Un antibiotique pour soigner l'épilepsie ?

 

L'île de Pâques renferme bien des mystères. On pense particulièrement aux moaïs, ces statues monumentales dressées sur les flancs de l'île et qui restent encore aujourd'hui très énigmatiques. C'est aux pieds de ces monuments que débute l'épopée d'une molécule passionnante, la Rapamycine.

En 1964, un chercheur hongrois faisant partie d'une expédition scientifique tente de découvrir pourquoi les autochtones de l'île de Pâques sont si résistants au tétanos, alors qu'ils marchent la plupart du temps pieds nus. Le tétanos est une maladie potentiellement mortelle causée par une bactérie, Clostridium tetani, présente dans la terre. Elle se transmet par exemple via une blessure souillée – ce qui est très fréquent, et qui justifie qu’on vérifie que vous soyez bien vacciné devant une telle blessure. Il pense découvrir la réponse à ses interrogations dans la composition du sol de l'île, mais ses analyses de la terre australe n'aboutissent pas. Il décide cependant de faire profiter la communauté scientifique de ses travaux, et envoie ses échantillons au laboratoire de microbiologie de Montréal, au Canada [11].

C'est en 1972 qu'une bactérie, Streptomyces hygroscopicus, est identifiée dans ces échantillons de sol. Des chercheurs commencèrent à étudier son fonctionnement et identifièrent une molécule aux propriétés antibiotiques et antifongiques, qu'hygroscopicus sécrète pour se protéger de ses ennemis microbiens. Ils la dénomment Rapamycine en hommage à l'île de Pâques, dont le nom autochtone est Rapa Nui.

La Rapamycine fut rapidement mise de côté. Elle possède en effet, en plus de son activité antimicrobienne, des propriétés immunosuppressives, c'est-à-dire qu'elle est capable de freiner le fonctionnement de notre système immunitaire. Ce qui est, on en conviendra, assez problématique lorsqu'on veut traiter une infection !

On peut toutefois noter qu'une activité immunosuppressive peut être bénéfique au cours d'une infection. On a beaucoup parlé ces derniers mois de "l'orage cytokinique" qui accompagne les infections sévères au SARS-CoV2. Dans ce cas, les lésions pulmonaires gravissimes ne sont pas causées par le virus directement, mais par une réaction immunitaire disproportionnée qui va détruire le poumon. C'est pour cette raison que l'on peut administrer à ces patients des immunosuppresseurs. C'est d'ailleurs dans ce contexte que la Rapamycine a été évaluée dans un petit nombre d'étude, avec des résultats prometteurs.

Un antibiotique, seulement ? [1, 6, 12]

La Rapamycine ne sera donc pas un antifongique ou un antibiotique. Mais le Dr Sehgal, qui dirige les recherches sur la Rapamycine à Montréal, a une intuition : ce produit pourrait bien être un précieux anticancéreux. Pour en avoir le cœur net, il envoie un échantillon de Rapamycine au National Institute of Cancer (NIC) américain. Il existe là bas une plateforme permettant de tester de nouvelles molécules sur un grand nombre de lignées cellulaires cancéreuses. La surprise est de taille : non seulement la Rapamycine possède un puissant effet anti-prolifératif sur les cellules cancéreuses, mais elle est active sur de nombreux types de cancers - sein, rein, prostate, colon, cerveau, mélanome ! Immédiatement, la Rapamycine est classée comme une cible prioritaire pour le développement de nouveaux traitements anticancéreux.

Les propriétés antitumorales de la Rapamycine sont faramineuses. On estime que seulement 2% des 2500 molécules testées annuellement au NIC (qui existe toujours) passent cette étape de screening, permettant le début des essais chez l'animal.

Suren Sehgal se lance donc dans l'aventure, lance des essais chez l'animal, développe avec son équipe ce traitement prometteur. Mais en 1982, tout s'écroule : dans un contexte de restrictions budgétaires, le laboratoire de Sehgal à Montréal est démantelé, signant l'arrêt de toute recherche sur la Rapamycine pour les années à venir.

