Les personnes avec autisme peuvent elles nouer des liens d'attachement ?

 

La théorie de l’attachement est considérée comme l’une des théories psychologiques les plus influentes du 20ème siècle. Elle est née de la réflexion de 3 grands scientifiques, John Bowlby, Mary Ainsworth et James Roberston, au lendemain de la seconde guerre mondiale.

La théorie de l'attachement est née des travaux de James Robertson (A), Mary Ainsworth (B) et John Bowlby (C).

Lorsqu’il vient au monde, le bébé est dans un état de dépendance totale vis à vis de ses parents, ou plutôt vis à vis de ses caregivers (les personnes qui donnent du soin, qui ne sont pas forcément les parents). Il est donc dans son intérêt (vital!) de favoriser à tous moments la proximité de ces personnes protectrices. Pour cela, il peut compter sur un ensemble de comportements innés qu’il maîtrise dès sa naissance, qui sont regroupés dans un système dit d’attachement. Parmi ces comportements innés, on peut notamment évoquer les pleurs, si désagréables à entendre pour nous adultes (et encore plus si nous sommes parents), qui nous poussent à nous préoccuper de ce bébé, à trouver l’origine de son mal-être pour (qu’enfin!) ils cessent. Par la suite, le répertoire de comportements de l’enfant va progressivement s’enrichir : par exemple, il développera rapidement le sourire social, cet air charmeur qui favorise le maintient de la proximité des adultes vers qui il est dirigé. Plus l’enfant grandira, et moins il sera dépendant de ses caregivers. Ainsi, il les utilisera progressivement comme une base de sécurité, un lieu sur où il pourra se réfugier en cas de problème et d’où il pourra partir explorer le monde lorsqu’il se sentira suffisamment confiant et apaisé. Cette base de sécurité peut se percevoir très concrètement : si vous avez un enfant de 2 ans, vous avez peut être constaté que s’il peut s’éloigner de vous pour aller jouer, il ne dépasse jamais une certaine distance. Arrivé à cette limite, il se retourne, vous regarde, attend que vous vous rapprochiez pour poursuivre son exploration. A l’inverse, face à un inconnu par exemple, l’enfant se sentira en insécurité et viendra se réfugier près de vous -ou devrais-je dire, sur sa base de sécurité.

Face au système d’attachement de l’enfant, le caregiver active son propre système comportemental, complémentaire : celui du caregiving. C’est ce système qui sert de support aux soins physiques et affectifs que le caregiver va donner à l’enfant, et favoriser le maintient d’une proximité. Les systèmes de l’attachement et du caregiving s’activent dans des situations similaires, face aux dangers extérieurs (même s’ils peuvent être perçus différemment chez le bébé et le caregiver) ou intérieurs (la faim du bébé, une couche sale, un inconfort, une douleur). Le caregiver doit donc être suffisamment réceptif aux dangers de l’environnement, et encore plus aux signaux que peut lui envoyer son bébé : pour construire un lien d’attachement, il faut que le bébé puisse exprimer pleinement ses comportements d’attachement, mais aussi que le caregiver puisse les décoder, pour pouvoir activer correctement son système de caregiving et proposer les solutions adéquates pour résoudre le problème initial ! C’est le rôle de la sensibilité parentale, ou la capacité des caregivers à décoder les signaux d’attachement de leur bébé.

Le système d'attachement du bébé s'active dans toute situation de danger ou d'éloignement de la figure d'attachement ressentie par l'enfant. Les comportements associés, comme les pleurs (pour rapprocher le caregiver) ou les sourires (pour maintenir la proximité) ont pour but de maintenir proche la figure d'attachement. En miroir du système d'attachement du bébé, le système de caregiving parental s'active dans des situations similaires et vise lui aussi à restaurer la proximité avec l'enfant et lui apporter les soins nécessaires à sa survie.

