L'INCEPTION EST-ELLE POSSIBLE ? (Partie 1)

Sans doute les passionnés de science-fiction qui liront cet article auront-ils déjà tous vu le film Voyage au centre de la mémoire, qui raconte les aventures d’un espion dont la mémoire a été modifiée malgré lui, et qui tente de retrouver ses souvenirs.


Nous parlons bien ici de Total recall, mais le nom québécois sonne tellement mieux !

Ce qui est génial avec le cinéma, c’est que les possibilités d’exploration d’un sujet sont infinies. Ainsi Christopher Nolan n’a-t-il aucune limite, ni technique, ni scientifique, ni budgétaire pour produire un film comme Inception, dans lequel une équipe menée par Leonardo DiCaprio tente t’introduire des idées étrangères dans l’esprit de leur victime.

Ces films sont des sources de questionnements infinies pour des chercheurs en neurosciences tel que Steve Ramirez. La réalité peut-elle rejoindre la fiction ? Peut-on modifier des souvenirs existants, en implanter de nouveaux, transformer la mémoire d’un individu ?

L’hippocampe est une structure cérébrale essentielle dans la formation de nos souvenirs. C’est à son niveau qu’ils sont gravés, encodés, au sein d’une population spécifique de neurones. Chaque souvenir correspond à une population neuronale spécifique.

L'hippocampe est une structure profonde de notre cerveau, situé sur la face interne
de nos lobes temporaux (entre nos 2 oreilles). Ils sont impliqués dans la mémoire
et en particulier la formation de nouveaux souvenirs.
Imaginez que l’on soit capable de déterminer quels neurones codent pour un souvenir particulier : si nous arrivons à stimuler ces neurones, alors nous rappellerons artificiellement le souvenir à l’esprit de la souris, malgré elle !

C’est exactement ce que fit Ramirez grâce aux techniques d’un domaine révolutionnaire : l’optogénétique.

Le principe de l’optogénétique est simple : contrôler une cellule (ici un neurone) grâce à la lumière. Pour cela, il est nécessaire de modifier l’ADN du neurone afin qu’il exprime une protéine spécifique, la channelrhodopsine. Cette protéine possède cette propriété fascinante de pouvoir activer un neurone lorsqu’elle est éclairée.

Si cette protéine est exprimée à la surface d’un neurone, il suffira au chercheur de l’éclairer pour déclencher un influx nerveux.


Pour modifier l’ADN des neurones, les scientifiques utilisent le plus souvent des virus génétiquement modifiés qui possèdent dans leur ADN le gène de la channelrhodopsine. Ce virus est injecté au niveau des hippocampes, et infecte les neurones qui y sont présents. Lors de cette infection, l’ADN viral sera intégré au sein de l’ADN du neurone qui pourra donc produire la protéine voulue.

Grâce à cette manipulation nous avons donc réussi à intégrer le bon fragment d’ADN au niveau de l’hippocampe pour que ses neurones expriment la channelrhodospine et puisse être contrôlé par un faisceau lumineux. Mais nous ne sommes toujours pas assez précis : chaque souvenir repose sur une population de neurones spécifique au sein de l’hippocampe. Si tous les neurones expriment la channelrhodopsine, lorsque nous éclairerons l’hippocampe nous réactiverons alors tous les souvenirs qui y sont stockés… dans un bordel sans nom !

Or, nous voulons réactiver un souvenir bien particulier. Nous voulons cibler le souvenir.

C’est pour cela que Ramirez et son collègue (Liu) couplèrent le gène de la channelrhodopsine avec un autre gène, c-fos. Ce gène a la particularité de n’être activé que lorsque le neurone est activé.

Les chercheurs placèrent leur souris dans une cage. L’animal explore ce nouvel environnement et encode ainsi progressivement le souvenir de cet environnement au niveau des neurones de son hippocampe. A ce moment-là, dans son hippocampe, les seuls neurones à être actifs sont ceux qui correspondent précisément au souvenir de la cage. Seuls ces neurones expriment donc c-fos, qui entraîne grâce au montage génétique des chercheurs la production de channelrhodopsine.

Ainsi donc, seuls les neurones correspondant au souvenir de la cage expriment la channelrhodopsine !