C'est en 1987 qu'à lieu le premier coup de pouce du destin. Cette année là, une équipe de chercheurs japonais découvrent le Tacrolimus, une substance aux puissantes caractéristiques immunosuppressives sécrétée par un champignon. La Rapamycine ayant une structure très proche du Tacrolimus, des médecins se lancent rapidement dans une étude approfondie de ses effets immunosuppresseurs. Ils découvrent alors que l'antibiotique Rapa Nui est capable de fortement inhiber la prolifération des lymphocytes, des cellules de notre système immunitaire.

L'année suivante, en 1988, le Dr Sehgal, à force de persévérance, trouve de nouveaux financements pour ses recherches. De nouvelles molécules, analogues de la Rapamycine, sont synthétisées et testées comme anticancéreux. Leur effet est là encore particulièrement puissant, sur de nombreux types de cancer. On se rend rapidement compte que la Rapamycine est capable d'inhiber la croissance non seulement de cellules cancéreuses, mais aussi d'autres cellules humaines, de mouches, de plantes et de levures !

C'est justement chez l'une d'entre elles, Saccharomyces cerevisiae (communément appelée levure de boulanger), que Michael Hall et Rao Movva, deux chercheurs américains, firent une découverte majeure. Certaines de leurs levures étaient résistantes à la Rapamycine. En étudiant leur génome, ils s’aperçurent que cette résistante était due à des mutations génétiques aléatoires localisées sur deux gènes, qu'ils nommèrent TOR1 et TOR2 (pour "Target Of Rapamycine"). Leurs travaux prouvèrent par la suite que les effets de la Rapamycine sur les cellules passent par les deux protéines encodées par ces gènes. Il faudra attendre 3 ans pour que les gènes homologues chez l'Homme, qui seront nommés mTOR (pour "mammalian Target Of Rapamycine"), soient identifiés. Nous allons le voir, la découverte des mécanismes moléculaires de la Rapamycine a été d'une aide précieuse dans notre compréhension du fonctionnement cellulaire et a été à l'origine du développement de traitements aux indications variées, de l'anticancéreux à l'antiépileptique !

Comment fonctionne la Rapamycine ? [1, 4, 5, 6, 13]

Les gènes et protéines TOR sont, nous l'avons vu, très conservés dans le règne du vivant, avec des versions plus ou moins semblables en fonction des espèces et de leur position dan l'arbre phylogénétique. Ainsi, les TOR des levures n'ont que 50% d'homologie par rapport aux notres, contre 95% des mTOR retrouvés chez tous les mammifères. Cette conservation suppose un rôle essentiel des TOR dans la survie des individus. Nous utiliserons l'appellation mTOR dans la suite de l'article, car nous aborderons essentiellement les recherches chez l'Homme et d'autres mammifères - en particulier les souris.

Il est maintenant bien établi que les mTOR agissent comme des détecteurs de l'état nutritionnel d'une cellule - nous reviendrons plus tard sur cette approximation. Ils sont capables, via différentes cascades moléculaires, de "sentir" les concentrations d'acides-aminés, de glucose et d'ATP -la molécule énergétique de la cellule. Si ces composants sont en concentration suffisante, alors mTOR autorisera la cellule à croître et se diviser. Elle est aussi sensible à plusieurs facteurs de croissance comme l'insuline : en leur présence, elle stimulera là encore la croissance et la division cellulaire. En ce sens, mTOR peut être considéré comme un interrupteur du cycle cellulaire.

Lorsque les nutriments sont présents en quantité suffisante dans la cellule, ou lorsque de l'insuline est sécrétée par l'organisme, mTOR stimule la croissance et la prolifération cellulaire.

Pour cela, mTOR agit principalement sur la synthèse des protéines cellulaires, via deux mécanismes principaux. La synthèse protéique fait intervenir 2 grandes étapes. La première correspond à la transcription de l'information génétique représentée dans l'ADN en ARN, une molécule semblable mais qui, à l'inverse de l'ADN, peut être transportée en dehors du noyau de la cellule. Une fois dans le cytoplasme, l'ARN va être pris en charge par de grosses protéines, les ribosomes, dont le rôle est d'assembler la séquence d'acides-aminés pour former la protéine telle qu'elle est codée par l'ARN. L'ARN est donc un messager, capable de transmettre l'information génétique de l'ADN, contenu dans le noyau, aux ribosomes localisés dans le cytoplasme cellulaire. Le "langage" parlé par l'ARN et par l'assemblage protéique n'est pas le même, si bien que les ribosomes peuvent être considérés comme des "traducteurs" de ce message. Transcription et traduction sont donc les 2 grandes étapes de la synthèse protéique, qui est nécessaire à la croissance et à la division cellulaire.

