DES BASKETTEURS MEILLEURS QUE LEUR COACHES !
Nous sommes le 17 septembre 2015, aux alentours de 22h30. A
Villeneuve d’Ascq. Demi-finales du championnat d’Europe de basket.
Le dernier quart temps arrive bientôt à son terme. Après un
match de grande qualité de la part des 2 équipes, la France est menée de 3
petits points par l’Espagne. Mais à 16 secondes de la fin, Nicolas Batum surgit
et marque dans un angle fermé. Nous aurons droit à une prolongation !
Le scénario se répète et une fois de plus, la France est
menée de 2 points dans les ultimes secondes, jusqu’à ce qu’on obtienne 3
lancers-francs, sur la dernière action du match ! Batum, celui qui nous
avait sauvés quelques minutes plus tôt, se place dans la tête de raquette. Se
concentre, regarde le panier, s’élance et… Ma télé s’éteint !
L’art de rendre l’âme au bon moment !
Mais… j’ai l’impression que ce shoot partait bien, je le
sens bien !
Vous n’imaginez pas quelle fut ma déception ensuite. Batum
rata les 3 lancers-francs. L’Espagne nous élimina aux portes de la finale.
Pourtant j’étais sûr qu’il allait marquer…
Sans doute que s’il était arrivé pareille mésaventure devant
sa télé à Joachim Noah–un joueur français absent lors de cet Euro-, il aurait pressenti
que le shoot était mauvais et n’aurait pas eu cette cruelle désillusion ensuite…
Mais… Est-on sûr qu’il aurait été meilleur pour prédire
le résultat du shoot ?
Une étude publiée dans la revue Nature Neuroscience en 2008
peut nous aider à répondre. Les chercheurs italiens à l’origine de cette étude
se sont posé les questions suivantes : un joueur de basket professionnel
est-il meilleur que son coach ou qu’un commentateur sportif pour prédire le
résultat d’un lancer-franc ? Leurs cerveaux analysent-ils l’action de la même
manière ?
Pour y répondre, ils ont convoqués 4 types de
personnes : des basketteurs professionnels, des coaches, des commentateurs
TV et des ploucs… eu pardon, des novices –que je suis- en basket.
Ils leur ont fait voir des vidéos de lancers-francs, en la
coupant à différents instants, plus ou moins tôt, mais toujours avant que l’on
puisse voir le ballon entrer –ou pas- dans le panier.
A chaque fois que la vidéo s’arrêtait, les sujets de
l’expérience devaient tenter de prédire le résultat du shoot : in, out,
ou « je ne sais pas ».
Bien entendu, lorsque la vidéo s’arrête très précocement, la
majorité des individus –qu’ils soient basketteurs, coach ou plouc- est indécise
et répond « je ne sais pas ».
Rapidement, les basketteurs pro obtiennent des taux de
bonnes réponses proches des 90%, même lorsque la vidéo montre uniquement le
mouvement du joueur et pas la trajectoire de la balle. Les coaches n’ont pas
non plus nécessairement besoin de visualiser la trajectoire de la balle, mais
leur taux de bonnes réponses est moins bon que ceux de leurs basketteurs.
Au contraire, les taux de bonnes réponses chez les novices progressent plus doucement, et il leur est nécessaire de visualiser toute la trajectoire de la balle pour déterminer avec la même précision que les basketteurs le succès –ou l’échec- du shoot.
Au contraire, les taux de bonnes réponses chez les novices progressent plus doucement, et il leur est nécessaire de visualiser toute la trajectoire de la balle pour déterminer avec la même précision que les basketteurs le succès –ou l’échec- du shoot.
Les basketteurs sont donc meilleurs que leur coaches.
Noah aurait été meilleur que moi pour prédire l’échec du
lancer-franc de Batum.
Mais pourquoi observe-t-on ces différences ?
Si l’on compare les aptitudes des basketteurs pro et des
novices, la différence dans les prédictions n’est pas si difficile à
expliquer : les sportifs ont une familiarité avec le basket bien plus
importante, il est donc logique qu’ils soient meilleurs pour prédire le devenir
d’un lancer franc.
Mais en ce qui concerne les coaches ?
Ils passent autant de temps sur le terrain que leurs
joueurs, à les conseiller et les guider dans leurs entraînements quotidiens. Ils
ont même une science du jeu souvent supérieure à eux. Ils ont vu durant leur
carrière des milliers de lancers-francs –souvent bien plus que les joueurs en
ont tiré ! Alors pourquoi sont-ils moins bons pour prédire le succès d’un
lancer franc ?
