CONFINEMENT : QUELS EFFETS SUR NOTRE SANTE (MENTALE) ?
Depuis le 17 mars, la France
est à l’arrêt. Un confinement généralisé a été ordonné par
les autorités afin de ralentir la progression du coronavirus sur le
territoire. Cette mesure, exceptionnelle, était nécessaire devant
la progression rapide de l’épidémie et le risque de surcharge de
notre système de santé.
Avant
de débuter notre argumentation, un premier message s'impose :
le but de cet article n'est pas de remettre en cause le bien fondé
du confinement mis en place, qui reste le meilleur moyen de limiter
la progression de la maladie. Il n'a pas non plus de finalité
anxiogène : le message véhiculé ne porte pas sur la
dangerosité de l'isolement sur la santé mentale. La finalité est
d’émettre des recommandations simples, applicables par nos
dirigeants et chacun d’entre nous, afin d'identifier les personnes
à risque pour que le confinement se passe au mieux.
Et
si vous préférez le format vidéo, l’excellent Psykocouac en a
justement fait une sur le sujet (en s’appuyant sur la même étude).
Aux origines de la quarantaine
La
première quarantaine mise en place, au sens où on l’entend
aujourd’hui, date de 1374 dans la ville actuelle de Dubrovnik, en
Croatie. À cette époque où sévit la Peste Noire en Orient, les
autorités de la ville décident d’observer un temps d’isolement
de 30 jours pour tous les marins qui débarquent. La pratique se
répand dans le bassin méditerranéen. À Venise, la durée de la
quarantaine est fixée à 40 jours, en accord avec la doctrine
catholique (40 jours étant la durée du carême) et des principes
médicaux hippocratiques (affirmant qu’une maladie aiguë dure
moins de 40 jours).
Les
dispositifs de quarantaine mis en place en Europe au Moyen-Âge sont
hétérogènes et temporaires. Ils sont aussi relativement
inefficaces. En 1720 à Marseille, l’équipage d’un navire
échappe à la quarantaine obligatoire et propage la Peste Noire dans
toute la Provence. Le gouvernement français édifie en réaction le
« mur de la Peste », gardé par des soldats, afin
d’empêcher des malades de fuir la zone confinée. Ce « cordon
sanitaire » sera de nouveau employé à la frontière
espagnole, lors de l’épidémie de fièvre jaune à Barcelone, en
1821.
En
France, la dernière quarantaine date de 1955. Elle sert alors à
endiguer la propagation de la variole à Vannes, dans le Morbihan.
Elle fit 20 morts. Cela faisait donc bien longtemps qu’une telle
mesure n’avait pas été mise en place dans notre pays.
Comment réfléchir sur la quarantaine aujourd’hui ?
Tout
d'abord, il nous faut définir nos termes. Si, dans le langage
courant, quarantaine et isolement sont utilisés de manière
interchangeable, leur sens varie sensiblement, quarantaine faisant
référence à un confinement imposé aux personnes à risque, et
l'isolement concernant les malades diagnostiqués. Dans l'imaginaire
commun, la quarantaine est souvent perçue comme une nécessité
devant un risque de contagion important (même si ce risque semble
négligé par certains actuellement, et c'est bien regrettable!).
Elle est aussi envisagée comme une mesure coûteuse sur le plan
économique. Mais il faut aussi l'analyser comme une mesure de soins
possédant des effets bénéfiques (en premier lieu, la diminution
des contaminations) et indésirables (comme tout traitement). C'est
sur ces effets indésirables, et en particulier ceux psychiatriques,
que nous allons nous attarder aujourd'hui.
Face
à l'épidémie de coronavirus, une équipe de chercheurs italiens
s’est réunie en janvier afin de réfléchir à des recommandations
de mise en place des quarantaines. Ces dernières, publiées le 26
février dans The Lancet [1], serviront de base au raisonnement et
aux conclusions de cet article.
En
amont de l’élaboration de recommandations, il faut regrouper les
connaissances déjà acquises par le passé. Au cours des dernières
années, plusieurs épidémies et plusieurs mesures de confinement
ont été mises en place à travers le monde. Grâce à des échelles
spécifiques,des équipes de chercheurs ont pu mesurer la santé
mentale des personnes confinées. Ainsi, les récentes épidémies de
SARS (2003), grippe H1N1 (2009), Ebola (2015) et MERS (2016) sont des
sources précieuses d'informations. Les enseignements que nous
pouvons en tirer sont essentiels pour mettre en place des mesures
adaptées aujourd'hui.