mTOR va principalement agir sur l'étape de traduction. D'une part, elle permet de stimuler la synthèse des ribosomes, et d'autre part, elle permet de stabiliser les ARN messagers pendant leur transport du noyau vers le cytoplasme. Le mécanisme cellulaire impliqué dans ce dernier processus est particulièrement intéressant. L'effet stabilisateur de mTOR passe en effet par la création d'une coiffe à l'une des extrémités de l'ARN messager. Cette coiffe permet, en plus de protéger l'ARN messager, la liaison des ribosomes et donc l'initiation de l'étape de traduction. Une anomalie des protéines formant cette coiffe peut être à l'origine de cancers. On comprend donc mieux pourquoi la Rapamycine, qui inhibe mTOR et donc la stabilisation de la coiffe, a un effet anticancéreux. Sans coiffe, les ARN messagers ne sont pas traduits et les protéines ne sont pas synthétisées, paralysant la cellule cancéreuse dans sa croissance et sa division -une cellule cancéreuse se caractérisant principalement par une croissance et une division cellulaire incontrôlée.

L'activité anti-proliférative de la Rapamycine (et de ses analogues) a rapidement été mise à profit en médecine. Nous l'avons vu, elle peut être utilisée comme immunosuppresseur (après une greffe d'organe principalement) ou comme anticancéreux. Mais l'effet anti-prolifératif est aussi utilisée en cardiologie, en particulier en post-infarctus du myocarde [4]. Le traitement principal de la crise cardiaque, qui résulte d’une obstruction d'une artère coronaire irrigant le cœur, correspond simplement à la déboucher. Afin de maintenir le flux sanguin par la suite, pour éviter que l'artère se bouche à nouveau, les cardiologues y insèrent souvent un stent, une sorte de petit ressort maintenant les parois artérielles bien dillatées. Malheureusement, ce matériel étranger peut être le siège d'une prolifération cellulaire provenant de l'artère elle-même. C'est ainsi qu'en 2002, des chercheurs eurent l'idée d'enrober leurs stents avec de la Rapamycine, afin de stopper cette prolifération à l'origine de complications graves. Cette approche, rentrée aujourd'hui dans la pratique courante, a permis de diviser par 3 à 5 le pourcentage de resténose de stent.

Immunologie, cancérologie, cardiologie... La Rapamycine est d'une aide indispensable dans de nombreux domaines de la médecine. Mais, nous allons le voir, la molécule Rapa Nui peut aussi être efficace dans certaines affections cérébrales, en particulier chez des malades souffrant d'une maladie génétique rare, la sclérose tubéreuse de Bourneville.

Petite Marie… [6, 7, 8, 9]

C'est en 1881 que Désiré-Magloire Bourneville, un médecin français disciple du grand Charcot à la Salpêtrière, publia un article concernant l'une de ses patientes, Marie, qui souffrait de retard mental et d'une épilepsie gravissime, qui lui fut fatale alors qu'elle n'avait que 15 ans. Bourneville avait pu procéder à son autopsie et décrire une maladie jusqu'alors inconnue, la sclérose tubéreuse des circonvolutions cérébrales. Il remarque dans son cerveau de multiples petites lésions dures et blanchâtre (scléreuses) qu'il nomme tubers. D'autres tumeurs sont d'ailleurs présentes dans l'organisme de la malheureuse, en particulier au niveau de la peau et des reins.

Désiré-Magloire Bourneville (A) accompagné des croquis réalisés à partir de ses observations des premiers patients atteins de sclérose tubéreuse (B).
Près de 150 ans de connaissances accumulées nous permettent aujourd'hui de mieux comprendre la sclérose tubéreuse de Bourneville, dont la triade caractéristique (épilepsie, retard mental et adénomes cutanés, les trois symptômes les plus fréquents) fut décrite en 1908 et son caractère héréditaire mis en évidence en 1913. Ce n’est cependant qu’à la fin des années 1990 que les deux gènes responsables, nommés TSC1 et TSC2 (pour Tuberous Sclerosis Complex) furent identifiés [9]. Ils codent respectivement les protéines tubérine et hamartine, dont on sait qu'elles s'assemblent dans le neurone et agissent de concert. Il fallut attendre 2002 et une étude publiée dans la revue PNAS [2] pour connaître leurs actions au sein de la cellule. C'est cette étude qui permis de prouver l'implication de TSC1 et 2 (plus précisément les protéines qu'elles codent) dans la cascade moléculaire de mTOR.

