LOST IN THE K-HOLE
La dépression souffre d’un mal peu connu. Outre le manque de
reconnaissance de certain comme une véritable pathologie. Elle souffre d’une
incompréhension.
La kétamine aurait donc un effet antidépresseur ?
- Coyle, C. M., & Laws, K. R. (2015). The use of ketamine as an antidepressant: a systematic review and metaanalysis. Human Psychopharmacology: Clinical and Experimental, 30(3), 152-163.
- http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/au-mali-les-djihadistes-se-droguent-a-la-ketamine_1222326.html
- http://www.psychiatrictimes.com/electroconvulsive-therapy/ketamine-anesthesia-electroconvulsive-therapy
Nous constatons la réalité des patients dépressifs, leurs
symptômes, leur détresse. Mais nous ne savons pas ce qu’il se passe dans leur
tête. Nous ne connaissons pas encore très bien les mécanismes biologiques qui sous-tendent
cet état.
Pour lutter contre l’infarctus, l’insuffisance cardiaque ou
toute autre maladie cardiovasculaire, les médecins possèdent aujourd’hui des
centaines de médicaments, une myriade de molécules qui agissent sur des
dizaines de mécanismes différents. Ainsi, pour diminuer la tension artérielle,
on peut tout aussi bien bloquer le système adrénergique (en bloquant les
récepteurs de l’adrénaline grâce aux fameux « β-bloquants ») qu’inhiber
l’enzyme de conversion ou l’angiotensine II.
En ce qui concerne la dépression, les médecins possèdent un
seul et unique levier : la sérotonine. La dépression est en partie due à un déficit en sérotonine dans le cerveau que les antidépresseurs cherchent à combler –avec brio le
plus souvent. Cela marche bien, et les patients vont mieux… dans 70% des cas. Mais chez 30% d'entre eux, ces antidépresseurs n’ont
aucun effet. Cela fait 50 ans qu’on a découvert les antidépresseurs… Et nous
n’avons quasiment pas avancé depuis. Alors qu’en cardiologie l’arsenal pharmacologique a explosé ces 50 dernières années, en psychiatrie, nous sommes
encore dans les années 70 !
Fort heureusement, les chercheurs travaillent à développer
de nouvelles solutions pour les patients résistants. Nous avons déjà évoqué la
stimulation cérébrale profonde dans un précédent billet. Nous allons parler
aujourd’hui d’un produit sulfureux… La kétamine.
La substance a une histoire chaotique. Synthétisée en 1962,
elle est utilisée à l’origine dans le
milieu vétérinaire lors d’opérations sur des gros animaux comme les chevaux
–elle est d’ailleurs toujours utilisée aujourd’hui. Très vite, l’armée
américaine l’utilise pour les chirurgies de guerre, à cette époque au Vietnam.
Promis, ce n'est pas un placement produit ! |
La kétamine n’est pas un anesthésiant ordinaire. Lors d’une
anesthésie générale, le produit anesthésiant entraîne un relâchement musculaire
total qui rend nécessaire l’intubation, car le patient ne peut respirer de
lui-même. La kétamine, elle, provoque une anesthésie dite
« dissociative », une déconnexion de la réalité plus qu’une perte de conscience,
qui permet au patient de continuer à respirer par lui-même.
La kétamine est aussi un puissant analgésique -comme votre
Doliprane®… mais en plus fort. En psychiatrie, elle était utilisée à
l'origine en prémédication lors des séances d’électrothérapie chez les patients dépressifs.
L’électrothérapie consiste à induire une crise d’épilepsie
chez un patient dépressif grâce à un courant électrique. Ses effets sur la
dépression sont très controversés, d’autant plus que la méthode ne fonctionne
pas à chaque fois : il peut arriver que rien ne se passe, et qu’aucune
crise d’épilepsie ne soit induite. Etrangement, certains patients allaient
tout de même mieux, même après une séance avortée… Étranglement, ces patients avaient reçu de la kétamine juste avant la séance...
La kétamine aurait donc un effet antidépresseur ?
C’est ce que montre une étude publiée en 2000, au cours de
laquelle des psychiatres américains ont administré une dose unique de kétamine à 7
patients dépressifs résistants aux antidépresseurs. Trois jours plus tard, 4
des 7 patients n’avaient plus de symptômes dépressifs, ni de
pensées suicidaires.
