Peut-on perdre son diagnostic d'autisme ?

 

La première conceptualisation de l'autisme infantile est l'œuvre du psychiatre Léo Kanner en 1943. Avant lui, l'autisme était conçu comme faisant partie intégrante du diagnostic de schizophrénie (le syndrome autistique qui décrivait grosso modo un repli sur soi caractéristique de ce qu'on appelle aujourd'hui le syndrome négatif). Kanner reprend donc le terme "autisme" et l'applique à certains enfants qu'il reçoit dans son service. Ces enfants sont en effet caractérisés par un certain repli sur eux-mêmes et de grosses difficultés d'interactions sociales, associées de plus à des comportements restreints et une certaine rigidité cognitive.

La description originale de Kanner porte sur 11 enfants, un nombre qui peut paraitre ridiculement petit à l'heure d'aujourd'hui. C'est cependant ces 11 enfants qui ont permis la conceptualisation d'un nouveau trouble, et au passage de révolutionner la pédopsychiatrie -étant donné la place de l'autisme en son sein actuellement, et le rôle fondateur de Kanner dans la discipline.

En 1971, Kanner a étudié le devenir de ces 11 patients. La moitié d'entre eux étaient restés hospitalisés, avec des symptômes sévères ne leur ayant pas permis de s'insérer dans la société. Trois étaient morts ou perdus de vue. Et 2 vivaient tout à fait normalement, avaient un métier et une famille. Le véritable diagnostic ces 11 cas originels est aujourd’hui remis en question. Correspondent ils bien à ce qu'on appelle désormais les troubles du spectre de l'autisme (TSA) ? Notre discussion ne porte pas sur ce débat, mais sur l'attention portée par Kanner au devenir de ces 11 patients, qui semblent avoir eu des parcours de vie -et des trajectoires développementales- très différentes. Certains ont vus leurs symptômes s'aggraver, et d'autre disparaitre, leur permettant une inclusion dans la société. Que nous dit la littérature scientifique sur le devenir des patients avec autisme diagnostiqués dans l'enfance ? Comment évolue leurs symptômes ? Peut-on tracer des trajectoires développementales, et surtout, les prédire ? A l'extrême, peut-on "perdre" un diagnostic de TSA posé quelques années plus tôt ?

Il convient en premier lieu de rappeler que dans la discussion qui s’annonce, il n’existe aucun jugement de valeur dans la persistance (ou non) du diagnostic d’autisme. Une régression symptomatique sera décrite comme positive si elle permet de diminuer le retentissement ou la souffrance psychologique au quotidien d’une personne avec un TSA.

Les TSA sont caractérisés par des difficultés dans les interactions sociales et dans la communication verbale et non-verbale, et par des particularités comportementales et sensorielles. Un retard développemental/intellectuel et une épilepsie peuvent y être associés, mais ils ne font pas partie des critères diagnostiques.

Depuis 1943, beaucoup de choses ont changé dans les TSA, qui est désormais globalement envisagé comme un trouble cognitif qui regroupe des difficultés dans trois grands domaines : les interactions sociales (le bon développement de la boîte à outils cognitive permettant des interactions de qualité, comme regarder dans les yeux par exemple), la communication (qu'elle soit verbale ou non-verbale) et le comportement (les comportements restreints et répétitifs, les intérêts restreints ou inhabituels ou les particularités sensorielles). Le diagnostic de TSA ne peut être porté que s'il existe des difficultés significatives dans ces trois domaines, et que ces difficultés ne peuvent pas être expliquées par un autre diagnostic. Par exemple, un enfant anxieux aura tendance à ne pas regarder dans les yeux et avoir des difficultés dans les interactions sociales, mais il n'aura pas de raison d'avoir des difficultés en communication ou de présenter des comportements restreints et répétitifs.

La Haute Autorité de Santé en France recommande l’utilisation de 2 échelles pour aider les pédopsychiatres dans le diagnostic d’autisme : l’ADI-R d’une part, un questionnaire destiné aux parents qui explore les symptômes autistiques dans la vie quotidienne, et l’ADOS d’autre part, un entretien standardisé avec le patient qui permet de rechercher ces signes au travers de situations codifiées, avec un psychiatre ou un psychologue. La combinaison des deux échelles, et donc de l’expertise commune (et complémentaire) des parents et des professionnels, permet d’avoir un point de vue global de la situation, et donc de poser ou d’écarter plus fidèlement le diagnostic.