Le lien d’attachement est non seulement capital pour la survie du bébé au cours de ses premiers mois de vie, mais il est aussi absolument indispensable au bon développement psycho-affectif de l’enfant puis de l’adulte en devenir. En effet, une perturbation de l’attachement au cours de l’enfance représente un facteur de risque important de trouble psychologique ou psychiatrique les années suivantes. C’est notamment le cas des troubles de la personnalité, les liens d’attachement étant particulièrement importants dans la structuration du fonctionnement psychique des individus.

Chez les enfants âgés de plus de 2 ans, on peut décrire 4 grands types d’attachement. Le type d’attachement le plus courant est appelé l’attachement sécure : l’enfant a pu construire un lien fort et durable avec son caregiver, il a une base de sécurité solide d’où il peut explorer le monde et s’y réfugier en cas de danger ou de peur. Ils protestent, à juste titre, lorsque leur figure d’attachement s’en va, et au contraire sont rassurés lorsqu’ils la voient à nouveau. Il existe un autre mode d’attachement dit insécure évitant, caractérisé par des enfants qui manifestent peu leurs besoins à leurs caregivers, et se montrent globalement détachés : ils manifestent peu leur détresse si leur figure d’attachement s’en va, et leur joie à son retour. Ils s’intéressent peu aux autres personnes, et préfèrent jouer dans leur coin. Un troisième type d’attachement est appelé insécure-ambivalent ou résistant. Ces enfants recherchent compulsivement la proximité de leur caregivers, sans mettre ne serait-ce qu’un orteil en dehors de leur base de sécurité. Ils sont souvent demandeurs de réconforts mais il est difficile de le leur donner car ils font souvent de grosses colères (et ont de manière générale des difficultés à gérer leurs émotions) qui empêchent d’être accessibles au réconfort de leurs parents.

Il est important de rappeler que ces types d’attachement ne sont pas, chez l’enfant, des troubles psychiatriques ou psychologiques en tant que tel. Il s’agit du meilleur moyen qu’a trouvé l’enfant pour maintenir le lien d’attachement avec son caregiver. Par exemple, pour le type évitant, l’enfant comprend qu’une manifestation trop importante de ses besoins peut déclencher une détresse chez son caregiver (par exemple, si celui-ci est atteint d’un trouble anxieux, les pleurs de son enfants pourront vite le dépasser). Ainsi, il est dans son intérêt de ne pas (trop) manifester ses besoins, pour maintenir la proximité de sa figure d’attachement.

Enfin, il existe un type d’attachement dit désorganisé, au cours duquel l’enfant n’a pas de stratégie stable de recherche de proximité de leur caregiver -l’une des 3 stratégies décrites plus haut. Ce type d’attachement survient par exemple dans les situations de violences : la figure d’attachement est en même temps un personnage qui terrorise l’enfant. Ainsi, la peur le pousse vers sa figure d’attachement violente, ce qui majore encore plus sa détresse !

Il existe 4 grands types d'attachement, en fonction des relations précoces avec son caregiver. Interviennent aussi des facteurs tempéramentaux (innés).

Il est aussi important de garder en tête que les types d’attachement, et les troubles de l’attachement dont nous allons parler juste après, ne résultent pas uniquement de la qualité du caregiving, mais aussi des prédispositions génétiques et du tempérament du bébé. Une relation, et encore plus un lien d’attachement, cela se construit à deux.

Pendant longtemps, on a cru que les enfants avec autisme ne pouvait pas construire de lien d’attachement sécure avec leur caregiver. Compte tenu de la symptomatologie des troubles du spectre de l’autisme, cette idée n’a rien d’incongrue. En effet, l’autisme est caractérisé par des difficultés d’interaction et de communication sociale, qui résultent de difficultés d’acquisition des compétences élémentaires en cognition sociale, comme le contact oculaire ou le sourire social. Ainsi, les enfants avec autisme se trouvent souvent en difficulté dans les interactions sociales, y compris quand ces interactions impliquent leurs caregivers. Les difficultés liées à l’autisme concernent principalement la capacité de l’enfant à comprendre, prédire et potentiellement contrôler le comportement des autres, incluant leurs caregivers. Ces capacités étant particulièrement importantes pour la mise en place d’un lien d’attachement sécure, on peut présager que l’impact des TSA sur l’attachement est important.