Quarantaine : quel impact sur notre moral ?
La
quarantaine n'est pas une mesure anodine. L'Homme est un animal
sociable, et le priver du contact de ses proches, d'autant plus dans
une ambiance anxiogène comme nous le vivons actuellement, peut avoir
une répercussion significative sur son état psychique.
L'ensemble
des études sur le sujet s'accorde à conclure que les sujets isolés
présentent plus de symptômes anxieux (ex : irritabilité,
nervosité, insomnie, etc.) et dépressifs. Dans une étude portant
sur l’épidémie de SARS en 2003, 18 % des patients suivis
exprimaient une augmentation de l’anxiété et tristesse de
l’humeur. Malgré tout, 4 % des sujets avaient un vécu plutôt
positif du confinement [1].
Si
la majorité des symptômes sont bénins et transitoires, certaines
études (dont une portant sur l’épidémie de SRAS à Toronto en
2003 [2]) mettent en évidence une augmentation des scores aux
échelles d'état de stress post-traumatique. De cette phrase, deux
interprétations sont possibles. Une première interprétation
alarmiste conclurait à un risque d'état de stress post-traumatique
chez les personnes confinées.
La seconde interprétation, plus
rationnelle, débuterait par un rappel méthodologique. Les échelles
utilisées dans ces études rassemblent un ensemble de questions
portant sur différents symptômes, et permettent aux patients de
coter leur sévérité (par exemple, de 0 à 4 en fonction de
l’intensité ou de la fréquence du symptôme). La plupart ne
permettent pas d'établir formellement un diagnostic mais restent des outils
précieux pour se faire une idée objective de l'intensité des
symptômes présentés par le patient. Affirmer donc que les
individus confinés cotent sur ces échelles une intensité plus
forte des symptômes de stress post-traumatique ne veut donc pas dire
qu'ils en sont atteints (même s'il existe une corrélation entre l'intensité des symptômes et la probabilité du diagnostic), mais qu'ils en présentent certains
symptômes, qui sont plus importants que pour des individus non
confinés. Ces symptômes, pris isolément, ne permettent pas de
porter le diagnostic, qui repose sur la présence du tableau clinique
complet. De plus, tel que décrit dans la littérature médicale, le
traumatisme psychique à l'origine d'un état de stress
post-traumatique doit être un événement menaçant la vie ou
l'intégrité de l'individu, ou de l'un de ses proches. Il est donc
peu probable qu'un confinement seul soit à l'origine d'un état de
stress post-traumatique.
De
manière générale, si les symptômes anxieux ou dépressifs sont
assez fréquents dans la population confinée, leur intensité et
leur isolement ne permettent pas de porter un diagnostic de
dépression ou de trouble anxieux.
Cette
anxiété et cette tristesse peuvent de plus être influencées par
plusieurs facteurs pendant et après la période de quarantaine. Bien
entendu, la peur d'être contaminé, de manquer de nourriture et de
produits de première nécessité (BFM TV nous rappellera sans
problème de faire nos stocks de papier toilette), ou des
conséquences financières sont en première ligne, tout comme
l'ennui ou la séparation de ses proches. Mais une mauvaise qualité
de l'information délivrée peut aussi être source d'angoisse :
pour bien vivre son confinement, encore faut-il bien comprendre
pourquoi on est confiné, et connaître précisément ce qu'il se
passe dehors ! Il faut donc pouvoir accéder à une information
rapide et fiable, ce qui peut être difficile aujourd'hui à l'heure
des fake news.
Le
vécu d'une quarantaine est donc difficile, à l'origine d'un
retentissement sur le moral et sur l'anxiété des personnes
confinées. Mais cela n'est, au final, pas si surprenant que cela :
vous n'être sans doute pas surpris de ces conclusions, et sans doute
en avez fait l’expérience au cours des premiers jours de
confinement : être bloqué chez soi, ce n’est pas drôle.
Le
plus inquiétant reste la persistance de certains symptômes dans le
temps, plusieurs semaines voire plusieurs mois plus tard. Peu
d'études ciblent ces effets à long terme, qui sont pourtant
essentiels.
