HEP TAXI ! GPS CONTRE NEUROSCIENCES
John Hunter (1728-1793) |
Dans les années 1780, John Hunter est déjà un chirurgien
talentueux et reconnu, membre de la Société royale de médecine anglaise. Après
avoir étudié les blessures par armes à feu et les maladies vénériennes, et sans
doute influencé par son frère obstétricien, il s’intéresse de près à la
procréation.
Depuis 10 ans déjà, les médecins savent qu’il est nécessaire
d’avoir un spermatozoïde et un ovule pour cela. En 1780, un prêtre italien,
Spallanzani, observe la fécondation d’un ovule par un spermatozoïde et réalise
la première insémination artificielle chez une chienne : il dépose le
sperme d’un mâle au fond du vagin d’une chienne pour provoquer une fécondation.
Neuf ans plus tard, l’expérience est reproduite chez
l’Homme, et c’est le fruit du travail de John Hunter –il laissera d’ailleurs
son nom à la postérité pour cela.
L’anglais eu des élèves qui deviendront célèbres, et notamment
Edward Jenner qui n’inventa ni plus ni moins que la vaccination en 1796.
John Hunter fut un brillant scientifique, mais aussi un
vulgarisateur dévoué qui dévolu une grande partie de sa fortune à la création
d’un musée dans lequel il y exposerait toutes les pièces anatomiques (animales à
l’origine) qu’il avait accumulé au fil de sa vie. Ledit musée fut inauguré dès
1799 en plein cœur de Londres.
Il s’y trouve toujours actuellement, et il est possible de
le visiter ! Cependant, je conseillerai aux âmes sensibles d’éviter ce
pèlerinage, car si la vue d’outils chirurgicaux n’est pas particulièrement
choquante, celle de nouveau-né conservés dans des bocaux de formol peut l’être
un petit peu plus !
Vous aurez bien d’autres choses à faire dans la capitale
anglaise. Le Parlement, Big Ben, la Tamise et le Tower Bridge, se prendre en
photo devant des cabines téléphoniques… et prendre le taxi bien sûr !
Quoi de plus typique que les « Black Cab »
londoniens ? Il inspira nombre de cinéastes et d’auteurs. Ils sont
d’autant plus appréciables qu’ils inspirèrent aussi certains
neuroscientifiques…
L’hippocampe est une structure profonde du lobe temporal qui
est absolument essentielle à notre mémoire. Il est particulièrement impliqué
dans l’acquisition de nouveaux souvenirs : il encode puis consolide le
souvenir avant de le « stocker » à une adresse bien précise, quelque
part sur le cortex.
L'hippocampe est une structure située dans les profondeurs du lobe temporal, qui a un rôle essentiel dans l'acquisition de nouveaux souvenirs. |
Ainsi, lorsque les 2 hippocampes d’un individu sont lésés,
il ne peut plus acquérir de nouveau souvenirs mais est toujours capable de se
rappeler de sa vie passée. On peut aussi constater le rôle de l’hippocampe dans
la maladie d’Alzheimer dans laquelle l’amnésie (antérograde) est l'un des
symptômes majeurs.
A ce propos, il est important de noter que, contrairement à
ce que beaucoup croient, la maladie d’Alzheimer n’est pas une pathologie de la
mémoire. C’est une maladie qui touche l’ensemble du cerveau, mais qui affecte
les hippocampes de manière précoce : c’est pour cela qu’on diagnostique la
maladie sur des problèmes de mémoire. Ensuite, la maladie diffuse fatalement à
l’ensemble du cerveau, affectant les autres fonctions cognitives, et aboutissant
fatalement à la mort.
L’hippocampe est de plus une structure particulièrement
impliquée dans la navigation et la mémoire spatiale –le fait de pouvoir
s’orienter et retrouver son chemin. Chez certaines espèces d’oiseaux comme le
geai, l’hippocampe est particulièrement développé. Ces oiseaux ont la
particularité de cacher des dizaines de milliers de graines (plus de 25 000
dans plus de 2500 cachettes différentes !) pendant l’été pour pouvoir
ensuite survivre au cours des durs mois d’hiver. Leur mémoire est prodigieuse,
proportionnellement à leur hippocampe bien
plus volumineux par rapport à d’autres oiseaux de même gabarit.
