LA MÉLODIE DES NEUROSCIENCES (ou l'inverse)


« C’est ainsi que le destin frappe à la porte ».



Beethoven est l'un des génies musicaux les plus impressionants de l'Histoire. Il se situe entre deux grands courants, le classicisme et le romantisme. Il représente à la fois l’apogée du premier et la naissance du second.

Avant lui, c’est le classicisme : Mozart, Haydn, et Beethoven forment la sainte triade viennoise. Le style est simple, clair, équilibré : tout l’opposé de la musique baroque à laquelle il succède. C’est le Requiem de Mozart ou sa Marche turque. C’est le temps des Opéras, comme le Mariage de Figaro ou la Flute enchantée !


Après lui, et dans sa continuité, c’est le romantisme : Chopin, Schubert, Mendelssohn, Liszt et bien d’autres. La musique exprime des sentiments, et parle au cœur : au diable la raison, l’homme est un être de passions ! On rêve d’amour avec Liszt ! On est envahi par la mélancolie de Chopin…



Beethoven est un artiste de génie qui contribua à la création d’une nouvelle ère musicale. Mais le plus impressionnant est certainement qu’il composa la majorité de ses œuvres… en étant sourd : très vite il devint incapable d’entendre la moindre note et composa ses morceaux à partir du souvenir de celles-ci.

 
Beethoven ne pouvait donc pas gouter au plaisir que nous pouvons ressentir à l’écoute d’un morceau qui nous touche particulièrement.


Que se passe-t-il dans notre cerveau dans ces moments là ? Comment réagissent nos neurones devant une mélodie qui nous est agréable ?



La musique influe sur notre moral, sur notre humeur, notre niveau de stress. Elle provoque chez nous un sentiment de bien-être –sauf quand il s’agit de Maître Gims. Chacun en fait l’expérience quotidiennement.


Ces mélodies ont un pouvoir formidable sur notre esprit et notre pensée. Elles nous touchent qu’importe notre culture, notre civilisation : il s’agit d’un vecteur universel d’émotions.

L’Homme, depuis des temps immémoriaux, joue de la musique pour exalter sa joie et distiller sa peine.

Un grand nombre de comportements apportant plaisir et satisfaction, comme manger ou l'acte sexuel, mettent en jeu dans le cerveau ce que l’on appelle le système de récompense. Cependant, à la différence de ceux-ci, écouter de la musique n’est pas un comportement nécessaire à notre survie, et n’implique donc pas forcément les mêmes activations cérébrales.

Le système de récompense dans le cerveau est composé de 2 structures importantes : l'aire tegmentale ventrale (ATV) et le noyau accumbens (NA). Il est impliqué dans les phénomènes de renforcement affectif (via le plaisir), motivationnel (via l'appréhension d'une récompense ou d'une punition) ou cognitive (conditionnement).

Ecouter de la musique met-il en jeu le système de récompense ?


Pour le savoir, des scientifiques ont fait écouter une musique plaisante à des volontaires placés dans une IRM fonctionnelle. Cette machine permet de détecter quelles sont les zones qui s’activent dans le cerveau d’un individu. Deux régions s’activèrent fortement : le noyau accumbens et l’aire tegmentale ventrale. Deux régions qui appartiennent au système de récompense !

Les neurones du noyau accumbens utilisent la dopamine comme neurotransmetteur (des molécules utilisées par les neurones pour communiquer entre eux). Il est donc probable qu’une partie de notre sentiment de bien-être soit médié par ces neurones dits dopaminergiques.

Pour le vérifier, une autre équipe de chercheurs a utilisé une technique d’imagerie, appelée la tomographie par émission de positons (mais vous pouvez l’appeler TEP !), qui permet de cibler une molécule en particulier et de visualiser où elle s’accumule.

Comme dans l’étude précédente, ils firent écouter à des volontaires de la musique dans leur appareil. Mais ils n’utilisèrent pas n’importe quelle musique : une chanson décrite comme particulièrement émotive pour le sujet –une chanson qui lui donne des frissons. Ces derniers étaient objectivés par divers mesures comme par exemple les fluctuations du rythme cardiaque, la réponse électrodermale (en gros, la transpiration), ou encore les variations de la respiration.

