POURQUOI A-T-ON MAL AU BRAS GAUCHE LORS D'UNE CRISE CARDIAQUE ?



En 1956, le prix Nobel de médecine et de physiologie fut décerné à un médecin un petit peu spécial, Werner Forssmann, pour ses travaux sur le cathétérisme cardiaque. Quelques décennies plus tôt, en 1929, cet interne en chirurgie (il n’était donc même pas encore médecin !) avait eu une intuition : il est possible d’injecter des médicaments directement au niveau du cœur, sans pour autant avoir à ouvrir la cage thoracique. Pour cela, il fallait utiliser un long et fin tuyau qu’on introduirait dans une veine et qu’on pousserait jusqu’au cœur.

Personne ne crut en son idée. C’est ainsi qu’il décida de tenter le geste sur lui-même !

Il s’anesthésia l’avant-bras droit, l’incisa et introduisit un cathéter (un tuyau) dans l'une de ses veines. Puis il marcha jusqu’au service de radiologie de l’hôpital et « filma » la progression du cathéter au sein de son bras, de son épaule, à travers sa poitrine jusqu’à l'oreillette droite de son cœur !


Werner Forssmann et le résultat de son expérience : on voit clairement sur cette radio thoracique
le cathéter qui passe à travers sa veine axillaire, sous-clavière, cave jusqu'au coeur. 

Cette prise de risque ne fut pas du tout du goût de ses supérieurs, si bien que Forssmann abandonna la cardiologie pour l’urologie (encore des histoires de tuyaux).

Membre du parti nazi pendant la guerre, il fut capturé par les Alliés et ses travaux sur le cathétérisme cardiaque furent perfectionnés par un médecin français, André Cournand, et un médecin américain, Dickinson Richards, qui reçurent eux aussi le prix Nobel en même temps que Forssmann.

La démonstration qu’il était possible d’atteindre le cœur sans avoir à ouvrir la cage thoracique, mais simplement en introduisant un tuyau dans une veine à distance du cœur révolutionna la prise en charge des pathologies cardiaques.

Elle permit le développement, dans les années 60, de la radiologie cardiaque interventionnelle : et s’il était possible, via le cathéter, non seulement d’injecter des médicaments, mais aussi de déboucher les artères quand celles-ci s’encrassent ?

C’est là tout le problème des infarctus du myocarde : une des artères qui irriguent le cœur se bouche, et le sang ne peux plus apporter oxygène et nutriments au muscle le plus important du corps ! 

Le cœur a une fonction essentielle : c’est lui qui est chargé de pomper le sang à travers l’organisme. Et une partie de ce sang lui est nécessaire car il parcoure les artères coronaires et lui apporte l’oxygène et les nutriments nécessaires à son propre fonctionnement.

Il peut cependant arriver, à grand renfort de malbouffe, de clope ou de diabète, que ces artères s’encrassent : il se forme à leur surface des plaques de cholestérol, qui grossissent, grossissent… Jusqu’à leur rupture. Le sang commence alors à coaguler autour de la plaque, et bientôt obstrue toute l’artère : le sang ne peut plus passer, c’est l’infarctus du myocarde ! Si l’artère n’est pas rapidement débouchée, le muscle cardiaque se nécrose et le patient coure un grave danger.


Quand une artère coronaire (qui irrigue le cœur) s'encrasse...

L’idée de la radiologie interventionnelle, c’est d’utiliser la technique développée par Forssmann, Richards et Cournand pour déboucher l’artère au moyen d’un petit ballonnet accroché à l’extrémité du cathéter et que l’on gonfle une fois placé au niveau de la plaque de cholestérol rompue. On appelle cela une angioplastie.



C’est une technique qui est bien maîtrisée aujourd’hui et qui est couramment utilisée dans les grands centres de cardiologie français. Mais c’est une technique qui doit être mise en place très rapidement : il est nécessaire d’effectuer l’angioplastie moins de 2 heures après l’apparition des premiers symptômes pour espérer un résultat optimal !

D’où la nécessité pour les médecins de diagnostiquer très vite l’infarctus du myocarde.

Fort heureusement, l’infarctus du myocarde entraîne souvent des signes caractéristiques. Le malade est très angoissé, il a l’impression d’un étau lui écrase la poitrine, et surtout… il a mal !


Qu’est-ce que la douleur ?


La douleur n’est ni plus, ni moins qu’un signal d’alarme de l’organisme qui nous permet de savoir que quelque chose ne va pas. Dans ce sens, la douleur est un phénomène indispensable à notre survie : si vous posez la main sur une plaque chaude, c’est la douleur qui vous la fait immédiatement enlever et ainsi empêcher qu’elle ne se transforme en bifteck cuit à point !

C’est pour cela que les personnes souffrant d’une insensibilité congénitale à la douleur ont une espérance de vie moins élevée qu’un individu sain, car elles se blessent régulièrement sans le savoir.

Notre corps est recouvert de récepteurs capables de détecter les différents types de douleurs (thermiques, mécaniques, chimiques…) : les nocicepteurs. Ces détecteurs sont en fait de simples terminaisons nerveuses, des bouts d’axones qui terminent leur chemin juste sous la surface de la peau.

Ces nocicepteurs se prolongent par 2 types de fibres aux propriétés différentes : les fibres Aδ qui véhiculent rapidement une douleur à type de piqûre et les fibres C qui transmettent plus lentement une douleur à type de brûlure.
Trois grands groupes de fibres nerveuses sont impliquées dans nos sensations
tactiles et douloureuses : les fibres A delta et C véhiculent les informations
douloureuses, alors que les fibres A bêta véhiculent les informations tactiles.