Ces 2 échelles utilisent des valeurs seuils qui aident à la décision, mais qui restent indicatifs : c’est au médecin d’interpréter les différents symptômes qu’il perçoit et que les parents rapportent. Il peut ainsi arriver d'écarter un diagnostic alors que le score obtenu est au-dessus du seuil, ou à l’inverse de poser un diagnostic alors que certains seuils ne sont pas atteints. En clinique comme en recherche, l’utilisation d’échelles est précieuse, mais elles ont leurs limites qu’il faut bien garder en tête pour interpréter les résultats ou poser un diagnostic.

Plusieurs études ont fait passer, à intervalles répétés, ces échelles au sein de cohortes d’enfants au cours de leur développement. Le but était de détecter les changements symptomatiques en fonction du développement de l’enfant. Ces études ont mis en évidence une variabilité des symptômes avec l’âge, dans plusieurs domaines.

Il existe tout d’abord une variabilité en fonction de la période développementale. Nous l’avons vu à plusieurs reprises sur ce blog, le développement cérébral d‘un enfant n’est pas linéaire. Il existe des périodes d’intense développement, au cours desquelles le cerveau acquiert de manière exponentielle de nouvelles capacités mais se montre aussi particulièrement vulnérable : c’est les périodes critiques du neurodéveloppement. Et il existe d’autre périodes plus calmes, pendant lesquelles le cerveau se développe toujours activement, mais de manière moins intense. L’évolution des symptômes autistiques semble dépendante de ces variations développementales. Plusieurs études ont ainsi comparé l’intensité symptomatique entre la petite enfance et l’école maternelle/primaire. Ces études montrent qu’il existe 2 types de profils développementaux au cours de cette période : ceux qui restent stables, et ceux qui changent. Parmi ceux qui changent, les symptômes peuvent soit augmenter, soit diminuer, mais uniquement pendant l’une des 2 périodes, tout en restant stables dans l’autre. Ainsi, certains changent dans la petite enfance, mais restent stable ensuite, et les autres ont le profil opposé. Ces études ne mettent pas en évidence de trajectoire développementale évolutive au cours de ces deux périodes pour un même enfant. Par la suite, les symptômes ont tendance à rester stables et, au cours de l’adolescence, à diminuer en moyenne.

Sur le plan biologique, le neurodéveloppement est marqué par plusieurs phases d'intense maturation cérébrales, les périodes critiques, sièges de processus biologiques distincts. Par exemple, au cours des premières années de vie, on observe une formation massive de synapse (B1), dont la plupart seront "élaguées" à l'adolescence (B2).

Les différences au cours du développement ne s’expliquent pas seulement par des processus neurobiologiques. En effet, l’enfance puis l’adolescence sont marquées par de grandes transitions marquées par une explosion des situations sociales : que ce soit à l’entrée à l’école ou au collège, les relations sociales se complexifient et s’intensifient brusquement, pouvant “démasquer” une fragilité qui n’était pas visible jusqu’à maintenant. Par exemple, le nombre d’interactions sociales d’un enfant gardé en nourrice qui rentre à l’école va brusquement augmenter. Cela ne posera pas de problème à un enfant neurotypique, mais cela pourra être plus difficile à gérer pour un enfant avec un TSA (qui pouvait auparavant bien gérer le nombre limité d’interactions sociales). Cependant, une telle relation n’est pas automatique, et par exemple plusieurs études rapportent une diminution de l’intensité symptomatique à l’adolescence (probablement du fait du développement progressif des nouvelle capacités interactionnelles).

