NEUROSCIENCES DE L'ORGASME



Dans l’Egypte antique, le culte des chats était d’une grande popularité et pouvait rassembler des milliers de fidèles. Tout d’abord l’équivalent du dieu Rê tuant le serpent Apophis, l’âge d’or de son culte correspondit avec son association à la déesse Bastet, représentante de la fertilité et de la maternité.
D’un point de vue plus pragmatique, les chats étaient alors très utiles aux paysans car ils chassaient rats et vipères, menaçant respectivement leurs récoltes et leur vie.
Cette vénération ne prit jamais vraiment en terre romaine, Rome tentant de limiter l’influence religieuse égyptienne sur son territoire. Le chat était alors réservé aux classes aisées avant de progressivement se démocratiser. C’est à cette époque qu’il acquiert un statut sulfureux associé à la luxure, et qu’il sera ainsi notamment associé aux prostituées –pouvant expliquer qu’il désigne par la suite le sexe féminin.
Au cours du Moyen-Âge, le chat sera apprécié en Orient –un chat ayant sauvé Mahomet d’une morsure de serpent- et souffrira d’un statut ambivalent en Europe. Symbole de sorcellerie, le chat sera réhabilité au cours de la Renaissance au cours de laquelle on souligne, à l’instar de l’Egypte antique, sa capacité à défendre les récoltes et limiter la propagation des maladies –notamment en chassant rongeurs et rats.
Au début du 19ème siècle, le chat devint un animal romantique par son caractère indépendant et mystérieux. Baudelaire, poète français majeur de cette période, en livre un exemple frappant au travers de ses poèmes.
De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, qu'un soir
J'en fus embaumé, pour l'avoir
Caressé une fois, rien qu'une.
C'est l'esprit familier du lieu;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire;
Peut-être est-il fée, est-il dieu?
Le chat (II), Charles Baudelaire
Les chats ont toujours fasciné les Hommes au travers des fantasmes que nous projetons sur eux. Tout à la fois affectueux et distants, soumis et arrogants, les chats représentent aujourd’hui l’animal de compagnie le plus répandu en France.
Le chat correspond aussi à un modèle animal très utilisé en science, et notamment dans le domaine des neurosciences. Nous avons déjà évoqué sur ce blog les expériences –cruelles- que certains scientifiques avaient effectuées sur de petits chatons.
Si les chats aident certains neuroscientifiques dans leurs études, ces derniers ont pu plonger au plus profond de leur intimité. Grâce à leurs travaux, nous en savons plus sur les mécanismes neuronaux qui sous-tendent les comportements félins lors de l’acte sexuel.
Ces derniers sont intimement régulés par un noyau du tronc cérébral, une structure située juste à la base du cerveau. Ce noyau, appelé rétroambiguus, était déjà connu pour réguler un nombre important de fonctions vitales, comme la respiration ou les vomissements.

Le tronc cérébral apparaît ici en rouge.

En 1979, une équipe de chercheurs découvrit qu’une partie des neurones du noyau rétroambiguus se projetait vers certains neurones de la moelle épinière, des motoneurones. En étudiant les fonctions de ces motoneurones, ils s’aperçurent qu’ils codaient la posture précise qu’adoptait la chatte lors de la copulation. Lorsqu’ils lésèrent expérimentalement ces connexions neuronales entre le noyau rétroambiguus et les motoneurones, aucun comportement d’accouplement n’était possible, ni pour les mâles, ni pour les femelles. Cependant, ces connexions semblaient trop faibles, trop éparses, pour induire à elles seules ce type de comportement au naturel chez la femelle…
Quelques années plus tard, une équipe hollandaise reprit ces travaux et s’intéressa au rôle des hormones sur ces connexions. En étudiant des chattes dont on avait enlevé chirurgicalement les ovaires –et qui donc ne produisaient plus aucune hormone sexuelle-, ils s’aperçurent que ces connexions devenaient bien plus conséquentes seulement lorsqu’ils injectaient des œstrogènes synthétiques.
Ainsi, les connexions neuronales codant pour le comportement sexuel de la femelle dépendent de son statut hormonal. Elles ne deviennent significatives uniquement lorsqu’une grande quantité d’œstrogène est produite par les ovaires, c’est à dire lorsque la femelle est en chaleur.
A l’heure actuelle, on ne sait pas bien dans quelle mesure les structures cérébrales peuvent influencer ces comportements automatiques d’accouplement –en tout cas chez le chat.