  

Les TSA regroupent des patients très différents qui ont en commun des difficultés dans les interactions sociales et la communication, des comportements répétitifs, des intérêts restreints et des particularités sensorielles. On peut retrouver une épilepsie ou un retard intellectuel associé, mais ils ne font pas parti des TSA en tant que tel.

Cependant, cette croyance de l’impossibilité de créer un lien d’attachement sécure entre les enfants avec autisme et leurs parents a été remise en cause ces dernières années par plusieurs travaux de recherche, qui ont montré que la majorité des enfants avec autisme avaient un lien d’attachement sécure, stable et fiable avec leur parent.

En effet, si la proportion d’attachement désorganisé est plus importante chez les enfants avec autisme par rapport aux enfants neurotypiques (30% vs 15%), ce sont tout de même 40 à 60 % des enfants avec autisme qui seraient capables de nouer un attachement sécure avec leur caregiver. On ne sait pas bien expliquer ce phénomène actuellement. On pourrait avancer que le lien d’attachement repose certes en partie sur une interaction sociale, mais aussi et surtout sur la fiabilité du caregiver à apporter les soins nécessaires au bon moment à son enfant. Et ce n’est pas toujours simple, pour un enfant neurotypique, et a fortiori pour un enfant avec autisme.

Il y a des ajustement à faire du côté des parents pour comprendre leur enfant, qui exprime ses besoins différemment des autres enfants et de ce que les parents eux-même peuvent imaginer. Mais les quelques études sur le sujet montrent que l’immense majorité des parents sont capables de faire ces ajustements, d’autant plus s’ils sont accompagnés dans leur relation avec lui. C’est là tout le rôle de la guidance parentale, de l’information des professionnels sur le fonctionnement d’un enfant avec autisme, qui permettent aux parents de comprendre les signaux envoyés par leur enfant et d’y répondre de manière adaptée. Par exemple, un enfant neurotypique, à la différence d’un enfant avec TSA, pourra pointer du doigt (et fixer du regard) l’objet qui l’intéresse et qu’il veut avoir près de lui. Il est beaucoup plus difficile de comprendre ce message sans le pointage et sans le contact oculaire (deux difficultés classiques des enfants avec TSA). De la même manière, la réaction classique de parents face aux pleurs de leurs enfants est de le prendre dans les bras, ce qui peut être très anxiogène pour un enfant avec TSA (du fait de la dimension sociale du geste ou d’une hypersensibilité tactile, par exemple). Il faut donc inventer de nouveaux modes d’interactions, une communication adaptée qui permette au lien d’attachement de se mettre en place. Bien souvent, les parents d’enfants avec autisme le font instinctivement, parfois sans même s’en rendre compte. Dans tous les cas, plusieurs études montrent que le lien d’attachement est favorisé par la pose et l’acceptation du diagnostic d’autisme par les parents.

Il faut tout de même mentionner que le risque de maltraitance et de négligence affective est majoré en cas de pathologie chronique chez l’enfant. Ce risque est retrouvé pour l’autisme et de manière générale dans les troubles du neurodéveloppement, majorant le risque d’attachement insécure ou désorganisé dans cette population. Sans aller jusqu’à cet extrême, la littérature montre (et c’est assez intuitif) une anxiété parentale (secondaire aux troubles de l'enfant) plus importante, ce qui peut avoir une répercussion sur la qualité du lien d’attachement. En effet, un sentiment d’insécurité chez le parent pourra, s’il est suffisamment intense et prolongé, « éteindre » son système de caregiver, mettant en danger le lien d’attachement en construction.

A l'état normal, l'activation du système d'attachement de l'enfant déclenche l'activation du système de caregiving chez son caregiver, permettant de répondre efficacement à la situation d'inconfort ou de détresse. Cependant, en cas de trouble psychologique parental par exemple, ce dernier ne pourra activer son système de caregiving et répondre efficacement aux besoins de l'enfant, pouvant altérer la sécurité du lien d'attachement si cela est très fréquent et prolongé.

