UN SOMNIFERE POUR SORTIR DU COMA ?!
En France et dans le monde, les médicaments peuvent être
vendus sous 2 noms différents. D’une part, un nom officiel : la dénomination commune internationnale (ou
DCI), qui est reconnue par l’ensemble des pays. Ainsi, que vous demandiez du
Paracétamol© en France, au
Brésil ou en Inde, un pharmacien sera capable de vous comprendre et de vous
donner le médicament.
D’autre part, un médicament peut avoir un nom dit commercial, qui est définit par la firme
pharmaceutique qui le vent. Il peut donc varier en fonction des firmes, donc
des marchés, donc des pays. Ainsi en France, le Doliprane© est un exemple de nom commercial correspondant
au Paracétamol©. Mais si vous
rentrez dans une pharmacie américaine en demandant du Doliprane©, il y a de grandes chances pour
que le pharmacien ne vous comprenne pas. En revanche, si vous lui demandez du Tylenol©, il vous donnera bien des
cachets… de Paracétamol©.
Le plus souvent, le nom commercial d’un médicament
est bien plus connu du grand public que sa DCI. Si par exemple je vous parle de
l’Oxomemazine sirop©,
la plupart d’entre vous ne saura sûrement pas que je parle là du Toplexil©.
De la même manière, peu de gens connaissent le
Zolpidem©, contrairement au nom commercial lui correspondant : le Stilnox©.
Il s’agit d’un puissant somnifère, utilisé pour
soigner les insomnies. C'est même le psychotrope le plus vendu en France :
près de 25 millions de boites rien qu’en 2010 !
En 1997 en Afrique du Sud, un jeune homme de 28 ans
fut victime d’un terrible accident de la route. Son cerveau fut endommagé et il
resta par la suite dans un état semi-comateux : il pouvait ouvrir les yeux
mais était incapable de parler ou de bouger le côté droit de son corps. Malgré
tous les tests des médecins, aucun signe probant de conscience n’était visible.
En janvier 1999, il parut plus agité, souffrant, si
bien que son médecin lui prescrivit des cachets de Zolpidem.
Quinze minutes plus tard, le patient était capable
de discuter avec ses proches et avait, semble-t-il, retrouvé un niveau de
conscience tout à fait normal ! Cet effet, aussi spectaculaire
qu’inattendu, dura quelques heures, avant que le médicaments soit éliminé de
son organisme et qu’il revienne dans un état comateux.
Les médecins sud-africains venaient de découvrir un
traitement de manière totalement empirique : un somnifère pourrait ainsi
ramener des patients comateux à la conscience !
Il s’avéra que cet effet, aussi spectaculaire
soit-il, demeure relativement rare : on estime qu’il concerne 5 à 7% des
patients sur lesquels il est testé. De plus, il concerne une
population de patients au diagnostic bien spécifique : l’état de
conscience minimale.
On a tendance à spontanément penser le phénomène de
la conscience comme binaire : soit l’on est conscient (en ce moment même,
lorsque vous lisez ces lignes) soit l’on est inconscient (lorsque l’on dort ou
lorsque l’on est dans le coma). Il s’agit en réalité d’un phénomène qui est
graduel.
Lorsque le cerveau subit un traumatisme sévère (un
violent choc –traumatisme crânien-, un manque d’oxygène…), son propriétaire
peut tomber dans le coma. Cette phase d’inconscience n’est que transitoire, et
au bout de quelques semaines, le patient peut soit reprendre
totalement conscience, soit tomber dans un état végétatif (ou éveil
non-répondant, dans lequel le patient est inconscient), soit atterrir dans un
entre-deux : l’état de conscience minimale.
Cet état se caractérise par de longues périodes
d’inconscience entrecoupées par des signes de conscience fugaces, transitoires
et irréguliers. Ces accès à la conscience ne sont pas forcément
« bruyant » : le patient ne se met pas d’un coup à vous raconter
des blagues et sauter hors de son lit, avant de retomber dans une profonde
inconscience. Il s’agit plutôt d’une modulation de l’état de conscience avec le
temps, au cours duquel le patient est plus ou moins conscient. Comme une
balance qui oscillerait d’un côté ou de l’autre.
