Schizophrénie : une histoire de dopamine ?

Au début des années 1950, Henri Laborit, Pierre Delay et Jean Deniker découvrent par hasard les effets surprenants d’une molécule développée initialement comme anesthésiant, la chlorpromazine. Administrée à des patients schizophrènes, elle permet une réduction spectaculaire de leurs idées délirantes et de leurs hallucinations. Diffusée par la suite à large échelle dans les hôpitaux psychiatriques, la chlorpromazine permis un apaisement spectaculaire des patients. Les hôpitaux psychiatriques s’ouvrent progressivement, les psychiatres ont désormais (enfin !) un moyen d’apaiser les patients psychotiques.

La schizophrénie est alors décrite et identifiée depuis bien longtemps. Elle regroupe un ensemble hétérogène de symptômes, qu’on peut regrouper schématiquement en 2 grands syndromes. D’une part, un syndrome dit positif, dans lequel on range les idées délirantes, les hallucinations et la désorganisation de la pensée, des émotions et du comportement. Ce syndrome positif n’est pas nécessairement toujours présent. Il peut apparaitre ou se majorer lors d’épisodes brefs, appelés autrefois des bouffées délirantes aigues et qu’on appelle désormais troubles psychotiques brefs. D’autres part, il existe un syndrome négatif qui est caractérisé par un appauvrissement de la vie psychique, des émotions, des envies, de la motivation. S’y rajoute des troubles cognitifs plus ou moins marqués, qui sont à l’origine d’un retentissement important dans la vie des personnes schizophrènes.

La schizophrénie est un trouble psychiatrique qui se décompose en 2 grands syndromes. D'une part, le syndrome positif (production de symptômes) regroupe les hallucinations (le plus souvent auditives), les idées délirantes (c'est-à-dire hors de la réalité) et la désorganisation (de la pensée, des émotions et des comportements qui ne sont plus cohérents). D''autre part, le syndrome négatif correspond basiquement à un appauvrissement de la vie psychique (des pensées, des émotions). On rajoute enfin des troubles cognitifs (réflexion, mémoire, planification...) qui sont très handicapants dans la vie quotidienne des patients.

Jusqu’au milieu des années 1970, les origines cérébrales de la schizophrénie restaient assez obscures. C’est à partir de ce moment-là qu’une théorie révolutionnaire fut formulée : celle du rôle central de la dopamine. Cette dernière fonctionne comme un neurotransmetteur dans notre cerveau : elle permet à certains neurones de communiquer, au niveau de zones de contact appelées synapses. Les neurones sont spécialisés dans un neurotransmetteur particulier. Il en existe ainsi des « dopaminergiques » ou « sérotoninergiques », par exemple, selon qu’ils sécrètent de la dopamine ou de la sérotonine. Le concept est similaire aux langues : chaque neurone possède une langue maternelle, c’est-à-dire un neurotransmetteur particulier, qu’il sécrète pour communiquer avec d’autres neurones. Mais la plupart des neurones sont polyglottes : s’ils n’ont qu’une seule langue maternelle, ils sont nombreux à pouvoir comprendre les langues étrangères. Ainsi, un neurone dopaminergique synthétise et sécrète de la dopamine pour parler à ses collègues, mais peut recevoir et intégrer des messages provenant de neurones sérotoninergiques (donc sécrétant de la sérotonine) ou glutamatergiques (qui communiquent grâce au neurotransmetteur glutamate).

Un neurone est constitué d'un corps cellulaire qui contient le noyau (coloré dans les schémas A, B et C), des dendrites (sortent d'antennes réceptrices en étoile autour du corps cellulaire) et un axone qui se projette vers d'autres neurones (en bleu sur les schémas A, B et C). Un neurone "entend" via ses dendrites et "parle" par son axone. 
Chaque neurone à sa propre lange maternelle. Par exemple, le neurone A parle français alors que le B parle allemand. En termes cérébraux, on ne parle pas de langage mais de neurotransmetteur.
Un même neurone peut comprendre plusieurs langage. Par exemple, bien que le neurone D soit français (comme l'atteste son petit drapeau au bout de son axone), il peut tout à fait comprendre l'anglais et l'allemand.

