TSA versus TRA : quelles différences ?

 

La théorie de l’attachement est née dans les orphelinats anglais, pendant la seconde guerre mondiale. C’est là que John Bowlby, psychanalyste, observe les effets de la séparation des enfants de leurs parents. Avec l’aide de Mary Ainsworth et James Roberston, ils vont, à partir de ces observations et de bien d’autres ensuite, construire ce qui deviendra l’une des théories psychologiques les plus influentes du 20ème siècle.

Lorsqu’il vient au monde, et pendant ses premiers mois de vie ensuite, le bébé est totalement dépendant des soins prodigués par ses parents -ou par tout autre adulte, qu’on appelle un caregiver, un donneur de soins. Manger, boire, se couvrir, se protéger… il ne peut rien faire seul. Ainsi, il est vital pour lui de créer puis maintenir un lien affectif extrêmement fort avec des adultes fiables qui seront capables de le protéger : c’est là le rôle de l’attachement.

Pour se faire, le bébé possède dès la naissance des stratégies pour maintenir son caregiver à proximité, comme les pleurs puis le sourire social. Par la suite, il enrichira progressivement son catalogue de réponses et pourra plus finement moduler le lien d’attachement. En réponse aux signaux d’attachement de son enfant, le parents active un système complémentaire, le système de caregiving, qui le pousse à répondre aux besoins de l’enfant (lui donner le biberon, le câliner, le couvrir…).

Le lien d'attachement (flèche orange) met en jeu d'un côté, le système d'attachement de l'enfant, et de l'autre côté, le système du caregiving chez le parent.

Avec le temps et la répétition des boucles attachement-caregiving, le bébé comprendra qu’il peut avoir confiance dans la réponse de son caregiver si jamais il est en détresse. Il aura fait l’expérience d’une réponse adaptée, fiable et constante de ce dernier lorsque quelque chose n’allait pas. Il pourra progressivement s’autonomiser et utiliser son caregiver comme base de sécurité : un endroit au sein duquel il peut se réfugier s’il se trouve en danger. S’il est suffisamment sécure, il pourra s’aventurer en dehors de cette base de sécurité pour explorer le monde qui l’entoure -une exploration ô combien importante.

Cependant, il peut arriver que le lien d’attachement se construise mal. Soit parce que le caregiver n’est pas suffisamment sensible aux signaux d’attachement de l’enfant (par exemple, en cas de maladie grave, de dépression du post-partum, d’anxiété…), soit du fait du tempérament de l’enfant, soit parce que ce dernier est victime de maltraitance ou de négligence. C’est souvent un mélange de ces conditions qui peuvent aboutir à des attachement dit insécures ou désorganisés.  

On distingue 2 types d'attachements insécures (Ambivalent et Résistant) et un type d'attachement désorganisé. Il est important de souligner que ces types d'attachement ne sont pas pathologiques en soit, car ils représentent la meilleure façon pour l'enfant de s'adapter à son environnement en fonction de ses prédispositions innées. 

Depuis 1980, les troubles de l’attachement ont même leurs propres critères diagnostiques, cités dans le DSM, le manuel de référence pour les diagnostics en psychiatrie. Par exemple, lorsqu’un enfant ne peut former un lien d’attachement stable avec un caregiver, il peut développer un trouble réactionnel de l’attachement. Dans cette situation, l’enfant ne cherchera pas à se faire consoler ou rassurer par son caregiver s’il est en détresse. Il sera peu réactif à la réassurance de ce dernier, et de manière générale, il recherchera peu le contact d’autres personnes. Il aura tendance à rester dans son coin, à jouer en solitaire. De manière générale, il est difficile dans ces situations d’entrer en relation avec l’enfant : il a tendance à ne pas regarder dans les yeux, à se pas répondre à son prénom, à rester dans son coin même si d’autres enfants ou adultes viennent vers lui. Il montrera peu ses émotions, et aura paradoxalement parfois du mal à les gérer ou à les canaliser lorsqu’elles seront trop fortes : il pourra alors avoir des crises de colère et même être agressif envers lui ou les personnes autour de lui.

