L'HYSTERIQUE EST-ELLE UNE SIMULATRICE ?
Elle souffrait d’une paralysie de la jambe droite, et nous
étions (l’équipe médicale) incapables de trouver la cause de cette paralysie.
Son examen médical ne présentait aucune particularité, son IRM cérébrale et
autres examens étaient strictement normaux.
Tout indiquait qu’elle était en parfaite santé. Mis à part
qu’elle ne pouvait pas marcher.
En sortant de la chambre, un médecin du service m’avait dit
que l’origine de son trouble était surement psychologique… ou alors qu’elle
simulait.
Il existe comme cela diverses pathologies dont les médecins ne
retrouvent pas la cause malgré des examens médicaux très poussés. Nous pouvons
citer la fibromyalgie, les syndromes intestinaux fonctionnels ou encore la
conversion hystérique, dont nous allons parler dans cet article.
On parle pour ces maladies étranges de troubles somatoformes.
Le corps de ces patients fonctionne parfaitement bien –nous
sommes capable de le mesurer grâce à nos examens. Mais quelque chose les
paralyse, les aveugle ou leur fait mal. Quelque chose qui semble venir de leurs
pensées ou de leurs émotions. Ces symptômes, inexpliqués, correspondent selon les
classifications actuelles à la conversion
hystérique.
Que se passe-t-il dans le cerveau lors d’une conversion hystérique ?
Une expérience menée par l’équipe de John Marshall, à
Oxford, nous permet de répondre à cette question.
Il s’est intéressé aux activations cérébrales chez des
patients devenus mystérieusement paralysés du bras gauche.
Le protocole de son expérience est relativement simple à
comprendre. Après avoir placé l’individu dans un appareil de TEP (une technique
d’imagerie qui permet d’observer les activations cérébrales), Marshall leur
ordonnait premièrement de préparer mentalement une action, mettant en jeu soit
le membre paralysé, soit le membre sain. Ensuite, il leur demandait d’effectuer
le mouvement.
Tout cela pour répondre à la question : l’activité
cérébrale pour préparer ou effectuer un mouvement est-elle différente chez les
patients hystériques par rapport à des personnes normales ?
Leurs résultats sont passionnants.
Il n’existe aucune anomalie lorsqu’il est demandé aux
patients hystériques de préparer mentalement un mouvement, même si celui-ci
implique le membre paralysé.
En revanche, lorsque le chercheur demande d’effectuer le
mouvement imaginé, et que celui-ci implique le membre paralysé, le cortex
moteur refuse de s’activer. Contrairement à l’autre bras, qui bouge sans
problème et dont le cortex s’active normalement.
En plus de cela, les chercheurs purent observer une
activation de 2 régions cérébrales supplémentaires chez les patients hystériques : le cortex cingulaire et le cortex orbito-frontal. Il est surprenant
d’observer ces activations car ces 2 régions du cortex préfrontal ne sont pas
impliquées dans le mouvement… mais dans le traitement des émotions.
On peut imaginer que ce sont ces 2 régions qui empêchent le
cortex moteur de s’activer et donc qui bloquent la réalisation du mouvement.
Ainsi, la conversion hystérique (la paralysie) proviendrait
du dérèglement de ces régions émotionnelles, qui en devenant hyperactives,
inhibent le fonctionnement normal du cortex moteur.
De l’émotion à la paralysie, en passant par les
neurosciences, les causes de l’hystérie s’éclaircissent.
Non, je ne joue pas sur les clichés ! |
Quittons le laboratoire de Marshall, traversons la Manche
et allons dans ce merveilleux pays qu’est la Suisse.
C’est là que travaille un des grands spécialistes mondiaux
de la conversion hystérique, Patrik Vuilleumier. En 2001, il publia une étude
très intéressante à propos de 7 patients souffrants d’une paralysie motrice
totalement inexpliquée.
Son étude est particulièrement intéressante car son équipe
s’est attachée à sélectionner des patients indemnes de tout syndrome dépressif
ou autre pathologie psychiatrique. Cela permettant de limiter les biais lors de
l’imagerie : les activations ou inhibitions cérébrales observées ne peuvent être dues
qu’à la pathologie hystérique et pas à une dépression ou un trouble bipolaire concomitant.
Il fit passer à ces patients des IRM fonctionnelles pour
déterminer comment s’activait leur cerveau lorsqu’il stimulait le membre
paralysé avec un vibromasseur (promis, je n’ai pas réussi à trouver de plus approprié…).
Cette stimulation grâce aux vibrations permettait de
stimuler les tendons des muscles et donc le cortex moteur, qui s’activait
malgré la paralysie.
En plus de cela, Vuilleumier mit en évidence un déficit
d’activation de structures enfouies profondément dans le cerveau : les ganglions de la base.
Coupe coronale du cerveau (c'est-à-dire d'une oreille à l'autre, verticalement). On peut y voir les ganglions de la base ("Basal Ganglia") qui forment un entonnoir. |
Les ganglions de la base, ce sont ces structures situées
sous le cortex, cet ‘entonnoir’ essentiel à la réalisation du mouvement, qui
est lésé dans la maladie de Parkinson
par exemple. C’est à leur niveau que se concentrent les informations motrices, sensorielles, cognitives et émotionnelles d’un
mouvement. Ils en proposeront une synthèse au cortex cérébral, qui pourra ensuite ordonner la réalisation du mouvement.
Toute action implique ces différentes composantes : tout
mouvement est teinté d’émotion (lorsqu’on embrasse sa moitié), de sensation
(par exemple la proprioception ou la position de notre corps dans l’espace) et
de cognition.
