Un diurétique pour soigner l'autisme ?

Les troubles du spectre de l'autisme (TSA) regroupent un ensemble de troubles neuro-développementaux dont l'origine est en grande partie génétique. Ces troubles se caractérisent principalement par des difficultés de communication avec les autres, et plus généralement pour les interactions sociales. On retrouve aussi des intérêts restreints. Une déficience intellectuelle peut être présente mais elle n'est pas systématique (mais toutes les personnes autistes ne sont pas
Rain Man non plus !).

Les TSA ont pour origine une perturbation du développement cérébral, qui débute dès la vie intra-utérine. Parmi ces anomalies développementales, des chercheurs ont noté que le taux de chlore dans les neurones étaient anormal. Quelle répercussion cela peut-il avoir sur leur fonctionnement ? Comment cela peut-il expliquer certains symptômes autistiques ou certaines comorbidités ? Un médicament peut-il agir sur ce déséquilibre afin d'améliorer les symptômes de ces patients ?

Le bon fonctionnement du cerveau repose sur un équilibre du GABA et du glutamate,
principales forces inhibitrices et excitatrices (respectivement).

Chez l'adulte, les neurones du cerveau sont soumis pour la plupart à 2 grandes forces antagonistes : d'un côté, des synapses excitatrices fonctionnant le plus souvent au glutamate, et de l'autre, des synapses inhibitrices fonctionnant au GABA. Les premières permettent une dépolarisation du neurone due à un influx d'ions sodium, contrebalancé dans un deuxième temps par un efflux d'ion potassium. Le GABA, en revanche, permet un influx d'ion chlore entraînant une hyperpolarisation : le potentiel de membrane devient plus négatif et la probabilité de génèse d'un potentiel d'action devient plus faible.

Ces deux types d'information sont captés par le neurone au niveau de ses dendrites et de son corps cellulaire. Ils sont additionnés et intégrés au niveau du corps cellulaire : si les stimulations excitatrices l'emportent, un potentiel d'action sera créé au niveau de l'axone et relaiera l'information qu'il porte jusqu'aux prochains neurones. En revanche, si ce sont les stimulations inhibitrices qui l'emportent, aucun potentiel d'action ne sera généré.

Le potentiel d'équilibre de chaque ion est déterminé, grâce à l'équation de Nersnt, par sa concentration dans et en dehors de la cellule. C'est ce potentiel d'équilibre qui détermine le sens du courant une fois les canaux ioniques correspondant ouverts : les ions étant libres de se répartir de part et d'autre de la membrane (ce qui n'est pas possible au repos), ils vont chercher à atteindre leur potentiel de repos. Ainsi donc, alors que le potentiel de repos du neurone est égal à -65mV environs, l'ouverture de certains canaux ioniques va induire une entrée de sodium, le potentiel d'équilibre de cet ion étant de +60mV. Cet influx va inverser le potentiel de membrane du neurone (qui devient positif) : c'est la dépolarisation. Au contraire, le potentiel de repos du chlore étant de -80mV, l'ouverture des canaux correspondant déclenchera une hyperpolarisation de la membrane neuronale (provoquée par un influx d'ion chlore).

Le fonctionnement neuronal chez le fœtus est bien différent du fonctionnement adulte [1]. En effet, les concentrations en chlore de la cellule diffèrent : égale à 20mmol/L chez le fœtus, elles ne sont que de 5mmol/L chez l'adulte. Cette différence minime à des répercussions majeures : le potentiel d'équilibre, égal à -80mV chez l'adulte (et donc hyperpolarisant), et égal à -40mV chez le fœtus (il est donc dépolarisant !).

La concentration intracellulaire en chlore est régulée par deux protéines membranaires. D'un côté, le canal NKCC1 permet de faire rentrer du chlore dans la cellule. Cette action permet l'action dépolarisante du GABA et le maintient d'un phénotype "immature" du neurone. De l'autre coté, le canal KCC2 permet au contraire la sortie du chlore cellulaire, abaissant sa concentration interne et favorisant l'effet inhibiteur du GABA (et donc un phénotype "mature" du neurone).

Schéma d'un neurone immature (gauche) et mature (droite).
On remarque que la différence importante entre les deux est la concentration de chlore intracellulaire, plus basse chez le neurone mature. Cette diminution est sous tendue par une augmentation de l'activité de KCC2 e une diminution de celle de NKCC1.