Un hippocampe plus gros semble donc lié à de plus grandes
capacités de mémoire et d’orientation spatiales, en tout cas chez le geai.
Mais qu’en est-il chez l’Homme ?
Il semble impossible en pratique de former de manière
objective 2 groupes de personnes sur le critère d’un bon un d’un mauvais sens
de l’orientation –même si les plus mauvaise langues me diront qu’il suffirait
simplement de séparer les hommes des femmes, mais non, je ne me rabaisserais
pas à ce genre d’humour sexiste et misogyne sur ce blog.
Une équipe de chercheurs londoniens eurent un jour le
déclic : pourquoi ne pas utiliser comme groupe test les chauffeurs de
taxi ? En effet, il faut savoir que l’évaluation d’admission des
chauffeurs de taxi londoniens est particulièrement drastique : pour être
reçu dans ce cercle très restreint, il faut avoir préalablement et
rigoureusement appris par cœur l’ensemble des rues du centre-ville de Londres
–ce qui représente tout de même 25 000 rues !
Dur de plancher sur les 25000 rues londoniennes... |
Ainsi, de la même manière que les geais doivent retenir
l’emplacement de 2500 cachettes pour survivre pendant l’hiver, les aspirants
taxi(wo)mens doivent patiemment apprendre les 25 000 rues de la capitale
anglaise pour avoir l’honneur de prendre le volant d’un Black cab. Elles/Ils peuvent
donc être considérés, à l’instar de leurs homologues oiseaux, particulièrement
doué pour la navigation spatiale !
Ces scientifiques ont donc cherché à savoir s’il existait
des différences entre le cerveau des conducteurs de taxi et celui du commun des
mortels. Pour cela, ils ont utilisé l’IRM qui permet de visualiser avec une
grande précision le cerveau.
Leurs analyses montrèrent que le volume de seulement 2
régions dans l’ensemble du cerveau diffère entre les chauffeurs de taxi et les
personnes lambda : l’hippocampe droit et l’hippocampe gauche. Ce qui avait
été observé chez le geai est donc aussi vrai chez l’Homme : meilleure est
sa navigation spatiale, plus gros sera son hippocampe !
Mais, étonnement, ces variations de volumes ne sont pas
uniformes : si la partie postérieure de l’hippocampe est bien plus grosse
chez les taxi drivers, la partie
antérieure est au contraire plus grosse chez les individus lambda ! Comment
expliquer cela ?
Selon les auteurs de l’étude, ces 2 observations ne
résulteraient pas de phénomènes indépendants mais d’une réorganisation des
circuits neuronaux de l’hippocampe. En effet, c’est la partie postérieure de
l’hippocampe qui est connue pour être impliquée dans la navigation spatiale, et pas
la partie antérieure. Le besoin accru des chauffeurs de taxi dans ce domaine
très spécifique entraînerai une réorganisation de l’hippocampe qui renforcerai
sa partie postérieure au détriment de sa partie antérieure.
De fait, plus les taxi
drivers sont expérimentés, plus leur hippocampe postérieur est volumineux
et plus leur hippocampe antérieur est petit !
Ainsi donc, les individus ayant un très bon sens de
l’orientation ont un hippocampe (postérieur) plus développé, ce qui est, nous
l’avons vu, pas très étonnant car c’est cette structure qui gère la navigation
et la mémoire spatiale. Cependant, une question se pose toujours : est-ce
que c’est la profession qui provoque une augmentation de la taille de
l’hippocampe, ou est-ce qu’un hippocampe plus gros représente une
prédisposition pour devenir chauffeur de taxi ?
Autrement dit, le volume augmenté de l’hippocampe des taxi drivers est-il inné (c’est-à-dire
présent avant de devenir taximen) ou
acquis (dû à l’exercice de la profession) ? Est-ce la cause ou la conséquence ?
Il faudra attendre 10 ans aux scientifiques londoniens pour
apporter une réponse à ces questions. En 2011, ils publièrent leurs travaux qui
cette fois, ne s’intéressait pas aux chauffeurs de taxi… mais aux candidats qui
postulaient pour le devenir.