Là
encore les études basées sur l’épidémie de SRAS en 2003 sont
précieuses. Trois ans après l’épidémie, une
équipe de
chercheurs s’est intéressé à une cohorte de soignants chinois
ayant pris en charge les malades [3]. Certains de ces soignants ayant
été confinés. Après avoir analysé leurs symptômes dépressifs
et les avoir classés en fonction de leur sévérité, les
scientifiques ont mis en évidence que 60 % des soignants présentant
de graves symptômes dépressifs avaient été confinés, contre
seulement 15 % des soignants avec des symptômes dépressifs légers
(la prévalence des symptômes sévères étant de 9 % dans
l'ensemble de la cohorte). Le risque de présenter des symptômes
dépressifs sévères était presque 5 fois supérieur chez les
soignants mis en quarantaine. L'effet du confinement sur le moral
peut donc perdurer jusqu'à plusieurs années, même chez les
soignants (nous y reviendrons plus tard). En revanche, le fait de se
mettre volontairement en quarantaine (ou d’accepter et de
comprendre la mesure) a plutôt un effet protecteur sur les symptômes
dépressifs.
Et
ces effets à long terme ne concernent pas uniquement l'humeur.
D'autres études indiquent que le risque de dépendance alcoolique à
3 ans est majoré après une quarantaine, en particulier chez les
soignants. Une autre étude portant sur des quarantaines préventives
après un contact de patients atteints du SARS est elle aussi
inquiétante. Elle indiquait un changement de comportement
significatif des personnes confinées les semaines suivant
l'isolement : 54 % déclaraient éviter les personnes toussant
ou éternuant et 20 % déclaraient éviter tout lieu public. Dans la
vie quotidienne, la répercussion de ces troubles psychologiques peut
donc être importante et doit être prise en compte [1].
Mais
ces conséquences négatives ne concernent qu'une partie de la
population confinée. Il est donc important de cibler les individus à
risque de complications, dès le début de la quarantaine, pour leur
proposer une prise en charge intensive et adaptée.
Parmi
les facteurs de risque identifiés, on peut noter le fait d'être une
femme, d'avoir moins de 30 ans et de n'avoir pas fait d'études.
Avoir un enfant semble aussi être un facteur de risque,
comparativement à en avoir plus de 2 ou de ne pas en avoir du tout.
Bien évidemment, souffrir d'un trouble psychiatrique au préalable
est là aussi un facteur de risque important. Enfin, le dernier
facteur de risque mis en évidence peut paraître étonnant : le
fait d'appartenir au personnel soignant semble augmenter fortement le
risque de troubles psychiatriques au décours de l'isolement. Dans
les échelles mesurant leur humeur ou leur état de stress, ces
derniers ont tendance à coter systématiquement plus élevé. Ils se
sentent à la fois plus seuls, plus stigmatisés, plus coupables...
Cette donnée est d'autant plus inquiétante que ces soignants sont
plus à risque que la moyenne d'être isolés !
En
connaissant toutes ces données, comment peut-on agir pour minimiser
au mieux l’impact sur la santé mentale des personnes en
quarantaine ?
Que peut-on faire à notre échelle, et à quoi doivent penser nos dirigeants ?
La
mise en quarantaine est donc une affaire sérieuse, d'autant plus
quand elle concerne plusieurs dizaines de millions de personnes. Pour
les dirigeants, il s'agit avant tout d'informer le plus clairement et
le plus simplement possible la situation, la maladie et les raisons
du confinement. Il faut jouer sur le civisme des individus : ils
supporteront mieux la quarantaine s'ils se mettent de leur plein gré
en isolement ! De plus, il est préférable de se tenir à la
durée de confinement annoncée au départ : reporter un
confinement ou le débuter pour une durée illimitée serait plus à
risque de conséquences psychologiques délétères. Malheureusement,
c'est souvent compliqué de se tenir à la déclaration initiale
devant une situation changeante comme l'épidémie que nous vivons
actuellement.
Les
décideurs doivent aussi nous transmettre des informations fiables et
de qualité, tant sur l'état sanitaire du pays que sur les avancées
dans la prise en charge du virus. Mais cette tâche nous incombe à
nous aussi, individuellement : ne se fier qu'aux sources sures
(concernant le coronavirus, les sites du gouvernement ou de l'OMS),
et ne pas propager les fausses rumeurs (le coronavirus qui meurt à
26°C, vraiment?) qui sont réellement dangereuses.