Ce changement de paradigme est important. Il permet une construction progressive des réseaux neuronaux. Il laisse le temps aux synapses glutamatergiques, de formation plus tardives, de se mettre en place, tout en limitant leur toxicité excitatrice. Chez l'Homme, la transition GABAergique de l'excitation vers l'inhibition a lieu au cours des dernières semaines de grossesse. Elle pourrait être liée à l'action de l'ocytocine, une hormone sécrétée par la mère en particulier lors de l'accouchement (qu'elle déclenche !). Cette transition est fondamentale car les réseaux neuronaux, pour bien fonctionner, on besoin de neurones inhibiteurs dont le rôle est de coordonner l'activité des neurones excitateurs. Un déséquilibre de cette balance excitation/inhibition peut aboutir à la pathologie. On pense bien sur en premier lieu à l'épilepsie, qui peut trouver son origine dans un excès d'excitation ou d'un défaut d'inhibition, les deux ayant pour conséquence une décharge globale et simultanée des neurones. Mais des anomalies de la balance excitation/inhibition peuvent aussi se retrouver dans l'autisme ou la schizophrénie [2].

Il existe de nombreuses hypothèses physiopathologiques des TSA en rapport avec le développement cérébral. L'une d'entre elles met en jeu le GABA, dont la mise en place des circuits neuronaux au cours de la grossesse, ainsi que son action inhibitrice ou activatrice, seraient en cause [3]. En effet, un patient autiste est plus à risque que la moyenne d'épilepsie (60% d'entre eux ont une forme d'épilepsie !). De plus, leur électroencéphalogramme indique une perturbation possible de l'inhibition cérébrale (mais cette donnée est contestée). Enfin, il existe chez ces patients des réactions paradoxales à des médicaments agissant sur le GABA. C'est le cas par exemple des benzodiazépines, qui sont des anxiolytiques et anti-épileptiques agonistes GABAergiques. Chez certains patients autistes, la prise de benzodiazépine majore douloureusement leur anxiété. On retrouve d'autres réactions paradoxales avec des anti-épileptiques comme le Phénobarbital, qui dans certains cas aggrave les crises d'épilepsie ! Ces observations évoquent un fonctionnement anormal des neurones GABAergiques qui resteraient excitateurs après la naissance, probablement à cause de la persistance d'une concentration intracellulaire de chlore élevée [3].

Un diurétique peut-il avoir une action sur le cerveau ?

En 1996, alors qu'ils étudiaient le lien possible entre épilepsie et hypertension artérielle chez l'adulte, des chercheurs américains notèrent une corrélation intrigante : il semblerait que les diurétiques, utilisés justement pour traiter l'hypertension artérielle, ait un rôle protecteur anti-épileptique [5]. En effet, le surrisque d'épilepsie qu'ils avaient mis en évidence chez les patients gravement hypertendus (avec un retentissement cardiaque) était diminué lorsque ces derniers étaient traités par diurétiques. De plus, l'effet anti-épileptique des diurétiques était présent quand bien même ils ne permettaient pas de contrôler l'hypertension des patients ! Dans une autre étude, ces même chercheurs retrouvaient un effet anti-épileptique (modéré) des diurétiques sur un modèle d'épilepsie chez le rat et chez la souris [6].

Les diurétiques sont des molécules dont le rôle principal est de favoriser la diurèse d'un patient, autrement dit son volume urinaire. Chaque molécule agit sur des transporteurs et canaux ioniques spécifiques au niveau du rein permettant de ne pas réabsorber l'eau plasmatique ultra-filtrée. Ces traitements sont largement utilisés dans l'hypertension artérielle ou l'insuffisance cardiaque. Il est intéressant de noter que dans notre cas, l'effet anti-épileptique n'est pas liée à cette diurèse induite.

Cette étude dite cas-témoins possède de nombreux biais, et les conclusions que l'on peut en tirer sont forcément limités. En plus des biais inhérents à toute étude cas-témoins (biais de sélection notamment), l'analyse statistique est imparfaite et l'interprétation des résultats est avantageuse. Toutefois, la mise en évidence de ce lien (ténu) a permis de développer une nouvelle branche de recherche en neurosciences, basée sur l'utilisation de diurétiques dans le cas d'affections neurologiques ou psychiatriques.