Ces ganglions de la base fonctionnent moins bien chez les
patients en conversion.
Le chercheur suisse ne s’est pas arrêté là, et a de nouveau
convoqué ces 7 personnes 6 mois plus tard, afin qu’ils participent à la même
expérience, une nouvelle fois. Entre temps, 4 d’entre eux avaient totalement
récupéré de leurs symptômes.
Chez les 3 personnes toujours malades, les résultats étaient
semblables à la précédente IRM, 6 mois plus tôt.
En revanche, chez les personnes guéries, aucune anomalie
n’est retrouvée –que ce soit au niveau du cortex moteur ou des ganglions de la
base ! De plus, l’ampleur des anomalies décrites sur la première IRM fut
proportionnelle à la gravité et à la durée des symptômes…
Cette étude est capitale dans notre compréhension de la
conversion hystérique car elle implique dans la physiopathologie de la
conversion (l’étude des causes de la maladie) des structures essentielles à
toute action volontaire. Des structures à l’interconnexion entre les signaux
motivationnels, émotionnels et moteurs, capitales dans l’exécution du
mouvement.
Il semblerait donc que les symptômes de la conversion
hystérique résultent d’un dérèglement d’une part de régions corticales
impliquées dans les émotions, et d’autres part des ganglions de la base dont le
rôle essentiel est de mélanger, recoder les informations émotionnelles,
motivationnelles et motrices composant un mouvement.
Mais nous n’avons pas apporté de réponse à la première
question que nous nous posions au début de l’article…
L’hystérie est-elle une simulation ?
Faisons le chemin inverse, quittons la Suisse de Vuilleumier
pour retourner en terre verte et plaisante, à Londres. C’est ici que des
chercheurs ont justement testé cette hypothèse chez 2 patients souffrant de
paralysie conversive du bras gauche versus 2 personnes normales qui avaient
pour ordre de simuler une paralysie.
Il est important de préciser ici que les patients, tout comme les simulateurs,
étaient droitiers.
Existe-il, lorsqu’on leur donne l’ordre de bouger le bras
gauche, des activations cérébrales différentes entre ces patients et les
individus normaux qui simulent une paralysie ?
Que ce soit chez les simulateurs ou chez les patients, on
observe une désactivation d’une région du cortex préfrontal.
Sauf que…
Les simulateurs désactivent leur cortex préfrontal droit,
alors que les patients hystériques désactivent leur cortex préfrontal
gauche !
L’activité cérébrales des "simulateurs" diffère de celle des
patients hystériques.
La conversion hystérique n’est pas une simulation !
Le plus intrigant est que l’activité au repos de cette
région du cerveau est exactement la même que pour un individu normal. C’est
seulement lorsque l'on donne l’ordre de bouger le bras que cette région se
désactive.
Ceci est d’autant plus intéressant que le cortex préfrontal
gauche est fortement impliqué dans l’initiation de l’action, dans la volonté de
mouvement.
La conversion hystérique ne serait donc pas un trouble
moteur, mais un trouble de l’initiation du mouvement. Il ne s’agit pas d’un
patient qui "ne peut pas" bouger, mais qui "ne peut pas vouloir" bouger !
« The patient says
“I cannot”; it looks like “I will not”; but it is “I cannot will” »
(Paget, 1873)
La conversion hystérique n’est pas une paralysie, ni même un
problème de programmation de l’action motrice. Il s’agit d’un trouble de la
volonté de mouvement –ce que l’on appelle la volition.
Il faut cependant prendre les résultats de cette étude avec
beaucoup de précaution, notamment car les patients sont tous deux dépressifs.
Il existe un biais potentiel a propos de ces observations qui nous empêchent
d’en tirer des conclusions définitives.
En plus de cela, nous pouvons nous poser la question de la
comorbidité des syndromes dépressifs et convertifs, l’un allant souvent de pair
avec l’autre. Existe-t-il une cause cérébrale commune à ces 2
pathologies ?
Pour étudier les fondements cérébraux de la conversion
hystérique, il est nécessaire que nous connaissions davantage ceux des autres
pathologies psychiatriques qui peuvent se retrouver chez les mêmes patients.
Il existe encore beaucoup d’autres théories pour tenter de
comprendre la conversion hystérique. On peut par exemple citer la théorie de la
déconnection calleuse ou celle du trouble de la conscience.
En résumé, nous pouvons aujourd’hui dire que la conversion
hystérique résulterai d’un dysfonctionnement cérébral et en particulier du cortex
moteur (pour les cas de paralysie hystérique) du au dérèglement de certaines
régions corticales impliquées dans le traitement des émotions. Celui-ci aurait
comme origine un évènement traumatique qui, chez des personnes prédisposées,
peuvent engendrer un état attentionnel ou un stress pathologique.
Quoiqu’il en soit, nous ne devons pas perdre de vue la
réalité de cette pathologie, chose que certains scientifiques ont parfois
tendance à faire dans leur critique de la psychanalyse notamment. Ne jetons pas
le bébé avec l’eau du bain. Freud a fondé la psychanalyse sur l’hystérie, cela
ne veut pas dire qu’il faille nécessairement se débarrasser des 2 à la fois.
« Hysteria is a
real disease, but a mental disease. »
James, 1896
SOURCES :
- Vuilleumier,
P. (2005). Hysterical conversion and brain function. Progress in brain research, 150, 309-329.
- Spence,
S. A., Crimlisk, H. L., Cope, H., Ron, M. A., & Grasby, P. M. (2000).
Discrete neurophysiological correlates in prefrontal cortex during hysterical
and feigned disorder of movement. The Lancet, 355(9211), 1243-1244.