Il ressort de la littérature scientifique que 2 facteurs influencent significativement la qualité de l’attachement. D’une part, l’intensité des symptômes autistiques influence les capacités de l’enfant à entrer en relation, à comprendre les indices sociaux autour de lui (et plus particulièrement de ses parents), et vont donc interagir avec le lien d’attachement en construction. D’autre part, le second facteur identifié est le niveau intellectuel, qui limiterait chez l’enfant la capacité d’exprimer clairement ses besoins. Un tel lien existe d’ailleurs chez les enfants sans autisme. Il semble que l’association d’un autisme sévère et d’un retard intellectuel majore le risque d’attachement insécure. Il est possible (mais aucune étude à ma connaissance ne le montre) que les enfants avec autisme mais sans retard intellectuel puisse apprendre des stratégies pour compenser leurs difficultés sociales et donc construire un lien d’attachement plus sécure.

Ainsi, les troubles du spectre de l’autisme influencent certes la création et le maintient de l’attachement, mais il est clair qu’il n’empêchent pas la formation d’un lien sécure. Il semble intuitif que le lien d’attachement se construise de manière spécifique dans les TSA, du fait des particularités d’interaction des enfants. Compte-tenu de l’impact de l’attachement sur le bien être ultérieur de l’enfant et de l’adulte, sur la structuration de la personnalité, il apparaît indispensable de mieux comprendre les particularités liées au TSA dans la construction et le maintient de ce lien.

Mais de nombreuses questions se posent par rapport aux études de l’attachement chez les enfants avec autisme. Nous l’avons dit, ce lien, et ses modalités de communication, sont spécifiques à l’autisme. Or, les outils que nous avons à notre disposition pour évaluer l’attachement (comme la Situation étrange, par exemple) sont tous construits à partir d’une population neurotypique. Nous avons tout à croire que ces outils ne sont pas parfaitement adaptés aux enfants avec autisme, et donc mesurent mal la qualité de leur attachement. Ainsi, il est possible que certains comportements, qui orienteraient vers un lien insécure, soient plutôt caractéristiques d’un attachement sécure chez les enfants avec autisme !

De la même manière, les facteurs influençant (positivement ou négativement) le lien d’attachement sont probablement légèrement différents entre enfant neurotypiques et avec autisme. Par exemple, les facteurs traditionnellement associés (en population neurotypique) à un attachement désorganisé (comportements violents, agressifs, intrusifs ou effrayant des parents, négligence affective) sont peut être différents en population d’enfants avec autisme.

Il faut d’ailleurs prendre garde à ne pas culpabiliser les parents d’enfants avec autisme, qui perçoivent bien leurs difficultés face à leur enfant. Ou encore pire, de les accuser de négligence ou de maltraitance. Un enfant avec autisme peut avoir un attachement insécure en lien avec ses difficultés en cognition sociale et en communication. Le plus important est d’être entouré et d’avoir des professionnels autour de soit pour guider parents et enfants dans leur relation. Dans ce sens, l’étude de l’attachement dans les TSA est très importante. Elle permet aux parents de mieux comprendre leur enfant, et de mieux s’ajuster aux signaux d’attachement.

Ainsi, l’accompagnement des enfants avec autisme et de leurs parents dans la construction du lien d’attachement apparaît primordiale. Cet accompagnement permet non seulement de renforcer le lien affectif entre parents et enfant, mais aussi à ce dernier une meilleure régulation émotionnelle, une meilleure attention conjointe et moins de troubles du comportement.

Une meilleure recherche sur l’attachement dans l’autisme permet aussi des avancées sur le plan théorique, à la fois dans le champ de l’attachement que dans celui de l’autisme. Ainsi, ces travaux permettent d’envisager l’attachement sous un angle nouveau, avec des mécanismes probablement différents en population avec autisme. De la même manière, la possibilité de nouer un attachement sécure a remet en question un certain nombre d’a priori sur l’autisme, et révélé des compétences injustement ignorées.

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 SOURCES :

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CREDITS PHOTOS :

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