L'ART DE BIEN CHIER (en neurosciences)
Napoléon sur son trône, en 1806 (oh oui, elle était facile !). |
Le 1er mars 1815. Napoléon est de retour !
Après 300 jours d’exil sur l’île d’Elbe, l’(ex) empereur
débarque en Provence pour reconquérir le trône, occupé depuis sa destitution
par Louis XVIII.
Les paroles qu’il prononce sont fortes, sa marche vers Paris
sera triomphale. Avec une poignée d’hommes (à peine 11000, c’est pour dire), il
s’empare du château des Tuileries… sans aucun coup de feu !
Commence alors les « Cents Jours » durant lesquels
il règne brièvement, avant sa défaite à Waterloo puis son nouvel exil sur l’île
de Saint Hélène.
En mémoire de sa marche triomphale vers la capitale, il
existe dans le sud de la France une route dénommée « route
Napoléon ».
Une route absolument superbe, au cœur des Alpes.
Mais une route qui, contrairement à la marche de Bonaparte
il y a 200 ans, est aujourd’hui l’une des plus meurtrières de France. Depuis
1980, plus de 40 accidents graves de moto y ont été recensés.
Les blessures de ce type d’accidents sont d’une extrême gravité.
Parmi celles-ci, la plus redoutée est sans doute la lésion de la moelle
épinière.
La paraplégie.
La prise en charge de ce type de patient doit être
extrêmement rapide. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce qui
préoccupe en priorité les médecins lors d’un traumatisme de la moelle épinière
n’est pas forcément la paralysie. Une des questions les plus importantes qu’ils
se posent, lorsqu’ils tentent d’établir le pronostic de la blessure de la
moelle est aussi « Ce patient est-il toujours continent ? ».
Passer le reste de sa vie en fauteuil roulant est
extrêmement difficile.
Passer le reste de sa vie en étant incontinent l’est encore
plus.
La continence, c’est la capacité que l’on a de pouvoir se
retenir d’aller aux toilettes. Vous comprenez bien que de perdre cette faculté
engendre un handicap social absolument majeur.
Il est capital pour ces patients de tout faire pour qu’ils
puissent marcher. Mais il faut encore plus veiller à ce qu’ils puissent rester
continent.
Mais pourquoi une lésion de la moelle épinière peut être
aboutir à l’incontinence ? Par quels mécanismes notre corps nous rend-il
capable de contrôler notre défécation ? Comment cela
fonctionne-t-il ?
C’est la question que nous allons nous poser
aujourd’hui !
La physiologie de la défécation.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la défécation
est un processus complexe qui est finement régulé.
Afin de ne pas s’y perdre, regardons tout d’abord les forces
en présence !
Est-il nécessaire de le rappeler, nous faisons caca par
notre anus, qui est la partie terminale de notre tube digestif. Après avoir absorbé tous les nutriments possibles
et rejeté tous les déchets qu’il produit, notre corps propulse les matières
fécales jusqu’à l’extrémité du colon, le gros intestin qui forme une sorte de
cadre au niveau de notre abdomen –c’est pour cela que l’on parle de cadre colique.
Les matières fécales parcourent le colon de manière plus ou
moins continues, et son stockées à son extrémité (colon sigmoïde) et au sein du rectum.
Ce réservoir s’abouche dans le canal anal (on devine aisément sa fonction), et
l’anus.
Pour être capable de se retenir et d’être continent, nous
avons besoin de muscles, les sphincters,
dont le but est de verrouiller la sortie quand bien même des matières fécales
sont présentes dans le rectum. Il en existe de 2 types, qui s’enroulent en anneau autour du canal anal et dont l’action va permettre de le comprimer : un sphincter interne, de contraction
involontaire, et un sphincter
externe, de contraction volontaire.
Lorsque l’on va à la selle, la défécation n’est possible que si ces 2 sphincters sont relâchés.
Lorsque l’on va à la selle, la défécation n’est possible que si ces 2 sphincters sont relâchés.
Mais la défécation n’est pas seulement un phénomène passif de relâchement.
On pousse !
Cet effort de poussée est supporté essentiellement par nos
abdominaux. En parallèle, nous verrouillons notre diaphragme –ce qui explique
que notre respiration soit bloquée durant cet effort.
Tous ces muscles doivent être extrêmement bien coordonnés
pour que le processus se passe bien. C’est là que le système nerveux à un rôle
primordial !
