LES DROLES D'EXPERIENCES DE MR LEFORT

Chapelle du Val de Grâce
Après plus de 200 ans de bons et loyaux services, l’hôpital militaire du Val de Grâce n’accueille désormais plus aucun patient.
Le coup de grâce (…elle était facile) fut porté en 2014, lorsque le ministère de la Défense annonça la fermeture du site, devant des couts de mise aux normes trop important.
L’hôpital avait accueilli en son sein des personnages illustres, de grand médecins et chirurgiens militaires ; et parmi eux, un certain René Le Fort.

René le Fort (1869 - 1951)
René Le Fort est né le 30 mars 1869 à Lille. Issu d’une famille de médecins, c’est tout naturellement qu’il s’oriente vers une carrière médicale et en particulier vers la chirurgie. Il commença sa carrière au Val de Grâce avant de revenir à Lille pour enseigner.
Il s’intéressa plus particulièrement aux traumatismes faciaux et aux fractures des os de la face.
Mais qu'est ce qu'elle a, ma gueule ?!
La face est composée de 14 os différents, soudés entre eux et attachés au reste du crâne au travers de la base du crâne, qui représente la limite entre le visage et la voute crânienne. Tous ces os sont immobiles sauf un : la mandibule. Toutes ces structures sont suspendues : la mandibule est suspendue au visage qui lui-même est suspendu au crâne par l’intermédiaire de la base du crâne.

Délimitation entre la voute crânienne (calvaria ou encore appelé ici "crâne osseux") et le massif facial (appelé ici "crâne facial"). Cette délimitation correspond anatomiquement à la base du crâne. On voit ici clairement que le massif facial semble "suspendu" sous la base du crâne.  



Ces os forment ce que l’on appelle le massif facial, structure osseuse trouées comme du gruyère par des cavités aériques que l’on appelle les sinus. Ces sinus, bien connus de tous au travers des sinusites dont ils sont le lieu, sont creusés au sein des os qui leur donne leur nom. Ainsi, le sinus maxillaire est creusé au sein de l’os maxillaire, juste en dessous des orbites, le sinus frontal au niveau de l’os frontal, juste au-dessus des orbites, ou encore le sinus sphénoïdal dans l’os du même nom, en arrière des orbites.

Pou ralléger la structure du massif facial, les os qui le compose sont percés comme du gruyère, formant les sinus de la face. Ils sont présent tout autour des orbites (sinus maxillaires, frontaux et ethmoïdaux) ainsi qu'au fond de la gorge (sinus sphénoïdal).
Ces cavités aériques ont un rôle important car elle permettent entres autres d’alléger la masse de la face. Elles ont en revanche comme inconvénient de fragiliser grandement la structure du massif facial, d’autant plus que celui-ci est amené à subir un nombre incalculable de microtraumatismes : celui de la mandibule qui vient inopportunément se fracasser à intervalle régulier sur l’os maxillaire lors de la mastication.
On peut distinguer au sein du massif facial des lignes de force, zones osseuses renforcées permettant la résistance à ces chocs répétés. En revanche, le massif facial apparait bien démuni contre les choc frontaux ou latéraux, et c’est souvent que l’on observe alors des fractures.
René Le Fort chercha à mieux caractériser ces fractures afin de mieux les soigner.

Les drôles d'expériences de Monsieur Le Fort.
Pour cela, ce drôle de monsieur prenait des clubs de golf ou autres objets contondants, et les fracassaient avec plus ou moins de force sur les cadavres de l’école de médecine. Une fois le méfait accompli, il retirait l’ensemble des tissus pour ne conserver que les os, et tentait de décrire au mieux les traits de fractures qu’il observait.
Il put décrire avec précision les différentes fractures engendrées en fonction du point d’impact, de la direction du coup ou encore de la force utilisée. Il réalisa une trentaine d’expériences de ce type et publia ses résultats au cours du printemps 1901. Il classa les fractures en 3 catégories en fonction de l’orientation des traits de fracture.
Sa classification, dite de « Le Fort », est toujours utilisée aujourd’hui en traumatologie maxillo-faciale.
Lors de ses travaux, le chirurgien était persuadé que les fractures étaient restreintes au massif facial et ne pouvait s’étendre à la base du crâne.
En réalité, il est possible d’observer, chez des patients souffrant de graves fractures classées Le Fort II ou III, un discret écoulement nasal, qui semble insignifiant mais qui doit être absolument recherché par les médecins car il est le signe d’une fracture de la base du crâne et donc d’une communication entre la cavité crânienne (contenant le cerveau) et le massif facial.
L’écoulement correspond alors à du liquide céphalo-rachidien, dans lequel baigne le cerveau.
Dans ce type de fracture, un os très important est touché en particulier : l’ethmoïde. Situé entre les 2 orbites, il correspond au sommet des fosses nasales et juste au-dessus de lui se trouvent les 2 lobes frontaux du cerveau.
Comme vous pouvez l’imaginer, les fosses nasales ne sont pas les endroits les plus propres de notre corps et s’il existe une brèche entre elles et notre cerveau, une myriade de bactéries vont joyeusement coloniser notre ciboulot. Le risque de développer une méningite est alors très important.
Les méninges correspondent aux différents tissus qui enveloppent notre cerveau et notre moelle épinière. Ils tapissent d’une part la face interne du crâne et des vertèbres, et d’autre part recouvrent la surface du cerveau et de la moelle épinière. Les différents éléments du système nerveux central ne sont donc pas directement au contact de l’os, les méninges représentant un intermédiaire entre les 2 structures.