Depuis les années 1960 et les travaux d’Arvid Carlsson (qui recevra le prix Nobel de médecine en 2000 pour ses découvertes), on sait que la chlorpromazine permet le blocage de la dopamine cérébrale. Ainsi, on imagine en miroir que la schizophrénie résulterait d’un excès de dopamine. Cette hypothèse s’appuie aussi sur l’effet de certaines drogues, en particulier les amphétamines, qui miment assez bien les symptômes psychotiques de la schizophrénie, et qui sont connues pour augmenter (entre autre) les concentrations de dopamine cérébrales.

Cette explication dopaminergique de la schizophrénie a véritablement été révolutionnaire : elle a posé pour la première fois un cadre théorique scientifique sur les mécanismes cérébraux de ce trouble. Elle s’est cependant avérée beaucoup trop réductionniste et simpliste.

Si les neuroleptiques comme la chlorpromazine sont diablement efficaces sur les idées délirantes et les hallucinations, ils ne sont d’aucun secours sur le syndrome négatif. Pire, ils auraient même tendance à l’aggraver ! Ainsi, les patients schizophrènes sont certes moins délirants, mais ils sont aussi plus apathiques, amorphes… éteins. De plus, les études d’imageries de patients schizophrènes réalisées dans les années 1980 rapportent de curieux résultats, en particulier un fonctionnement altéré du cortex préfrontal, la région située à l’avant de notre cerveau, siège de bon nombre de fonctions cognitives.

C’est en se basant sur ces observations, ainsi que de nombreuses études sur l’animal, que des chercheurs américains formulèrent, en 1991, une reconceptualisation de l’hypothèse dopaminergique de la schizophrénie. Selon eux, l’origine de ce trouble est bien plus complexe qu’un simple excès de dopamine dans le cerveau. Si le syndrome positif semble bien relié à un excès de dopamine, en particulier au niveau de régions profondes du cerveau appartenant au système limbique (qui traite les émotions ou la récompense par exemple), il semble exister un déficit de dopamine au niveau du cortex préfrontal, responsable du syndrome négatif.

La schizophrénie ne correspond donc pas à un simple excès de dopamine, mais plutôt à une dérégulation subtile en fonction de la région cérébrale concernée, résumée en 1991 comme un excès sous-cortical associé à un déficit cortical.

La schizophrénie se caractérise par un manque de dopamine au niveau du cortex préfrontal (A), responsable du syndrome négatif, associé à un excès de dopamine au niveau de régions profondes comme le système limbique (B).

Ainsi donc, l’administration de bloqueurs de dopamine comme les neuroleptiques aggravent ce manque au niveau cortical et majorent d’autant plus l’apathie et l’appauvrissement psychique ! C’est dans ce contexte qu’ont été développés et commercialisés une nouvelle classe de traitements, appelés antipsychotiques atypiques, dont nous parlerons un petit peu plus loin.

Cette théorie dopaminergique modifiée soufra bientôt de ses propres limites et incohérences, révélées par l’avancée des connaissances et critiquées par les études successives. Comment expliquer cette dérégulation ? S’applique-t-elle uniquement à la schizophrénie ou aussi au reste des troubles psychotiques ?

C’est ainsi qu’une nouvelle mise à jour, affinant encore plus la théorie dopaminergique, fut publiée en 2009. Cette mise à jour étend la théorie dopaminergique à l’ensemble des troubles psychotiques, et ne la cantonne pas seulement à la schizophrénie. En effet, si cette dernière représente l’archétype du trouble psychotique, de tels symptômes (idées délirantes et hallucinations) se retrouvent dans de nombreuses autres troubles psychiatriques, comme la dépression ou le trouble bipolaire.