Abordons la défécation selon un ordre chronologique.
Une à deux fois par jour (mais cela peut être très variable
en fonction de l’individu), les matières fécales sont propulsées du colon vers
le rectum, qui se rempli –c’est la ponte
sigmoïdienne. La pression augmente progressivement et lorsqu’elle atteint 3
kPa environs, un sentiment de plénitude (rectale) se fait sentir et un
processus appelé réflexe
d’échantillonnage s’enclenche.
Ce réflexe d’échantillonnage est composé de 3 actions
musculaires concomitantes : une contraction du rectum pour propulser les
matières fécale, un relâchement du sphincter interne et une contraction du
sphincter externe.
En fonction de l’intensité du besoin ressenti, cette
contraction réflexe du sphincter externe passe sous le contrôle de la volonté.
Dit autrement, si l’intensité du besoin est importante, nous
passons de mécanismes purement spinaux (localisés dans la moelle épinière) à
des mécanismes corticaux (mettant en jeu notre cortex cérébral).
C’est ce contrôle cortical de la défécation qui rend ce
processus si complexe chez l’Homme. Chez les pigeons, qui n’ont ni de sphincter
ni de norme sociale sur le sujet, la chose est grandement simplifiée !
Le processus de défécation, initiée de façon automatique et involontaire
par le réflexe d’échantillonnage, ne peut aboutir sans que le cortex n’en donne
l’ordre.
L’expulsion des matières fécales nécessite une synchronie
parfaite entre tous les protagonistes. Tout d’abord, il faut relâcher le
sphincter externe qui empêche les matières de quitter le rectum. Ensuite, comme
nous le disions plus haut, il faut les propulser, grâce à nos muscles
abdominaux mais aussi grâce à la contraction du rectum lui-même.
Lors de la défécation, les 2 sphincters, interne et externe (dont le muscle puborectalis), se relâchent permettant le passage des selles. |
Mais il faut, en plus de cela, veiller à ce que les matières
aillent bien dans le bon sens ! Pour cela, la charnière entre le colon
sigmoïde et le rectum doit se contracter pour éviter tout reflux « à
contre-courant ».
La défécation est donc un phénomène complexe qui nécessite
une coopération étroite entre ses acteurs et les centres de commandes –dans un
premier temps, la moelle épinière pour l’initiation réflexe, et dans un second
temps le cortex cérébral pour l’aboutissement du processus.
La région capitale de la moelle épinière dans la défécation
est sa partie la plus basse : la moelle
sacrée (c’est-à-dire en rapport avec le sacrum, pas de religion là-dedans).
C’est cette portion qui sous-tend les phénomènes réflexes initiateurs.
La moelle sacrée correspond à la partie la plus distale de la moelle épinière (cercle bleu). |
Il existe plusieurs types d’incontinence en fonction du
niveau de la lésion de la moelle épinière.
Si cette lésion touche la moelle sacrée, le réflexe
d’échantillonnage sera très perturbé : le sphincter externe ne se
contractera pas, et l’individu ne pourra retenir consciemment ses selles.
Si la lésion touche la moelle épinière au-dessus de sa
partie sacrée, ce sont les processus terminaux qui ne pourront pas s’effectuer
correctement, tandis que le réflexe d’échantillonnage se fera sans problème. Ce
type de lésion entraîne un asynchronisme entre les différents acteurs de la
défécation : on parle de dyschésie
ano-rectale. Il en résulte une accumulation des matières dans le rectum et in fine, une incontinence « par
regorgement » lorsque la pression intra-rectale devient supérieure à la
pression exercée par le sphincter.
Vous savez maintenant ce qu’il se passe dans votre bas
ventre lorsque vous allez sur le trône. Mais que se passe-t-il dans votre
cerveau à ce moment-là ?
Des chercheurs allemands ont tenté de répondre à cette
question et de comprendre les mécanismes de contrôle cérébraux de la défécation.
Grâce à l’IRM fonctionnelle, ils ont pu visualiser les
activations cérébrales concomitantes de la sensation de plénitude rectale (donc
juste au moment du réflexe d’échantillonnage) ou lors de la contraction
volontaire du sphincter externe.
Sauf qu’il était impossible de laisser les sujets toute une
journée dans l’IRM et d’attendre d’un tel phénomène se produise naturellement
–l’IRM, ça coûte cher ! Pour mimer la nature, ils durent utiliser un petit
ballonnet gonflable introduit dans le rectum des individus.
