LA PREUVE (MATHEMATIQUE !) DE L'EXISTENCE DE L'ÂME ?!
« Comme Jésus se
trouvait auprès du lac de Génésareth, et que la foule se pressait autour de lui
pour entendre la parole de Dieu, il vit au bord du lac deux barques, d'où les
pêcheurs étaient descendus pour laver leurs filets. Il monta dans l'une de ces
barques, qui était à Simon, et il le pria de s'éloigner un peu de terre. Puis
il s'assit, et de la barque il enseignait la foule. Lorsqu'il eut cessé de
parler, il dit à Simon : avance en pleine eau, et jetez vos filets pour pêcher.
Simon lui répondit : Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien
prendre; mais, sur ta parole, je jetterai le filet. L'ayant jeté, ils prirent
une grande quantité de poissons, et leur filet se rompait. Ils firent signe à
leurs compagnons qui étaient dans l'autre barque de venir les aider. Ils
vinrent et ils remplirent les deux barques, au point qu'elles s’enfonçaient.
Quand il vit cela, Simon Pierre tomba aux genoux de Jésus, et dit : Seigneur,
retire-toi de moi, parce que je suis un homme pécheur. Car l'épouvante l'avait saisi,
lui et tous ceux qui étaient avec lui, à cause de la pêche qu'ils avaient
faite. Il en était de même de Jacques et de Jean, fils de Zébédée, les associés
de Simon. Alors Jésus dit à Simon: Ne crains point; désormais tu seras pêcheur
d'hommes. Et, ayant ramené les barques à terre, ils laissèrent tout, et le
suivirent. »
Luc, 5.1-11
La pêche miraculeuse est un épisode fameux du Nouveau Testament, dont les 4 évangiles racontent la vie de Jésus Christ. C’est suite à ce miracle que Jésus aurait rallié à ses disciples Pierre (ou Simon), Jacques et Jean.
Le poisson deviendra par la suite un symbole fort du
christianisme : les premiers chrétiens de l’empire romain s’en servaient
pour s’identifier à cette nouvelle
religion, dans un contexte qui leur était hostile. Ce symbole avait non
seulement pour origine l’épisode biblique que nous venons de citer, mais aussi
le jeu de mot qu’il constitue en grec ancien, comme l’expliquera Saint Augustin
quelques siècles plus tard :
« Ajoutez à cela
que, si l’on joint ensemble les premières lettres de ces cinq mots grecs que
nous avons dit signifier Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur, on trouvera Ichthus, qui veut dire en grec poisson, nom
mystique du Sauveur, parce que lui seul a pu demeurer vivant, c’est-à-dire
exempt de péché, au milieu des abîmes de notre mortalité, semblables aux
profondeurs de la mer. »
Saint Augustin, La cité de Dieu
L’histoire commune entre sciences et religions a souvent été
conflictuelle : nous avons tout de suite en exemple le célèbre procès de
Galilée au 17ème siècle, forcé de réfuter ses théories devant ses
juges chrétiens. Ce conflit existe toujours aujourd’hui à travers les discours
créationnistes par exemple.
Mais il ne faut pas non plus imaginer les religions comme
des oppresseurs perpétuels du progrès scientifique : prenons comme exemple
la fabuleuse émulsion intellectuelle à Bagdad au cours du califat abbasside au
10ème siècle, les progrès d’alors en médecine, ou en mathématiques !
Même Galilée a fini par être réhabilité par le Pape Jean-Paul II.
Il ne faut pas voir non plus la science comme l’assassin
d’un sentiment religieux. Une telle cohabitation entre science et religion est bien
possible au sein d’un même individu : de grands scientifiques ont aussi
été très pieux. Le meilleur exemple est certainement René Descartes, dont
l’apport à la philosophie et à la science n’est pas à prouver et qui était par
ailleurs quelqu’un de profondément croyant.
Tout le monde connait son fameux « Je pense, donc je
suis », qui identifie notre existence à notre pensée et qui définit l’Homme
comme un être pensant. Son Cogito
implique une séparation nette entre l’âme immatérielle et le corps géométrique,
doctrine philosophique que l’on appelle le dualisme.
Cependant, l’âme et le corps ne peuvent demeurer constamment
dissociés. L’âme commande le corps. Il faut donc trouver une articulation entre
ces 2 dimensions a priori incompatibles : Descartes la placera dans la glande pinéale, située à la base du
cerveau.
Selon Descartes, c’est à ce niveau, juste entre les 2 hémisphères cérébraux, que siège l’âme humaine.
Bien entendu, il ne put jamais prouver cette affirmation.
Mais avec les moyens dont nous disposons aujourd’hui, pouvons-nous tirer cela
au clair ? Pouvons-nous étudier ce domaine aussi mystérieux et insondable
que l’âme humaine ?