D'autres diurétiques furent essayés par la suite dans le traitement de ce type de troubles [7]. C'est le cas du Bumétanide, une molécule antagoniste du récepteur NKCC1 et qui pourrait donc permettre de diminuer la concentration de chlore intracellulaire et ainsi favoriser une action inhibitrice du GABA. Une telle stratégie a été étudiée dans plusieurs pathologies épileptiques, dont l'épilepsie néonatale ou l'épilepsie temporale (une des plus fréquentes). Plusieurs autres études ont évalué l'efficacité du Bumétanide pour des troubles psychiatriques, dont la schizophrénie et les TSA.

Le Bumétanide agit en inhibant la pompe NKCC1, permettant une diminution du chlore intracellulaire et la maturation artificielle du neurone.

Un diurétique peut-il aider les personnes autistes ?

En se basant sur les anomalies développementales dont nous avons parlé plus haut, une équipe de chercheurs français a lancé en 2009 une étude audacieuse, portant sur l'efficacité du Bumétanide sur les symptômes autistiques. Recrutés au CRA (Centre Ressources Autisme) de Brest, la soixantaine d'enfants de l'étude a reçu soit 1mg de Bumétanide quotidiennement, soit un placebo, pendant 3 mois. L'intensité des symptômes autistiques était mesurée en aveugle par plusieurs psychiatres en début puis en fin d'étude, grâce à plusieurs échelles validées (la CARS, l'ADOS et le GCI).

Il existait une amélioration significative des enfants traités par Bumétanide à la fin du troisième mois. En effet, la CARS chutait d'environs 6 points entre le premier et le 90ème jours dans le groupe contrôle (de 41/60 à 36/60) contre seulement 2 points dans le groupe contrôle (de 41/60 à 39/60).

Cette étude souffre (comme toute étude) de plusieurs biais. En effet, lorsqu'on regarde les caractéristiques de base de la population étudiée, on remarque que les TSA des patients du groupe contrôle sont légèrement plus sévères que du groupe testé, pouvant artificiellement majorer l'efficacité du traitement. Concernant le double aveugle (c'est-à-dire que l'expérimentateur et le patient ne savent pas qui reçoit le traitement et qui reçoit le placebo), on peut soupçonner qu'il a été levé pour les 6 patients victimes d'hypokaliémie, un effet indésirable classique du Bumétanide qui n'a pas lieu de survenir dans le groupe contrôle... Sans compter l'effet diurétique intrinsèque du Bumétanide !

Enfin, la prise en charge psychosociale des patients n'est pas décrite en détail dans l'article. C'est damageable car elle peut être source de biais importants. En effet, imaginons que par l'effet du hasard, les enfants du groupe testé (et pas du groupe contrôle) bénéficient d'une prise en charge intensive en parallèle de la prise de Bumétanide, comment s'assurer que l'amélioration que nous observons provient bien de la molécule testée, et pas de la prise en charge psychosociale (ou psychothérapeutique) ? Ou, plus subtilement, que le Bumétanide ne soit pas un simple catalyseur de cette prise en charge, sans effet propre ?

La population hétérogène (sans sélection sur la gravité des symptômes notamment) pourrait elle aussi être source de biais. Mais elle peut être considérée comme un avantage car elle reflète mieux la population ciblée par l'étude.

Les résultats de cette étude sont de plus affaiblis par le manque de reproductivité à travers les différentes échelles utilisées : si l'amélioration est statistiquement significative avec la CARS, elle ne l'est plus avec l'ADOS... De plus, bien que les mesures d'intensité symptomatique reposent sur des échelles validées, ces dernières se basent sur une évaluation clinique du psychiatre ou des parents, et donc une inévitable subjectivité (même si, il faut le noter, cette mesure se faisait en aveugle des traitements reçus).

Pour palier ce problème, l'équipe de chercheurs français a tenté de mesurer l'amélioration symptomatique de certains patients traités par des techniques plus objectives, en particulier l'imagerie cérébrale fonctionnelle et l'eye-tracking [10]. Cette dernière technique permet de détecter où se pose le regard d'une personne sur un écran. Cette information est particulièrement utile quand on s'intéresse à l'autisme : en effet, un personne autiste a tendance à moins regarder les yeux d'un personnage. Sous Bumétanide, le regard des patients avaient tendance à se normaliser. De plus, l'imagerie fonctionnelle mettait en évidence une normalisation de l'activité de l'amygdale, dont on sait qu'elle est hyperactive lorsqu'une personne autiste regarde dans les yeux de son interlocuteur. Les résultats de cette étude sont, comme toujours, à nuancer avec ses limites. Ici, le petit échantillon (9 sujets), les limitations statistiques, l'absence de relevé du niveau d'anxiété (pouvant biaiser l'activité amygdalienne) ne permettent pas d'aboutir à des certitudes.