Ainsi donc, la sclérose tubéreuse de Bourneville devenait une maladie de mTOR ! Plus de 120 ans après sa découverte, on commençait enfin à comprendre les mécanismes moléculaires de la maladie. L'hamartine et la tubérine se placent juste en amont de mTOR.

TSC1 et 2 inhibent mTOR. Il s'agit d'une double inhibition : quand il y a assez de nutriments dans la cellule, TSC ne peut plus inhiber mTOR qui s'active donc et qui provoque la prolifération cellulaire.

La sclérose tubéreuse provient d'une mutation de TSC1 ou de TSC2 rendant leur protéine inactive. L'hamartine et la tubérine inhibant normalement mTOR, cette dernière se retrouve donc hyperactive, à l'origine d'un emballement de la croissance et des divisions cellulaires. On comprend ici les observations initiales de Bourneville : les tumeurs qu'il observe un petit peu partout dans le corps de Marie proviennent de cette dérégulation cellulaire. Nous allons cependant voir que les mécanismes pathologiques à l'origine des lésions cérébrales sont plus complexes qu'un simple emballement de la prolifération cellulaire.

Des tubers... mais pas que [5, 13]

Les lésions observables au sein des cerveau de malades sont variées et fréquentes. Les plus caractéristiques, décrites par Bourneville, sont les tubers : des zones de cortex (la couche la plus superficielle du cerveau) malformées. En effet, un cortex normal contient neurones et cellules de soutient, dont les astrocytes - qui sont en réalité bien plus que cela, mais nous ferons cette approximation ici. Il est organisé chez l'Homme en couches : les neurones de chaque couche ont des fonctions différentes et des connexions qui leurs sont propres. Au niveau des tubers, rien de tout cela : l'architecture corticale est désorganisée, les neurones déformés, les astrocytes trop nombreux ! Des anomalies provoquant un fonctionnement des réseaux neuronaux associés anormal et, on l'a longtemps cru, des crises d'épilepsie.

Mais les tubers ne sont pas les seules lésions observables. Il existe en plus des anomalies de la substance blanche, contenant les axones - les câbles neuronaux qui permettent de relier les neurones entre eux. On relève enfin chez 80% des malades de petits nodules qui peuvent être parfaitement inoffensifs mais qui peuvent parfois dégénérer en astrocytome, un type de tumeur cérébrale définit par une prolifération incontrôlée d'astrocytes.

Ces astrocytomes sont bénins, c'est-à-dire qu'ils ne disséminent pas via des métastases. Ils peuvent cependant être très dangereux. En effet, le cerveau est contenu dans un boite crânienne, par définition inextensible : si un cancer grossi, cela implique nécessairement une compression de plus en plus importante du cerveau contre l’os, pouvant entraîner à terme le décès du patient.

C'est en premier lieu pour tenter de freiner le développement de ces astrocytomes que la Rapamycine et ses analogues ont été délivrées aux patients souffrant de sclérose tubéreuse [10]. Même si les études sur le sujet ne démontrent pas une guérison de ces tumeurs, elles semblent indiquer une stabilisation voire une régression des lésions sous traitement. Malheureusement, les astrocytomes reprenaient leur croissance incontrôlée dès que le traitement était arrêté. La question qui se pose aujourd'hui est celle de la place de la Rapamycine dans la stratégie de prise en charge par rapport à la chirurgie (pour enlever la tumeur directement), pour des malades à fort risque de récidive, chez qui la Rapamycine peut avoir des effets indésirables significatifs (en particulier l'immunodépression à l'origine d'un risque infectieux).

Au delà des astrocytomes, les symptômes clinique de la sclérose tubéreuse de Bourneville associent épilepsie, retard mental et troubles psychiatriques. Comment peuvent-il s'expliquer sur le plan moléculaire et cellulaire ? Comment peut-on les soigner ?