On touche ici à un inconvénient majeur des antidépresseurs
classiques : ils sont très, très longs à agir : entre 4 à 6 semaines
sont nécessaires pour obtenir un effet antidépresseur, car il provient principalement de la
formation de nouveaux neurones –par un processus appelé neurogenèse-, notamment au niveau de l’hippocampe. Durant cet
intervalle, bien que le patient soit traité, il ne ressent pas les effets antidépresseurs et est donc -paradoxalement-
très à risque de tentative de suicide.
La kétamine, elle, agit sur un certain type de récepteur au glutamate -le neurotransmetteur excitateur du cerveau-, les récepteurs NMDA. Elle est efficace en seulement quelques
heures. Les psychiatres cherchent donc à l’administrer en complément du
traitement antidépresseur classique, en attendant que ce dernier fasse effet.
Mais la kétamine n’est pas non plus un produit miracle. Même
lorsqu’on répète les injections, ses effets ne sont pas durables et les
patients rechutent systématiquement. La plupart en 1 ou 2 semaines, même si
certains patients n’ont rechuté qu’après 3 mois. Elle ne fonctionne pas non
plus sur tout le monde : seulement la moitié des patients dépressifs résistants en
ressentent les bénéfices. Enfin, elle entraîne un certain nombre d’effets
indésirables : des maux de tête, des nausées, des réactions psychotiques
et paradoxalement chez 2 patients –sans qu’on puisse l’expliquer- des crises
d’angoisses avec idées suicidaires. Les risques d’addiction ne seraient pas non
plus négligeables.
Car la kétamine n’a pas qu’une histoire médicale. Elle est
aussi consommée –le plus souvent par inhalation- dans le cadre d’un usage
récréatif. En bref, c’est aussi une drogue, illégale en France, plus connue sous le nom de Spécial K.
Les utilisateurs la consomment pour ses effets
dissociatifs, qui les distancent du monde environnant comme s'ils les plongeaient
au fond d’un puit… Le K-hole. Cet
état second peut entraîner un sentiment de décorporation -littéralement : une sortie du corps- jusqu'à mimer une EMI –Expérience de Mort Imminente, décrite par certains patients dans le coma ayant
frôlé la mort. Ce type d’utilisation est bien sûr extrêmement dangereux, un surdosage
pouvant rapidement entrainer le coma, puis la mort.
Il se pourrait même que certains terroristes utilisent cette
substance pour se placer dans un état second avant de commettre leurs
attentats.
Mais il n'y a pas que les médicaments dans le traitement des troubles mentaux. Les psychothérapies doivent avoir le premier rôle. A ce niveau, contrairement à ce que je disais au début de l'article, les psychiatres et psychologues ont beaucoup évolué depuis les années 50.
Quoiqu’il en soit, même si la kétamine n’est pas le médicament miracle dans le traitement de la dépression, elle a le mérite de proposer de nouvelles approches thérapeutiques de la maladie. Après une stagnation d’un demi-siècle, les psychiatres et les malades voient aujourd’hui l’arsenal thérapeutique se développer. Parmi ces nouveautés, la stimulation cérébrale profonde et la kétamine font partie des pistes les plus prometteuses.
Quoiqu’il en soit, même si la kétamine n’est pas le médicament miracle dans le traitement de la dépression, elle a le mérite de proposer de nouvelles approches thérapeutiques de la maladie. Après une stagnation d’un demi-siècle, les psychiatres et les malades voient aujourd’hui l’arsenal thérapeutique se développer. Parmi ces nouveautés, la stimulation cérébrale profonde et la kétamine font partie des pistes les plus prometteuses.
SOURCES :
-https://www.vidal.fr/actualites/15581/une_meta_analyse_confirme_l_interet_de_la_ketamine_dans_le_traitement_d_urgence_de_la_depression/- Coyle, C. M., & Laws, K. R. (2015). The use of ketamine as an antidepressant: a systematic review and metaanalysis. Human Psychopharmacology: Clinical and Experimental, 30(3), 152-163.
- http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/au-mali-les-djihadistes-se-droguent-a-la-ketamine_1222326.html
- http://www.psychiatrictimes.com/electroconvulsive-therapy/ketamine-anesthesia-electroconvulsive-therapy