Cette nouvelle actualisation évoque surtout l’implication d’autres neurotransmetteurs dans la genèse de la schizophrénie, dont l’origine est en réalité beaucoup plus vaste qu’une simple dérégulation dopaminergique !

Pour en comprendre les mécanismes, il nous faut nous pencher plus en détail sur le câblage neuronal de notre cerveau. Ce dernier est constitué de près de 100 milliards de neurones, des cellules étoilées possédant une longue ramification, l’axone, qu’on peut comparer à un long câble électrique le connectant avec d’autres neurones, parfois très éloignés. Ces axones se regroupent selon des routes communes. Par exemple, certains neurones dopaminergiques émergeant du tronc cérébral, une région située à la base de notre cerveau, et se projetant vers le cortex limbique (dont nous parlions plus haut) forment la voie méso-limbique, dont on sait qu’elle est hyperactive chez les patients schizophrènes. D’autres neurones dopaminergiques du tronc cérébral et qui cheminent jusqu’au cortex préfrontal se regroupent le long de la voie méso-corticale, dont nous avons vu plus haut qu’elle était abîmée dans la schizophrénie. Ces autoroutes cérébrales sont généralement empruntées par des neurones qui partagent la même langue maternelle : ainsi, il existe des voie dopaminergiques, sérotoninergiques ou glutamatergiques.

Neurone français-dopaminergique (A), avec son neurotransmetteur, la dopamine (B).
Il existe 4 voies dopaminergiques dans le cerveau (C). Nous n'évoquerons pas ici la voie tubéro-infundibulaire (4). Dans la schizophrénie, la voie méso-corticale (1) est déficitaire, à l'origine du syndrome négatif, alors que la voie méso-limbique (2) est hyper-activée, provoquant le syndrome positif. La voie nigro-striée n'est quant à elle pas touchée par la maladie, mais peut être la source d'effets indésirables des traitements neuroleptiques utilisés par les psychiatres, car ils bloquent la dopamine de cette voie, entraînant un blocage des mouvements et un syndrome parkinsonnien

Dans la schizophrénie, certaines voies dopaminergiques sont hyperactives et d’autres sont déficientes. Mais ces anomalies ne semblent pas provenir directement (ou dans tous les cas pas exclusivement) des neurones dopaminergiques.

Il existe dans notre cerveau une voie importante, constituée de neurones glutamatergiques, qui relie le cortex préfrontal au tronc cérébral. Le glutamate sécrété par ces neurones est le principal neurotransmetteur excitateur de notre cerveau. Son action stimulante est contrecarrée par d’autres neurones, dont le neurotransmetteur est le GABA, qui au contraire permet d’inhiber les neurones ciblés. Ces deux neurotransmetteurs fonctionnent en tandem et constitue ce qu’on appelle la balance excitation/inhibition, altérée dans plusieurs troubles psychiatriques comme la schizophrénie ou l’autisme.

La voie glutamatergique reliant le cortex préfrontal au tronc cérébral est particulièrement intéressante dans le cas de la schizophrénie, car c’est elle qui permet la régulation en amont des voies dopaminergiques méso-limbiques et méso-corticales. En particulier, elle permet la stimulation de la voie méso-limbique et l’inhibition (par l’intermédiaire d’un neurone à GABA) de la voie méso-corticale.

Les voies cérébrales regroupent des neurones parlant la même langue. Nous avons déjà abordé les grandes voies dopaminergiques du cerveau (B). Mais il en existe pour tous les autres neurotransmetteurs, et en particulier pour le glutamate. L'une de celle-ci, particulièrement intéressante dans le cas de la schizophrénie, rassemble des neurones du cortex préfrontal, et qui se projettent vers le tronc cérébral (A). Leur rôle est de réguler l'activité des neurones dopaminergiques, et en particulier des voies méco-corticales (B, 1) et méso-limbique (B, 2). Un déficit de la voie glutamatergique entraîne une hyperactivation de la voie dopaminergique méso-limbique et une inhibition de la voie méso-corticale... soit exactement ce que l'on observe dans la schizophrénie ! Cette dernière, selon cette théorie, résulterait donc possiblement d'un défaut glutamatergique et non dopaminergique !