Les différents états de conscience peuvent être étudiés par
des neurologues et scientifiques, qui s’attachent à comprendre leurs bases
cérébrales. Une des équipes les plus compétentes dans ce domaine se trouve à
Liège, en Belgique : le Coma Science Group.
Cette équipe s’est intéressée en 2014 sur les effets
cérébraux du Zolpidem© chez 3
patients en état de conscience minimale.
Ces 3 patients avaient une histoire semblable : tous 3
étaient dépressifs et avait tenté de mettre fin à leurs jours par pendaison.
Cependant, cet acte suicidaire ne leur fut pas fatal, et ils purent être
réanimés. Malheureusement, leur cerveau ayant subi un profond manque d’oxygène,
ils sombrèrent dans un coma dont ils ne sortirent qu’en état de conscience
minimale, avec des capacités d’interactions avec l’environnement très réduites
et fugaces, lors de leurs « accès de conscience ».
Dès que les médecins leur administrèrent le somnifère, leurs
capacités d’interactions (miroir de l’état de conscience) s’améliorèrent. Les
chercheurs utilisèrent leurs appareils d’imagerie pour observer leur
fonctionnement cérébral.
Que se passe-t-il dans le cerveau d’un patient en état de
conscience minimale lorsqu’on lui injecte le médicament ?
Chez l’Homme, il existe 4 structures cérébrales absolument
essentielles à la conscience : le cortex préfrontal (à l’avant du cerveau)
et pariétal (sur le côté), le thalamus et la substance réticulée activatrice
ascendante.
Le thalamus est un noyau cérébral situé dans les profondeurs
de notre cerveau. Il s’agit d’une structure extrêmement importante qui
intervient dans un nombre incalculable de processus cérébraux. En particulier
dans la conscience, pour laquelle il agit de la même manière qu’un interrupteur
ON/OFF : son rôle est d’allumer le cortex, et en particulier les réseaux
corticaux de la conscience.
La substance réticulée activatrice ascendante est, elle,
située dans le tronc cérébral, une structure à l’interconnexion entre
l’encéphale, le cervelet et la moelle épinière. Elle joue un rôle dans les
mécanismes d’éveil, nécessaire à toute conscience.
Lorsqu’une personne est dans le coma, le cortex préfrontal
et pariétal, ainsi que le thalamus, ne fonctionnent pas ou moins bien. Le
dysfonctionnement de ces régions critiques explique l’inconscience de ces
patients ou l’état fluctuant de l’état de conscience minimale.
En utilisant la tomographie par émission de positons (ou
TEP, une technique qui permet de mesurer le fonctionnement cérébral), les
chercheurs liégeois découvrirent que l’injection de Zolpidem© augmente significativement
l’activité du cortex préfrontal et pariétal.
Cela pourrait expliquer l’amélioration de l’état de
conscience de ces patients !
Mais par quels mécanismes le somnifère est-il capable de
stimuler ces régions corticales ?
L’explication la plus communément admise concernant l’effet
du Zolpidem© sur la conscience
met en jeu un ensemble de structures cérébrales situées sous notre cortex
cérébral : les noyaux gris centraux.
Ces noyaux gris centraux se divisent en 2 parties :
d’une part le striatum, et d’autre part le pallidum. Ils forment des boucles
neuronales complexes avec le thalamus et le cortex, que l’on appelle boucles
cortico-sous-corticales. En particulier, il existe une boucle mettant en jeu
les noyaux gris centraux, le thalamus et le cortex préfrontal et qui a un rôle
(théorique) dans les mécanismes cérébraux de la conscience.
Ces boucles sont complexes car elles mettent en jeu à la
fois des influences excitatrices et inhibitrices. Les neurones excitateurs,
dont le neurotransmetteur principal est le glutamate, sont situés dans le
thalamus et le cortex préfrontal. Ils se projettent respectivement vers le
striatum et vers le cortex préfrontal. Les neurones inhibiteurs, dont le
principal neurotransmetteur est le GABA, sont situés dans le striatum et le
pallidum et se projettent respectivement vers le pallidum et le thalamus.
On observe donc un phénomène de double inhibition au niveau
des noyaux gris centraux : le striatum inhibe le pallidum qui lui-même
inhibe le thalamus, ce dernier stimulant le cortex préfrontal.
