NEUROSCIENCES DU DOPPELGÄNGER : LE SYNDROME DE CAPGRAS
Il ne s’attendait certainement pas à ces vacances-là. Alors
que son hydravion se posait au large d’une île paradisiaque où il souhaitait profiter
du farniente et de la plage, il s’aperçut que celle-ci n’était qu’un amas de
détritus : l’île était saccagée et les murs couverts de graffitis.
Pire que cela, les autochtones le désignaient
coupable ! Il fut jugé et condamné à rétablir l’ordre perdus –et les
Soleils qui vont avec.
Super Mario Sunchine
doit être le jeu vidéo qui a le plus marqué mon enfance ! Je pouvais
passer des heures devant ma console à explorer ce monde virtuel.
Au cours de ses aventures, Mario sera vite confronté à son
double maléfique, Antimario, qui lui
ressemble en tout point et qui est en réalité le véritable coupable du chaos de
l’île Delfino. Un individu si semblable au véritable Mario que tous les
habitants de l’île les ont confondus, condamnant un innocent !
Une situation qui illustre parfaitement le mythe ésotérique
du doppelgänger.
Un doppelgänger est un jumeau maléfique qui vous ressemble en tout point, si ce n’est que son
image ne se reflète pas dans un miroir et qu’aucune ombre ne se forme derrière
lui. La ressemblance est telle que souvent, vos proches le confondent avec
votre véritable identité, vous obligeant alors à répondre d’actes que vous
n’avez pas commis…
On en trouve la trace dans les croyances primitives telles
que le Zoroastrisme ou la mythologie égyptienne, mais aussi plus récemment dans
les œuvres d’Edgar Alan Poe, de Dostoïevski ou de Byron.
Mais la situation serait en réalité beaucoup grave que ce
que l’on pense. Croyez-vous être à l’abri de votre doppelganger ? Détrompez-vous !
« Si vous
regardez quotidiennement les séries TV, vous connaissez désormais la terrible
vérité : toute personne sur Terre a son jumeau maléfique (ou doppelganger)
errant autour de soi et se comportant comme un imbécile. Ces doppelgangers sont
ceux qui couchent avec votre meilleur(e) ami(e), volent vos prescriptions médicales
et répandent de malveillantes rumeurs (seulement partiellement vraies !) à
propos de vos pratiques sexuelles. Vous avez un doppelganger, votre chien a un
doppelganger, votre mère a un doppelganger. Tout le monde a un doppelganger,
moi excepté. Il s’avère donc que je suis le doppelganger de quelqu’un
d’autre… »
Steven Humphrey, 25 juillet
2007
Je vous sens déjà frémir devant l’horreur de cette
révélation ! Eh bien, tremblez ! Car il existe une véritable
pathologie psychiatrique qui instille en vous le doute sur chacun de vos
proches, qui vous apparaissent alors comme des sosies, des imposteurs, des
manipulateurs…
Le syndrome de Capgras.
![]() |
Jean-Marie Joseph Capgras (1873-1950) |
En 1923, le docteur Joseph Capgras présente à la Société
clinique de médecine mentale une de ses patientes, souffrant d’un trouble
jusqu’alors jamais décrit. Non seulement elle est persuadée de descendre d’une
grande famille qui réunirait notamment Henri IV et la princesse Eugénie (épouse
de Napoléon III), mais elle est en plus convaincue que des personnes autour
d’elle disparaissent mystérieusement avant d’être remplacées par des sosies…
Son mari rapporta que ce trouble avait débuté il y a plus de
15 ans, lorsqu’elle lui avait déclaré qu’il n’était plus son époux. Depuis
lors, elle avait dénombré plus de 80 sosies qui se relayaient pour le
remplacer.
Ce grand remplacement ne touche pas seulement son entourage proche, mais tous les gens qu’elle
connait. Tout le monde ou presque a des sosies, jusqu’aux médecins et
infirmières qui s’occupent d’elle, à l’hôpital Saint Anne.
Le but de ces sosies, selon elle, est de compromettre et
d’embarrasser les véritables personnes dont ils ont pris la place. Une fois
leur méfait accompli, raconte-t-elle, ils se dérobent et un nouveau double vient
alors les remplacer.
Cette patiente est bien capable de voir la similitude entre
le sosie et le véritable individu, et pourtant elle ne reconnait pas l’homme en
face d’elle comme étant son mari.
« […] partout elle saisit la ressemblance
et partout elle méconnaît l’identité. »
Joseph
Capgras
Au milieu du XXème siècle, les théories psychanalytiques
étaient dominantes et c’est dans ce cadre que Joseph Capgras tenta, avec
d’autres, de comprendre l’origine de ce phénomène. Selon lui, l’illusion des
sosies a pour fonction d’objectiver une expérience angoissante.
Cette expérience angoissante serait notamment la
réapparition du complexe d’Œdipe, normalement refoulé au cours de l’adolescence
selon les théories psychanalytiques. Le complexe d’Œdipe, en accord avec le
mythe, correspondrait à l’attirance sexuelle qu’aurait un enfant envers son
parent du sexe opposé et la jalousie qu’il éprouverait envers celui du même
sexe.
Le patient dont le complexe d’Œdipe resurgit au cours de la
vie adulte ne peut décemment pas l’accepter –la faute à la Censure. Mais il ne peut pas non plus le refouler, et cherche donc à contourner la Censure grâce
à l’illusion des sosies –le nom
originel du syndrome décrit par Gapgras. Cela aurait été le cas pour l’une des
patientes de Capgras, Blanche, dont l’illusion des sosies lui aurait permis de
déclarer ses désirs incestueux envers son père : en étant un sosie, il est
moralement plus acceptable de ressentir une attirance sexuelle envers lui.
