La 131ème victime

Le 13 novembre 2015, une série d’attaques terroristes ébranlait Paris. On a tous encore en tête les images terribles des terrasses des cafés, du Stade de France ou du Bataclan. Ils feront 131 victimes.


Très vite, un nombre massif d’appels (plus de 580 en 30 minutes) afflue vers le centre de régulation des sapeurs-pompiers. La situation est alors incertaine et le nombre d’assaillants inconnu. Immédiatement, plus de 430 pompiers seront mobilisés pour prendre en charge, en plus des équipes médicales du SAMU, des centaines victimes.


Les grands hôpitaux parisiens ont vu arriver dans leurs services un nombre très important de patients très gravement blessés. Au total, 337 patients ont été admis lors des 24 premières heures, 286 ayant une blessure par balle et 51 victimes d’explosion. Des situations critiques qui ont nécessité de doubler le nombre de blocs opératoires disponibles presque immédiatement, pour faire plus de 180 interventions chirurgicales.


La mobilisation immédiate des équipes médicales et paramédicales et la qualité des soins ont permis ce soir-là la prise en charge des blessés. Sur les 337 victimes admises à l’hôpital, 7 succomberont à leurs blessures. Il faut souligner la réaction exceptionnelle de l’ensemble des soignants franciliens cette nuit-là, puis les jours suivants, devant un afflux massif de patients extrêmement graves. L’ensemble du personnel soignant a su se mobiliser en quelques heures, et pendant plusieurs jours, pour gérer cet afflux et prendre en charge non seulement les victimes des attentats, mais aussi l’ensemble des autres urgences (on a bien le droit d’avoir une appendicite ou un AVC le 13 novembre !). Rappelons aussi qu’une telle mobilisation se retrouve désormais de façon quotidienne depuis plusieurs mois maintenant…


La réaction du système hospitalier n’a cependant pas été parfaite -comment se préparer à une telle situation ? L’ensemble de la prise en charge et des décisions ont été analysées dans une étude publiée en 2019 [1]. Elle met en lumière les prouesses, mais aussi les dysfonctionnements au cours de cette terrible soirée, et nous permettra d’être plus efficace en cas de nouvelle attaque terroriste de cette ampleur.


Ce soir-là, et les jours suivants, 130 personnes sont mortes sous les balles ou les bombes terroristes. Mais les conséquences de ces attaques peuvent meurtrir à beaucoup plus long terme. Au-delà des blessures physiques, les séquelles psychologiques de situations aussi traumatisantes peuvent être terribles. C’est ce que nous rappelle malheureusement le suicide de Guillaume Valette, un rescapé du Bataclan souffrant de stress post traumatique qui s’est donné la mort en 2017, et qui est considéré comme la 131ème victime de ces attentats.


Il est capital de prendre en charge ces troubles psychiques et en particulier l’état de stress post traumatique. Comment se caractérise-t-il ? Que se passe-t-il dans le cerveau de ces rescapés, et comment peut-on les aider à y faire face ?


Pendant un événement très traumatisant, par exemple une agression ou un attentat, notre cerveau peut réagir de manière très forte. Cette réaction est nécessaire car elle permet à l’individu de mobiliser ses capacités de survie lors d'une situation dangereuse. Mais elle peut parfois être excessive : c’est dans cette réaction disproportionnée que naît l’état de stress post-traumatique (ESPT). Ce dernier ne surgit cependant pas immédiatement après le traumatisme. Un état de stress aigu (dont les symptômes ressemblent fortement à l'ESPT), dans les jours qui suivent un événement traumatisant, est une réaction normale. L'ESPT correspond grossièrement à la prolongation anormale d'une telle réaction.