Un antibiotique pour soigner l'épilepsie ? [5]

Toute lésion cérébrale, d'autant plus si elle est localisée au niveau du cortex, peut provoquer une épilepsie. C'est ainsi qu'on a longtemps cru que les tubers et autres tumeurs cérébrales étaient à l'origine des crises d'épilepsie de la sclérose tubéreuse. Les mécanismes pathologiques sont cependant plus complexes. En effet, les effets de mTOR sont bien plus vastes d'une simple dérégulation du cycle cellulaire, en particulier chez les neurones.

Une mutation sur TSC1 ou TSC2 entraîne une malformation de l'ensemble des réseaux neuronaux, qui débute dès la vie intra-utérine du bébé. Durant cette période, juste après leur naissance à partir de cellules souches, les neurones migrent à travers le cerveau de façon très précise, pour trouver leur bon emplacement et la bonne couche corticale. Cette étape peut être très perturbée dans la sclérose tubéreuse avec, nous l'avons vu plus haut, une désorganisation de l'architecture corticale pouvant à l'extrême former des tubers.

Une fois les neurones arrivés à bon port (ou pas), ils commencent à nouer des liens avec leur voisinage, au travers de dendrites (sortes d'antennes réceptrices) et de synapses (les connexions entre neurones). mTOR est impliqué dans ces processus, si bien que des connexions aberrantes se forment dans la sclérose tubéreuse.

Ces différentes anomalies aboutissent à la formation de réseaux neuronaux anormaux, à l'origine notamment de retard mental et d'épilepsie. Dans ce dernier cas, le fonctionnement anormal des neurones glutamatergiques et GABAergiques est un facteur aggravant. Le cerveau fonctionnement globalement avec des neurones excitateurs (glutamatergiques), inhibiteurs (GABAergiques) et régulateurs (sérotoninergiques, dopaminergiques, cholinergiques etc...). Un fonctionnement cérébral optimal nécessite une balance finement régulée entre excitation et inhibition. Un excès d'excitation et un défaut d'inhibition seront à l'origine d'une hyperexcitabilité neuronale favorisant les crises d'épilepsie par exemple. C'est exactement ce qu'il se passe dans la sclérose tubéreuse. Une telle bascule peut aussi être à l'origine de retard mental et de trouble du spectre de l'autisme, comme nous avons pu l'évoquer à plusieurs reprise sur ce blog.

C'est donc la malformation des circuits neuronaux dans la petite enfance, et le dysfonctionnement des neurones une fois matures, qui semble le mieux expliquer l'épilepsie, le retard mental et les symptômes psychiatriques (autisme, trouble d'hyperactivité et déficit attentionnel…) de la sclérose tubéreuse. Les tubers et les tumeurs cérébrales peuvent être à l'origine des crises d'épilepsie, mais ces dernières peuvent exister même en leur absence.

L'épilepsie, qui touche 80% des patients, est souvent très précoce et très sévère. La plupart des traitements médicamenteux sont inefficaces et seule la Vigabatrine, un puissant anti-épileptique, semble suffisamment efficace. Cette résistance au traitement médicamenteux a poussé la communauté médicale à développer de nouvelles approches pour ces patients, comme la stimulation du nerf vague ou le régime cétogène, qui n'ont que peu été évalués mais qui semblent prometteurs. La chirurgie est bien sûr indiquée et efficace si l'origine des crises d'épilepsie est un tuber ou un astrocytome. Cependant, malgré toutes ces stratégies thérapeutiques, les crise d'épilepsie persistent dans plus de la moitié des cas.

Depuis peu, les inhibiteurs de mTOR comme la Rapamycine ont été testés dans l’épilepsie de la sclérose tubéreuse. Si la dérégulation de mTOR a un impact (plus ou moins) direct sur ces crises, son inhibition devrait avoir un impact clinique important. L'administration de Rapamycine chez les jeunes souriceaux semble corriger les malformations neuronales et prévenir les crises d'épilepsie. Un essai clinique de grande ampleur se concentrant sur l'Everolimus, un cousin proche de la Rapamycine, a été publié dans la prestigieuse revue The Lancet en 2016 [5]. Elle concluait à un effet significatif de l'inhibiteur de mTOR comme traitement antiépileptique avec peu d'effets secondaires. Un vrai espoir pour ces patients souffrant d'épilepsie extrêmement difficile à maîtriser !

