VIVRE DECONNECTE
Qu’il est bon de prendre enfin des vacances !
Le mois de juin arrivait à sa fin, l’été s’était installé,
et le bac enfin passé, les lycéens pouvaient enfin profiter du temps qui leur
avait si cruellement manqué les mois précédents !
Nettement moins d’enthousiasme chez les profs qui, eux,
devaient corriger les épreuves : une centaine de copies à se coltiner en
quelques jours… Un rythme infernal qui contraste avec le farniente de leurs
élèves !
Pour Sarah, c’est une grande première : fraîchement
diplômée, 24 ans et prof de SVT, c’était sa première rentrée cette année !
Des dizaines de copies par jour à corriger, dans un
intervalle de temps très limité, cela n’encourage pas à s’écouter et à se
préoccuper de sa santé.
Sarah avait bien ces picotements incessants à la jambe
depuis le début de la semaine. C’était assez désagréable mais il y avait autre
chose à penser en ce moment. En puis, tout avait disparu quelques jours plus tard. Elle corrigea toutes ses copies, et pu ensuite profiter de ses
quelques semaines d’été pour se reposer, avant de repartir pour une nouvelle
rentrée.
Les picotements avaient été vite oubliés.
Six mois plus tard, à Noël.
Sarah avait vécu un début d’année difficile : ses
nouveaux élèves étaient horribles, la collègue avec qui elle s’entendait si
bien avait demandé sa mutation et son copain menaçait de la quitter.
Heureusement les vacances débutaient, de quoi avoir le temps de se reposer, de
penser à soi… et de prendre un bon bain chaud !
Quel bonheur de se relaxer dans l’eau bouillante et toute
cette mousse, les yeux fermés… On s’endormirai presque !
Sauf quand le mal de crâne vous prend juste à ce moment-là.
Sarah ouvrit les yeux. Elle ne voyait plus clair de l’œil
gauche, et y avait très mal lorsqu’elle le bougeait. En plus de voir flou, il y
avait cette grosse tâche noir en plein centre de son champs visuel… Inquiète,
elle consulta son médecin le lendemain. Fin sémiologiste, il contacta un
confrère neurologue.
Quelques semaines plus tard –car nous en manquons
cruellement en France…- Sarah passait une IRM cérébrale. Voici les images que
les médecins purent observer :
Noël ne nous protège pas des mauvaises
nouvelles : Sarah découvrit qu'elle était atteinte de la sclérose en plaque (SEP)…
Toutes ces tâches sur un IRM –un radiologue appellerait cela
des « plages d’hypersignal T2 »- correspondent à des lésions de
SEP : il s’agit de zones d’inflammation de la myéline, cette couche
lipidique qui recouvre les axones des neurones et qui permettent d’accélérer
considérablement l’influx nerveux.
La SEP est une maladie auto-immune : le système
immunitaire, qui normalement s’attaque aux agents pathogènes extérieurs, se
retourne contre l’organisme. Ici, il s’attaque à la myéline du système nerveux
central, au niveau du cerveau et de la moelle épinière, et entraîne sa
destruction, rendant le passage de l’influx nerveux de plus en plus difficile
au fil des assauts, jusqu’à le rendre impossible.
La maladie évolue par poussées qui alternent avec des
périodes de rémission dont la durée est imprévisible. Chez certains, il peut se
passer plusieurs années entre chaque poussée, chez d’autres quelques semaines à
peine. Chaque poussée engendre des symptômes pour la clinique, et des handicaps
pour les patients. Chaque poussée laisse des cicatrices sur l’IRM, et des
séquelles chez le malade.
Les poussées correspondent à une attaque immunitaire sur le
système nerveux : en fonction de la localisation de cette attaque, les
symptômes sont différents. Ainsi, une atteinte de la
moelle épinière peut entraîner des picotements dans les membres, ou une douleur
oculaire avec baisse de la vision si c’est le nerf optique qui est
touché.
Ces poussées régressent en quelques jours ou semaines. Elles
peuvent ne laisser aucune séquelle. Elles peuvent s’absenter des années durant.
Mais le plus souvent, après quelques années, ces poussées s’aggravent et laisse
à chaque fois des séquelles plus importantes.
Elles peuvent toucher toutes les structures de la substance
blanche (les faisceaux d’axones myélinisés) au niveau des hémisphères
cérébraux, du tronc cérébral, du cervelet ou de la moelle épinière. Très souvent, elles
se localisent proche des ventricules cérébraux latéraux, au niveau des axones
formant le corps calleux.
Le corps calleux est une structure très importante (mais
non vitale) de notre cerveau. Il s’agit d’un énorme câble aplati composé des
plusieurs centaines de millions d’axones (entre 300 et 800) qui connectent nos
deux hémisphères cérébraux. C’est une des seules structures qui permette à nos
2 moitiés –cérébrales- de communiquer.
Cette communication est très importante au
fonctionnement optimal de notre cerveau, dont les 2 hémisphères ont parfois des
rôles bien différents : par exemple, le gauche est spécialisé dans le
langage alors que le droit l’est dans la reconnaissance des visages. Dénommer
un portrait que l’on regarde nécessite donc la bonne coopération entre nos 2
hémisphères.
Bien que les lésions des faisceaux du corps calleux soient
souvent retrouvées chez les personnes atteintes de la SEP, elles
aboutissent rarement à un tableau clinique très particulier : le syndrome
de déconnexion.