L’état de stress post-traumatique est un trouble du souvenir : c’est la trace laissée par le traumatisme dans notre mémoire qui est anormale. Ces anomalies dans la gravure cérébrale du souvenir sont à l’origine d'un rappel anormal et incontrôlé, à l’origine du principal symptôme du trouble : les reviviscences. Au cours de celles-ci, le souvenir s’impose de façon incontrôlée au patient, qui se retrouve littéralement comme projeté dans la terreur du traumatisme. Pensez-y lorsque vous serez devant Netflix ce soir, pour regarder un film de guerre : dans l’ESPT, vous n’êtes pas devant votre écran, vous êtes brutalement plongé dans le film ! Les reviviscences sont bien plus qu’un simple rappel du souvenir traumatique. L’état de stress post-traumatique est un trouble très invalidant qui, en plus des reviviscences, se caractérise par une hypervigilance, un biais attentionnel vers les stimuli en rapport avec le traumatisme, qui aura pour conséquence un évitement de toute situation pouvant rappeler le traumatisme à la conscience. L’impact sur l’humeur et l’anxiété est, on le comprend bien, absolument majeur.


La formation de nouveaux souvenirs dans notre cerveau fait intervenir une structure capitale, l’hippocampe. C’est lui qui va graver les nouveaux souvenirs dans notre mémoire, en rassemblant l’ensemble des informations disponibles dans les différentes parties du cerveau. C’est lui qui va rassembler les informations visuelles, auditives, tactiles, ou émotionnelles pour former un souvenir cohérent. Ces informations proviennent de l’ensemble du cortex, et pour les informations émotionnelles, c’est une structure profonde, toute proche de l’hippocampe, qui se met en action : l’amygdale.

L'hippocampe est une structure cérébrale localisée dans les profondeurs du lobe temporal (A et B, en turquoise). Il tient son nom de sa forme spiralée qui le fait ressembler à l'animal marin. Il est essentiel dans la formation de nouveaux souvenirs.

L’amygdale est un petit amas de neurones en forme d’amande qui se trouve enfoui dans notre lobe temporal, tout proche de l'hippocampe. Son rôle, pour simplifier, est de coder la puissance émotionnelle d’une situation. Elle est particulièrement impliquée dans les sentiments de peur ou d’angoisse, et comme vous pouvez l’imaginer, son activation est majeure lors d’une agression ou d’un attentat.


Pendant un traumatisme psychique, le fonctionnement de l’hippocampe et de l’amygdale est anormal, entraînant la formation d’un souvenir anormal lui aussi. Le contexte et l’intensité de l’émotion ressentie au moment de l’attentat sont gravés de façon particulièrement intense. 


De plus, une autre structure apparaît dysfonctionnelle chez ces individus : le cortex préfrontal, dont le rôle habituel est d’inhiber l’amygdale dans ces situations de surexcitation. On peut identifier 2 types de fonctionnement cérébral lors d’un traumatisme provoquant une surexcitation de l’amygdale : d’une part, un fonctionnement « résilient »  où le cortex préfrontal s’active correctement, permettant « d’éteindre l’incendie », et d’autre part un fonctionnement « traumatique » où l’activation préfrontale fait défaut. Ce défaut de régulation préfrontale peut aboutir à la formation d'un souvenir pathologique et, plus tard, à l’ESPT [2, 3].

Un traumatisme psychique va activer fortement l'amygdale, qui code la puissance émotionnelle d'une situation. Elle est en étroite interaction avec le locus coeruleus, producteur de noradrénaline (nous y reviendrons plus tard) et est inhibée par le cortex préfrontal (flèche bleue). Ce dernier empêche l'embrasement amygdalien, que l'on retrouve malgré tout dans l'ESPT.


Une étude d’imagerie portant sur des survivants des attaques du 13 novembre 2015 a mis en évidence un tel dysfonctionnement [4]. En utilisant des techniques d’IRM de pointe, des scientifiques français ont pu mettre en lumière un défaut d’inhibition des systèmes de mémoire par le cortex préfrontal 
lors d’un ESPT (on ne parle pas ici de la réaction cérébrale lors du traumatisme, mais celle à distance de celui-ci quand l'ESPT s'est déjà installé). Ainsi donc, le cortex préfrontal serait incapable de freiner les intrusions intempestives du souvenir traumatique. Cette anomalie n’était présente que chez les survivants souffrant d’ESPT, mais pas chez les individus résilients (c’est à dire n’en souffrant pas).