Ainsi, la lésion primaire de la schizophrénie n’intéresserait pas directement les voies dopaminergiques, mais se situerai plus en amont, au niveau des neurones glutamatergiques qui en régulent l’activité ! Une hyperactivité de cette voie glutamatergique stimulerait la voie méso-limbique, à l’origine du syndrome positif, et inhiberai la voie méso-corticale, à l’origine du syndrome négatif !

Dès lors, la schizophrénie résulte-t-elle d’un excès de dopamine… ou de glutamate ?

Ou peut-être est-ce plus compliqué que cela !

Les neurones font partie d’une famille à problèmes. Certains crient plus fort que les autres, ou obligent leur voisin à se taire. Chacun parle dans la langue maternelle qui lui est propre, mais tous se comprennent car ils sont polyglottes. Et même au sein d’une même fratrie, deux neurones peuvent avoir des effets bénéfiques ou pathologiques.

Nous l’avons vu au niveau de la dopamine. La schizophrénie ne résulte pas d’un excès de dopamine, mais d’une dérégulation de certaines voies cérébrales, de certains neurones frères. La situation est similaire pour le glutamate. Ainsi, la dérégulation de ce neurotransmetteur est plus subtile que ce que nous venons de décrire.

Nous l’avons vu, deux neurones communiquent entre eux au niveau d’une synapse, dans laquelle l’un (dit présynaptique) va déverser son neurotransmetteur, qui pourra ensuite activer (pour le glutamate) ou inhiber (pour le GABA) le neurone postsynaptique. Un même neurotransmetteur pourra aussi avoir un effet différent en fonction du récepteur qu’il stimule. Tout se passe comme si le neurone recevant le message (dans une langue étrangère) le traduisait à sa façon.

Le glutamate par exemple peut stimuler deux types de récepteurs, dont les effets diffèrent légèrement. D’une part, le récepteur dit AMPA permet l’activation rapide du neurone postsynaptique. Il existe un autre récepteur, appelé NMDA, qui ne s’active que sous certaines conditions. Autant l’AMPA se satisfait d’une molécule de glutamate pour s’activer, autant il faut un peu plus de motivation au NMDA pour se mettre en route –la feignasse. Ainsi, l’activation du récepteur NMDA n’arrive que si le neurone est déjà activé, et dépend non seulement de la liaison de glutamate, mais aussi d’un autre neurotransmetteur, appelé glycine. En gros, le NMDA a besoin d’une triple stimulation pour qu’il bouge enfin ses fesses.

Il existe 2 types de récepteurs au glutamate, dont les effets diffèrent légèrement. D'un côté, le dynamique AMPA, toujours au garde à vous (A), et de l'autre, la grosse feignasse NMDA dont il faut un triple réveil pour se lever de son lit (B). La schizophrénie résulterait d'un défaut des récepteurs NMDA, qui seraient encore plus flemmards que la moyenne.

Dans la schizophrénie, si le récepteur AMPA marche relativement bien, ce n’est pas le cas du récepteur NMDA. Et c’est paradoxalement son altération qui est responsable de l’hyperactivation de la voie glutamatergique dont nous parlions plus haut.

Cette anomalie des récepteurs NMDA et l’impact que cela peut avoir sur la genèse de la schizophrénie est particulièrement bien mise en évidence par les effets d’une drogue que nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises sur ce blog, la kétamine. Utilisée initialement comme anesthésique pour les chevaux, sont usage a par la suite été détourné à des fins récréatives, et plus récemment comme traitement de la dépression. La kétamine, capable de bloquer très efficacement les récepteurs NMDA, reproduit fidèlement (et transitoirement !) la plupart symptômes de la schizophrénie.

En parallèle, on sait désormais que le cerveau schizophrène est en manque de glycine, dont la présence est nécessaire à l’activation des récepteurs NMDA et qui pourrait expliquer son dysfonctionnement.