Du chat à l'Homme.
Si Baudelaire adorait les chats, il était tout autant fasciné par les femmes.
Trois femmes marquèrent sa vie, et un grand nombre de ses poèmes les évoque en filigrane. Il y eut Madame Sabatier ou Marie Daubrun, figures de la tendresse,  du calme et de la douceur, qu’il évoque entre les lignes de l’Invitation au voyage.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
L’invitation au voyage, Charles Baudelaire
Mais il y eu surtout Jeanne Duval, qui fut véritablement l’amour de sa vie. Il ne la rencontre alors qu’il n’a que 20 ans, et suivra une relation tumultueuse tout au long de sa vie. Elle représente pour lui l’exotisme, la sensualité et la passion. C’est elle qu’il évoque dans Le chat, un poème teinté de sensualité, voire d’érotisme :
Viens, mon beau chat, sur mon cœur amoureux ;
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés de métal et d’agate.

Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s’enivre du plaisir
De palper ton corps électrique,

Je vois ma femme en esprit. Son regard,
Comme le tien, aimable bête,
Profond et froid, coupe et fend comme un dard,

Et, des pieds jusques à la tête,
Un air subtil, un dangereux parfum,
Nagent autour de son corps brun.
Le chat, Charles Baudelaire
Dans ce poème, c’est l’ensemble des sens du poète qui sont sollicités et associés au plaisir. La figure féminine devient de plus en plus explicite au fil des vers, si bien que l’on ne sait plus, dans la dernière strophe, si le poète évoque l’animal ou la femme… Si le corps brun dont parle Baudelaire appartient au chat ou à Jeanne Duval…
A l’instar des chats, les neuroscientifiques se sont aussi penchés sur les comportements sexuels chez l’Homme. En particulier, une équipe hollandaise –la même qui travailla chez les chats- s’intéressa plus spécifiquement au fonctionnement cérébral au cours de l’orgasme.
Ce type d’étude souleva un certain nombre de questions pratico-pratiques dans l’esprit des chercheurs hollandais : allaient-ils pouvoir recruter assez de volontaires ? Comment rendre possible la masturbation dans l’appareil d’imagerie - qui correspond à un long tunnel de 70cm de diamètre ?
Les scientifiques furent rapidement rassuré quant à leur première interrogation : ce fut des individus de tous horizons, étudiants, secrétaires, cadres, qui répondirent à leur appel ! Quant au deuxième problème, ils mirent en place un protocole permettant de limiter au maximum les biais.
Pour mesurer l’activité cérébrale, ils utilisèrent un appareil d’imagerie appelé TEP scanner, qui mesure l’accumulation d’un traceur radioactif préalablement injecté dans le sang du volontaire dans les zones actives du cerveau. Ce traceur radioactif, rapidement éliminé par l’organisme, est nécessaire à la détection de l’activité cérébrale, si bien qu’il était nécessaire aux volontaires d’atteindre l’orgasme peu de temps après son injection –environs 2 minutes… Il s’agissait de viser juste !


Image d'un cerveau obtenue grâce à un PET-scanner.
Les zones les plus actives (en rouge) correspondent au cortex.

Mais le principal problème venait d’ailleurs : comment détecter les activations cérébrales spécifiques de l’orgasme si le sujet se masturbe lui-même dans le TEP scan ? On aurait alors une activation parasite du cortex moteur correspondant à la main ou au bras du sujet en pleine action… De plus, il était impossible de demander au sujet d’anticiper afin de déclencher son orgasme juste au moment de l’injection du produit radioactif. Les activations cérébrales correspondants à cette activité cognitive complexe aurait rendu les résultats ininterprétables…
C’est pour ces raisons que les scientifiques hollandais demandèrent l’aide généreuse des partenaires des sujets inclus dans leur étude. Ainsi, alors que le sujet installé dans le PET scanner était simplement au courant que son/sa partenaire allait le/la masturber dans la machine, les instructions précises étaient données au (à la) conjoint(e) qui devait tenter de synchroniser l’orgasme de sa moitié avec l’injection du produit radioactif.
Songez que tout cela se passait dans une salle d’imagerie tout à fait standard. Ainsi, si le couple était bien entendu seul dans la salle, une grande baie vitrée sans teint donnait certainement dans le bureau des manipulateurs radio et des radiologues !
Quoiqu’il en soit, selon les auteurs de l’étude, cette méthode fonctionna relativement bien puisque environs 50% des essais furent concluants.
Mais chez la femme, un autre problème se pose. Alors que chez l’homme, l’orgasme est relativement facile à détecter car la plupart du temps synchrone de l’éjaculation, chez la femme, sa détection est moins aisée. Une solution simple aurait été de lui donner l’ordre de faire signe lorsque l’orgasme se déclenche, mais nous cherchons à limiter le plus possible les activations cérébrales parasites. Et le meilleur moyen pour cela est de confier une tâche unique à l’individu scanné : prendre du plaisir. Il nous faut une mesure objective qui puisse détecter l’orgasme féminin.
L’équipe hollandaise opta pour une sonde introduite dans le rectum des volontaires, capable de détecter les contractions périnéales -c’est-à-dire du bas-ventre- caractéristiques de l’orgasme.
D’une manière particulièrement intrigante, l’étude mit en évidence que l’orgasme ne s’accompagnait non pas d’une augmentation de l’activité cérébrale, comme nous pouvions nous y attendre instinctivement, mais à une relative diminution. En particulier, l’activité du cortex préfrontal et du cortex temporal semble grandement diminuée.


