MODELE ANIMAL, PARKINSON ET... TOXICOMANES
Alors qu’il rentrait tranquillement à son bureau boire une
bonne tasse de café et lire avec passion des compte-rendus
d’électroencéphalogrammes (les médecins sont parfois étranges…), William
Langston fut interrompu par un appel inopportun.
Il s’agissait de l’un des médecins de son service :
« Dr Langston, il faut que vous descendiez immédiatement, je n’ai jamais
rien vu de tel… Personne ne sait ce que ce patient peut bien avoir ! »
Ecoutant sa conscience professionnelle et renonçant au café
(ce qui est un véritable sacrifice pour un médecin !), William Langston
parti prendre des nouvelles de ce fameux patient.
Nous sommes alors en plein mois de juillet 1982, à l’hôpital
Santa Clara Valley de San José, en Californie.
Le cas de ce patient était tout à fait étrange. Lorsqu’il
l’examina, le Dr Langston diagnostiqua une rigidité musculaire asymétrique très
particulière, une absence quasi-totale de mouvement et une incapacité à
articuler correctement. Un tableau clinique très évocateur d’une maladie de
Parkinson, d’autant plus que la réponse à la L-dopa, le traitement de cette
maladie qui lui fut administré, fut total avec une disparition de l’ensemble
des symptômes.
Sauf que le patient en question était âgé de 42 ans, et que
la maladie de Parkinson ne se révèle que très rarement avant 55 ans…
Dans le service, la situation était grotesque : devant Langston,
neurologues et psychiatres se rejettent la cause. Les neurologues affirment
qu’il s’agit d’une pathologie psychiatrique –le patient est bien trop jeune
pour avoir une maladie de Parkinson !-, alors que les psychiatres ne
démordent pas d’une origine purement neurologique du trouble.
Devant l’impasse diagnostique, l’équipe médicale chercha des
indices, en particulier en allant questionner la petite-amie du patient en
question.
Celle-ci était atteinte du même mal que son compagnon !
Comme si les deux amants avait été mystérieusement statufiés…
Langston et son collègue, Phil Ballard, n’y voyaient pas
plus clair. Lors d’une soirée organisée par un collègue, Ballard eu l’occasion
de discuter avec nombre de médecins des environs. C’est alors qu’un neurologue,
James Tetrud, lui fit remarquer que lui-même avait pris en charge deux patients
au tableau clinique extrêmement similaire, qu’il n’avait pas pu expliquer lui non
plus.
Quatre cas, un couple et deux frères, qui ne se connaissent
pas, et dont la maladie se déclenche mystérieusement et brutalement au cours de
l’année 1982… Il doit exister un lien ! Mais lequel ?
Un véritable enquête commença. Assez vite, il émergea un
unique point commun entre ces 4 personnes…
L’héroïne.
Les 4 patients étaient tous héroïnomanes.
Les 4 patients avaient tous consommé la même héroïne
synthétique, vendue au marché noir dans le nord de la Californie… depuis le
mois de juillet 1982.
Et si cette mystérieuse maladie de Parkinson provenait de
l’héroïne ?
Grâce aux services de police (et des dealers conciliants),
l’équipe de Langston put se procurer des échantillons de la poudre et l’analyser.
Ils trouvèrent alors que l’héroïne en question étant
majoritairement constituée d’un produit appelé MPTP (1-Methyl-4-phenyl-1,2,5,6-tetrahydropyridine
de son vrai nom). En cherchant dans la littérature scientifique, les médecins
tombèrent sur une étude parue 3 ans auparavant dans un obscur journal de
psychiatrie. Celle-ci racontait l’histoire d’un étudiant qui synthétisait sa
propre drogue pour se l’injecter ensuite… Et qui avait développé un syndrome
parkinsonien peu après sa synthèse de MPTP.
C’est donc le MPTP qui serait responsable de ces tableaux
parkinsoniens si spécifiques !
Forts de cette découverte, Langston et Ballard publièrent
ces cas dans la prestigieuse revue Science. Dans les jours qui suivirent, le
prix du MPTP, qui n’était pas une substance interdite et qui n’était produite
que par une seule entreprise aux Etats-Unis, fut multipliés par 100 ! Non
pas à cause de junkies aux tendances sadomasochistes douteuses, mais à cause
des chercheurs du monde entier qui voulaient se procurer la substance.