La dérégulation de mTOR et des malformations neuronales similaires étant à l'origine du retard mental et des troubles psychiatriques associés, plusieurs essais cliniques évaluant les analogues de la Rapamycine ont été lancé ces dernières années (essais RAPIT, RAPT et TRON notamment) pour évaluer leur efficacité sur ces symptômes. Les résultats de ces études n'ont, a ma connaissance, pas encore été publiés. Ils sont attendus avec impatience : la Rapamycine (ou semblable) pourrait non seulement traiter l'épilepsie, mais aussi les troubles psychiatriques associés !

La découverte d'une petite molécule sécrétée par une banale bactérie dans le sol de l'île de Pâques aura donc été à l'origine de découvertes majeures dans de nombreux domaines scientifiques, de l'immunologie à la psychiatrie. Elle aura permis une compréhension fine d'une pathologie décrite il y a plus de 130 ans, la sclérose tubéreuse de Bourneville, et de développer de nouveaux traitements basés sur ces connaissances. Ces traitements sont porteurs de beaucoup d'espoirs et nous attendons les résultats des dernières études avec impatience !

SOURCES :

- [1] : Seto, Belinda. "Rapamycin and mTOR: a serendipitous discovery and implications for breast cancer." Clinical and translational medicine 1.1 (2012): 1-7.

- [2] : Tee, Andrew R., et al. "Tuberous sclerosis complex-1 and-2 gene products function together to inhibit mammalian target of rapamycin (mTOR)-mediated downstream signaling." Proceedings of the National Academy of Sciences 99.21 (2002): 13571-13576.

- [3] : French, Jacqueline A., et al. "Adjunctive everolimus therapy for treatment-resistant focal-onset seizures associated with tuberous sclerosis (EXIST-3): a phase 3, randomised, double-blind, placebo-controlled study." The Lancet 388.10056 (2016): 2153-2163.

- [4] : Pallet, N., et al. "Rapamycine et inhibition de mTOR: des voies de signalisation aux applications cliniques." Annales de Biologie Clinique. Vol. 64. No. 2. 2006.

- [5] : Curatolo, Paolo, Romina Moavero, and Petrus J. de Vries. "Neurological and neuropsychiatric aspects of tuberous sclerosis complex." The Lancet Neurology 14.7 (2015): 733-745.

- [6] : Julien, Louis-André, and Philippe P. Roux. "mTOR, la cible fonctionnelle de la rapamycine." médecine/sciences 26.12 (2010): 1056-1060.

- [7] : Jansen, F. E., O. Van Nieuwenhuizen, and A. C. Van Huffelen. "Tuberous sclerosis complex and its founders." Journal of Neurology, Neurosurgery & Psychiatry 75.5 (2004): 770-770.

- [8] : DM, Bourneville. "Sclerose tubereuse des circonvolutions cerebrales: idiotie et epilepsie hemiplegique." Arch Neurol (Paris) 1 (1880): 81-91.

- [9] : https://en.wikipedia.org/wiki/Timeline_of_tuberous_sclerosis

- [10] : https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/ana.20784

- [11] : https://www.legacy.com/obituaries/montrealgazette/obituary.aspx?pid=163362061

- [12] : Garber, Ken. "Rapamycin’s resurrection: a new way to target the cancer cell cycle." Journal of the National Cancer Institute 93.20 (2001): 1517-1519.

- [13] : Switon, Katarzyna, et al. "Molecular neurobiology of mTOR." Neuroscience 341 (2017): 112-153.


CREDITS IMAGES :

- Twenty-five years of mTOR: Uncovering the link from nutrients to growth - Scientific Figure on ResearchGate. Available from: https://www.researchgate.net/figure/A-Photograph-of-Suren-Sehgal-the-father-of-rapamycin-B-Photographs-of-the_fig2_320660346 [accessed 5 Jan, 2021]

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- By Désiré-Magloire Bourneville - Paolo Curatolo (Editor) (2003). Tuberous Sclerosis Complex : From Basic Science to Clinical Phenotypes. MacKeith Press. ISBN 1-898-68339-5. Page 29. Chapter 3: Neurological Manifestations. Paolo Curatolo and Magda Verdecchia., Domena publiczna, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1479686


CREDITS VIDEOS :

- https://www.youtube.com/watch?v=gG7uCskUOrA

- https://www.youtube.com/watch?v=b3HKog5st8U