A la suite de ces études préliminaires, un second essai clinique de plus grand envergure, portant sur 88 enfants de 2 à 18 ans, a été lancé [9]. Elle confortait les résultats de la première étude : le Bumétanide semble bien avoir un effet sur les symptômes autistiques, attesté par une diminution de la CARS et de la CGI, mais aussi de la SRS qui est une échelle mesurant les symptômes autistiques. L'effet du Bumétanide était plus prononcé sur la communicabilité et les intérêts restreints mais n'avait pas d'action significative sur la cognition sociale (sans que les auteurs puisse l'expliquer).

Le but premier des chercheurs, outre de confirmer l'efficacité du traitement, était de trouver le bon dosage (la posologie). Pour cela, ils ont non seulement comparé le diurétique à un placebo, mais ils ont en plus comparé plusieurs posologies de diurétiques. Cette étape est essentielle : elle permet de savoir, dans l'optique de planification d'une étude de grande envergure (internationale) quelle est la dose permettant une efficacité maximale pour un minimum d'effet secondaire. Il est intéressant de noter que l'efficacité du Bumétamine n'était pas corrélée au dosage, au contraire des effets indésirables. C'est une caractéristique très importante et rassurante, qu'on ne retrouve pas pour tous les médicaments. Chez certains antipsychotiques par exemple, l'efficacité est corrélée à la survenue d'effets indésirables...

Cette seconde étude est intéressante car elle corrige certains biais présents dans la première, que nous avons évoqué plus haut. Le suivi des patients a été fait en parallèle par des psychiatres et des pédiatres, les premiers évaluant l'évolution psychiatrique en aveugle des traitements et les seconds relevant et prenant en charge les effets indésirables. Ainsi donc, les effets secondaires spécifiques du Bumétanide, tel que l'hypokaliémie ou l'énurésie (faire pipi au lit) restaient inconnus du psychiatre.

Il était de plus bien précisé que les enfants ne devaient pas suivre de thérapie annexe en parallèle de l'étude, pouvant influencer les résultats. A ce propos, citons une étude comparant l'efficacité du Bumétanide (versus placebo) en traitement adjuvant d'une ABA (Aplied Behavior Analysis, une psychothérapie des TSA) [12] qui mettait en évidence une amélioration symptomatique dans les deux groupes, mais plus importante dans celui recevant le Bumétamine en comparaison du groupe uniquement traité par l'ABA. Ces résultats sont cependant fragiles, l'amélioration symptomatique sous Bumétamine n'étant pas retrouvée dans toutes les échelles utilisées (en particulier la CARS).

Bumétanide : un traitement miracle ?

Ces études sont extrêmement prometteuses : elles indiquent qu'un traitement diurétique, détourné à bon escient, peu améliorer de façon significative les symptômes autistiques ! Cette découverte serait d'autant plus importante qu'il n'existe pas actuellement de traitement des TSA : les seules molécules autorisées dans ce cas sont le Risperdal et l'Abilify, deux neuroleptiques utilisés le plus souvent pour les troubles du comportement (qui peuvent accompagner les TSA) et qui sont pourvoyeurs de lourds effets indésirables. Cependant, nous allons le voir, il faut savoir garder les pieds sur Terre et ne pas aller trop vite en besogne.

La théorie développementale sur laquelle repose le traitement par Bumétamine n'est pas encore clairement expliquée. De nombreuses études montrent chez des modèles animaux de TSA des taux intracellulaires anormaux de chlore, mais de telles données sont rares chez l'Homme. Quelques études retrouvent une telle anomalie sur des tranches de cerveau humains (post-mortem), mais comment ne pas être sur qu'il ne s'agit pas d'un artéfact ? De plus, une étude d'imagerie portant sur 29 adultes avec autisme suggère qu'il n'existe pas de défaut GABAergique [13]. Mais la vérité se cache probablement entre ces deux théories : il est probable que certaines données animales soient transposables à l'Homme, et d'autres non. Comme nous le disions plus haut, il existe des preuves cliniques et paracliniques indirectes d'une telle anomalie chez l'Homme.

