SKHIZEIN
ATTENTION : Spoiler dans les prochains paragraphes
(Shutter Island et Fight club).
Au cinéma, le rôle du fou-schizophrène ne rentre que dans 2 cases bien exigües : celle du fou meurtrier ou celle de la victime incomprise. Prenons Shutter Island, sorti en 2010 où Leonardo Dicaprio incarne un flic envoyé enquêter sur une île-prison, et Fight Club, dans lequel Edward Norton (et Brad Pitt… ou les deux) créé(ent) un club de combat illégal. Deux films où le héros est schizophrène. Deux films où la schizophrénie est réduite… à la double personnalité. Ainsi Edward Norton est aussi Brad Pitt, Dolores Chanal est Rachel Solando, et Andrew Laeddis, Edward Daniels. Gros bordel.
Un grand merci à Lana de schizo-blog pour la relecture de l'article ! (le lien de son blog est dans les sources) :)
La schizophrénie. Un nom que tout le monde connaît, mais une
maladie cernée par peu de personnes.
Au cinéma, le rôle du fou-schizophrène ne rentre que dans 2 cases bien exigües : celle du fou meurtrier ou celle de la victime incomprise. Prenons Shutter Island, sorti en 2010 où Leonardo Dicaprio incarne un flic envoyé enquêter sur une île-prison, et Fight Club, dans lequel Edward Norton (et Brad Pitt… ou les deux) créé(ent) un club de combat illégal. Deux films où le héros est schizophrène. Deux films où la schizophrénie est réduite… à la double personnalité. Ainsi Edward Norton est aussi Brad Pitt, Dolores Chanal est Rachel Solando, et Andrew Laeddis, Edward Daniels. Gros bordel.
La schizophrénie, ce n’est pas ça.
Ces 2 films sont absolument géniaux, mais il faut avouer
qu’ils renvoient une caricature extraordinairement réductrice de la schizophrénie.
Si l’on ouvre un manuel de psychiatrie, on lira que la
schizophrénie est une pathologie psychiatrique caractérisée par 3 syndromes distincts.
Un syndrome dit positif, qui regroupe
essentiellement les hallucinations (surtout auditives) et le délire (qu’il soit
mystique, persécutif ou autre). Un syndrome dit négatif car définit par un ralentissement/déficit cognitif, un
émoussement affectif, une sensation de fatigue profonde. Et enfin un syndrome dissociatif : une
incohérence du discours et du cours de la pensée du patient, et une
dissociation entre les idées et les affects –c’est-à-dire entre les idées et
les émotions ressenties par la personne.
Mais la schizophrénie, ce n’est pas uniquement cela non
plus.
C’est avant tout un ressenti par le patient, une souffrance
et un isolement affectif profond. Les patients schizophrènes sont bien trop
souvent dépressifs et anxieux. Bien trop tentent de se suicider –plus de la
moitié des patients schizophrènes !! Tout cela à cause de la maladie, en
partie, mais aussi à cause de leur stigmatisation dans notre société.
N’oublions pas que derrière les mécanismes biologiques, les
démonstrations scientifiques, il y a des êtres humains qui souffrent.
On ne connaît pas encore bien les causes de la maladie. Le
modèle généralement admis repose sur des interactions entre des facteurs
génétiques et des facteurs environnementaux. Ainsi, les neuroscientifiques ont
depuis plusieurs décennies découverts un certain nombre de gènes qui augmenteraient
le risque d’être malade. Aucun de ces gènes ne cause directement la maladie
–insistons lourdement là-dessus. Ils augmentent simplement le risque.
Ces facteurs génétiques sont de surcroit très hétérogènes (c’est-à-dire
très variés), à pénétrance incomplète (même
en étant présent, ils ne s’expriment pas forcément chez tout le monde), et
peuvent se transmettre sur un mode récessif ou dominant.
Une équipe américaine s’est intéressée à ces facteurs
génétiques durant les années 90. Elle a étudié le génome de 9 familles de
schizophrènes pour déterminer s’il existait des variations génétiques chez les
patients schizophrènes et leurs apparentés.
Plus précisément, et c’est là l’originalité de leur démarche,
ils n’ont pas cherché de lien entre la maladie et le génome, mais entre un
symptôme de la maladie et le génome.
La majorité des études se contentent en effet d’associer une
certaine variation génétique à la maladie, mais sans prouver de manière précise
l’action de cette variation génétique dans la maladie. Dans l’étude présentée
ici au contraire, les chercheurs se sont focalisés sur un symptôme très spécifique,
basé sur l’EEG –l’électroencéphalogramme,
qui permet d’enregistrer l’activité électrique de notre cerveau-, et ont tenté
de trouver la cause génétique de ce symptôme.
Plutôt que de démontrer un simple lien entre un gène et la
schizophrénie, ils ont tenté d’expliquer génétiquement une des signatures EEG
de la maladie.
Cette signature EEG correspond à une onde positive observée
500ms après la présentation d’un stimulus auditif : la P50. Cette P50 a la particularité d’être
différente lorsqu’on écoute un son pour la première fois, ou si le son se
répète. Son amplitude décroit avec la répétition du stimulus auditif.