La seule différence entre les basketteurs et leurs entraîneurs,
c’est que ces derniers ne font que voir,
alors que les sportifs, eux, jouent.
Les basketteurs sont capables de prédire avec beaucoup plus
de précision que leur coach le succès d’un shoot avant même que la balle ne
quitte les mains de l’adversaire, simplement en observant les mouvements du corps.
L’expertise motrice a donc un poids plus important qu’une
simple expertise visuelle.
On ne parle toujours pas de neurone.
Mais on y vient !
En 2001, un chercheur italien, Rizzolatti, a découvert avec
son équipe des neurones très particuliers. Il s’agit de neurones moteurs qui ne
s’activent non seulement lorsque l'on exécute un mouvement, mais aussi lorsqu’on
le voit faire. Il les a appelés :
les neurones miroirs.
Ainsi lorsqu’on observe une action, on active ces neurones
miroirs. On simule mentalement le mouvement qu’on est en train d’observer.
Pourrait-il y avoir un lien entre ces neurones miroirs et
l’expertise motrice des joueurs ?
C’est ce que les chercheurs italiens ont cherché à expliquer
dans une seconde expérience.
Lorsque l'on observe une action et que nos neurones miroirs
d’activent, le cortex moteur devient plus excitable. Il est prêt à agir. Ainsi
lorsque l'on le stimule grâce à la TMS –la stimulation magnétique transcrânienne,
qui permet de stimuler le cortex grâce à des impulsions magnétiques- le cortex
réagira plus fortement devant une image dynamique que devant une image statique.
Une nouvelle fois, des basketteurs, leurs entraîneurs et des
novices regardèrent des vidéos de lancers-francs, qui se terminaient brutalement
à 3 moments différents : juste au moment où le joueur armait son tir,
lorsque le ballon quittait ses mains, et juste avant que le ballon ne pénètre
–ou pas- dans le panier.
Sans grande surprise, leur première constatation fut que le cortex des novices n’était pas plus excitable devant la vidéo du shoot
qu’à l’état normal : la vidéo ne faisait aucun effet sur le cortex moteur.
Ils sont incapables de programmer mentalement la même séquence motrice.
Au contraire, les cortex moteurs des basketteurs et des
entraîneurs s’excitent fortement lorsqu’ils observent la vidéo. On n’observe
aucune différence significative entre les 2 groupes mis à part à un instant précis :
lorsque la balle quitte les mains du tireur –plus précisément, lorsque la balle
quitte les mains du tireur et que le tir échoue.
Il existe donc un instant critique où le cortex moteur du
basketteur réagit très différemment de celui du coach : lorsque le ballon
quitte la main du tireur.
Ce n’est pas nécessairement toute la séquence motrice que le
joueur analyse pour prédire le résultat du shoot, mais seulement
–principalement- le mouvement du poignet juste avant de lâcher la balle. Le mouvement le plus important pour imprimer la
trajectoire à la balle.
Le fait d’avoir une expertise motrice en plus d’une
expertise visuelle permet donc de mieux analyser les mouvements du joueur
adverse et de mieux anticiper ses shoots. Les coaches, qui n’ont qu’une
familiarité visuelle avec le basket –dans cette étude en tout cas, cela change
la donne si ce sont d’anciens joueurs !- sont moins bons que leur joueurs
pour anticiper le jeu !
Pour sentir le
jeu, il faut y jouer.
Terminons cet article en citant l’étude dont nous venons de
parler :
“Seeing
without doing is not enough to achieve excellence.”
Alors si vous visez l’excellence,
qu'importe le domaine, arrêtez d’être spectateur et devenez en
acteur ! Pratiquez,
échouez, recommencez !
“Ever tried. Ever failed. No matter. Try again. Fail again. Fail
better.”
Et gardez
espoir !
SOURCES :
- http://www.lequipe.fr/Basket/Actualites/Eurobasket-la-france-eliminee-par-l-espagne-en-demi-finale-80-75-a-p/591339
- Aglioti, S. M., Cesari, P., Romani, M., & Urgesi, C. (2008). Action anticipation and motor resonance in elite basketball players. Nature neuroscience, 11(9), 1109-1116.
- https://www.youtube.com/watch?v=VU9Ln7P7RZo (vidéo en exemple)
- https://www.youtube.com/watch?v=VU9Ln7P7RZo (vidéo en exemple)