Malheureusement pour cette théorie, il a été décrit au cours
du 20ème siècle des cas de syndrome de Capgras portant sur des
animaux de compagnie, en particulier des chiens. A moins qu’il ne s’agisse de
complexes d’Œdipe emprunts de zoophilie particulièrement malsains, cela
invalide cette tentative d’explication.
D’autres psychanalystes pensent que le syndrome de Capras
serait une solution trouvée par le psychisme au problème de l’ambivalence de
nos proches, en les clivant d’une part en un personnage magnifiquement bon, et d’autre
part en un sosie totalement mauvais.
Selon cette théorie, il suffirait donc d’un seul substitut
pour résoudre l’état de tension psychique. Mais souvenez-vous de la première
patiente du docteur Capgras, qui dénombrait pas moins de 80 sosies de son
mari : une nouvelle fois, la vision psychanalytique tient difficilement la
route.
Mais alors, où se trouve l’anomalie dans l’analyse
psychologique, donc cérébrale, de ces patients ? Pour tenter de mieux
comprendre, il peut être utile de mettre en relation le syndrome de Capgras
avec un autre trouble, bien connu : la prosopagnosie.
Sous ce nom bien complexe se trouve un trouble relativement
simple : est atteint de prosopagnosie celui qui est incapable de reconnaître les visages, même parmi les plus familiers : un individu
malade est incapable de discerner le visage de sa mère de celui de son père, de
son fils ou de son meilleur ami… Jusqu’à son propre visage dans un miroir !
Pour pallier ce handicap, le malade mettra en place des stratégies
adaptatives : il identifiera ses proches par rapport à leur voix, leur
démarche, un signe distinctif… Il se placera toujours au même endroit sur les
photos, si bien qu’il pourra se pointer du doigt si on le lui demande.
On peut penser que le dysfonctionnement psychologique de ces
personnes prosopagnosiques réside dans l’analyse cérébrale des visages
perçus : non pas que l’individu ne sache pas reconnaître un visage parmi
d’autres objets, mais qu’il soit incapable de le comparer à une sorte de
« répertoire » des visages de son entourage.
Cette comparaison est nécessaire à la reconnaissance des
visages : c’est à l’issue de celle-ci que l’on ressent un sentiment de familiarité devant le
visage perçu. Elle peut être effectuée par les malades atteints du syndrome de
Capgras. En revanche, ces derniers ne peuvent effectuer l’étape suivante, qui
permet de retrouver les informations personnelles (dont le nom !)
correspondant au visage.
Ainsi, le patient perçoit bien que le visage en face lui est
familier, mais il ne peut l’attribuer à une identité propre :
l’interprétation qu’il en tire est que la personne en question ressemble à l’un
de ses proches, sans en être vraiment un. C’est donc un sosie !
Encore une fois, cette vision des choses ne correspond pas
parfaitement à la réalité, le fait est que les patients atteints du syndrome de
Capgras n’ont pas de déficit d’identification en tant que tel : ils
reconnaissent le sosie, réplique du proche original, comme un être à part
entière. Le trouble est donc bien plus complexe qu’une simple erreur dans
l’attribution d’une identité à un visage.
Mais il est possible d’appréhender ces 2 troubles
(prosopagnosie et syndrome de Capgras) selon une autre approche.
On peut envisager la reconnaissance d’un visage selon que
celle-ci soit consciente ou inconsciente. Alors que la reconnaissance
consciente est, vous vous en doutez, relativement aisée à détecter, il nous
faut s’appuyer sur la mesure de la conductance
cutanée pour tenter d’évaluer une reconnaissance inconsciente d’un visage
connu.
Cette mesure repose sur le même principe du « détecteur
de mensonges », qui « sait » si vous dites la vérité en
mesurant, grosso modo, le taux de
transpiration cutanée.
Il a été montré par certaines études que si les patients
prosopagnosiques étaient incapables de reconnaître consciemment un visage, leur
conductance cutanée variait en fonction de la familiarité du visage qui leur
était présenté, si bien que l’on peut penser qu’une reconnaissance inconsciente
des visages est toujours présente chez eux.
C’est en revanche l’inverse que l’on observe chez les
patients souffrant du syndrome de Capgras : bien qu’ils soient capables de
reconnaitre consciemment un visage (celui du sosie étant le même que celui du
proche usurpé), leur conductance cutanée reste la même, que le visage présenté
soit celui d’un proche ou d’un inconnu. Cette dissociation traduirait une déconnection
entre les réseaux neuronaux d’analyse des visages et le système limbique
émotionnel.
Mais cette théorie psychologique est encore imparfaite et
n’explique pas les fondements neuronaux de ce syndrome. Bien qu’il ait été
décrit et étudiés des cas de syndrome de Capgras post-traumatiques (traumatisme
qui, selon les chercheurs, auraient déconnectés les aires cérébrales
émotionnelles de celles analysant les visages), les connaissances concernant
les dysfonctionnements neuronaux de ce trouble sont encore très floues. Les
lésions cérébrales se recoupent rarement, et les études en imagerie
fonctionnelles ne sont pas très probantes.
Il existe donc beaucoup de travail aux neuroscientifiques
pour éclaircir tout cela !
Quoiqu’il en soit, la nature organique de la maladie fait
peu de doute. Qu’importe l’approche que l’on utilise : après tout, les
pensées ne sont que des neurones.
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SOURCES :
- Bourget, D., & Whitehurst, L.
(2004). Capgras syndrome: a review of the neurophysiological correlates and
presenting clinical features in cases involving physical violence. The
Canadian Journal of Psychiatry, 49(11), 719-725.
- Chloe Wallach. Le syndrome de Capgras : revue de la
litterature et modelisation. Human health and pathology. 2012.