On peut pressentir à la vue de cette description symptomatique certaines similitudes avec les troubles (ou conditions) du spectre de l’autisme (TSA ou CSA). D’une part, ces derniers se caractérisent par des difficultés pour l’enfant à développer la machinerie complexe nécessaire aux interactions sociales, comme le contact oculaire, le pointage (le fait de montrer du doigt ce qui nous intéresse) ou l’attention conjointe (le fait de diriger l’attention de notre interlocuteur vers ce qui nous intéresse, ou vice-versa). Cela rend difficile les interactions sociales et la communication avec les autres. Mais les TSA/CSA sont aussi caractérisés par des comportements répétitifs (par exemple, des balancements d’avant en arrière), des rituels (il faut toujours manger la même marque de compote), des intérêts restreints et/ou particuliers (comme les machines à laver, les trains, les portes…), et enfin des particularités sensorielles (que ce soit une hypersensibilité, par exemple à certains sons, ou une hypo-sensibilité, par exemple à la douleur).

La symptomatologie autistique comporte d'une part des difficultés dans les interactions sociales ou de communication, des symptômes comportements comme des intérêts restreints ou un attachement fort aux routines, et des particularités sensorielles. On peut retrouver, sans que cela ne soit systématique, un retard intellectuel et une épilepsie associée.


La ressemblance entre trouble de l’attachement et TSA/CSA pose question depuis longtemps, et a été sujette à plusieurs polémiques. Nous aborderons ce sujet au cours de plusieurs articles sur ce blog, car il est difficile d’aborder en une fois toutes les facettes de ce sujet difficile.

Pour comprendre la ressemblance entre troubles de l’attachement et TSA/CSA, il faut quitter les orphelinats anglais des années 1940 pour gagner les orphelinats roumains des années 1990.

En 1989, la dictature de Ceausescu en Roumanie s’effondre. On découvre alors le terrible bilan de sa politique sa natalité, menée sur les décennies précédentes : pour avoir 2 millions de roumains en l’an 2000, le dictateur interdit l’avortement et la contraception, taxe les familles sans enfants. Le résultat est sans appel : des milliers de femmes meurent d’avortements clandestins et des milliers d’enfants sont abandonnés dans des orphelinats insalubres, où personne ne s’occupe d’eux. Les témoignages de médecins et d’humanitaires venus à la chute du régime pour s’en occuper sont choquants et accablants.

Nicolae Ceaușescu et la révolution roumaine de 1989.

Très vite, une vague d’adoptions est mise en place partout dans le monde. C’est ainsi que des centaines d’enfants roumains sont adoptés par des familles anglaises. Ils arrivent dans leurs familles respectives dans des états de santé très alarmants : tous sont dénutris, presque cachectiques. Ils sont alors pris en charge sur le plan médical, et un suivi pédopsychiatrique au long court se met en place. C’est ainsi que Micheal Rutter, l’un des grands noms de la recherche dans l’autisme (c’est lui qui est à l’origine de l’ADI, l’examen de diagnostic le plus utilisé dans le monde), a pu suivre cette triste cohorte d’enfants abandonnés.

Ces enfants souffrent, à n’en pas douter, de troubles de l’attachement extrêmement sévères. Ils ont le plus souvent été placé dans leur orphelinat au cours de leurs premiers mois de vie, et on été obligés de se développer non seulement sans figure d’attachement stable auprès d’eux, mais dans des conditions de vie atroces et la maltraitance permanente. Par exemple, certains enfants ont été retrouvés dans d’immenses dortoirs, dans les excréments et entourés des cadavres de leurs camarades. Un autre enfant a été isolé dans une pièce pendant plusieurs mois, à ne voir personne ou presque, probablement du fait de ses origines ethniques. Ces témoignages horribles, il en existe des centaines.