Comme nous le disions plus haut, la sélection pour obtenir
le droit de s’installer derrière le volant d’un cab est drastique. Ce n’est qu’après avoir mémorisé les 25 000
rues de Londres que le candidat aura une chance d’être accepté. Il lui faudra
entre 2 et 4 ans pour atteinte « The
Knowledge ».
Les chercheurs anglais suivirent 79 postulants durant leur
long apprentissage. Ils leur firent passer 2 IRM, une au début et une juste après
leur examen, 4 ans plus tard. Sur ces 79 individus, seuls 39 réussirent le
concours.
Existe-t-il une différence entre le cerveau de ceux qui ont
échoué par rapport à ceux qui ont réussi, avant même que leur entrainement ne
commence ? Autrement dit, ceux qui ont été embauchés ont-ils réussi le
concours parce que dès le départ ils possédaient un hippocampe plus volumineux,
et donc plus performant ?
La réponse est non ! Aucune différence n’existe à cet
instant 0 entre les 2 groupes (échec versus
succès 4 ans plus tard), que ce soit dans toutes les tâches de mémoire ou pour
le volume de l’hippocampe ! Encore mieux, il n’existe aucune différence
entre les aspirants taxi drivers et
le reste de la population !
Le fait de vouloir se lancer dans la carrière de taxi driver
n’a donc pas de lien évident avec une prédisposition innée en mémoire spatiale,
et la réussite au concours ne dépend pas non plus de ce type de prédisposition.
Tout le monde part sur le même pied d’égalité !
En revanche, tout le monde n’évolue pas de la même façon au
cours des 4 années d’entraînement. Comme on peut s’y attendre, ceux qui
réussissent le concours ont un hippocampe qui augmente fortement de volume
(reflet de leurs connaissances des rues de Londres qui augmentent elles aussi).
Au contraire, le volume de l’’hippocampe des candidats qui échouent au concours
est lui resté fatalement stable –alors même qu’ils ont passé autant de temps
que les autres à bachoter le plan de Londres !
La réussite au concours de chauffeur de taxi londonien ne
dépend donc pas de prédispositions innées sous-tendues par un volume plus
important de l’hippocampe, mais uniquement de l’apprentissage et des
répercussions qu’il a sur l’hippocampe.
Enfin, non. La réussite peut tout de même être influencée
par des prédispositions innées (génétiques), non pas dans les capacités
mnésiques (de la mémoire) mais pour la plasticité cérébrale. Ainsi, les
candidats malheureux du concours ont sans doute échoué car leur hippocampe n’a
pas pu se développer suffisamment pour emmagasiner la masse faramineuse
d’informations.
Enfin, une dernière interrogation se pose : avec
l’avènement et la généralisation des GPS dans l’ensemble des taxis de la
planète, The Knowledge sera-t-il
bientôt obsolète ? Je doute qu’on puisse répliquer cette étude dans 10
ans ! Peut-être d’ailleurs qu’il n’y aura même plus de chauffeur d’ici là.
Cela pose aussi la question de notre rapport aux
technologies, qui remplace et supplantent peu à peu nos facultés cognitives.
Dans quelle mesure notre mémoire peut encore nous être utile aujourd’hui, dans
la mesure où elle est supplantée (et de loin) par le cloud, nos clé USB et les
GPS ?
SOURCES :
- Laurent Cohen, Pourquoi les filles sont si bonnes en
maths, 2012, Ed Odile Jabob.
- J. C. Ameisen, Sur les épaules de Darwin, Les battements
du temps, 2012, Ed Les liens qui libèrent.
- Maguire,
E. A., Gadian, D. G., Johnsrude, I. S., Good, C. D., Ashburner, J., Frackowiak,
R. S., & Frith, C. D. (2000). Navigation-related structural change in the
hippocampi of taxi drivers. Proceedings
of the National Academy of Sciences,
97(8), 4398-4403.
- Woollett, K.,
& Maguire, E. A. (2011). Acquiring “the Knowledge” of London's layout
drives structural brain changes. Current biology, 21(24),
2109-2114.