A l’instant où j’écris cet article, il y a une horloge juste
à côté qui produit un tic-tac incessant. Je m’en suis bien rendu compte en
rentrant dans la pièce, mais suis vite passé à autre chose pour me concentrer
sur cet article. Le tic-tac est toujours là, mais je ne l’entends pas. D’une
part parce que mon attention n’est plus focalisée dessus, mais aussi parce que
mon cerveau sait que ce n’est pas un stimulus pertinent pour moi. En bref, mon
cerveau fait le tri entre les stimuli importants et ceux dont il n’a rien à
faire.
C’est un principe similaire que représente la P50 :
elle représente les processus pré-attentionnels qui s’appliquent à un stimulus
sensoriel.
Lorsqu’on fait écouter à un individu normal 2 sons identiques
à la suite (des "clics" le plus souvent dans les expériences), l’amplitude de la seconde P50 est au moins 2 fois plus petite que
la première. Si l’on fait le ratio des deux, on obtient donc un rapport
inférieur à 0,5.
Au contraire, chez un individu schizophrène, l’amplitude de
la seconde P50 ne varie pas ou peu vis à vis de la première. Si l’on fait le
rapport entre les deux, on trouve une valeur proche de 1.
On approche ici une nouvelle caractéristique de ces
patients : leur cerveau a beaucoup de mal à trier les informations qui
leur arrivent en permanence.
Le cerveau fait constamment ce tri. Lorsqu’on prend le métro
et qu’on lit un bouquin ou qu’on est sur notre portable, nous n’entendons pas
nos voisins discuter (enfin, tout dépend des voisins), ni le bruit du train.
Nous ne voyons pas la personne assise en face de nous tousser ou se gratter le
nez. Parce que notre cerveau fait le tri entre ce qui est pertinent –notre
portable, quelqu’un qui tombe- et ce qui ne l’est pas.
Imaginez un instant que ce ne soit pas le cas. Que vous
soyez d’un coup réceptif à tous les stimuli de votre environnement, toutes les
discussions de la rame, les bruits, les mouvements de chacun des passagers du
wagon.
Le cerveau d’une personne schizophrène a bien souvent du mal
à faire ce tri, et le malade est submergé par toutes ces informations qui
arrivent toutes à sa conscience. Une angoisse terrible !
Les chercheurs américains, grâce au séquençage du génome des
différents membres des 9 familles étudiées, ont pu mettre en évidence qu’une
partie du chromosome 15 était commune à tous les patients schizophrènes ayant
cette anomalie de la P50.
Cette région du chromosome 15 contient notamment le gène
codant un récepteur nicotinique répondant au doux nom de récepteur nicotinique α7. Ce gène est particulièrement intéressant
car certaines études ont montré qu’il était impliqué dans les processus mettant
en jeu la P50.
Ainsi, lorsque les patients schizophrènes sont soumis à une
forte dose de nicotine -par exemple lorsqu’ils fument…- les anomalies de la P50
disparaissent…
La proportion de fumeurs chez les personnes schizophrènes
est plus élevée que dans le reste de la population.
Les facteurs génétiques comme ceux dont on vient de parler
ne suffisent pas à induire la maladie. Pour cela, il faut qu’ils interagissent
avec des facteurs environnementaux. Un des facteurs les plus importants est la
consommation de cannabis à l’adolescence.
La consommation de cannabis chez un individu génétiquement
favorisé augmente fortement le risque de développer une schizophrénie.
Assimilons-nous à un bateau. Comme tous les bateaux, nous
avons une quille qui plonge plus ou moins profondément sous l’eau. Cette
quille, c’est notre prédisposition génétique à la maladie, plus ou moins
importante –plus ou moins profonde- en fonction de nos gènes propres.
Nous naviguons donc tranquillement sur l’océan de nos vies
–mais quelle poésie !- en passant de temps à autre au-dessus de récifs.
Ces récifs, parfois peu profond, représentent la consommation de cannabis -ou
tout autre facteur favorisant.
Ainsi, pour beaucoup de bateaux –je rappelle que nous sommes
des bateaux-, dont la quille est peu profonde, cela ne pose aucun problème de
passer au-dessus de ces récifs. En revanche, les bateaux qui ont une quille
profonde –et donc une forte prédisposition génétique- heurtent les rochers :
la maladie apparaît.
C’est l’alliance des ces 2 facteurs, génétique et
environnemental, qui induit la maladie.
La schizophrénie concerne tout le monde : elle touche
près d’un pourcent de la population en France. Dix pourcent des français sont
considérés à risque de développer la maladie –cela fait tout de même 6 millions
de personnes !
Pour terminer, je vous invite à regarder ce court métrage
que je trouve magnifique et très poétique, réalisé par Jérémy Clapin en 2008,
et qui donne son nom à l’article que vous venez de lire :
Skhizein
SOURCES :
- Freedman, R., Coon, H., Myles-Worsley,
M., Orr-Urtreger, A., Olincy, A., Davis, A., ... & Rosenthal, J. (1997).
Linkage of a neurophysiological deficit in schizophrenia to a chromosome 15
locus. Proceedings of the National Academy of
Sciences, 94(2), 587-592
- https://blogschizo.wordpress.com/category/ma-schizophrenie-en-bref/