La théorie de l'attachement

 

Dans cette série d’articles, qui s’enrichira progressivement, je vous propose une revue synthétique et brève d’une notion ou d’une théorie psychologique ou psychiatrique. L’objectif est de résumer une théorie, de la façon la plus claire possible, en moins de 2000 mots. Ainsi, des notions complexes seront nécessairement simplifiées et l’article n’est pas destiné à l’exhaustivité. Il sera aussi difficile de critiquer les notions présentées, quand bien même ces critiques sont nécessaires. Ces articles peuvent en revanche représenter un tremplin pour découvrir plus en détails les sujets que nous aborderons, et aussi un point de départ de discussions quant au défauts (systématiques) de ces théories.

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Pendant la seconde guerre mondiale, de nombreux enfants orphelins ont été pris en charge dans les « maisons d’enfants », des structures d’accueil dirigées par Anna Freud (la fille de Sigmund) dans la banlieue londonienne. Elle exigeait que tout le personnel observe attentivement le comportement des enfants, afin de mieux les comprendre et leur prodiguer les soins nécessaires. C’est ainsi que James Robertson, le chauffagiste, non seulement réparait les chaudières défectueuses, mais notait consciencieusement ses observations cliniques quotidiennes.

James Robertson n’est pas un plombier comme les autres, et possède un sens clinique particulièrement aiguisé. C’est lors de ses contacts quotidiens dans les « maisons d’enfants » qu’il observera les effets de la séparation des jeunes bambins d’avec leurs parents, qui se caractérisent par trois phases : tout d’abord, l’enfant proteste et réclame son parent, puis survient le désespoir si le parent en question ne revient pas. Enfin, il existe une phase de résignation, de détachement, au cours de laquelle l’enfant semble apathique et ne réclame plus ses parents auprès de lui.

Au même moment, un psychiatre anglais, John Bowlby, est chargé du suivi des enfants orphelins. Il observe lui aussi attentivement les effets de cette brutale séparation sur le comportement des enfants. Après la guerre, il dirige un service de pédopsychiatrie à Londres et engage un travailleur social prometteur… L’ex-chauffagiste James Robertson.

C’est grâce à leurs observations respectives que Bowlby commencera à élaborer la théorie de l’attachement.

La théorie de l'attachement est née des travaux de Bowlby (1907-1990), Robertson (1911-1988) et Ainsworth (1913-1999).

Les influences de Bowlby sont nombreuses. Il est de formation analytique, et suit lui-même une analyse qu’il n’investit pas vraiment. Il est, bien avant la seconde guerre mondiale, rapidement en conflit avec ses collègues psychanalystes, en particulier par rapport à leur approche des liens familiaux. Il sera en revanche très influencé par les travaux en éthologie de Konrad Lorentz (sur les oies) et de Harlow (sur les singes).

En 1951, la toute nouvelle OMS le charge d’écrire un rapport sur les effets de la séparation mère-enfant pendant la guerre. Ce rapport aura un impact considérable à travers le monde et contribuera fortement à diffuser sa nouvelle théorie de l’attachement.

Lorsqu’un nouveau-né vient au monde, il est complètement démuni et dépend totalement de ses parents pour survivre. Plus qu’un parent, il a un besoin vital d’un « caregiver », un donneur de soins, qui lui permettra de répondre à ses demandes et ses besoins, nécessaires pour sa survie.

Il apparaît donc qu’un lien affectif fort avec son caregiver est absolument indispensable à la survie du bébé. Un système doit exister afin de maintenir une proximité physique, sans quoi l’enfant livré à lui-même ne pourrait survivre. C’est le rôle de l’attachement, qui repose sur les postulats de la théorie de l’évolution –et qui peut même être considérée comme une théorie de l’évolution de second degré.

Ainsi, le lien d’attachement se définit comme un lien affectif bien particulier, caractérisé par un lien durable, émotionnellement significatif, vis à vis d’un individu non interchangeable. De telles caractéristiques peuvent se retrouver dans des liens amicaux ou professionnels, mais le lien d’attachement se distingue par deux éléments propres : le sentiment de sécurité et la recherche de réconfort vis à vis du caregiver. Le lien d’attachement est par définition asymétrique (le plus souvent, de l’enfant vers son caregiver), l’enfant recherche ce sentiment de sécurité, d’apaisement, par le maintient à proximité de sa figure d’attachement (son caregiver).

Le lien d'attachement (en orange) est un lien affectif particulier et asymétrique, liant l'enfant à son caregiver (le plus souvent ses parents).

Le lien d’attachement met en action 2 grands systèmes comportementaux, chez l’enfant et chez le caregiver. A noter, vous l’aurez sans doute déjà remarqué, que nous parlons de caregiver et non pas de parent : le lien d’attachement n’est pas un lien du sang, et le bon développement psychologique du bébé ne dépend pas de l’amour de ses parents mais de la disponibilité de ses caregivers (qui sont souvent les mêmes individus).