L'activation du neurones entraîne la formation de c-fos qui active secondairement
la formation de channelrhodopsine. Cette dernière rend possible la stimulation des
neurones codant le souvenir en question grâce à l'optogénétique.

Il est donc possible, en éclairant l’hippocampe, de stimuler uniquement la population de neurones qui codent le souvenir de la première cage !

Cependant, une information doit ici vous faire tiquer : certes nous sommes capables de sélectionner les neurones actifs de l’hippocampe, c’est-à-dire ceux qui sont en train d’enregistrer le nouveau souvenir. Mais la formation de nouveaux souvenirs ne se limite pas à la seule découverte de la cage. La souris forme tout aussi bien des souvenirs avant qu’après son exploration de la cage, et donc le ciblage du souvenir reposant sur c-fos est inutile ! Le dispositif permet une précision spatiale très importante, mais nous n’avons aucune précision temporelle !

C’est sans compter sur la malice des scientifiques qui possèdent une drogue capable d’inhiber l’action de c-fos sur la formation de channelrhodopsine : en présence de cette drogue, le neurone aura beau s’activer, aucune channelrhodopsine ne sera produite !

Lorsque la souris est en dehors de la cage, les scientifiques lui administre une drogue qui empêche l'action de c-fos sur la channelrhodopsine. Ainsi, il n'y aura pas de marquage des neurones de souvenir.
En revanche, lorsque la souris est dans la cage test, la drogue n'est pas injectée : c-fos pourra librement activer la channelrhodopsine et entraîner un marquage des neurones du souvenir.

Ainsi, lorsque la souris n’est pas dans la cage expérimentale, on lui injecte constamment cette drogue pour que la channelrhodopsine ne soit pas produite dans ses neurones. Ce traitement est levé dès qu’elle pénètre dans la cage, permettant la production de la protéine dans les neurones actifs seulement.

La drogue en question apporte la précision temporelle, c-fos apporte la précision spatiale et la channelrhodopsine est notre moyen d’action !

Mais comment peut-on ensuite stimuler ces neurones grâce à un faisceau lumineux alors qu’ils se trouvent dans l’hippocampe, une structure située en profondeur dans le cerveau ?

Grâce à la fibre bien évidemment !

Le montage utilisé dans cette expérience met en effet en jeu une fibre optique implantée directement dans le cerveau des souris de laboratoire, ciblant en particulier leur hippocampe.

Il a free, il a tout compris.


Que se passe-t-il si nous stimulons ces neurones ?


Reprenons notre souris dans sa cage. Alors qu’elle se balade, elle grave dans sa mémoire le souvenir de son environnement et nous permet de cibler précisément les neurones qui le codent dans son hippocampe. C’est à ce moment-là que nous lui administrons un léger choc électrique. Pas assez puissant pour la tuer bien sûr, mais suffisamment pour que ce soit très désagréable pour elle. Immédiatement, la souris prend peur et se fige. Dans son hippocampe, une nouvelle information se rajoute au souvenir : je me suis baladé dans une jolie cage et j’y ai pris une décharge !

La nuit passe et le lendemain matin, grâce aux miracles de l’optogénétique, les scientifiques stimulent grâce à la lumière les neurones codant ce souvenir traumatisant.

Immédiatement, la souris prend peur et se fige.

Elle se rappelle !

Elle revit le souvenir que les 2 chercheurs avaient réussi à réactiver artificiellement. Grâce à l’optogénétique, ils furent capables de le rappeler à l’esprit de la souris, en stimulant grâce à un faisceau lumineux les neurones qui le codent au sein de son hippocampe.

Ce qui est déjà un véritable exploit scientifique !

Mais nous ne parlons là que de souvenirs bien réels.

Peut-on aller encore plus loin dans la maîtrise des souvenirs ? Aller plus loin que de simplement les rappeler à l’esprit… mais les transformer ?

Il ne faut pas assimiler la mémoire (humaine ou animale) comme un simple disque dur sur lequel nous gravons chaque instant de notre vie. Non seulement notre mémoire (épisodique) est très parcellaire, mais elle est en plus très malléable au fil du temps.

Ainsi, il est possible d’oublier, de perdre des souvenirs, ou alors de les modifier. Un des moments les plus critiques et vulnérable pour un souvenir est précisément l’instant où nous nous le rappelons.

