STIMULATION CEREBRALE PROFONDE : SOIGNER L'ESPRIT GRACE A DES ELECTRODES ?
Le cerveau est fait pour l’action. C’est même quasiment son
unique dessein -et je ne suis pas marseillais. N’importe quelle perception,
interprétation, souvenir ou processus cognitif n’a que peu d’intérêt si on ne
peut pas réagir, décrire, parler… bouger.
On s’en rend bien compte devant les patients atteints du
« lock-in syndrome », le syndrome d’enfermement dont on avait parlé
dans le dernier article de 2015 : leurs facultés cognitives sont
totalement normales et pourtant ils sont entièrement paralysés, des pieds à la
tête… comme enfermés dans leur propre corps. Et leur vie n’aurait aucun sens
sans les interfaces cerveau-machine qui ont été mises à leur disposition pour
pouvoir communiquer avec leurs proches.
L’élaboration de l’action est quelque chose d’extrêmement
complexe, qui met en jeu une grande partie de notre cerveau : non
seulement il nous faut un cortex moteur pour commander nos muscles, mais nous
avons aussi besoin d’un cortex pré-moteur pour élaborer le programme moteur, un
cortex pariétal pour avoir conscience de la position des membres de notre
corps, d’un cortex préfrontal pour analyser les buts de l’action… Sans oublier
le cervelet, pour guider avec précision nos gestes !
Mais nous avons aussi besoin de structures cérébrales plus
archaïques, enfouies au plus profond de notre cerveau, sous le cortex :
les ganglions de la base. Hollywood a ses DiCaprio, Clooney ou Jolie, les
ganglions de la base ont, eux, les Striatum, Pallidum, Noyaux sub-thalamiques
et sa Substance noire (avouez, c’est carrément plus sexy) ! Ces ganglions
ont un rôle critique dans l’élaboration de l’action et l’intégration de ses
différentes composantes. Une fois leur job accompli, les ganglions de la base
donnent leur rapport au cortex, via le thalamus. Les réseaux qu’ils forment
donc correspondent à des boucles, appelées cortico-baso-thalamo-corticales
–terriblement original comme nom. Ce n’est qu’après que la commande du
mouvement ait transité à travers ces boucles que le mouvement sera effectué.
(Très) grossièrement, on peut distinguer une boucle motrice
directe, qui stimule la réalisation d’un mouvement, d’une boucle motrice
indirecte, qui a plutôt tendance à inhiber le mouvement. Les 2 voies passent
par le striatum et le pallidum, mais seulement la voie indirecte passe par le
-fameux- noyau sub-thalamique.
Il faut bien que ces 2 boucles soient régulées, pour éviter
que système se transforme en gros bordel en moins de deux. Ça, c’est le rôle de
la Substance noire : grâce à la dopamine qu’elle sécrète, elle a tendance
à favoriser la voie directe, et inhiber la voie indirecte. En bref, elle
favorise le mouvement.
Substance noire, dopamine, mouvement… Vous voyez où je veux
en venir ?
A la maladie de Parkinson bien sûr !
Il peut arriver, et on ne sait actuellement pas comment ni pourquoi,
que la Substance noire se détruise, dégénère, avec ses précieux neurones
sécréteurs de dopamine. Sans dopamine, pas de régulation des boucles
cortico-baso-trucs, et le système dérape : tout mouvement est inhibé. Le
malade parkinsonien se fige.
Lorsque le patient parkinsonien manque de dopamine il est victime de blocages, alors que Si on lui administre trop de dopamine, il a des dyskinésies. |
C’est pour cette raison que pour traiter ces patients, on
leur prescrit de la dopamine. Pour remplacer, tout du moins pour un temps,
celle que la Substance noire ne sécrète plus. Cela explique aussi pourquoi,
lorsqu’on leur administre trop de dopamine, on observe chez ces patients des
dyskinésies -des mouvements anormaux involontaires. On a trop fait pencher la
balance vers la voie directe.
