POUR RECONNAÎTRE UN VISAGE... AVOIR DU PIF !

Le visage est un stimulus très simple, invariant : toujours un nez, deux yeux, une bouche. Et pourtant, dans sa simplicité, il est d’une incroyable complexité : avec ce si petit nombre d’attributs, il est unique à chacun de nous.


Mais comment le cerveau arrive-t-il à décoder ce stimulus à la fois si simple et si complexe ? Quels sont les processus mis en jeu pour analyser un visage, et reconnaitre son propriétaire ?


On peut globalement opposer 2 grandes conceptions psychologiques. D’une part, on peut penser que la reconnaissance d’un visage se fait de manière globale : le visage peut être perçu (et analysé) comme un tout, sans analyse individuelle des différents traits qui le compose. D’autre part, le visage peut être analysé trait par trait, après avoir été « disséqué » mentalement : les différents éléments qui le composent sont analysés de manière indépendante, puis réassemblés pour en percevoir une image globale.

Tanaka et Farah, deux chercheurs américains, ont proposé plusieurs expériences en 1993 pour tenter de trancher entre ces 2 modèles. Plus que de trancher, ils ont cherché à savoir lequel des 2 étaient prédominant pour les visages (car il est certain que les 2 processus coexistent, notamment une analyse toute particulière des yeux et de la direction du regard).

Dans leur première expérience, ils se sont amusés (oui, car c’est drôle la recherche…) à présenter 2 types de visages à des étudiants (facile à trouver pour faire des expériences diverses et variées) : dans la première condition, on présente le visage d’un dénommé « Larry », alors que dans la 2ème condition, on présente le même visage « mélangé ». Le même protocole est répliqué pour d’autres personnages et d’autres visages.


                                                        (Image provenant de l'article de Tanaka et Farah (Tanaka and Farah, 1993)

Ils laissent passer quelques minutes, puis montrent à nouveau plusieurs visages de Larry, normaux et mélangés. Ils sont identiques, à un seul détail près : le nez. On leur pose la question : lequel de ces portraits est Larry ?

Image provenant de l'article de Tanaka et Farah (Tanaka and Farah, 1993)

D’autre part, on leur montre uniquement le nez, et on leur demande de dire lequel des 2 appartient au fameux Larry.

Image provenant de l'article de Tanaka et Farah (Tanaka and Farah, 1993)

Dans ces conditions, un seul paramètre permet d’identifier le vrai visage de Larry : le nez.

Ainsi, on peut ici s’attendre à 2 résultats différents :
     - d’une part, si le visage est reconnu comme un tout, le sujet aura plus de difficultés à reconnaitre le nez présenté seul, car son cerveau ne l’a pas analysé spécifiquement lors de la présentation du portait de Larry. Au contraire, il sera facile pour lui de reconnaitre le visage normal.
     - d’autre part, si le visage est analysé après avoir été mentalement morcelé, le sujet n’aura aucun mal à reconnaître le nez présenté seul comparativement au visage entier.

Pour la première condition (visages normaux), ils observèrent une meilleure performance de reconnaissance lorsque le visage était présenté en entier ! Ainsi, le cerveau a enregistré la première fois le visage de Larry comme un tout, et il était plus facile pour lui de détecter le « bon » nez lorsqu’il était présenté avec le visage autour plutôt qu’isolé !

On observe l’inverse pour la 2ème condition (les visages morcelés) : la reconnaissance du « bon » nez est plus simple lorsqu’il est présenté isolément. Et cela a une explication simple : lorsqu’on vous présente un visage morcelé, le cerveau ne le reconnait pas comme un vrai visage et donc l’analyse « pièce par pièce ».

Mais cette conclusion n’a pas rassasié les 2 chercheurs. Après tout, les visages étaient certes plutôt perçus de manière globale, mais rien ne dit que ce n’est pas la même chose pour tous les autres objets.

La reconnaissance des visages est-elle différente de celle des autres objets ?


Pour répondre à cette question, Tanaka et Farah ont mis en place un nouveau protocole, dans lequel ils ont cherché à comparer la reconnaissance d’un visage avec celle… d’une maison.

Dans un premier temps, ils ont présenté des visages (uniquement normaux cette fois) et des images de maisons à des étudiants de psychologie. Les images de maisons sont associées à des personnages (« Voici la maison de Machin. »).

Ensuite, comme lors de la première expérience, ils présentent d’une part des visages entiers, ne différant que par leur nez, d’autre part des nez isolés. Et on leur pose à nouveau la question : quel visage appartient à Truc-muche ? Quel nez est celui de Bidule ?

En plus, ils présentent cette fois ci des maisons entières dans lesquelles les fenêtres ne correspondent pas toujours à la bonne maison, ou des fenêtres isolées. Quelle maison appartient à Machin ? Quelle fenêtre appartient à la maison de Machin ? De la même manière que pour la première expérience, seules les fenêtres permettent de déterminer si la maison est celle de Machin, ou si elle est différente.


Comme on peut s’y attendre, on trouve à nouveau pour les visages un traitement plutôt global : le cerveau reconnait bien mieux le « bon » nez s’il est incorporé dans un visage plutôt que s’il est présenté seul, car c’est le visage entier et non le nez isolément qui a été analysé lors de la première phase de l’expérience par le cerveau.

Au contraire, en ce qui concerne les maisons, on n’observe aucune différence en fonction de si on présente la maison entière ou les fenêtres isolément. Il n’est pas plus facile pour le cerveau de reconnaître la bonne fenêtre lorsqu’elle est présentée avec la maison qui va avec.

Autrement dit, contrairement au traitement des visages, l’analyse cérébrale des objets se fait plutôt trait par trait.


La perception des visages par le cerveau est donc bien différente de celle des autres objets. C’est un stimulus bien particulier qui est analysé de manière spécifique. De par sa nature unique, et l’infinité de mimiques qu’on peut lui imprimer, le visage est un outil de communication extrêmement précieux. C’est pour cela que notre cerveau a mis en place des processus très complexes pour le décrypter… Des processus qui sont encore bien mystérieux aujourd’hui !






Sources :
- Parts and Wholes in Face Recognition, Tanaka and Farah. The quarterly journal of experimental psychology, 1993