Plusieurs autres études mettent en évidence des anomalies de structure et de fonctionnement de ces régions cérébrales, en particulier de l’hippocampe. Parmi celles-ci, une étude d’imagerie sur des jumeaux vétérans de la guerre du Vietnam est particulièrement intéressante. Des chercheurs ont comparé les hippocampes de vétérans du Vietnam avec et sans ESPT, ainsi que de leurs frères jumeaux qui n’avaient pas combattu. Il existait une corrélation inverse entre la survenue d’un ESPT et la taille de l’hippocampe : les soldats avec ESPT avaient un hippocampe plus petit que les soldats qui n’en souffraient pas. Cependant, l’hippocampe des jumeaux non-combattants était lui aussi plus petit ! Ainsi donc, peut être que la survenue d’un ESPT altère la structure de l’hippocampe, qui devient plus petit. Mais il se pourrait aussi qu’un petit hippocampe soit un facteur de risque d’ESPT : face à un même traumatisme, les soldats dont l’hippocampe était plus petit développaient plus souvent un ESPT comparé aux soldats avec un gros hippocampe. Ces différences, entre autres, expliqueraient qu’à même traumatisme, certaines personnes développeront un ESPT et pas d’autres. Nous ne sommes pas égaux devant un traumatisme psychique !


Ces facteurs de risque se retrouvent au niveau génétique : plusieurs études ont mis en évidence que certains gènes, en particulier certains transporteurs de la sérotonine ou des récepteurs aux corticoïdes, pouvaient majorer le risque d’ESPT après un traumatisme. Cependant, ces études restent discutées car leurs résultats n’ont pas été fidèlement répliqués.


Ces facteurs de risque se retrouvent aussi au niveau hormonal. Par exemple, les hormones sexuelles semblent pouvoir influencer la survenue d’un ESPT chez la femme. En effet, certains symptômes-clés sont sensibles au cycle menstruel, et le risque d’ESPT serait maximal au cours de la phase lutéale, lorsque l’œstradiol et la progestérone sont au plus haut.


De façon plus paradoxale, la survenue d’un ESPT semble inversement proportionnelle au taux de cortisol dans le sang. En effet, le taux de cortisol, que l’on considère souvent comme « l’hormone du stress », est statistiquement plus bas chez les individus souffrant d’ESPT. Pour expliquer ces données surprenantes, il nous faut nous pencher sur une dernière hormone : la noradrénaline.


Le stress lié à un événement traumatisant fait intervenir de multiples processus. Cette réaction passe notamment par une décharge d’adrénaline et de noradrénaline dans l’ensemble de notre corps : notre tension artérielle augmente, notre rythme cardiaque et respiratoire aussi. Nos pupilles se dilatent pour mieux percevoir le danger. La glycémie augmente et le flux sanguin est redirigé vers les muscles pour nous permettre de fuir ou de se battre. C’est l’ensemble de notre corps qui, grâce en partie à la noradrénaline, se tient prêt à l’action. Ce pic noradrénergique a aussi de puissants effets sur notre cerveau, et se retrouve au centre des mécanismes physiopathologiques de l’état de stress post-traumatique.


Il existe de nombreuses preuves d’une dérégulation noradrénergique chez les patients souffrant d’ESPT [5]. Dès les années 1980, on remarque une tension artérielle et une fréquence cardiaque plus élevées que les individus sains. Plus tard, ces symptômes ont été corrélés avec des taux urinaires et sanguins plus élevés de noradrénaline. Des données suggèrent plus qu’une simple surproduction de noradrénaline, une dérégulation du système de production. Ainsi, les taux urinaires de noradrénaline varient de façon anormale au cours du nycthémère (c’est un dire pendant un cycle jour-nuit). Normalement, les taux de noradrénaline diminuent pendant la nuit et augmentent le matin, en parallèle de notre niveau d’éveil. Chez les patients avec ESPT, les concentrations urinaires augmentent au contraire pendant la nuit, majorant d’autant plus les troubles du sommeil !

La noradrénaline (A) et le cortisol (C) sont considérées comme les "hormones du stress" et sont produites, en partie, par les glandes surrénales (B), qui coiffent nos deux reins.