Car cette découverte ouvrait un champs entier et nouveau
dans le domaine des neurosciences. Il me plait d’imaginer l’ivresse de Langston
et Ballard devant cette porte ouverte, dans un domaine des neurosciences qui
n’avait jamais alors pu être exploré par le passé.
Le MPTP est capable d’engendrer, chez l’Homme, la symptomatologie
exacte de la maladie de Parkinson. Transposé chez l’animal, il fournit aux
chercheurs un modèle extrêmement proche de la maladie, modèle qui n’existait
pas avant 1982. Les modèles animaux sont des outils extrêmement précieux aux
chercheurs dans tous les domaines de la biologie. Nous parlons beaucoup sur ce
blog d’études chez l’Homme, mais il faut bien avoir en tête qu'un grand nombre de
mécanismes neurologiques sains et pathologiques ont été découverts et étudiés
chez l’animal. C’est cette recherche fondamentale qui est la base de nombre de
nos connaissances chez l’Homme (par extrapolation) et ainsi des traitements que
l’on peut proposer à nos patients. L’existence du modèle animal d’une maladie
est donc une avancée très précieuse dans sa compréhension et par la suite dans
le développement de traitements.
Très vite, la substance fut donc administrée à des rats et
des souris.
Ce fut un échec monumental. Les rongeurs ne furent pas
affecté le moins du monde par le MPTP, et ainsi donc la possibilité d’un modèle
rongeur de maladie de Parkinson s’évanouissait.
En revanche, le MPTP injecté chez des singes déclenchait
très exactement tous les symptômes de la maladie : diminution voire
disparition des mouvements, rigidité musculaire et –plus rarement- des tremblements.
Lorsque les chercheurs disséquèrent le cerveau de ces pauvres singes, ils
découvrirent une mort neuronale extrêmement importante au sein de la substance
noire du tronc cérébral, soit la lésion caractéristique de la maladie de
Parkinson, au cours de laquelle les neurones à dopamine –une molécule qui
permet aux neurones de communiquer entre eux, ou neurotransmetteur- sont
sélectivement détruits.
Les neurones dopaminergiques de la substance noire du cerveau sont spécifiquement détruits lors de la maladie de Parkinson. |
Dès lors que le modèle primate fut découvert, une nouvelle
aventure scientifique débuta. Elle s’attacha tout d’abord à déterminer les
mécanismes par lesquels le MPTP engendre la maladie de Parkinson : c’est
bien beau d’avoir un modèle de la maladie, mais c’est tout de même mieux de
savoir comment il fonctionne !
Et l’une des premières découvertes fut qu’en réalité… Le
MPTP n’est absolument pas toxique, ni pour les souris, ni pour les singes, et
encore moins pour les humains…
Non, c'est en fait l'un des produits de la dégradation
du MTPT, le MPP, qui tue massivement les neurones dopaminergiques du cerveau.
En réalité, le MPTP est une molécule capable de diffuser du sang vers le
cerveau, et c‘est une fois là-bas qu’il est dégradé par notre organisme en MPP
et qu’il acquiert donc son pouvoir destructeur. Le MPTP n’a en soit aucun effet
pathologique.
Transformation du MPTP en MPP. Alors que le MPTP peut diffuser du sang vers le cerveau, le MPP en est incapable. |
Et c’est d’ailleurs là que se trouve la solution de l’échec
du modèle rongeur. En effet, chez le rat, le MPTP est dégradé, non pas dans le
cerveau comme chez l’Homme ou le singe, mais directement dans les vaisseaux
sanguins. Or, il se trouve que le MPP ainsi formé est incapable de diffuser du
sang vers le cerveau. C’est exactement pour cela que les rongeurs sont
protégés : contrairement à l’Homme et le singe qui forment le MPP toxique
dans le cerveau, les souris le forment en dehors et protègent ainsi leurs
neurones !
Une fois le MPP à l’intérieur du neurone, il va
littéralement l’asphyxier en bloquant ses mitochondries. Ces dernières sont en
quelques sortes la centrale nucléaire du neurone : elle permet de produire
toute l’énergie dont il a besoin pour fonctionner. Une fois bloquée, la
mitochondrie ne peut plus produire d’énergie et, pire que ça, les déchets
toxiques vont s’accumuler dans le neurone, provoquant sa mort rapide.