Ces traitements ne sont efficaces qu’un temps, et c’est pour
cela que des médecins proposent parfois à ces patients de leur implanter des
électrodes dans le cerveau, au niveau des noyaux sub-thalamiques dont on
parlait plus haut. Ces électrodes, en inhibant le noyau, inhibent la voie
indirecte et donc favorisent le mouvement. Rééquilibrent le système. Cette
technique est connue depuis les années 80-90 et fonctionne très bien –et sa découverte est française,
cocorico !
Mais les neurologues se sont aperçus que certains patients
implantés développaient des symptômes étranges : ils devenaient très
impulsifs, pouvaient être victimes de crises de rires –ou de pleurs-
incontrôlables, ou au contraire devenaient complètement apathiques ou
dépressifs. Tout cela à cause de cette inhibition du noyau sub-thalamique, qui
semble avoir bien d’autres rôles que le contrôle moteur…
Car en réalité, les ganglions de la base –ces structures qui
traitent, intègrent et filtrent les différentes facettes d’une même action-
intègrent et traitent l’ensemble des informations qui transitent dans notre
cortex. Que ce soit des informations cognitives, des perceptions, et même des
émotions. Leur rôle est de mélanger, de recoder, de moduler, d’intégrer toutes
les informations de notre cortex, pour lui en proposer en retour une vision
qui prend à la fois en compte les informations motrices, perceptives, cognitives et émotionnelles.
Les ganglions de la base forment un entonnoir qui concentre les informations provenant du cortex. Cet entonnoir se termine par le noyau sub-thalamique (rond rouge). |
Et ces ganglions, dont le fonctionnement est capital à notre
cerveau, forment un entonnoir le long duquel les informations sont de plus en
plus condensées et mélangées. Cet entonnoir se termine dans une structure à
peine plus grosse qu’un grain de riz, au plus profond de notre cerveau… Le
noyau sub-thalamique !
On comprend donc que lorsqu’on y implante une "grosse"
électrode et qu’on lui envoie des courants électriques, ce ne sont pas
seulement les commandes motrices qui seront modulées, mais l’ensemble des
informations cognitives et émotionnelles qui y transitent !
Tout cela pour arriver à l’idée que cette stimulation
cérébrale profonde, grâce à une électrode, pouvait être utilisée pour traiter
certains désordres psychiatriques. Ce n’est pas une idée nouvelle : dès
les années 40, les psychiatres avaient proposé ce moyen pour remplacer les
lobotomies qui étaient alors pratiquées, et qui il faut le dire… commençaient à
avoir mauvaise presse ! Cette idée de stimuler le cerveau venait à
l’origine des psychiatres, et non des neurologues.
Ainsi, la stimulation cérébrale profonde voyagea au cours du
temps de la psychiatrie à la neurologie et la maladie de Parkinson, avant de
revenir vers la psychiatrie ces dernières années.
Désormais, dans des conditions très particulières, les
psychiatres peuvent être amené à proposer l’implantation d’électrodes dans le
cerveau pour corriger des troubles mentaux. Et cette option est capitale :
aujourd’hui, près de 30% des dépressifs sont pharmaco-résistants –c’est-à-dire que
les antidépresseurs n’ont aucun effet sur eux. On observe la même proportion
chez les patients atteints de troubles obsessionnels compulsifs (les TOCs). On
ne sait pas le plus souvent pourquoi ces médicaments sont actifs chez certaines
personnes, et n’ont aucun effet sur d’autres.
Ces pathologies s’accompagnent d’un dysfonctionnement des
ganglions de la base, mais aussi du cortex. Ainsi, on peut implanter des
électrodes dans le noyau sub-thalamique de ces patients, mais certains
chercheurs tentent de stimuler directement le cortex. On vise alors le cortex
sub-genual, connu pour être dysfonctionnel dans la dépression : il s’agit
d’une petite zone du cortex frontal, caché sous le corps calleux.
Les résultats ne sont pas toujours aussi probants qu’espérés.
Mais on doit continuer à améliorer la technique, qui reste une alternative
crédible pour les patients pharmaco-résistants.
SOURCES :
- Medline
Neurologie- Krack, P., Hariz, M. I., Baunez, C., Guridi, J., & Obeso, J. A. (2010). Deep brain stimulation: from neurology to psychiatry?. Trends in neurosciences, 33(10), 474-484.