Si la noradrénaline périphérique (dont nous parlions au paragraphe précédent) provient en grande partie des glandes surrénales (qui sont situées, comme leur nom l’indique, juste au-dessus des reins), la noradrénaline cérébrale provient d’un petit noyau localisé dans le tronc cérébral, le locus coeruleus. Il est très difficile de mesurer la concentration d’une substance au niveau du système nerveux central. Cependant, des scientifiques s’y sont attelés au début des années 2000 [6]. Pour cela, ils ont prélevé toutes les heures, grâce à une ponction lombaire, quelques millilitres de liquide céphalo-rachidien (le liquide dans lequel baigne notre cerveau). Notons les courageux patients qui étaient volontaires pour cette étude bien douloureuse ! Cette étude américaine a non seulement montré une augmentation de la concentration de noradrénaline cérébrale dans l’ESPT, mais aussi une corrélation avec l’intensité des symptômes ! Des études d’imagerie (moins douloureuses !) ont par la suite appuyé ces données.


Au niveau cérébral, la noradrénaline agit sur 3 types de récepteurs, présents à la surface des neurones, nommés alpha 1 et 2, et bêta. Ils ont des rôles et des fonctionnements bien différents. Ainsi, les récepteurs alpha 2 sont plutôt sensibles aux faibles concentrations de noradrénaline, alors que les récepteurs alpha 1 et bêta s’activent seulement devant de fortes concentrations. De plus, alors que les récepteurs alpha 2 présents sur les neurones préfrontaux sont plutôt stimulants, les récepteurs alpha 1 et bêta sont au contraire inhibiteurs. Ainsi donc, un stress modéré (un évènement peu traumatisant) déclenchera une faible augmentation des concentrations noradrénergiques, et une stimulation des récepteurs alpha 2. L’amygdale ne s’activera que partiellement, et un cortex préfrontal performant sera capable d’éviter tout embrasement. La stimulation préfrontale améliorerait de plus les capacités cognitives de l’individu et la rationalisation du souvenir. Au contraire, un traumatisme majeur provoquera une hyper-activation amygdalienne et un pic noradrénergique élevé. Dans cette situation, la stimulation des récepteurs alpha 1 et bêta provoquera l’inhibition du cortex préfrontal et l’embrasement de l’activité amygdalienne. C’est cette hyper-activation, ainsi qu’une action directe de la noradrénaline sur l’hippocampe, qui perturberait l’encodage des informations et aboutirait au souvenir pathologique de l’ESPT.

Réactions du système amygdale-cortex préfrontal-locus coeruleus lors d'un évènement stressant.
Lors d'un stress de faible intensité (A), la décharge de noradrénaline par la locus coeruleus est faible aboutissant à une stimulation des récepteurs alpha2. L'amygdale, s'active faiblement. Le cortex préfrontal, lui, permet d'inhiber efficacement l'amygdale.
Lors d'un stress intense (B), le pic adrénergique est plus élevé. L'amygdale est fortement stimulée, au contraire du cortex préfrontal qui lui est inhibé. Ainsi, ce dernier ne pourra pas "éteindre l'incendie" amgdalien et l'activité de l'amygdale va s'embraser. Ce dépassement des capacités de régulation cérébrale aboutit à l'ESPT.   

Ces données sont très séduisantes mais il faut bien garder en tête qu’elles reposent sur l’étude de modèles animaux, qui ne reproduisent qu’imparfaitement les symptômes liés au stress aigu et à l’ESPT [2]. Ils nous permettent de construire une théorie explicative mais l’extrapolation à l’Homme doit se faire avec prudence.


L’ensemble des systèmes hormonaux de l’organisme sont sous la dépendance d’une petite glande située à la base du cerveau : l’hypophyse. C’est elle qui, grâce aux substances qu’elle relâche dans la circulation sanguine, permet de contrôler les grandes fonctions endocriniennes du corps. Ces régulations sont complexes et intriquées. Ainsi, la baisse de cortisol au cours d’un traumatisme psychique pourrait s’expliquer par le pic noradrénergique qui, au niveau de l’hypophyse, freine l’axe corticotrope. Des médecins ont d’ailleurs tenté, en administrant des corticoïdes lors d’un état de stress aigu, d’annihiler le pic noradrénergique et ainsi de normaliser l’encodage des souvenirs traumatisants. Ces études montrent une certaine efficacité mais elles doivent être reproduites à plus grande échelle.