Parmi ces enfants adoptés, une dizaine apparaissait particulièrement inquiétant sur le plan pédopsychiatrique. Ils manifestaient un tableau très semblable aux TSA les plus sévères. Rutter et son équipe les examinèrent à 4 ans puis à 6 ans, et publièrent leur résultats dans une étude en 1999.

Ces enfants, dans l’absolu, remplissaient les critères diagnostiques du TSA/CSA. On retrouvaient de grosses difficultés pour entrer en interaction et communiquer avec eux. Ils montraient peu d’intérêt ou d’empathie pour les autres. Ceux qui avaient accès au langage l’utilisait de manière non fonctionnelle au travers d’écholalies (le fait de répéter des mots ou des phrases entendus, en dehors de leur contexte) ou de jargon (des mots inventés). Ils avaient des particularités sensorielles importantes.

Ainsi, si on n’y regardait pas de plus près, on pouvait poser le diagnostic d’autisme sans trop de doute. Pourtant, une analyse fine des symptômes pouvait remettre en doute ce diagnostic. Tout d’abord, ces enfants n’avaient pas, pour la plupart, de stéréotypies motrices (comme des balancements), un signe qui est assez commun dans les TSA/CSA. S’ils appréciaient leurs routines, ils pouvaient facilement en changer et se montrer flexibles au quotidien, ce qui est inhabituel dans l’autisme (dans lequel le changement d’habitude peut être très inconfortable voire être à l’origine d’une très grand détresse). Mais surtout, leur évolution dans le temps était très différente des enfants avec autisme : les enfants adoptés, une fois dans leur famille d’accueil, s’amélioraient bien plus rapidement que les enfants avec autisme. Par la suite, le suivi de ces enfants tend à montrer que certains enfants « quasi-autistes » évoluaient vers un tableau de trouble de l’attachement.

Ainsi, une analyse fine et un suivi dans le temps permettait d’exclure le diagnostic d’autisme chez la plupart de ces enfants, malgré un tableau clinique très proche initialement. Ce qui ressemble à de l’autisme n’est pas toujours de l’autisme ! En particulier, les troubles de l’attachement peuvent s’en rapprocher.

Il faut cependant garder en tête certaines limites de l’étude. Elle porte sur un nombre très retreint d’enfants, qui souffrent de pathologies et de troubles qui vont bien au-delà de l’attachement, et qui constituent des facteurs de risques majeurs de troubles du neuro-développement (qui comprennent les TSA/CSA). Il n’est pas dit que le syndrome quasi-autistique (selon le terme de l’étude) proviennent uniquement d’un trouble de l’attachement, même si c’est une hypothèse principale. Ils peuvent par exemple provenir de carences nutritives majeures, des privations sensorielles ou de traumatismes. On ne peut pas non plus exclure que le phénotype observé provient d’une interaction entre une prédisposition génétique pour un TSA et des conditions environnementales extrêmes.

Cette étude mériterait un article à part entière, tellement elle soulève de questions et concerne des vastes champs de recherche. Ici, elle illustre bien la question du diagnostic d’autisme, en particulier par rapport aux troubles de l’attachement.

Le cas des enfants roumains adoptés constitue un cas extrême de trouble de l’attachement. Le syndrome est poussé à son paroxysme. Nous n’avons bien heureusement pas souvent ce genre de situation en consultation en France. Cependant, la question de l’intrication ou du diagnostic différentiel avec un trouble de l’attachement peut se poser devant un tableau clinique évocateur de TSA/CSA.