Ils observèrent un phénomène intéressant : au moment du frisson, une décharge de dopamine a lieu dans le noyau accumbens, en lien avec le plaisir ressenti à ce moment-là. Mais 15 secondes plus tôt, il existe une autre décharge de dopamine, cette fois-ci dans le noyau caudé. Ces 2 décharges peuvent être interprétées comme un phénomène d’anticipation (par la décharge du noyau caudé) avant la sensation de plaisir lors de la décharge au niveau du noyau accumbens. Autrement dit, une phase d’appétence suivie d’une phase de consommation. Qui a dit que la musique n’était pas une drogue ?
Le noyau caudé est une structure profonde du cerveau. Il fait partie
des noyaux gris centraux, dont les rôles sont multiples.

Lorsque nous écoutons de la musique, nous pouvons nous retrouver dans un état de plaisir intense qui peut même aller jusqu’à l’euphorie ! C’est pour cela qu’en plus de la dopamine, certains scientifiques suggèrent un rôle de nos opioïdes naturels dans le plaisir ressenti à l’écoute de notre chanson préférée.

Cette hypothèse est soutenue par 2 observations empiriques -plutôt que par des démonstrations scientifiques. La première est que les patients sortant du bloc opératoire demandent moins d’antalgiques morphiniques (donc des opioïdes) lorsqu’on leur fait écouter de la musique par rapport à ceux qui n’en écoutent pas. La deuxième provient d’une vieille étude qui observait qu’un médicament bloqueur des neurones opioïdes (qu’on donne aux personnes en overdose par exemple) a tendance à bloquer les frissons et les sensations ressenties lors de l’écoute d’un morceau très émotionnel.

Encore plus que ce flot d’émotions (positives ou négatives, mais toujours agréables) qui peut nous prendre à l’écoute d’une chanson, la musique a aussi un puissant pouvoir relaxant. Quoi de mieux que d’écouter la musique qu’on aime après une journée de travail difficile, pour penser à autre chose ?

Des médecins essayèrent de déterminer l’effet de la musique chez des patients qui venaient d’être opérés. L’opération est vécue comme un véritable stress par l’organisme (au sens biologique du terme) que l’on peut évaluer grâce au dosage sanguin d’une hormone corrélé à son intensité, le cortisol. Chez les patients qui écoutent de la musique après l'opération, la concentration sanguine en cortisol est diminuée par rapport à ceux qui n’écoutent rien !

Mais dans cette étude, il est impossible de dire si ce phénomène est dû à un pouvoir anxiolytique intrinsèque à la musique ou si c’est simplement parce qu’elle détourne l’attention du malade, qui n’est alors plus focalisé sur sa douleur.

Une autre étude alla même jusqu’à comparer l’effet en pré-opératoire de l’écoute d’une musique relaxante par rapport à un anxiolytique (c’est-à-dire un médicament contre l’anxiété) ! Pour cela, ils quantifièrent l’anxiété grâce à un questionnaire standardisé et mesurèrent le rythme cardiaque de patients en attente de leur opération. Leurs résultats sont surprenants : les patients se sentent plus détendus avec la musique qu’avec l’anxiolytique ! Dans le même sens, leur rythme cardiaque est plus faible qu’avec le médicament.

De manière intuitive, nous ressentons tous que la musique a un effet réel sur notre anxiété, un effet qui a été observé et mesuré par plusieurs études scientifiques.



Il faut prendre tous les résultats scientifiques avec beaucoup recul et scepticisme, et c’est encore plus le cas pour les études dont nous venons de parler. Elles présentent des limitations importantes, et notamment un cadre méthodologique flou : il est difficile lorsqu’on étudie un phénomène aussi varié que la musique d’avoir une méthode stricte. Comment sélectionner la musique ? Quelles peuvent être les caractéristiques de la condition contrôle : silence absolu, bruit de fond, langage ?

Le domaine de la neuro-musique a encore besoin d’études et de chercheurs (musiciens !) pour que l’on ait une idée claire des effets sur notre cerveau !

Quoiqu’il en soit, nous n’avons pas besoin de la science pour savoir à quel point la musique nous fait du bien, combien elle nous libère et comment elle nous transporte !



Je ne peux terminer cet article sans une pensée pour un pianiste de talent et un professeur pédagogue, qui se bat actuellement contre la maladie. Cet article lui est dédié !





SOURCES :
- Chanda, M. L., & Levitin, D. J. (2013). The neurochemistry of music. Trends in cognitive sciences, 17(4), 179-193.
- Blood, A. J., & Zatorre, R. J. (2001). Intensely pleasurable responses to music correlate with activity in brain regions implicated in reward and emotion. Proceedings of the National Academy of Sciences, 98(20), 11818-11823.