Que faire quand les traitements ne fonctionnent pas ?


Le principal traitement de l’état de stress post-traumatique repose sur la psychothérapie. Le but de celle-ci est de modeler le souvenir anormal en diminuant notamment sa charge émotionnelle, et de contrôler son rappel. Le thérapeute va entraîner le cerveau de son patient, et en particulier le cortex préfrontal, à lutter contre les reviviscences. De nombreuses études ont en effet montré que cette région cérébrale ne fonctionnait pas assez bien chez ces patients. Le cortex préfrontal, sorte de tour de contrôle de notre cerveau, n’est pas capable de gérer l’hyperactivité de l’amygdale, ce qui entraîne la reviviscence.


Le but de la psychothérapie est donc d’entraîner le cortex préfrontal pour qu’il reprenne son rôle et mate la rébellion de l’amygdale. C’est ni plus ni moins qu’une désensibilisation au conditionnement, comme si les chiens de Pavlov apprenaient à ne plus associer la cloche au repas (on peut considérer les reviviscences comme un conditionnement de type pavlovien). Au cours de ce type de thérapie, on expose graduellement le patient aux indices déclencheurs de reviviscence, alors qu’aucun danger n’est présent. Le cerveau apprend cette nouvelle association progressivement, permettant de désapprendre le conditionnement traumatique. On n’agit pas directement sur le souvenir, mais on apprend au cerveau malade à faire avec. Cela nécessite de bonnes ressources cognitives : il faut que le cortex préfrontal du cerveau malade puisse supporter l’entraînement intensif proposé en thérapie !


C’est un traitement dont l’efficacité est bien prouvée, mais qui pose pourtant deux problèmes. Tout d’abord, elle ne fonctionne pas ou pas assez bien chez 40% des patients. Chez ces patients résistants, on peut proposer un traitement médicamenteux comme un antidépresseur. Ces traitements visent aussi bien à traiter l’ESPT que les comorbidités associées, comme la dépression ou les troubles anxieux. Cependant, l’efficacité de ces traitements est limitée, et les tailles d’effet mises en évidence dans les études plus faibles que pour les psychothérapies seules. On peut aussi chercher à aider le cortex préfrontal à éteindre l’amygdale. Certaines études ont montré que la stimulation du cortex préfrontal grâce à un dispositif de stimulation magnétique trans-crânienne améliorait l’ESPT. Ensuite, le souvenir traumatique anormal est toujours là : on apprend simplement au cerveau, via le cortex préfrontal, à le gérer.


Mais le rôle majeur de la noradrénaline dans l’état de stress post traumatique a poussé à l’utilisation de molécules pouvant bloquer son action. Parmi celles-ci, le propranolol est l’option qui a été la plus étudiée chez l’Homme. Ce médicament, très bien connu des médecins, est largement prescrit pour soigner l’hypertension ou les troubles du rythme cardiaque. Il s’agit d’un bêta bloquant : son rôle est de bloquer le récepteur bêta de la noradrénaline, d’où son utilisation pour diminuer la fréquence cardiaque ou la tension artérielle. Et c’est pour cela qu’il est prometteur dans l’état de stress post-traumatique !


Plusieurs études ont évalué les effets d’une administration de bêta bloquant rapidement après le traumatisme psychique, par exemple juste après un attentat, afin de normaliser la gravure initiale des souvenirs dans notre mémoire pour éviter les reviviscences futures. Malheureusement, les résultats sont contrastés et aujourd’hui, on n’a pas de preuve solide pour dire que cette stratégie est efficace. D’autres agents pharmacologiques ont été testés au décours direct du traumatisme, avec plus de succès, comme le cortisol ou la morphine [2]. Ces deux substances permettent de diminuer le pic de noradrénaline cérébral et donc d’encoder correctement le souvenir. Les études testant ces stratégies sont cependant de petite taille et ces résultats n’ont pas été répliqués à ce jour.


Il existe une autre stratégie dans laquelle un bêta bloquant peut être efficace, qui a été utilisée les psychiatres dans la prise en charge des victimes du 13 novembre.