Le MPTP diffuse du sang vers le cerveau, où il est métabolisé en MPP. C'est ce dernier qui a un rôle pathogène et destructeur sur les neurones. |
Ainsi caractérisé, le modèle MPTP-MPP de la maladie de
Parkinson allait permettre des avancées majeures dans l’explication de la
maladie et la découverte de nouveaux traitements.
Tout d’abord, ce modèle a permis le développement d’un
traitement, aujourd’hui très utilisé, basé sur une nouvelle approche :
celle de la neuro-protection.
Depuis 1968, la L-dopa est utilisée chez les patients
parkinsoniens avec succès. Mais ce traitement n’a qu’un but palliatif :
compenser la perte des neurones dopaminergiques en apportant artificiellement
de la dopamine dans le cerveau. Ce traitement ne fonctionne malheureusement que
quelques années seulement, et ses effets s’estompent progressivement au fur et
à mesure que le cerveau s’habitue au médicament.
Le modèle primate de la maladie de Parkinson a permis
d’identifier une nouvelle cible moléculaire : la monoamine oxydase, une
enzyme qui entraine la dégradation de dopamine (et du MPTP) dans le cerveau. En
administrant un inhibiteur de cette enzyme à des singes, puis à des Hommes, les
chercheurs montrèrent que la progression de la maladie était significativement
ralentie. Les médicaments qui en découlèrent, comme par exemple la séléginine,
est toujours couramment utilisée en pratique clinique pour les formes
débutantes de la maladie, ou au contraire lorsque les effets de la L-dopa
s’estompent. Ils permettent d'augmenter les concentrations de dopamine sans apport exogène -ou de limiter les doses de L-dopa.
De plus, ce modèle animal a permis l’exploration de la piste
« mitochondriale » de la maladie de Parkinson. Il a en effet été
montré, après les découvertes du rôle délétère du MPP sur les mitochondries des
singes, que le fonctionnement des mitochondries
étaient aussi altéré chez l'Homme. Ainsi, peut être que la
maladie de Parkinson proviendrait en partie d’une anomalie de ces petits
organites…
Enfin, le modèle primate de la maladie de Parkinson a permis
de manière plus fondamentale de mieux comprendre les connexions cérébrales
défectueuses impliquées dans la maladie. En particulier, c’est dans ce modèle
que fut étudié l'hyperactivation chez les singes malades d’un petit
noyau cérébral, pas plus gros qu’un grain de riz : le noyau sub-thalamique.
Une fois ce noyau artificiellement lésé, l’état clinique des singes
s’améliorait drastiquement…
La voie était tracé pour Benabid et ses collègues de
Grenoble pour développer une thérapie révolutionnaire : la stimulation
cérébrale profonde -même s'ils ne se basèrent pas sur ces travaux pour découvrir, par sérendipité, cette nouvelle thérapeutique. En inhibant le noyau sub-thalamique des patients de manière
réversible, grâce à une électrode implantée dans les profondeurs de leur
cerveau, celle-ci permet une amélioration clinique absolument
spectaculaire !
Pour finir, il est assez intéressant de noter la ressemblance
frappante entre le MPTP et un pesticide très répandu dans l’agriculture –
encore une fois, merci Monsanto… Et en effet, l’exposition aux pesticides est
considéré comme un facteur de risque de développer une maladie de Parkinson.
Cette dernière est d’ailleurs reconnue comme maladie professionnelle chez les
agriculteurs y ayant été exposé !
Il existe bien sûr d’autres modèles animaux de la maladie de
Parkinson, en particulier chez la souris. Mais, avoue-le, il est quand même
bien plus extraordinaire de développer un modèle animal… A partir de
toxicomanes californiens !
SOURCES :
- Medline Neurologie, 2016
- Langston, J. W. (2017). The MPTP Story. Journal of
Parkinson's Disease, 7(Suppl 1), S11.
- Fox, S. H., & Brotchie, J. M. (2010). The
MPTP-lesioned non-human primate models of Parkinson’s disease. Past, present,
and future. Progress in brain research, 184, 133-157.
- Langston, J. W., & Palfreman, J. (1996). The Case of
the Frozen Addicts: How the solution of an extraordinary medical mystery
spawned a revolution in the understanding and treatment of Parkinson’s disease.
New York, NY: Pantheon. doi, 10.
- Hala, K., Vilhelmova, M., Hartmanova, I., & Pink, W.
(1983). Chronic parkinsonism in humans due to product of meperidine-analog
synthesis. Science, 219(4587), 979-980.