Le système de l’attachement, du côté du bébé, a pour objectif de maintenir la proximité de la figure d’attachement, un préalable indispensable à sa survie. Il s’agit d’un système inné, qui est présent dès la naissance : les pleurs du bébé rapprochent le caregiver car ils lui sont très désagréables, tandis que les sourires et le babillage, nettement plus agréables, permettent de maintenir le caregiver proche. Les comportements d’attachement se complexifieront progressivement avec le développement du bébé, qui apprendra progressivement à contrôler lui même la distance optimale à son caregiver, et à sélectionner les comportements les plus judicieux pour obtenir la proximité adéquate.

Le système de l’attachement s’embrase dans toute situation qui peuvent indiquer un danger ou provoquer un stress. Il peut d’agir de menaces externes, comme la menace d’un danger dans l’environnement proche ou l’éloignement de la figure d’attachement, mais aussi de menace internes, comme la douleur ou la faim. Dans ces situations, qui s’accompagnent d’une anxiété intense (qui représente un signal d’alarme pour la survie de l’individu), le rétablissement de la proximité du caregiver permet l’éloignement de la menace, l’apaisement de l’angoisse et le retour du sentiment de sécurité. Le système de l’attachement n’est jamais éteint : il reste dans un état de veille active, à scruter l’environnement à la recherche des menaces potentielles.

Le système d'attachement du bébé s'active dans toute situation de danger ou d'éloignement de la figure d'attachement ressentie par l'enfant. Les comportements associés, comme les pleurs (pour rapprocher le caregiver) ou les sourires (pour maintenir la proximité) ont pour but de maintenir proche la figure d'attachement.

Du côté parental, la relation d’attachement met en action un système comportemental complémentaire du système d’attachement, celui du caregiving ou des soins parentaux. Ce système a pour objectif le maintient ou le rétablissement de la proximité avec l’enfant, afin de lui fournir aide et réconfort, et encore plus, de lui fournir une base de sécurité suffisante. Cette notion de base de sécurité est essentielle dans la théorie de l’attachement : c’est à partir d’elle que l’enfant pourra partir explorer le monde sereinement. S’il se trouve face à un danger, il pourra s’y réfugier à nouveau. Par la suite, il internalisera cette base de sécurité et le sentiment d’apaisement qui lui est associé, permettant le développement d’une autonomie et d’une confiance en soit satisfaisante.

Le système de caregiving s’active dans les mêmes situations que le système d’attachement : dans toute situation que le caregiver perçoit comme dangereuse (que ce soit par rapport à des menaces internes ou externes) pour l’enfant. Cela déclenche des comportements destinés à renforcer la proximité (faire un câlin, bercer, consoler…) ou à protéger l’enfant d’un danger (l’extraire du contexte dangereux). Mais il faut au préalable que le caregiver puisse analyser correctement la situation de danger et sélectionner les comportements de caregiving adéquats : c’est là le rôle de la sensibilité (qu’on rapproche souvent de la sensibilité maternelle).

En miroir du système d'attachement du bébé, le système de caregiving parental s'active dans des situations similaires et vise lui aussi à restaurer la proximité avec l'enfant et lui apporter les soins nécessaires à sa survie.

Les systèmes d’attachement et de caregiving sont loin d’être les seuls dans la psyché humaine, et tous sont en interactions constantes. Ils peuvent même parfois entrer en compétition. En effet, même si nous avons décrit les systèmes d’attachement (chez l’enfant) et de caregiving (chez l’adulte) et façon très asymétrique, il faut bien garder en tête que ces 2 systèmes coexistent chez un même individu (le système de caregiving se développe à partir de 3 ans avec les jeux de rôle et le système d’attachement s’active « du berceau à la tombe »). De plus, ces 2 systèmes sont antagonistes : quand l’un s’active, l’autre s’éteint, ce qui peut devenir problématique dans certaines situations. Par exemple, un caregiver soumis à un stress intense ou un danger majeur (pour lui-même) sera susceptible d’activer fortement son système d’attachement (dans le but de retrouver le sentiment de sécurité et la proximité de son propre caregiver), ce qui provoquera l’extinction de son système de caregiving. Il sera donc moins disponible pour son enfant, dont l’activation du système d’attachement n’apportera aucune réponse adéquate.

Lors de stress parental intense ou de troubles psychiatriques (comme des troubles de la personnalité par exemple), le caregiver activera son propre système d'attachement qui inhibera son système de caregiving et il ne pourra donc pas être disponible pour satisfaire les besoins de son enfant. 

Un tel déséquilibre (par exemple lors d’une dépression du post-partum) pourra entraîner, s’il dure dans le temps, un lien d’attachement anormal qui peut mettre en danger le bon développement psychomoteur de l’enfant. Ce risque est d’autant plus grand dans la première année de vie, qui est le siège de remaniements cérébraux majeurs.