En 2009, des chercheurs américains et allemands tentèrent
une expérience incroyable. Leur but : déterminer si, même après la mort,
une région du cerveau demeure fonctionnelle ; si, même après la mort,
quelque chose subsiste.
Pour cela, ils mirent en place un protocole déroutant :
ils placèrent un individu décédé dans une IRM fonctionnelle, une machine
capable de détecter les activations du cerveau. Alors que le cadavre reposait
dans la machine, ils passèrent devant ses yeux ouverts et vides des images de
visages humains…
Et là, incroyable : une activité cérébrale fut
détectée ! L’image n’était pas assez précise pour déterminer dans quelle
aire cérébrale avait lieu cette activation, mais le fait était clair : une
activation cérébrale était détectée quand bien même il était certain que
l’individu était décédé. Et que cela pouvait-il bien représenter, si ce n’est
l’âme humaine ?
Descartes avait-il raison, le siège de l’âme est-elle cette
petite protubérance cérébrale, la glande pinéale ?
Enfin… chez l’Homme ? Excusez-moi, il me semble que
j’ai oublié de vous préciser que cette expérience se déroulait non pas sur un
Homme décédé… Mais sur un saumon.
![]() |
Image tirée de l'article de Benett and col. 2009. On y voit bien la silhouette d'un saumon et les artéfacts d'activation au niveau de son cerveau. |
Trêve de plaisanterie, et analysons ce bon gros fake cérébral.
Tout d’abord, un titre accrocheur : l’existence de
l’âme ! Un sujet mystérieux pour la plupart d’entre nous. Une bonne
accroche putaclic ! Ensuite, une
transition toute en douceur au cours des premiers paragraphes de l’article, de
la religion qui ne semble au final pas si incompatible que cela avec la
science, et la preuve à travers Descartes qu’un esprit brillant peut coexister
avec un esprit pieux –et peut être même le magnifier. Tout cela pour arriver à
cette étude -qui a réellement existé, mais qui s’attachait à prouver quelque
chose de bien plus rationnel, nous allons le voir.
Il est par ailleurs intéressant de noter qu’aucune
information dans les paragraphes précédents n’est fausse : seule l’articulation
entre les différentes idées est fallacieuse.
Enfin, dans le titre, ce mot « mathématique » qui
fait sérieux, scientifique, objectif. « Ah oui, si c’est une preuve
mathématique c’est forcément que c’est quelque chose de précis, d’immuable ! »
Car si la solution de ce fake
est bien mathématique, c’est au contraire pour en dénoncer les interprétations
que l’on peut en faire !
En biologie (et plus généralement en sciences), il est
impossible pour les chercheurs de travailler sur la population générale :
pour savoir si une théorie est vraie pour tous les Hommes, la meilleure
solution est encore de la tester sur tous
les Hommes. Pour pallier cette impossibilité, les scientifiques
sélectionnent des échantillons représentatifs de la population, et se
permettent d’extrapoler leurs résultats à la population générale. Exactement de
la même manière que les sondages en politique.
Si je veux savoir exactement la proportion de français qui
vont voter pour Macron ou pour Le Pen dimanche, je devrais attendre le soir des
résultats, lorsque les résultats portant sur l’ensemble de la population seront
dévoilés. Avant cela, je peux tenter de prédire cette proportion à partir d’un
petit groupe de personnes que j’interroge et que je pense être représentatif de
la population générale : c’est le sondage.
Les sondages diffèrent souvent légèrement de la réalité. Mis
à part les biais parfois important dans le recrutement de leur sujets (et donc
un échantillon qui ne serait alors pas représentatif de la population générale),
cela est en partie dû au fait qu’un échantillon (correctement sélectionné)
n’est jamais totalement représentatif : il existe une variabilité. C’est pour cela que les instituts de sondage avancent
toujours des fourchettes (appelés intervalles de confiance en statistiques),
reflet d’une nécessaire incertitude.
Tout cela pour vous illustrer qu’il existe une nécessaire
notion d’incertitude dans la recherche scientifique.
Lors d’une acquisition IRM d’un cerveau, celui-ci est divisé
en centaines de milliers de petites unités élémentaires de volumes : les voxels, extension de la notion de pixel
de votre télé, mais en 3D. Des petits Apéricubes cérébraux, si vous voulez. A chaque voxel est affecté une valeur, qui témoigne
de son activation plus ou moins forte.
Le travail des chercheurs, comme dans l’étude dont nous
avons parlé plus haut, est alors de déterminer, au niveau de chaque voxel, si
celui-ci est activé ou pas. Ils ont donc à trancher entre 2 hypothèses :
« le voxel est activé » versus
« il ne l’est pas ». Pour cela, ils vont effectuer un test
statistique.