Un troisième neurotransmetteur s’ajoute dans la physiopathologie de la schizophrénie !

Le manque de glycine est particulièrement intéressant car de nouveaux traitements prometteurs cherchant à combler ce déficit sont en cours de développement. En régularisant l’activité des récepteur NMDA, et donc indirectement en aval l’activité de la voie glutamatergique puis des voies dopaminergiques, ils permettraient à la fois d’améliorer le syndrome positif mais aussi le syndrome négatif.

La schizophrénie rassemble un ensemble très hétérogène de troubles, qui partagent une symptomatologie commune mais qui peuvent différer dans leurs bases physiopathologiques ou leur origine. Ainsi, il ne s’agit pas d’affirmer ici que la schizophrénie résulte d’anomalies glutamatergiques et non dopaminergiques. De nombreuses études ont mis en évidence de nombreux facteurs de risque génétiques, qui touchent aussi bien les fonctions dopaminergiques, glutamatergiques ou GABAergiques. Le but principal de cet article est plutôt de relativiser l’idée du « tout-dopamine » dans la schizophrénie. Les différents systèmes de neurotransmission sont fortement inter-corrélés et le dysfonctionnement d’une synapse, voire d’un seul type de récepteur, peut altérer le système entier.

Tout comme il n’existe pas de « gène de la schizophrénie », il n’existe pas de « neurotransmetteur de la schizophrénie ». Ce trouble résulte d’une accumulation de nombreux facteurs de risque, tant génétique qu’environnementaux, et d’une accumulation de dysfonctionnements, touchant l’ensemble des systèmes de neurotransmission.

La prise en compte des autres neurotransmetteurs nous permet de mieux comprendre les origines cérébrales de la schizophrénie, et ainsi de développer de nouveaux traitements. C’est selon cette logique qu’ont été développé les nouvelles générations d’antipsychotiques.

Ces derniers ont été qualifiés d’atypiques, en opposition aux neuroleptiques de première génération comme la chlorpromazine (dits « typiques ») car ils entrainent moins d’effets indésirables cérébraux. En effet, les antipsychotiques typiques sont appelés neuroleptiques car ils entraînent comme effets indésirables un syndrome parkinsonien. Nous l’avons vu, ils bloquent la dopamine partout dans le cerveau, ce qui explique l’amélioration du syndrome positif mais la détérioration du syndrome négatif. Mais la dopamine a bien d’autres fonctions ! En particulier, c’est elle qui permet une régulation fine de nos mouvements. La maladie de Parkinson, définit par une paralysie progressive et des tremblements, résulte de la mort de certains neurones dopaminergiques et d’un manque de dopamine au niveau d’une région cérébrale profonde, le striatum. Les neuroleptiques bloquant la dopamine dans l’ensemble du cerveau, ils agissent aussi sur le striatum et engendre une pseudo-maladie de Parkinson (qu’on appelle dans notre jargon un syndrome parkinsonien iatrogène, c’est-à-dire secondaire au traitement).

Assez rapidement, les psychiatres se sont rendus compte que ces effets indésirables étaient très handicapants. Ils ont donc essayé de développer de nouvelles molécules, mieux tolérées. C’est ainsi qu’une nouvelle génération de traitements a émergé, spécialement conçus pour ne pas provoquer de syndrome parkinsonien (ou en tout cas de les limiter).

Cette meilleure tolérance repose sur le profil d’action spécifique de ces molécules, capables non seulement de bloquer l’action de la dopamine, mais aussi d’un autre neurotransmetteur, la sérotonine. Au niveau du striatum, cette dernière bloque normalement la libération de dopamine. En inhibant son action (grâce à l’antipsychotique), on lève le pied de la pédale de frein, permettant une libération plus importante de dopamine à ce niveau, qui permet de contrebalancer l’effet anti-dopaminergique ! Cet effet paradoxal est très intéressant car il n’est possible qu’au niveau du striatum, mais pas dans les autres voies dopaminergiques. Ainsi, le blocage de la dopamine sera tout aussi efficace au niveau de la voie méso-limbique (et malheureusement au niveau méso-cortical), tout en étant inhibé au niveau du striatum.