A partir de la deuxième année de vie, les scientifiques ont décrit 4 grands types d’attachement. Il existe tout d’abord un attachement sécure, lorsque l’enfant a pu faire l’expérience de lien affectifs de qualité et a pu bénéficier de la disponibilité et de réponses adaptées de ses caregivers. Ils ont appris à moduler avec souplesse la distance avec eux. Il existe de plus un attachement dit insécure-évitant, au cours duquel l’enfant ne proteste pas à l’éloignement de son caregiver, et l’ignore lors des retrouvailles : il ne manifeste pas de comportement d’attachement. Dans l’attachement insécure-ambivalent-résistant, l’enfant doit au contraire augmente l’intensité de ses signaux d’appels pour obtenir une réponse de ses caregivers : il s’agrippe à leur figure d’attachement lorsqu’elle est présente, alors que son éloignement provoque une colère très dysfonctionnelle (car son intensité ne permet pas le réconfort nécessaire).

Enfin, il existe un type d’attachement dit désorganisé, au cours duquel l’enfant fait appel à de multiples stratégies discordantes pour maintenir la proximité de leur figure d’attachement. Il existe une faillite totale de leur régulation émotionnelle, qui les déborde et les met en difficulté. On observe cette situation dans les cas de violences parentales : le parent est alors en même temps la figure d’attachement et le danger potentiel. Ainsi, l’enfant doit tout à la fois s’extraire de la situation dangereuse, quand bien même la forte activation de son système d’attachement le pousse vers son parent violent !

Il existe 4 grands types d'attachement, en fonction des relations précoces avec son caregiver. Interviennent aussi des facteurs tempéramentaux.

De nombreuses études ont montré l’influence du type d’attachement sur le développement psychologique de l’enfant et de l’adolescent. Ainsi, un attachement désorganisé majore nettement le risque de trouble psychiatrique dans le futur. Mais l’attachement qui se met en place dans la petite enfance ne représente qu’un facteur de risque (dans le cas d’un attachement insécure) ou protecteur (pour un attachement sécure). Si un attachement sécure permet au futur adulte d’être « mieux armé » dans la vie et en cas de trouble psychiatrique, ces derniers reposent sur de nombreux autres critères et il faut se garder d’associer systématiquement un attachement insécure à de tels troubles.

Cependant, l’attachement est présent du berceau à la tombe (c’est Bowlby qui le dit), et influence durablement la vision du monde et des autres, ainsi que le façonnement de la personnalité (c’est à dire le fonctionnement psychique habituel d’une personne). Les troubles de l’attachement sont fortement corrélés avec les troubles de personnalité. La qualité de l’attachement influence aussi la qualité de caregiving une fois devenu parent. De plus, l’attachement semble être un déterminant majeur du bien être psychologique des personnes âgées, le grand âge représentant en soit une période de profond remaniement de ce système, à l’instar de la petite enfance ou de l’adolescence.

  

La vie n'est qu'une succession d'aiguillages. On peut parfois prendre la mauvaise direction, mais il est souvent possible de revenir vers le droit chemin ensuite !

Nous avons évoqué en début d’article deux figures majeures de la théorie de l’attachement, James Robertson et l’inévitable John Bowlby. Mais il existe une troisième scientifique dont l’apport à été déterminant : Mary Ainsworth. Engagée auprès de Bowlby au début des années 1950, admiratrice des travaux de Robertson, elle poursuit ses études de l’attachement en Ouganda en 1954. Le livre qui rapportera ses découvertes là bas, Infancy in Uganda, est une pierre angulaire de la théorie de l’attachement. C’est Mary Ainsworth qui développera le concept de base de sécurité et qui détaillera l’évolution du système d’attachement chez l’enfant.

Mais c’est surtout les travaux de Mary Ainsworth qui permettront la validation scientifique de la théorie de l’attachement. C’est en effet elle qui établira un protocole expérimental permettant de mettre en évidence de façon fiable les différents type d’attachement chez l’enfant : la situation étrange. Ce protocole concerne l’enfant et son caregiver et repose sur 7 scénettes mêlant séparations et retrouvailles répétées, dans différentes situations. En fonction de la réaction des enfants dans ces situations, l’observateur peut définir son type d’attachement.

Ce sont les travaux de Mary Ainsworth qui ont aussi permis les premières validations transculturelles de l’attachement : ces comportements et ces systèmes s’activent de la même manière dans toutes les cultures humaines.

La théorie de l’attachement est née d’un trio de scientifiques hétéroclite, avec des influences variées, de la psychanalyse à l’éthologie. Elle possède une validation scientifique solide et représente depuis plus de 60 ans un champs de recherche particulièrement fécond et dynamique. Ce cadre conceptuel a permis le développement d’une nouvelle approche clinique et de prises en charge novatrices.

2007

SOURCES :

Guedeney, Antoine, Nicole Guedeney, and Susana Tereno. L'attachement: approche clinique et thérapeutique. Elsevier Health Sciences, 2021.

Guedeney, Antoine. Petite enfance et psychopathologie. Elsevier Masson, 2014.

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- By Unknown - Original publication: UnknownImmediate source: https://www.thetimes.co.uk/article/joyce-robertson-fjwncl672fr, Fair use, https://en.wikipedia.org/w/index.php?curid=70702128

- By Unknown - Original publication: UnknownImmediate source: http://noelbell.net/wp-content/uploads/2011/10/John-Bowlby.jpg, Fair use, https://en.wikipedia.org/w/index.php?curid=49765353

- https://psychology.tcnj.edu/ainsworth/

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