A l’état normal, l’inhibition du pallidum par le striatum
permet une désinhibition du thalamus, l’interrupteur de la conscience, qui est
alors en position « ON » et peut stimuler le cortex préfrontal.
Malheureusement, le striatum est une structure
particulièrement sensible au manque d’oxygène, si bien que lorsque le cerveau
en manque, c’est ici que l’on observe les lésions les plus graves. Le striatum
endommagé, le pallidum se met à fortement inhiber le thalamus qui passe en
position « OFF » : le sujet tombe dans le coma.
Attention, il ne faut pas généraliser : tous les
comas et états de consciences minimales ne sont pas dus à une destruction du
striatum. Le plus souvent, les lésions sont diffuses à travers tout le cerveau,
et l’ensemble des structures cérébrales de la conscience sont touchées.
Cependant, il existe certains patients dont le cortex
cérébral ne semble souffrir d’aucune lésion : le cerveau semble aller plutôt
bien, à l’exception du striatum. S’ils sont inconscients (ou inconstamment
conscient), c’est uniquement parce que leur thalamus est en position
« OFF ». Mis à part ça, leur cerveau est parfaitement
fonctionnel ! Leur coma/état de conscience minimale n’est pas dû à une
lésion cérébrale mais simplement à une dérégulation d’un mécanisme inhibiteur.
Il se trouve que le Zolpidem© est une substance qui stimule le système GABA, et
donc les mécanismes d’inhibition neuronale. La théorie communément admise
serait donc que le somnifère prendrait le relais du striatum endommagé en
rétablissant l’inhibition normale du pallidum. Ainsi, l’inhibition du thalamus
est levée : il passe en position « ON » et le malade reprend
conscience !
C’est sur la base de ces mécanismes physiopathologiques
(mettant en jeu les noyaux gris centraux) que certains médecins ont tenté de
stimuler directement le thalamus de patients en état de conscience minimale.
Pour cela, ils ont implanté une longue électrode dans le cerveau d’un de ces
patients qui leur permettait de stimuler électriquement le thalamus.
Et le résultat fut concluant ! L’état de conscience de
l’unique patient implanté s’améliorait significativement lorsque la stimulation
était activée par rapport aux périodes durant lesquelles elle était
éteinte !
Peut-être trouverez-vous cette dernière méthode
excessive, mais il s’agit là de patients pouvant rester des années en état
de conscience minimale, simplement à cause lésion très localisée du cerveau. La
stimulation cérébrale profonde, tout comme le Zolpidem©, ne font que pallier à un mécanisme cérébral
défectueux. D’une manière similaire à la Dopa ou la stimulation cérébral pour
la maladie de Parkinson.
Bien entendu, ces techniques doivent être précédées de
discussions éthiques approfondies –comme, de manière générale, toutes les indications de
stimulations cérébrales profondes. Cette dernière est un traitement prometteur pour une fraction de patients en état de
conscience minimale ainsi qu’à leur famille. Quant au Zolpidem, le bénéfice
étant immense par rapport aux effets indésirables du médicament, et sous
réserve de cibler les patients sur lesquels il peut agir, sa prescription chez
les patients en état de conscience minimale pourrait être très bénéfique.
SOURCES :
- Présentation du STILNOX® (Zolpidem), Sandrine
DAUCHY, Claire FOLLET
- Schiff,
N. D., Giacino, J. T., Kalmar, K., Victor, J. D., Baker, K., Gerber, M., ...
& Farris, S. (2007). Behavioural improvements with thalamic stimulation
after severe traumatic brain injury. Nature, 448(7153), 600-603.
- Clauss,
R. P., Güldenpfennig, W. M., Nel, H. W., Sathekge, M. M., & Venkannagari,
R. R. (2000). Extraordinary arousal from semi-comatose state on zolpidem. South
African Medical Journal, 90(1), 68-72.
- Chatelle,
C., Thibaut, A., Gosseries, O., Bruno, M. A., Demertzi, A., Bernard, C., ...
& Laureys, S. (2014). Changes in cerebral metabolism in patients with a
minimally conscious state responding to zolpidem. Frontiers in human
neuroscience, 8.