L’évolution symptomatique est aussi variable en fonction des domaines symptomatiques autistiques. Nous l’avons évoqué plus haut, les TSA sont caractérisés par des difficultés à la fois dans les interactions sociales, la communication et des particularités comportementales ou sensorielles. Ces ensembles symptomatiques ont des trajectoires différentes. Par exemple, au sein des comportements atypiques, on retrouve des stéréotypies motrices (le flapping par exemple) qui ont tendance à diminuer avec l’âge. On retrouve aussi des intérêts restreints : des passions qu’on retrouve traditionnellement chez les enfants du même âge (par exemple, les dinosaures) mais qui prennent beaucoup, BEAUCOUP de place au quotidien (l’enfant en parle par exemple du matin au soir, et toutes ses activités tournent autour du même thème). Ces intérêts restreints ne sont pas présents au cours de la toute petite enfance (donc potentiellement à l’âge où le TSA est diagnostiqué), et a tendance à apparaitre un petit peu plus tard.

Il existe enfin une variabilité entre les enfants. Quand les études portent sur le groupe en général, elles mettent en évidence soit une diminution des symptômes au cours de l’enfance, soit une persistance à des niveaux d’intensité identique. Mais les résultats sont bien différents quand on étudie les parcours individuels des enfants. Ces travaux peuvent identifier différents sous-groupes, qui ont des devenirs très différents : certains voient leurs symptômes diminuer, stagner et d’autres augmenter. Il existe un effort de recherche important afin de trouver des marqueurs permettant de prédire la trajectoire symptomatique des enfants à un temps donné. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l'intensité symptomatique au diagnostic n’est pas un bon prédicteur de l’évolution future : certains enfants avec très peu symptomatiques verront leurs symptômes persister dans le temps, et des enfants avec une très grande intensité symptomatique initiale vont beaucoup s’améliorer ensuite. Toutes les trajectoires sont possibles à ce niveau. L’évolution des symptômes est en revanche dépendante du sexe : les filles ont tendance à plus s’améliorer que les garçons, qu’importe la période développementale considérée. Elle est aussi dépendante d’interventions et d’accompagnement précoces : plus l’enfant est pris en charge tôt (en orthophonie, en psychomotricité, en groupe d’habilités sociales), plus il aura tendance à s’améliorer. Cet effet est d’autant plus grand si l’enfant a débuté tôt ces prises en charge, qu’il a un bon niveau de langage et intellectuel. Cet accompagnement peut aussi être pensé au niveau des parents, avec une guidance parentale, permettant à leur enfant de progresser.

Mais l’un des principaux facteurs prédictifs de l’évolution des enfants avec un TSA reste le quotient intellectuel (QI). C’est d’ailleurs aussi l’un des principaux facteurs d’hétérogénéité au sein du spectre autistique. Il s’agit donc d’un critère de choix pour identifier des sous-groupes au sein de ce spectre et tenter de déterminer leurs trajectoires développementales respectives. C’est justement ce qu’ont tenté de faire des chercheurs californiens, qui ont publié leur étude en 2018. Ils ont réussi à identifier 4 trajectoires intellectuelles au sein de leur population d’enfants avec TSA, qu’ils ont évalués à 2 ans puis à 8 ans. Le premier groupe était constitué d’enfants avec un QI normal, qui restait stable au cours du temps. Le deuxième était au contraire caractérisé par un QI faible (40 en moyenne, donc un retard intellectuel important) qui restait stable jusqu’à 8 ans. Un troisième groupe était lui caractérisé par un QI légèrement bas (aux alentours de 60), stable à nouveau dans le temps. Mais le groupe le plus intéressant était sans doute le quatrième : les enfants qui le composaient avaient eux aussi un QI faible à 2 ans (environs 60), mais eux progressaient drastiquement pour avoir un QI normal (environs 90) à 8 ans ! Il existe donc un groupe d’enfants, au sein du spectre autistique, qui aurait un potentiel retard intellectuel à 2 ans mais dont l’évolution serait tout à fait favorable. Et cela sans lien avec une prise en charge particulière -on aurait pu en effet supposer que ce groupe d’enfants évoluait favorablement du fait d’une prise en charge, à la différence des autres groupes, mais cela n’est pas le cas dans l’étude en question.

L'étude de Solomon et al (2018) met en évidence 4 trajectoires développementales du QI chez les enfants avec un TSA. Trois de ces trajectoires (groupes 1-3) sont stables dans le temps, alors qu'un 4ème groupe (rouge) voit son QI significativement augmenter entre 2 et 8 ans. Reproduit de Solomon et al (2018).