Les méninges correspondent à une enveloppe protectrice entre le crâne (ou les vertèbres) et le cerveau (ou la moelle épinière). Ils sont constitués de plusieurs couches appelés dure-mère, arachnoïde et pie-mère. Lors que ces tissus sont infectés, on parle de méningite.
Le liquide céphalo-rachidien est contenu entre les feuillets des méninges. Son utilité est multiple : il forme tout d’abord un coussin amortisseur pour le cerveau. Mais il a aussi un rôle prépondérant dans la protection et dans l’évacuation des déchets produits par nos neurones.
L’écoulement de liquide céphalo-rachidien par le nez signe donc non seulement la fracture de la base du crâne et de l’ethmoïde, mais aussi l’effraction des méninges –qui vont toujours l’un avec l’autre en réalité, tant les méninges adhèrent fortement aux os de la base du crâne.
Les bactéries présentes dans notre nez pourront alors coloniser les méninges et causer leur infection : la méningite.
Lorsqu’un médecin suspectera une méningite, il cherchera des arguments pour et contre au moyen d’examens médicaux, et en particulier la fameuse ponction lombaire.
La ponction lombaire consiste au prélèvement des quelques millilitres de liquide céphalo-rachidien par le biais d’une aiguille que l’on enfonce dans le bas du dos entre 2 vertèbres pour atteindre le cul-de-sac dural, une excroissance des feuillets méningés sous la moelle épinière qui contient les racines nerveuses terminales de celle-ci, baignant dans du liquide céphalo-rachidien.
Il est important de noter que le risque d’endommager la moelle épinière en elle-même est inexistant lors de cet examen, aussi impressionnant soit-il. En effet, la moelle épinière s’arrête bien au-dessus du point de ponction –au niveau de la vertèbre L2 pour être plus précis, alors que la ponction se fait le plus souvent au niveau de la vertèbre L4, soit une dizaine de centimètres plus bas. Dans le prolongement de la moelle épinière se trouve la queue de cheval, structure qui renferme une quinzaine de racines nerveuses entourées de méninges et qui se dirigent vers les jambes. Il s’agit donc d’un geste peu risqué, dont les principaux effets indésirables sont l’irritation d’une des fibres nerveuses de la queue de cheval et le syndrome post-ponction lombaire qui se traduit par des maux de tête qui se calmeront le plus souventspontanément.

Il existe une méthode simple pour prélever du liquide céphalo-rachidien : la ponction lombaire. Réalisé avec des règles strictes d'asepsie (car sinon on pourrait introduire des germes et provoquer une méningite, dite alors iatrogène), elle consiste à introduire une aiguille dans le bas du dos, entre deux vertèbres. Comme nous pouvons le voir sur ce schéma, le risque d'endommager la moelle épinière est inexistante car celle-ci s'arrête plusieurs centimètre au dessus du point de ponction. On peut en revanche irriter une racine nerveuse qui enclenchera de brèves sensations de décharges électriques dans les jambes. 
L’analyse du liquide céphalo-rachidien ainsi prélevé permettra de détecter une possible infection et d’identifier le germe en cause. Le patient sera alors mis le plus rapidement possible sous antibiotiques ou antiviraux.
René Le Fort, chirurgien militaire, sera déployé lors de la guerre des Balkans en 1912 puis participera à la première guerre mondiale, en particulier lors de la bataille de Dinant au cours de laquelle il s’illustre en opérant sur le champs de bataille.
Là-bas, il soigna peut être un jeune lieutenant, blessé à la jambe au cours de la bataille : Charles de Gaulle.
Après la guerre, il devint professeur de chirurgie à l’université de Lille.
Il mourut le jour de son anniversaire en 1951, à l’âge de 82 ans.



SOURCES :
- Noffze, M. J., & Tubbs, R. S. (2011). Rene Le Fort 1869–1951. Clinical Anatomy, 24(3), 278-281.
- Collège des enseignant de chirurgie maxillo-faciale, Elsevier Masson, 2016
- Collège des enseignants de neurologie, Elsevier Masson, 2017