L'HEMINEGLIGENCE : VIVRE DANS UN DEMI MONDE


Raymond en avait vraiment marre. C’était toujours la même chose, toujours la même rancœur, après 52 ans de mariage ! Les mêmes reproches ! Sa femme –Andrée- ne cessait de râler, et ça, ça le fatiguait au plus haut point. Il se mit à bouder, enfoncé dans son fauteuil. Et s’endormi.

« A table ! ». La douce injonction de sa femme se fit entendre depuis la cuisine. Une voix terriblement aimable –mais pouvait-il espérer mieux aujourd’hui ? Raymond se lèva pour aller manger. Sauf que…


Raymond trébucha et s’affala de tout son long. Andrée accoure : il n’y a pas de dispute qui tienne dans ces moments la… et si ce n’est rien ça sera une bonne excuse pour râler une nouvelle fois !

Sauf qu’il n’arrivera pas à se lever. Il n’arrive pas à bouger le bras gauche. Son visage se déforme. Il a du mal à articuler.

Raymond fait un AVC : un vaisseau sanguin de son cerveau vient de se boucher. De quel côté selon vous ?



Il sera pris en charge trop tard, et ne pourra pas récupérer. Un quart de son cerveau vient de mourir. Mais il s’en sort tout de même (et sa femme râle toujours autant).

Quelques jours plus tard, les neurologues font passer certains tests à Raymond : on lui demande de dessiner une horloge,

 de barrer des lettres,

 de recopier des dessins…


Tout se passe comme s’il avait perdu toute la partie gauche de son champ visuel. Étrangement, il ne se rase plus la moitié gauche du visage...

Les médecins concluent à une héminégligence gauche, secondaire à son AVC à droite.


Qu’est ce que l’héminégligence ?



C’est plus qu’un simple trouble visuel, car Raymond ignore totalement la moitié gauche de l’espace : il ne se rase pas la moitié gauche du visage, ses vêtements sont mal apprêtés, sa tête et son regard dévient à droite. Il ne mange jamais ce qu’il se trouve dans la partie gauche de son assiette (en prenant bien sûr compte du goût ignoble des repas de l’hôpital).

Il s’agit d’un trouble attentionnel. Raymond n’a plus conscience de la moitié gauche de son corps. Ni d’ailleurs de la moitié gauche de l’espace devant lui. Il vit dans la moitié droite du monde qui l'entoure.



D’où cela vient-il ?



Lors de l’AVC, une partie de l’hémisphère droit du cerveau de Raymond a été sévèrement privé d’oxygène, la faute à un caillot qui a bouché une de ses artères cérébrales. Tellement privée d’oxygène que les neurones ont été détruits. Un nombre considérable de neurones : près de 2 millions sont morts chaque minute. Des neurones du cortex moteur, du cortex sensoriel… Et des neurones du cortex pariétal. Plus précisément, du lobule pariétal inférieur.

A gauche, le lobule pariétal inférieur est très impliqué dans le langage, alors qu’à droite, il participe, avec une grande partie du cortex pariétal, à la représentation du corps dans l’espace. C’est l’atteinte de ce lobule qui explique l’héminégligence de Raymond.

Un AVC de l’hémisphère droit ne touche pas forcément le lobule pariétal inférieur, et quand bien même il est atteint, si le patient est pris en charge suffisamment tôt il a de bonnes chances de récupérer.

Ce qui est étrange, c’est que l’on n’observe pas cette héminégligence lorsque c’est l’hémisphère gauche qui est touché… Les troubles sont majeurs bien évidemment, notamment pour le langage, mais le sujet a totalement conscience de la moitié controlatérale du monde qui l'entoure...

En 1993, Heilman, un neurologue américain, a proposé une hypothèse simple pour tenter d’expliquer cette négligence. Elle n'a pas été formellement validée par l'expérience, mais elle a le mérite d’expliquer nos symptômes.

Heilman propose que l'hémisphère gauche dirige l’attention uniquement vers  l’espace droit, alors que l’hémisphère droit la dirigerait des 2 côtés. Ainsi, si un AVC détruit une grande partie de l’hémisphère droit, on aurait un déficit attentionnel dirigé vers la côté gauche uniquement. Comme ce que l’on observe chez notre pauvre Raymond.




Les AVC de l’hémisphère droit peuvent causer des troubles encore plus étranges… Comme l’anosognosie. Mais ça, c’est l’histoire d’un prochain article.

J’espère que l’article vous a plu ! N’hésitez pas à partager l’article si c’est le cas ! 

Un rappel qui peut être utile à chacun !


 
Une pensée émue pour Alexis.







Sources :
- Medline Neurologie
- http://www.snl.salk.edu/~fklam/pubs/Chap2-thesefk.pdf