Il serait d’ailleurs plus exact de dire « à l’instant où nous le reconstruisons ». En effet, le souvenir d’un évènement est lui-même très parcellaire et nous devons « recoller les morceaux » pour obtenir une histoire cohérente. Le cerveau pioche alors où il peut pour combler les trous et peut être amené à utiliser les perceptions du moment.

Ramirez et Liu n’ont qu’un seul pouvoir sur leurs souris : celui d’être capable de rappeler un souvenir précis à un instant et un lieu précis. Mais nous allons voir que c’est largement suffisant pour modeler la mémoire de la pauvre souris à leur guise.

Leur nouvelle expérience se déroule de la façon suivante : dans un premier temps, la souris est placée dans une première cage dans laquelle elle ne reçoit aucun choc électrique. Le traitement est levé, la souris enregistre le souvenir de cette cage et les neurones correspondants sont ciblés grâce au système dont nous avons parlé plus haut : ils expriment tous de la channelrhodopsine.

La souris est alors retirée de la cage, replacée dans son habitat habituel et traitée pour éviter toute production de channelrhodopsine parasite.

Le lendemain, elle est placée dans une deuxième cage, différente de la première. Alors qu’elle gambade joyeusement, les chercheurs rappellent alors la souvenir de la première cage grâce à la fibre optique.

C’est à cet instant précis qu’ils délivrent un choc électrique. La souris se tétanise.

Elle est ensuite replacée dans son habitat habituel, et une nouvelle fois mise sous traitement pendant la nuit.

Le lendemain, les chercheurs prennent la souris et la placent dans la première cage. Immédiatement, la souris se fige de peur.

Alors même qu’elle n’a jamais rien vécu de traumatisant dans cette cage !

Que s’est-il passé ?


Crédit image : thepsychreport.com
Pendant le 2ème jour, alors que la souris gambadait joyeusement dans la cage, les chercheurs la forcèrent à se rappeler de la 1ère cage, qu’elle avait visitée la veille. Lors de ce rappel, le souvenir devient malléable et le cerveau est susceptible d’y incorporer des perceptions actuelles… 

Comme un choc électrique.

On observe alors un mélange entre 2 souvenirs : d’une part, celui de la première cage, et d’autre part celui du choc électrique, ce dernier étant incorporé par la force des choses au premier !

Deux évènements dissociés dans le temps se retrouvent donc assemblés au sein d’un même souvenir par l’action des 2 scientifiques !

Lorsque, le lendemain de cette expérience traumatisante, la souris se retrouva dans la première cage, ce faux souvenir lui revint à l’esprit et elle fut immédiatement tétanisée par la peur !

Ramirez et Liu ont donc réussi à induire un faux souvenir dans l’esprit d’une souris. Ils ont été capables, grâce à l’optogénétique, de modifier la mémoire, d’y associer 2 évènements pourtant distants de 24 heures !

Total Recall n’est plus de la science-fiction !

Mais pouvons-nous aller encore plus loin ? Encore plus loin que d’observer un souvenir, que de le modifier, que d’assembler des souvenirs entre eux… Pouvons-nous en créer un de toutes pièces, un souvenir d’un évènement jamais vécu ?

En bref, sommes-nous capables de réaliser une inception ?

Cela sera le sujet du prochain article !

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Vous l'aviez peut-être remarqué, les expérience que je viens de vous présenter son en partie celles dont parle Bruce d'e-penser dans sa dernière vidéo ("Faux souvenirs") dont le lien est dans les sources ! Je vous encourage vivement à la regarder ou la re-regarder, car elle est plutôt exceptionnelle ! :)


SOURCES :
- Liu, X., Ramirez, S., Pang, P. T., Puryear, C. B., Govindarajan, A., Deisseroth, K., & Tonegawa, S. (2012). Optogenetic stimulation of a hippocampal engram activates fear memory recall. Nature, 484(7394), 381-385.
- Ramirez, S., Liu, X., Lin, P. A., Suh, J., Pignatelli, M., Redondo, R. L., ... & Tonegawa, S. (2013). Creating a false memory in the hippocampus. Science, 341(6144), 387-391.