LE REJET SOCIAL FAIT MAL !

Les expériences dont on va parler aujourd’hui partent d’un constat tout simple : dans nos expressions, nous associons souvent le vocabulaire de la douleur à la perte d’un être cher ou au rejet d’une personne ou d’un groupe (« c’est dur de se faire rejeter », « ça me fait mal de savoir qu’il/elle m’a trahi »…). Ces expressions sont-elles purement métaphoriques ou relèvent-elles d’une essence commune entre « douleur sociale » et douleur physique ?




      Partant de ce cela, l’équipe de Naomi Eisenberger a soumis un groupe de volontaires à une tâche de rejet social : le Cyberball. Son principe est simple : vous participez à un jeu avec deux autres personnes (qui sont en réalité des ordinateurs, mais ça, vous ne le savez pas) par le biais d’un écran d’ordinateur. Le jeu consiste à se passer une balle à tour de rôle. 


      Deux configurations de ce jeu existent, et les volontaires y sont soumis l’une après l’autre : dans la première, les deux autres « joueurs » jouent avec vous et vous lancent la balle régulièrement. Dans la seconde configuration, ils arrêtent de vous lancer la balle et ne jouent qu’entre eux, entraînant un sentiment de rejet chez le volontaire (que l’on mesure grâce à un auto-questionnaire à la fin de l’expérience).

      Afin de voir ce qu’il se passe dans le cerveau pendant cette expérience, les volontaires sont plongés dans une bonne vieille IRM fonctionnelle, qui permet de visualiser quelles sont les aires cérébrales qui s’activent, et lesquelles sont spécifiques du rejet social.

      Et la surprise : deux grandes régions s’activent dans les conditions de rejet : le cortex cingulaire antérieur dorsal (CCA) et le cortex préfrontal ventral droit (CpFv). L’activation du CCA étant proportionnelle au sentiment de rejet social, alors que celle du CpFv est inversement proportionnelle à l’activation du CCA et au sentiment de rejet social.



Et alors ?

      Et alors, il se trouve que le CCA et le CpFv sont deux régions très fortement impliquées dans le traitement de la douleur (physique) dans le cerveau. Le CCA est lié à la composante affective/émotionnelle de la douleur et le CpFv a un rôle régulateur et agit notamment en inhibant l’activité du CCA.

      Le traitement du rejet social fait donc intervenir les mêmes aires cérébrales que celui de la douleur ! Pour autant, peut-on affirmer que le cerveau interprète le rejet social de la même manière qu’une douleur physique ? Le CCA par exemple a un rôle global de signal d’alerte, et n’est pas impliqué seulement dans le traitement de la douleur.

Comment prouver que le cerveau perçoit le rejet social comme une véritable douleur physique ?



      Six ans plus tard, en 2009, Nathan De Wall apporte la réponse à cette question : il propose à des volontaires d’avaler quotidiennement pendant 3 semaines une dose d’acétaminophène, un antalgique qui agit sur le cerveau (certains antalgiques peuvent aussi agir au niveau de la moelle épinière ou au niveau des terminaisons nerveuses dans la peau), et analyse ensuite le sentiment de rejet ressenti par les volontaires durant cette période. A la fin des 3 semaines, les participants passent tous à l’IRM pour observer la réponse de leur cerveau à un sentiment de rejet (là encore grâce au jeu du Cyberball).

Qu’observe-t-il ?

      Durant la première phase de l’expérience, les sujets soumis à l’acétaminophène rapportent se sentir beaucoup moins affecté par le rejet social que le groupe soumis à un placebo. Plus précisément, cet effet grandit avec le temps et, chose importante, n’affecte pas les sentiments positifs (qui sont ressentis de la même manière entre le groupe traité et le groupe placebo). Un antalgique agissant contre la douleur physique permet donc de diminuer le ressenti de rejet social !

      Dans l’IRM, les résultats sont concordants : pendant le rejet social, le CCA est significativement moins activé chez les volontaires sous acétaminophène versus ceux sous placebo. De plus, l’insula postérieure, une région profonde du cerveau impliquée dans les processus affectifs de la douleur, est elle aussi moins activée chez les volontaires sous antalgique.

Le rejet social est donc bien traité par le cerveau comme une douleur physique. 

Pourquoi le système de traitement du rejet social est-il ainsi greffé sur celui du traitement de la douleur physique ?


      On peut penser que cela a apporté un avantage sélectif à nos ancêtres mammifères, dont les enfants étaient (et sont toujours) incapables de se défendre. Il était donc vital de maintenir le lien social, et de traiter le rejet ou la séparation du groupe comme une alerte tout aussi grave qu’une atteinte de son intégrité physique !

      A quand le traitement du rejet social par des antalgiques ? Nous en sommes encore loin… Et honnêtement, est-ce enviable ? Le rejet social ne devrait-il pas être résolu en premier lieu par la société ?

Sources : 
Does Rejection Hurt? An fMRI Study of Social Exclusion ; Naomi I. Eisenberger et al. Science 302, 290 (2003)
- Acetaminophen Reduces Social Pain: Behavioral and Neural Evidence ; N. De Wall et al. Psychological Science (2009)