Le lobe préfrontal correspond à l'extrémité de la zone bleue, qui délimite le cortex frontal.
Le lobe temporal est quant-à lui indiqué en vert.
Le cervelet correspond à la région non-colorée, sous l'encéphale.

Et cela n’est pas une surprise : lorsque ces régions cérébrales sont lésées, comme nous l’avons déjà évoqué sur ce blog, les patients peuvent être soumis à un état d’hypersexualité. Ainsi, il apparaît que le cortex préfrontal et temporal freineraient nos comportement sexuels. Ils doivent donc nécessairement se désactiver pour aboutir à l’orgasme.
L’étude mit aussi en évidence une forte activation du cervelet, qui augmente proportionnellement aux contractions périnéales mesurées par la sonde rectale lors de l’orgasme. Ainsi, le cervelet serait un intermédiaire important dans la génération des contractions musculaires du bas-ventre de la femme, partie intégrante de l’orgasme.
En comparant l’activité cérébrale chez les hommes lors de l’éjaculation par rapport à la masturbation, les scientifiques hollandais découvrirent une activation forte du cervelet et du thalamus qui correspondraient respectivement au contrôle des contractions musculaires du périnée nécessaires à l’éjaculation et à l’intégration sensorielle de ce moment si particulier.
Ils mirent aussi en évidence une franche désactivation du cortex préfrontal, qui est, comme nous l’avons vu, impliqué dans l’inhibition des comportements sexuels. Mais le plus intéressant est que le cortex préfrontal exercerait ce contrôle en inhibant le cervelet, dont nous venons de voir qu’il était fortement activé lors de l’orgasme masculin. L’orgasme correspondrait donc à la levée d’inhibition du cervelet par le cortex préfrontal, rendant ainsi possible la contraction musculaire du bas ventre nécessaire à l’éjaculation.
Les études dont nous venons de parler sont des études pionnières qui n’ont jusqu’à ce jour été peu répliquée. Ces résultats sont donc à prendre avec précaution, d’autant plus qu’il existe un certain nombre de limites méthodologiques. En particulier, quel état prendre comme point de référence pour y comparer l’orgasme : l’état de repos ? De masturbation ? Une simulation d’un orgasme ? De nombreuses études devront être menées pour que le sujet fasse consensus.
Et ces études seront nécessaires. Cela peut paraître amusant, voire inutile, d’étudier les activations cérébrales lors de l’orgasme ou de la masturbation. Mais ces données, chez l’Homme et chez l’animal, peuvent être extrêmement précieuses dans la compréhension des comportements et du plaisir sexuels ainsi que de leurs troubles, qui peuvent avoir comme origine une cause aussi bien organique –par exemple hormonale- que psychologique –qui n’en serait, au passage, pas moins organique !
La sexualité, et en particulier la sexualité féminine, a longtemps été le parent pauvre de la recherche scientifique. Il est temps que cela change !

     

SOURCES :
- Holstege, G., & Huynh, H. K. (2011). Brain circuits for mating behavior in cats and brain activations and de-activations during sexual stimulation and ejaculation and orgasm in humans. Hormones and behavior, 59(5), 702-707.
- Georgiadis, J. R., Kortekaas, R., Kuipers, R., Nieuwenburg, A., Pruim, J., Reinders, A. A. T., & Holstege, G. (2006). Regional cerebral blood flow changes associated with clitorally induced orgasm in healthy women. European Journal of Neuroscience, 24(11), 3305-3316.
- Holstege, G., Georgiadis, J. R., Paans, A. M., Meiners, L. C., van der Graaf, F. H., & Reinders, A. S. (2003). Brain activation during human male ejaculation. Journal of Neuroscience, 23(27), 9185-9193.

CREDIT PHOTOS :
- https://wamiz.com/chats/actu/13-raisons-accueillir-chat-noir-vie-8205.html
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Tronc_c%C3%A9r%C3%A9bral
https://en.wikipedia.org/wiki/Brain_positron_emission_tomography
https://en.wikipedia.org/wiki/Parietal_lobe