Quand bien même cette théorie serait valide chez l'Homme, nous ne savons pas exactement comment fonctionne le Bumétanide et sur quoi repose l'effet clinique mesuré. Une récente étude chinoise [14], en combinant une évaluation clinique et d'imagerie, a montré que l'effet positif du diurétique était corrélé à une modification des concentrations en GABA et glutamate dans le cerveau (au niveau des cortex visuels et insulaires, pour être plus précis), allant dans le sens de la théorie du GABA excitateur.

Cependant, le mécanisme d'action précis du diurétique est encore mystérieux. En effet, sa très faible diffusion dans le cerveau représente une interrogation majeure. Le cerveau est protégé par une barrière hémato-encéphalique, qui permet de filtrer les éléments (potentiellement nocifs) provenant du reste de l'organisme. En effet, si le sang apporte au cerveau tous les éléments essentiels à sa survie, il peut aussi être le vecteur de micro-organismes ou de substances toxiques. Il existe donc une structure, à l'interface entre les vaisseaux sanguins et le tissu cérébral, chargée de faire le tri. Cette structure est capitale, et son altération est délétère pour le cerveau. Cependant, elle freine aussi considérablement la diffusion des médicaments. C'est le cas pour beaucoup de traitements dont le Bumétanide : moins de 1% de la dose administrée atteint le cerveau ! Cette donnée est problématique car, nous l'avons vu, augmenter les doses majore le risque d'effet indésirable...

Il est difficile de savoir si le peu de Bumétanide capable de traverser la barrière hémato-encéphalique permet une action efficace sur les canaux NKCC1 neuronaux. Sur quoi peut donc bien reposer l'effet clinique observé lors des études dont nous parlions plus haut ?

Certains scientifiques pensent que le Bumétanide pourrait agir non pas sur les neurones (ou en tout cas pas seulement), mais aussi sur d'autres cellules cérébrales, en particulier les astrocytes. Ces cellules étoilées sont capitales au bon fonctionnement de nos neurones, avec lesquels elles interagissent fortement (mais ce n'est pas leur unique rôle). Les astrocytes, qui font partie intégrante de la barrière hémato-encéphalique, expriment à leur surface le transporteur NKCC1. C'est aussi le cas des oligodendrocytes, d'autres cellules de soutient qui sont très impliquées dans les réseaux GABAergiques.

Schéma présentant plusieurs neurones accompagnés d'un astrocyte (rouge) et d'un oligodendrocyte (vert). Un des rôles de l'astrocyte et d'assurer une interface entre le neurone et les capillaires sanguins, autrement dit, de participer à la barrière hémato-encéphalique.

Le Bumétanide pourrait aussi agir sur la formation du liquide céphalorachidien au niveau des plexus choroïdes. En effet, NKCC1 serait impliqué dans la production de près de 50% de ce liquide protecteur dans lequel baigne le cerveau. Enfin, le Bumétanide pourrait avoir une action directement sur les vaisseaux sanguins cérébraux, en amont de la barrière hémato-encéphalique : NKCC1 est en effet présent sur les cellules endothéliales tapissant ces vaisseaux. Il est responsable des mouvements d'eau et d'ions entre le sang et le cerveau.

Mais le transporteur NKCC1 n'est pas uniquement présent dans le cerveau. Il est aussi présent dans l'oreille interne, et son inhibition médicamenteuse pendant le développement peut avoir des répercussions dramatiques. Un essai clinique évaluant le Bumétanide comme traitement des épilepsies néonatales a du être arrêté en 2015 du fait des surdités iatrogènes que le traitement favorisait [11]. Cet effet indésirable grave serait cependant limité à la période néonatale, au cours de laquelle l'oreille interne termine sa formation. Il n'a pas été détecté lors de son administration sur des enfants plus âgés (les plus jeunes enfants autistes des études précédentes avaient 2 ans). L'impossibilité d'utiliser ce traitement en période néonatale ne pose cependant pas de problème majeur dans le cas des TSA, le diagnostic se faisant généralement (devrait se faire généralement) à la fin de la première ou deuxième année de vie.