Quand on se remémore un souvenir, notre cerveau ne va pas seulement trouver son emplacement sur son disque dur pour le rejouer à l’identique. En réalité, notre hippocampe va repêcher partout dans le cortex toutes les informations en rapport avec ce souvenir et va littéralement le reconstruire à partir de celles-ci. Ainsi donc, le souvenir va passer d’une forme de stockage stable à une forme reconstruite instable, malléable.


Plutôt que de jouer sur le premier encodage du souvenir, au moment même du traumatisme, on peut agir sur ces phases de remémoration pour modifier le souvenir, devenu malléable ! C’est là que le bêta bloquant à une action capitale : pendant cette remémoration, il va bloquer le nouveau pic de noradrénaline, freiner l’hyperactivation de l’amygdale pour  permettre un ré-encodage du souvenir associé à une charge émotionnelle diminuée.


Comment cela se passe en pratique ? Dans l’étude, les victimes du 13 novembre enrôlées étaient tout d’abord invitées à décrire le souvenir traumatique par écrit. Ensuite, au cours de séances hebdomadaires, on leur demandait de prendre le bêta bloquant avant de relire, à voix haute, leur récit traumatique. On réactivait ainsi leur souvenir tout en limitant la réponse émotionnelle associée, permettant un nouvel encodage moins chargé émotionnellement. L’étude est toujours en cours, nous devrions en connaître les résultats au cours des prochains mois [8]. Des études similaires et déjà publiées ont des résultats prometteurs [7].


Nous avons évoqué au cours de cet article la théorie noradrénergique de l’ESPT. Ce n’est pas la seule théorie et de nombreux autres facteurs, dont nous n’avons pas parlé ici, sont impliqués dans ce trouble complexe.


Le stress post-traumatique est très souvent évoqué lors des attentats. Mais il ne faut pas oublier qu’il touche une population bien plus vaste que les survivants du 13 novembre. Ainsi, on estime que jusqu’à 20% des femmes et 8% des hommes souffriront, au cours de leur vie, de stress post-traumatique ! Cette proportion alarmante varie en fonction de l’évènement traumatisant, avec un risque maximal pour les agressions, en particulier sexuelles (où elle peut aller jusqu’à 40%…).



SOURCES :

- [1] : Raux, Mathieu, et al. "Analysis of the medical response to November 2015 Paris terrorist attacks: resource utilization according to the cause of injury." Intensive care medicine 45.9 (2019): 1231-1240.

- [2] : Bryant, Richard A. "Post‐traumatic stress disorder: a state‐of‐the‐art review of evidence and challenges." World psychiatry 18.3 (2019): 259-269.

- [3] : Pitman, Roger K., et al. "Biological studies of post-traumatic stress disorder." nature Reviews neuroscience 13.11 (2012): 769-787.

- [4] : Mary, Alison, et al. "Resilience after trauma: The role of memory suppression." Science 367.6479 (2020).

- [5] : Hendrickson, Rebecca C., and Murray A. Raskind. "Noradrenergic dysregulation in the pathophysiology of ESPT." Experimental neurology 284 (2016): 181-195.

- [6] : Geracioti Jr, Thomas D., et al. "CSF norepinephrine concentrations in posttraumatic stress disorder." American Journal of Psychiatry 158.8 (2001): 1227-1230.

- [7] : Brunet, Alain, et al. "Reduction of ESPT symptoms with pre-reactivation propranolol therapy: a randomized controlled trial." American Journal of Psychiatry 175.5 (2018): 427-433.

- [8] : Brunet, A., et al. "Paris MEM: a study protocol for an effectiveness and efficiency trial on the treatment of traumatic stress in France after the 2015–16 terrorist attacks." BMC psychiatry 19.1 (2019): 1-9.

- Canini, F., M. Trousselard, and Y. Andruetan. "Mécanismes neurobiologiques des états de stress." Médecine et armées 39.2 (2011): 127-132.

- https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/attentats-du-13-novembre-7-morts-pour-337-admissions-et-une-mobilisation-hors-normes

- https://fr.wikipedia.org/wiki/Attentats_du_13_novembre_2015_en_France#Organisation_des_secours_et_assistance_aux_victimes

- https://lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_07/a_07_p/a_07_p_tra/a_07_p_tra.html


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