Mais ce qui va nous intéresser aujourd’hui, c’est l’évolution de la symptomatologie autistique au sein du premier groupe, celui dont le QI était constamment élevé. Celle-ci diminuait au cours du suivi. Cette diminution serait médiée, selon les chercheurs, par le développement des capacités langagières : un QI normal permettrait leur bon développement, et cela aiderait l’enfant à développer ses capacités interactionnelles par exemple. Cette diminution symptomatique pouvait être si importante qu’à la fin du suivi, près de 15% des enfants ne remplissaient plus les critères diagnostiques des TSA ! Au sein d’autres études, ce pourcentage peut même monter jusqu’à 25% !

Cela veut-il dire que le premier diagnostic était complètement erroné ? Que les échelles utilisées sont nulles –tout comme les pédopsychiatres ? N’allons pas si vite ! Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces résultats.

Tout d’abord, dans l’étude en question, la “perte” du diagnostic correspond à un score aux échelles utilisées (ADI-R et ADOS) en dessous du seuil définit. Cependant, nous l’avons dit, le score ne fait pas tout (même s’il s’agit d’un critère objectif important). De plus, l’ADI-R et l’ADOS présentent leurs limites. Tout d’abord, elles ont été conçues pour le diagnostic, et non pour le suivi des enfants avec TSA. L’ADI-R est un questionnaire destiné aux parents, dont les réponses sont par définition par leur subjectivité. Enfin, pour les grands enfants, les adolescents et les adultes, la plupart des questions de l'ADI-R portent sur la période de l’école maternelle : d’une part car c'est à ce moment que les symptômes sont particulièrement marqués (en lien avec l’augmentation brutale du challenge interactionnel, ce que nous évoquions plus haut), et d’autre part car les enfants peuvent par la suite “camoufler” leurs symptômes, particulièrement s’ils ont un niveau intellectuel normal. On peut imaginer un tel apprentissage pour de nombreuses compétences sociales, comme le contact oculaire ou les jeux imaginatifs.

Cependant, ces nouvelles compétences sont rarement aussi fluides qu’on peut l’observer chez des personnes neurotypiques : par exemple, une personne peut apprendre à regarder dans les yeux, mais il pourra être trop appuyé, peu modulé ou peu coordonné avec les autres moyens de communication non-verbaux. De plus, elles demandent souvent un effort cognitif significatif, qui peut avoir un retentissement au quotidien (fatigue, dévalorisation...). Ainsi, même si ces compétences se développent, elles le font souvent de manière atypique –ce qui rentre dans le cadre d’un trouble du neurodéveloppement (TND).

Ce n’est donc pas parce qu’un score se “normalise” que cela vient annuler les difficultés du passé et les atypicités du neurodéveloppement. Les TSA s’inscrivent dans les TND et il est donc normal que leur manifestation évolue dans le temps. Quand bien même les échelles se “normalisent”, il reste très pertinent de garder en tête ces atypicités car dans le futur, de nouvelles demandes interactionnelles brutales ou de futures transitions (par exemple, l’entrée au collège ou sur le marché du travail) peuvent démasquer des difficultés qui étaient jusque-là compensées.

Il est donc difficile de dire qu’on peut “perdre” le diagnostic de TSA. Les difficultés peuvent complètement régresser dans certains cas, et dans ces cas-là le diagnostic vient témoigner des atypicités neurodéveloppementales passées.

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SOURCES :

- Waizbard-Bartov E, Miller M. Does the severity of autism symptoms change over time? A review of the evidence, impacts, and gaps in current knowledge. Clin Psychol Rev. 2023 Feb;99:102230. doi: 10.1016/j.cpr.2022.102230. Epub 2022 Nov 28. PMID: 36469976; PMCID: PMC10357465.

- Solomon M, Iosif AM, Reinhardt VP, Libero LE, Nordahl CW, Ozonoff S, Rogers SJ, Amaral DG. What will my child's future hold? phenotypes of intellectual development in 2-8-year-olds with autism spectrum disorder. Autism Res. 2018 Jan;11(1):121-132. doi: 10.1002/aur.1884. Epub 2017 Oct 27. PMID: 29076255; PMCID: PMC5961488.


CREDITS PHOTOS :

- Image par Photoholiday de Pixabay