Sans être (pour le moment) directement impliqué dans la physiopathologie de la schizophrénie, la sérotonine a pu être impliquée dans des mécanismes pharmacologiques permettant une meilleure tolérance des traitements antipsychotiques.

Mais comme nous l’avons vu avec la dopamine puis le glutamate, il ne faut pas ranger tous les neurones à sérotonine dans le même panier. En fonction du récepteur sur lesquelles elles se lient, nos petites sérotonines peuvent avoir un effet bien différent. Si c’est l’inhibition du récepteur de type 2A au niveau du striatum qui permet une meilleure tolérance des nouveaux traitements, une stimulation des récepteurs de type 1A, au niveau du tronc cérébral, pourrait avoir un effet thérapeutique direct.

C’est ce que suggère une étude passionnante publiée en 2020 dans le prestigieux New England Journal of Medicine. Les médecins y rapportent l’efficacité, tant pour le syndrome positif que pour le syndrome négatif, d’une nouvelle molécule n’ayant aucune action directe sur la dopamine, mais principalement sur le récepteur 1A de la sérotonine.

Ces derniers sont présents au niveau des neurones dopaminergiques du tronc cérébral, et sont stimulés par des neurones sérotoninergiques présents à cet endroit. Leur action diffère en fonction de la voie dopaminergique : ainsi, l’activation des récepteurs 1A permet l’inhibition de la voie méso-limbique et la stimulation de la voie méso-corticale. On comprend mieux l’effet thérapeutique observé, tant sur le syndrome positif que sur le syndrome négatif !

L’intérêt pour cette étude va au-delà de cette passionnante découverte, qui pourrait aboutir à une révolution thérapeutique (un antipsychotique qui n’agit pas sur la dopamine, c’est du jamais-vu !). Elle illustre bien le changement de paradigme qui se passe dans le milieu de la psychiatrie. Pendant longtemps, le développement de nouveaux traitements s’est fait par sérendipité, au hasard et à l’intuition de brillants chercheurs. Les explications physiopathologiques venaient dans un second temps : ainsi, c’est l’élucidation du mécanisme d’action des neuroleptiques qui a permis le développement de la théorie dopaminergique de la schizophrénie, tout comme l’élucidation de l’action des antidépresseurs a permis l’émergence de la théorie monoaminergique de la dépression. C’est désormais l’inverse qui se passe : nos connaissances sur la physiopathologie de ces troubles psychiatriques sont suffisamment solides et élaborées pour qu’on puisse développer de nouvelles molécules basées sur ces connaissances. Des molécules dont nous pouvons anticiper les effets thérapeutique et secondaires.

Les origines de la schizophrénie vont bien plus loin que la seule dopamine, dont les voies dérégulées pourraient représenter, selon certains chercheurs, la voie finale du processus pathologique. Ainsi, c’est l’accumulation de petites anomalies au sein des différents systèmes de neurotransmission en amont, en plus des neurones à dopamine, qui seraient responsables de la dérégulation dopaminergique, à l’origine des symptômes psychotiques.

Comme souvent, un neurotransmetteur ne peut être réduit à un trouble psychiatrique particulier, et vice-versa. La réalité est toujours plus complexe que cela !

SOURCES :

- Howes, Oliver D., and Shitij Kapur. "The dopamine hypothesis of schizophrenia: version III—the final common pathway." Schizophrenia bulletin 35.3 (2009): 549-562.

- Stahl, Stephen M., and Stephen M. Stahl. Stahl's essential psychopharmacology: neuroscientific basis and practical applications. Cambridge university press, 2013.

- Koblan, Kenneth S., et al. "A non–D2-receptor-binding drug for the treatment of schizophrenia." New England Journal of Medicine 382.16 (2020): 1497-1506.

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