A l’instar des enfants roumains, des chercheurs ont pu identifier les signes subtiles qui permettent de distinguer les deux diagnostics. Cette distinction est capitale car, tout d’abord, son impact sur la famille peut être très différent (du fait de l’annonce diagnostique, mais aussi des mesure de protection de l’enfance que l’on peut mettre en place en cas de doute sur des carences affectives ou des violences), mais aussi sur la prise en charge en tant que telle de l’enfant : le type d’accompagnement et de thérapie sera bien différente pour un trouble de l’attachement (où on pourra plutôt favoriser une thérapie familiale par exemple) et une TSA/CSA (où on pourra proposer une TCC ou un groupe d’habilité sociale).

Le premier élément qui peut distinguer TSA et troubles de l’attachement se trouve dans l’histoire du patient. S’il a vécu de la maltraitance ou des négligences affectives, la probabilité d’un trouble de l’attachement est plus élevée. Cependant, il faut garder à l’esprit que les enfants avec TSA/CSA sont plus à risque de maltraitance ou de négligence de la part de leurs caregivers. De l’autre côté, l’association entre maltraitance/négligence et troubles de l’attachement n’est pas de 100 % : on peut développer un trouble de l’attachement sans négligence ou maltraitance évidente -le lien d’attachement, ça se construit à deux. Cet élément n’est donc pas forcément très discriminant.

Les TSA et les troubles de l’attachement se ressemblent beaucoup dans leur dimension sociale : les deux diagnostiques partagent de grandes difficultés pour les interactions sociales et pour la communication. En revanche, les symptômes comportementaux semblent plus spécifiques de l’autisme, en particulier chez les enfants plus âgés. Même au sein du domaine social, il existe de subtiles différences entre autisme et trouble de l’attachement. Par exemple, les enfants avec un trouble de l’attachement ont tendance à être plus à l’aise dans les jeux imaginatifs (jouer au gendarme et au voleur), alors que les enfants avec autisme préféreront des jeux plus structurés, plus rigides.

Ces ressemblances se retrouvent dans les tests diagnostics d’autisme que nous utilisons. C’est le cas de l’ADI, que nous citions plus haut. Il s’agit d’un questionnaire destiné aux parents qui récapitule tous les symptômes autistiques possibles chez leur enfant. Ces symptômes sont divisés en 3 catégories (interactions sociales, communication et comportement), avec un sous-score pour chacun et un score total. Si ce dernier dépasse un seuil prédéfini, on peut évoquer le diagnostic d’autisme. Des chercheurs ont fait passer cet examen à des enfants porteurs de troubles de l’attachement et ont trouvé que 60 % de ceux-ci dépassaient le seuil du score d’interaction sociale, 47 % celui de communication et 20 % le score comportemental. Ainsi, la symptomatologie sociale et communicative est similaire entre autisme et trouble de l’attachement, mais les symptômes comportementaux semblent plus spécifiques des enfants avec autisme.

Ainsi, même si l’autisme et les troubles de l’attachement se ressemblent sous bien des aspects, une observation attentive permet de relever des symptômes subtiles et de distinguer ces deux entités. C’est sans compter sur l’évolution de ces deux diagnostics au cours du temps, et de la trajectoire développementale de ces enfants, qui semble nettement différente. S’il est difficile de faire la différence chez les jeunes enfants (rappelez vous l’étude des enfants roumains à 4 ans), l’évolution de l’enfant dans la temps permet souvent de faire la différence.

Il faut garder en tête qu’attachement et autisme ont des origines bien différentes, et que s’ils se ressemblent en surface, la physiopathologie sous-jacente est opposée. Tout ce qui ressemble à de l’autisme, n’est pas de l’autisme !

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 SOURCES :

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- Flackhill, Charlotte, et al. "The Coventry Grid Interview (CGI): exploring autism and attachment difficulties." Good Autism Practice (GAP) 18.1 (2017): 62-80.

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- Par White_ribbon.svg: MesserWolandJigsaw_Puzzle.svg: Psyonderivative work: Melesse (talk) — White_ribbon.svgJigsaw_Puzzle.svg, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=11331355

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