Oui, il existe réellement des chercheurs qui s’amusent à
introduire des ballonnets dans le rectum des personnes qu’ils introduisent
elles-mêmes dans une IRM.
Soyons attentifs à n’émettre aucun jugement de valeur,
chacun a bien le droit de s’amuser comme il veut.
Tenons simplement à souligner que l’expérience s’est
déroulée sur des individus volontaires qui connaissaient les aboutissements de
l’expérience à laquelle ils participaient.
Enfin bref, nous divaguons.
Les chercheurs, une fois les individus dans l’IRM et le
ballonnet en place dans leur rectum, ont donc pu gonfler progressivement ledit
ballonnet pour augmenter la pression intra-rectale et mimer ainsi l’arrivée de
selles à ce niveau.
Ils ont étudié les réactions cérébrales à 2 seuils
précis : lorsque le sentiment de plénitude (rectale, toujours) se faisait
sentir, et lorsque la distension devenait douloureuse –oui parce quitte à faire
gonfler un ballon dans le rectum, autant pousser l’expérience jusqu’au bout...
Une sonde rectale, ça peut gonfler... beaucoup. |
Ils constatèrent que dans un cas comme dans l’autre, les
activations cérébrales ne divergeaient pas. Ainsi on pouvait distinctement voir
s’activer 3 régions : l’insula, le cortex cingulaire antérieur et le
thalamus.
Lors de la contraction du sphincter externe (que l’on peut
mesurer grâce à un appareil, lui aussi introduit dans le rectum, qui mesure la
pression à cet endroit-là), ils observèrent une activation du cortex moteur, de
l’aire motrice supplémentaire (impliquée dans la planification des actions
motrices), mais aussi du cortex sensoriel.
Ces résultats ne sont pas très surprenants, mais ils ont le
mérite de décrire comment le cerveau gère ce moment… particulier.
Au-delà de la légèreté du sujet, il faut tout de même
redevenir sérieux pour la conclusion de cet article.
La recherche à propos des mécanismes de la continence
(cérébraux ou non) est très importante car mieux on les comprend, mieux on
pourra agir chez les personnes à risque ou souffrant d’incontinence.
Ces problèmes sont bien souvent tabous (même lorsqu’il
s’agit d’en parler à son médecin) et engendrent un handicap social majeur.
Les avancées ne doivent pas être seulement présentes dans la
recherche, mais aussi dans la société et dans l’acceptation de ces problèmes,
qui ne sont certes pas les plus sexy mais qui ne justifient pas non plus une
mise à l’écart de ces patients –et de la recherche sur ce sujet.
J'espère que l'article vous a plu ! Il n'en reste plus qu'un avant les vacances ! :)
Bien entendu, n'hésitez pas à liker la page Facebook du blog pour être au courant des dernières publications, et à partager l'article s'il vous a plu ! :)
J'espère que l'article vous a plu ! Il n'en reste plus qu'un avant les vacances ! :)
Bien entendu, n'hésitez pas à liker la page Facebook du blog pour être au courant des dernières publications, et à partager l'article s'il vous a plu ! :)
SOURCES :
- Bittorf, B., Ringler, R., Forster, C.,
Hohenberger, W., & Matzel, K. E. (2006). Cerebral representation of the
anorectum using functional magnetic resonance imaging. British journal of surgery, 93(10),
1251-1257.
- Amarenco, G. SYMPTOMES ANO-RECTAUX ET
MALADIES NEUROLOGIQUES.
- Gallas, S., & Leroi, A. M. (2010).
Physiologie de la défécation. Pelvi-périnéologie, 5(3), 166-170.
- Soler, J. M., Denys, P., Game, X.,
Ruffion, A., & Chartier-Kastler, E. (2007). Chapitre B-L’incontinence anale
et les troubles digestifs et leurs traitements en neuro-urologie. Progrès en
Urologie, 17(3), 622-628.
- http://urofrance.org/science-et-recherche/base-bibliographique/article/html/physiologie-de-lappareil-sphincterien-urinaire-et-anal-pour-la-continence.html
- Bouvier, M. (1991). Physiologie de la
continence fecale et de la defecation. Archives internationales de Physiologie,
de Biochimie et de Biophysique, 99(5), A53-A63.