Le but de notre test diagnostic est de calculer la
probabilité d’observer la valeur du voxel en question si l’on prend comme a
priori que le voxel n’est pas activé. Le test diagnostic débute donc par un
« pari » sur l’une des 2 hypothèses –que l’on appelle l’hypothèse
nulle, ici « le voxel n’est pas activé ».
A la fin du test, on obtiendra, pour chaque voxel du
cerveau, la probabilité sous l’hypothèse nulle qu’on aurait d’avoir les valeurs
que l’on observe.
Or, il s’avèrera que pour certains voxels, la probabilité
que l’on aura calculée sera très faible. La question qu’il faut alors se poser est
de déterminer le seuil à partir duquel on va considérer qu’il est improbable
que l’hypothèse nulle soit vraie pour le voxel en question.
Le seuil proclamé en biologie est de 5%. Il peut
s’interpréter comme suit : « Si l’hypothèse nulle est vraie et donc que ce
voxel n’est pas activé, je n’aurais que 5% de chance d’observer la valeur que
j’y ai mesuré. C’est une probabilité très faible, tellement faible qu’en fait
je pense que ce voxel est en réalité activé. J’ai fait une erreur en pariant
sur l’hypothèse nulle. Je la rejette donc et je conclu que le voxel est activé. »
Ainsi donc, si la probabilité d’observer une mesure dans un
voxel a priori désactivé est inférieure à 5%, il faut considérer que
l’hypothèse admise est fausse, et que le voxel est en réalité activé :
nous rejetons la première hypothèse, qui n’a pas passé l’épreuve du feu, et
acceptons la seconde –que l’on appelle justement l’hypothèse alternative.
Bien entendu, vous l’aurez remarqué, ce n’est pas parce
qu’un évènement est très peu probable que l’hypothèse nulle est constamment
fausse. Le voxel peut tout de même être inactivé même si la valeur qui lui est
attribuée rend la chose peu probable.
C’est pour cela que si l’on fait 100 fois ce test
statistique avec un seuil de 5%, nous trouverons en moyenne 5 voxel activés qui
ne le sont pas nécessairement. Cinq fois sur 100 nous conclurons à un voxel
activé alors qu’il ne l’est en réalité pas.
Et c’est là que réside la clé de notre problème : le
cerveau est divisé en plus de 100 000 voxels : il est donc nécessaire
de répéter ce test statistique 100 000 fois !
Ce n’est donc pas étonnant de détecter des voxels activés,
quand bien même aucun ne l’est ! Et d’aboutir à des résultats aussi
absurdes qu’une activité cérébrale mesurée chez un saumon mort.
Fort heureusement, il existe des solutions mathématiques
pour limiter ce type d’erreurs. C’est d’ailleurs pour démontrer leur utilité
(que dis-je, leur nécessité) que les 4 chercheurs avaient placé leur saumon
mort dans l’IRM : en appliquant ces corrections, ils ne détectaient plus
aucune activité cérébrale.
Ces corrections ne sont pas toujours appliquées dans les
résultats de certaines études –mais cela est toujours précisé par les
chercheurs !
Quelles leçons tirer de cet article ?
Premièrement, toujours faire fonctionner son scepticisme et
son esprit critique : une personne qui vous avance une preuve scientifique
à une question religieuse (« Dieu existe-t-il ? ») est un
charlatan. Le domaine de la religion est inaccessible à la science et vice
versa.
Deuxièmement, les résultats scientifiques ne sont jamais
certains, en particulier en biologie, en grande partie du fait de la grande
variabilité des individus. C’est pour cela qu’une étude seule ne vaut pas
grand-chose tant que ses résultats n’ont pas été répliqués de manière
indépendante. Il s’agit là d’une étape nécessaire pour commencer à avoir des
certitudes. Une théorie scientifique est toujours considérée comme vraie
jusqu’au moment où elle est contredite par l’expérience. La vocation d’une
théorie scientifique est donc d’être un jour réfutée. La science ne cherche pas
le vrai, mais le vérifiable.
Enfin, que les scientifiques ne sont pas dénués d’humour –un
humour potache qui les conduit à élaborer une expérience d’IRM fonctionnelle
sur un saumon mort !
SOURCES :
- Bennett,
C. M., Miller, M. B., & Wolford, G. L. (2009). Neural correlates of
interspecies perspective taking in the post-mortem Atlantic Salmon: An argument
for multiple comparisons correction. Neuroimage, 47(Suppl 1), S125.
- IRM fonctionnelle :
QUELQUES IDEES SUR LE TRAITEMENT
STATISTIQUE DES DONNEES, ENS Lyon