercition peut rapidement se mettre en place, prenant de plus en plus de place dans les interactions parents-enfant, et réduisant en conséquence de plus en plus les temps de plaisir partagé, ou plus généralement d’interactions chaleureuses et positives. Pire, cela peut aussi à terme favoriser les comportements de rejet de l’enfant par les parents, mettant à mal le système d’attachement de l’enfant. A terme, le seul mode d’interaction et de communication entre les parents et l’enfant passe par le conflit et l’opposition, et cela peut même devenir pour l’enfant une stratégie (dysfonctionnelle) pour maintenir le lien d’attachement avec ses parents ! Les comportements d’opposition et conflictuels sont alors majorés et chronicisés. L’opposition peut alors devenir un modèle d’interaction et se généraliser à d’autres situations ou d’autres cercles, avec les pairs ou les professeurs par exemple. Dans ces cas-là, les répercussions fonctionnelles sont importantes.

Image reproduite de l'article de Hawes et al. (2023).

Fort du constat que le TOP provient d’un mélange de facteur provenant à la fois de l’enfant, du parent et encore plus des modes d’interactions entre eux, plusieurs programmes et thérapies ont été conçues pour permettre une prise en charge adaptée et personnalisée des TOP. Il existe par exemple des programmes d’entraînement parental, comme le programme “Incredible Years”, dont le but est d’expliquer le TOP aux parents, et de leur permettre d’adapter leurs méthodes éducatives aux particularités de leur enfant –par exemple, en utilisant le renforcement positif ou en formulant différemment leurs ordres. Ces thérapies s’axent aussi sur la promotion des instants de plaisir partagés au sein de la famille, afin de prévenir les attachements insécures et de restaurer des interactions en dehors des conflits. Il est enfin important d’accompagner l’enfant dans ses difficultés, par exemple avec des rééducations centrées sur les fonctions exécutives.

Il existe enfin des thérapies centrées sur les interactions parents-enfant et sur la gestion ensemble de la crise et des conflits. Ces thérapies permettent tout d’abord de mieux comprendre la dynamique de la crise, les évènements, les paroles, les comportements et les émotions qui vont provoquer une situation d’opposition -tant du côté des parents que de l’enfant. Une fois le conflit installé, 3 voies de résolution sont envisageables : soit le parent impose son injonction, au risque de majorer l’opposition, soit le parent retire son injonction, permettant un apaisement rapide du conflit mais au risque d’une absence de cadre –ce qui n’est pas une solution optimale pour la structuration de l’enfant. Ainsi, c’est bien une troisième voie qu’il faut privilégier : celle de la résolution collaborative, négociée, du conflit en cours. L'objectif de ce type d’approche est précisément d’entraîner les deux parties dans cette troisième voie, et in fine de passer d’une logique de résolution de la crise à une logique de prévention/anticipation.

Ces interventions sont décrites comme d’autant plus efficaces qu’elles sont mises en place tôt, chez des enfants dont le TOP est tout juste naissant. La meilleure thérapie, c’est la prévention !

Il n’existe par ailleurs par de prise en charge médicamenteuse spécifique du TOP. Il apparait en revanche important de traiter les possibles comorbidités, par exemple un trouble anxieux sévère (avec des antidépresseurs si besoin), et encore plus un TDAH associé. Les supplémentations alimentaires et autres prises en charge diététiques sont inefficaces et peuvent même être dangereuses si elles induisent des carences chez des enfants, alors en pleine croissance.

Même si nos connaissances concernant le TOP, ses origines, sa physiopathologie et ses prises de charges, progressent de jour en jour, beaucoup reste à faire. Il est en revanche certain que ses origines sont complexes et multifactorielles, et qu’on ne peut pas le réduire à un simple défaut d’éducation parental. Les enfants avec un TOP, ce ne sont pas des enfants “mal élevés” !

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 SOURCES :

  • Fairchild, Graeme, et al. "Conduct disorder." Nature Reviews Disease Primers 5.1 (2019): 43.

  • Hawes, David J., et al. "Oppositional defiant disorder." Nature Reviews Disease Primers 9.1 (2023): 31.

  • Hersen, Michel, and Alan M. Gross, eds. Handbook of clinical psychology, volume 2: children and adolescents. Vol. 2. John Wiley & Sons, 2008.


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