C’est ces 2 types de fibres qui expliquent que lorsque vous posez la main sur une plaque de cuisine chaude, la première douleur que vous ressentez (et qui vous surprend) est plutôt à type de piqûre, alors que la sensation de brûlure vient quelques instants plus tard et est plus durable.

Les fibres nerveuses Aδ  et C se projettent vers la moelle épinière où elles se connectent à un neurone dit « nociceptif », qui lui-même se projettera vers le cerveau pour transmettre l’information douloureuse.

Ces neurones nociceptifs ne reçoivent pas seulement une information douloureuse, mais aussi une information tactile non douloureuse via d’autres fibres, les Aβ –à travers des interneurones. Cette information tactile permet d’inhiber la transmission de l’information douloureuse au niveau du neurone nociceptif : c’est le phénomène du Gate control. L’information tactile « ferme la porte » aux sensations douloureuses qui sont donc bloquées au niveau de la moelle épinière. Ainsi, elles ne peuvent pas être acheminées jusqu’au cerveau et nous ne ressentons pas de douleur.

C’est exactement pour cela que votre maman vous disait de frotter à l’endroit où vous veniez de vous cogner !


Le neurone nociceptif de la moelle épinière reçoit 2 types d'information. D'une part, il reçoit des informations douloureuses via les fibres A delta et C, qu'il transmettra jusqu'au cerveau : c'est l'origine de la sensation douloureuse. Mais il reçoit d'autre part des informations tactiles provenant des fibres A bêta qui vont inhiber le message douloureux avant qu'il n'atteigne le cerveau.

Le neurone nociceptif de la moelle épinière reçoit donc 3 types d’information : 2 informations douloureuses via les fibres Aδ et C, qui sont modulées par l’information tactile des fibres Aβ.

Dans le cas de l’infarctus du myocarde, la douleur est souvent typique : le malade a souvent l’impression qu’on lui écrase la poitrine, qu’on la serre fort dans un étau. Mais très souvent aussi, le patient dit avoir mal dans l’épaule et le bras gauche, ou encore à la mâchoire.

C’est quelque chose qui peut être surprenant car il n’y a au premier abord aucune raison pour qu’un infarctus du myocarde provoque une douleur à cet endroit-là.


Comment expliquer cette douleur dans la poitrine et dans le bras gauche ?


Nous avons parlé plus haut des nocicepteurs, présent sous notre peau et qui permettent de détecter les stimulations douloureuses. En réalité, ils se trouvent aussi dans nos viscères, au sein de nos organes comme le cœur, les intestins, les reins, le foie… Ces nocicepteurs sont présents dans tout notre corps, excepté un seul organe : notre cerveau !

Ainsi le cerveau, l’organe qui nous permet de ressentir la douleur, y est lui-même insensible !

L’information douloureuse au niveau du cœur est donc recueillie par des nocicepteurs cardiaques et transmise jusqu’à la moelle épinière par le biais de nouvelles fibres nerveuses.

Au niveau de la moelle, ces fibres vont à nouveau se projeter… sur les neurones nociceptifs, qui reçoivent donc au final 4 informations différentes : les informations douloureuses cutanées (via les fibres Aδ et C), tactiles cutanées (Aβ) et les informations douloureuses viscérales !

Tout ça pour un même neurone !

Dès lors, comment le cerveau peut-il savoir d’où provient précisément l’information douloureuse qu’il reçoit ?


Le neurone nociceptif de la moelle reçoit en réalité un 3ème type d'information : une information douloureuse provenant des viscères. Ainsi, lorsqu'il transmet un signal de douleur au cerveau, ce dernier ne peut savoir si l'information douloureuse provient des viscères ou de la peau : c'est l'origine des douleurs projetées.

Il ne peut pas, ou y arrive très mal, et c’est ce phénomène qui est à l’origine des douleurs projetées que l’on peut observer dans l’infarctus du myocarde. Le cerveau reçoit une information douloureuse provenant de neurones qui gèrent à la fois les signaux douloureux cardiaques et ceux provenant de l’épaule et du bras gauches !


Le cerveau ne peut distinguer l'origine du signal douloureux qu'il reçoit : provient-il du
cœur ou du bras gauche ?

Ces associations n’existent pas que pour le cœur, et il est possible de « cartographier » les zones douloureuses à la surface du corps correspondant aux différents organes. Ainsi, une atteinte du foie (typiquement un calcul biliaire) pourra entraîner une douleur au niveau de l’épaule droite par le biais des mêmes mécanismes.

Ces douleurs projetées sont très importantes pour les médecins, notamment dans le but d’écarter les diagnostics dits différentiels. En effet, une douleur thoracique peut avoir des origines très variées qui n’ont pas toutes la même gravité : de la bénigne douleur intercostale à l’infarctus du myocarde gravissime en passant par les remontées acides ! Bien souvent, ce sont les irradiations douloureuses qui nous permettent de faire un choix entre ces différents diagnostics.

Ce choix est lourd de conséquences car de lui va dépendre la prise en charge du patient : il s’agit de ne pas se tromper !

Mais avant tout, il est nécessaire de rappeler que l’infarctus du myocarde et l’arrêt cardiaque ne sont pas qu’une affaire de médecins. Leur prise en charge dépend de tout le monde !

Cette prise de conscience doit se faire par l’apprentissage par chacun d’entre nous des signes typiques de l’infarctus du myocarde et des gestes qui sauvent lors d’un arrêt cardiaque.

La meilleure chose à faire est de se former aux gestes de premier secours au centre de la croix rouge le plus proche de chez soit ! Cela coûte une trentaine d’euros et prend une journée… C’est peu cher quand il s’agit de sauver des vies !





SOURCES :
http://www.med.univ-montp1.fr/enseignement/masters_LMD/M1/Physiopathologie/M1_Physiopathologie_Nociception.pdf