Il existe donc encore de nombreuses zones d'ombre concernant l'action du Bumétanide sur le cerveau. Les bases théoriques le reliant à l'autisme sont bien expliquées chez l'animal mais les preuves directes chez l'Homme sont peu nombreuses. Les études pharmacologiques remettent en cause une action directe sur le neurone, et suggèrent une cible annexe possible. Cette molécule n'en demeure pas moins prometteuse : il s'agit d'un traitement bien connu, avec peu d'effets indésirables et qui possède déjà une autorisation d'utilisation chez l'enfant. Basé sur des données scientifiques, il pourrait constituer l'un des tous premiers traitements de fond des TSA. Il faut cependant bien préciser que le Bumétanide ne constitue qu'un traitement symptomatique et non pas curatif. Autrement dit, il traite et diminue les symptômes du trouble mais sans corriger durablement son origine même. A l'arrêt du traitement, les symptômes réapparaissent ainsi progressivement. Une vaste étude clinique est actuellement en cours en Europe. En cas de résultat positif, elle pourrait aboutir à une autorisation d'utilisation officielle par les autorités. Rendez-vous en 2022 !

SOURCES :

- [1] : Ben-Ari, Yehezkel. "Excitatory actions of gaba during development: the nature of the nurture." Nature Reviews Neuroscience 3.9 (2002): 728-739.

- [2] : Ramamoorthi, Kartik, and Yingxi Lin. "The contribution of GABAergic dysfunction to neurodevelopmental disorders." Trends in molecular medicine 17.8 (2011): 452-462.

- [3] : Ben-Ari, Yehezkel. "Is birth a critical period in the pathogenesis of autism spectrum disorders?." Nature Reviews Neuroscience 16.8 (2015): 498-505.

- [4] : Christensen, Jakob, et al. "Prenatal valproate exposure and risk of autism spectrum disorders and childhood autism." Jama 309.16 (2013): 1696-1703.

- [5] : Hesdorffer, D. C., et al. "Severe, uncontrolled hypertension and adult‐onset seizures: a case‐control study in Rochester, Minnesota." Epilepsia 37.8 (1996): 736-741.

- [6] : Hesdorffer, Dale C., et al. "Are certain diuretics also anticonvulsants?." Annals of Neurology: Official Journal of the American Neurological Association and the Child Neurology Society 50.4 (2001): 458-462.

- [7] : Kharod, Shivani C., Seok Kyu Kang, and Shilpa D. Kadam. "Off-label use of bumetanide for brain disorders: an overview." Frontiers in neuroscience 13 (2019): 310.

- [8] : Lemonnier, Éric, et al. "A randomised controlled trial of bumetanide in the treatment of autism in children." Translational psychiatry 2.12 (2012): e202-e202.

- [9] : Lemonnier, E., et al. "Effects of bumetanide on neurobehavioral function in children and adolescents with autism spectrum disorders." Translational psychiatry 7.3 (2017): e1056-e1056.

- [10] : Hadjikhani, Nouchine, et al. "Bumetanide for autism: more eye contact, less amygdala activation." Scientific reports 8.1 (2018): 1-8.

- [11] : Pressler, Ronit M., et al. "Bumetanide for the treatment of seizures in newborn babies with hypoxic ischaemic encephalopathy (NEMO): an open-label, dose finding, and feasibility phase 1/2 trial." The Lancet Neurology 14.5 (2015): 469-477.

- [12] : Du, Lin, et al. "A pilot study on the combination of applied behavior analysis and bumetanide treatment for children with autism." Journal of Child and Adolescent Psychopharmacology 25.7 (2015): 585-588.

- [13] : Kolodny, Tamar, et al. "Concentrations of cortical GABA and glutamate in young adults with autism spectrum disorder." Autism Research (2020).

- [14] : Zhang, Lingli, et al. "Symptom improvement in children with autism spectrum disorder following bumetanide administration is associated with decreased GABA/glutamate ratios." Translational psychiatry 10.1 (2020): 1-12.

- https://presse.inserm.fr/un-essai-clinique-prometteur-pour-diminuer-la-severite-des-troubles-autistiques/5743/

- https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/autisme


CREDITS IMAGES ET VIDEOS :

https://www.youtube.com/watch?v=oK3esXMQxaI

- https://www.youtube.com/watch?v=3t5ebbxFRrI

- Image par mohamed Hassan de Pixabay 

- Image par Hatice EROL de Pixabay 

- Image par Ewa Urban de Pixabay 

- Image par cromaconceptovisual de Pixabay 

- Image par marian anbu juwan de Pixabay 

-  Par JDifool — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=4470995