A
notre niveau, il faut faire l'effort de rester en contact régulier
avec nos proches, en particulier les plus fragiles et les plus
isolés. Trouver des occupations pour rompre l'ennui, et rester
productif si on fait du télétravail.
Bien
entendu, les gouvernements doivent aussi assurer l'apport des biens
de première nécessité, sur le plan alimentaire et sanitaire, de
manière immédiate et non différée.
Enfin,
les personnes les plus à risque (que nous avons décrits
précédemment) doivent recevoir une attention toute particulière.
Je m'arrête ici un peu plus longuement sur ces soignants, qui
demandent depuis des mois plus de moyens pour soigner leurs patients.
Les décideurs politiques ont maintenu les capacités de l’hôpital
public à flux tendu pendant des années, ce qui explique pourquoi
nous sommes aujourd’hui à risque d’un débordement aussi précoce
de notre système de soins. Les économies faites sur le dos de
l'hôpital publique vont certainement se payer en vies humaines (et
c’était certainement déjà le cas, bien avant l’arrivée du
coronavirus).
Enfin,
il faut nuancer les données que nous venons d’analyser. Les études
sur le retentissement psychologique de la quarantaine sont peu
nombreuses, et portent sur un petit nombre de cas. De plus, les cas
en question sont parfois des catégories particulières, comme des
étudiants, ce qui rend plus difficile l’extrapolation à une
population générale. La même remarque peut être faite à propos
des différences culturelles entre individus. Les études ont été
réalisées en Chine, aux Etats-Unis, en Europe et en Afrique, dans
des contextes culturels très différents qui influencent fortement
notre perception de la quarantaine. Il faut aussi avoir à l’esprit
que les dispositifs de quarantaine mis en place ont été très
différents. Ainsi, les quarantaines mises en place en Chine et à
Taiwan pendant l’épidémie de SRAS ont été particulièrement
violentes : lorsque les autorités le jugeaient nécessaire, les
soignants (même parfaitement sains!) d’un hôpital étaient
contraints de rester 2 semaines, sans aucun contact avec leur
famille, à soigner les patients infectés. Alors qu’ils n’avaient
pas contracté la maladie, ils devaient vivre 24/24h au contact de
malades hautement contagieux, sans savoir si leur propre famille
était infectée… Il y a de quoi être dépressif ou anxieux ! On le voit, ces mesures sont bien
différentes du confinement auquel nous sommes soumis actuellement.
Dans quelle mesure peut-on donc extrapoler ces résultats à notre
situation ?
Attention,
ces études nous apportent de précieuses informations et une ligne
directrice, mais nous ne devons pas prendre leurs conclusions comme
vérité absolue. D’autres études sont nécessaires.
Alors
que nous débutons cette période de confinement, susceptible d’être
prolongée, je ne peux que vous rappeler les règles de précaution
qu’il faut absolument adopter. Il n’existe pas de traitement
contre le coronavirus : une fois infecté, on ne peut
qu’attendre que l’organisme fasse le job, en croisant les doigts
pour qu’il n’y laisse pas trop de plumes. N’appelez pas le 15,
n’allez pas aux urgences sans signe de gravité.
Prenez
soin de vos proches s’ils sont confinés, prenez soin de vous si
c’est votre cas, et restez en contact les uns avec les autres. Et
même si cela est dur, restez chez vous !
SOURCES :
- https://www.franceculture.fr/histoire/depuis-600-ans-la-quarantaine-nest-absolument-pas-une-solution
-
[1] Brooks,
Samantha K., et al. "The
psychological impact of quarantine and how to reduce it: rapid review
of the evidence." The
Lancet (2020).
-
[2] Reynolds,
D. L., et al. "Understanding, compliance and psychological
impact of the SARS quarantine experience." Epidemiology
& Infection 136.7
(2008): 997-1007.
-
[3] Liu,
Xinhua, et al. "Depression after exposure to stressful events:
lessons learned from the severe acute respiratory syndrome
epidemic." Comprehensive
psychiatry 53.1
(2012): 15-23.
-
Rubin,
G. James, and Simon Wessely. "The psychological effects of
quarantining a city." Bmj 368
(2020).
-
Barbisch,
Donna, Kristi L. Koenig, and Fuh-Yuan Shih. "Is there a case for
quarantine? Perspectives from SARS to Ebola." Disaster
medicine and public health preparedness 9.5
(2015): 547-553.
CREDITS
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