Le syndrome de déconnexion est le plus souvent observé chez
des patients ayant subi une callosotomie
–une section du corps calleux. Cette opération chirurgicale, très rarement
pratiquée, est proposée chez les patients ayant une épilepsie très grave,
pharmaco-résistante. Une épilepsie qui met en danger leur propre vie. La maladie naît d’un réseau neuronal défectueux (le foyer), souvent localisé au niveau des
lobes temporaux. Elle correspond à des décharges neuronales anormales, qui
naissent au niveau du foyer et se propage ensuite rapidement à l'ensemble du cerveau.
La section du corps calleux permet alors de limiter la
propagation de la crise à l’ensemble du cerveau, et de la cantonner à un seul
des 2 hémisphères.
Cela leur permet de mieux vivre. Les crises sont moins
graves. Mais cela à un prix, des désagréments que l’on rapporte sous le nom de
syndrome de déconnexion, qui témoigne de l’impossibilité pour les 2 hémisphères
cérébraux de communiquer.
L’hémisphère gauche ne peut communiquer les informations
qu’il perçoit à l’hémisphère droit, et vice versa.
Et cela entraîne des phénomènes étonnants –et heureusement
peu handicapant- dans la vie quotidienne des « split brain », ces patients callosotomisés.
Avant de continuer notre lecture, précisons quelques règles
élémentaires de neurophysiologie. Dans le système nerveux central, la
plupart des fibres (et donc des informations qu’elles véhiculent) sont
croisées. Ainsi, c’est l’hémisphère droit qui perçoit ce que l’on voit à
gauche, ou les sensations de la moitié gauche du corps. L’hémisphère gauche
perçoit tout ce qu’il se passe à droite. De plus, certaines fonctions
cognitives sont latéralisées : l’exemple type est celui du langage,
latéralisé dans 70% des cas à gauche. L’hémisphère gauche parle, et le droit
est muet.
Si on vous bande les yeux et qu’on vous demande de dénommer
un objet qu’on vient de vous donner dans la main gauche, l’importance de la
communication inter-hémisphérique prend toute son ampleur. En effet,
l’hémisphère droit, qui perçoit la sensation tactile grâce à laquelle il peut
identifier l’objet présent dans votre main gauche, doit nécessairement envoyer
cette information à l’hémisphère gauche, lui seul capable de vous faire
prononcer le nom de l’objet en question.
Il en est de même pour la perception visuelle : un mot vu dans le champs visuel gauche sera perçu par l'hémisphère droit, qui devra nécessairement transférer ces informations à l'hémisphère gauche via le corps calleux pour le dénommer.
Il en est de même pour la perception visuelle : un mot vu dans le champs visuel gauche sera perçu par l'hémisphère droit, qui devra nécessairement transférer ces informations à l'hémisphère gauche via le corps calleux pour le dénommer.
Chez les patients split
brain, ces épreuves sont constamment un échec : l’information reste
cantonnée à l’hémisphère droit, muet, et ne peut être communiquée à l’autres
hémisphère.
De la même manière, du fait de la latéralisation du langage
et de l’écriture à gauche, il est impossible pour ces patients d’écrire de la
main gauche (s'ils sont droitiers) !
Mais le syndrome de déconnexion peut avoir des répercussions
bien plus curieuses encore, dont l’un est connue sous le nom de « phénomène
de main étrangère ».
Imaginez que l’on fasse saisir à un patient callosotomisé sa
main gauche par sa propre main droite à l’aveugle. Si on lui pose la
question « Que tenez-vous dans la main droite ? », que
répondra-t-il ?
Le patient (enfin plutôt son hémisphère gauche) vous
répondra alors tout naturellement que sa main droite tien une autre main. Mais
pas sa propre main. Il est incapable,
à l’aveugle, de déterminer si la main saisie est la sienne ou pas.
Car l’hémisphère droit ne peut pas dire au gauche :
« c’est ma main gauche que tu es en train de saisir ! ».
Le terme anglais pour décrire le phénomène de main
étrangère, alien hand, regroupe une
conception plus large. Un phénomène bien plus angoissant pour les patients.
Imaginez que les 2 hémisphères ne soient pas d’accord.
Que l’hémisphère gauche veuille acheter du pain, mais pas le
gauche. Que le droit veuille regarder Arte et l’autre W9 –n’extrapolez pas aux
facultés cognitives de chaque hémisphère.
Cela abouti à des comportements conflictuels entre la moitié
droite et la moitié gauche du corps : la main gauche boutonne une chemise
et la main droite la déboutonne immédiatement après, la main gauche ouvre une
porte que la main droite referme aussitôt !
Du point de vue du patient, la main droite leur obéit mais la gauche semble douée d’une volonté propre. Comme si toute la partie gauche du
corps semblait gouverné par une personnalité différente !
Fort heureusement, ces symptômes sont dans l’immense
majorité des cas passagers, ou ne surviennent que ponctuellement chez ces
patients qui ont une vie quotidienne tout à fait normale le reste du temps. Mis
à part dans des conditions toutes particulières et dans les expériences au
laboratoire, les manifestations du syndrome de déconnexion sont très discrètes.
Si les atteintes de la sclérose en plaque sont peu graves et invalidantes et début de maladie, le pronostic est sombre et est source de
beaucoup de souffrance pour les malades.
Les poussées surviennent au hasard, touche aléatoirement
n’importe quelle structure cérébrale. Tout est imprévisible, la fréquence, la
durée et les symptômes des crises, ainsi que les séquelles qu’elles laisseront
derrière elles.
Les patients –qui sont majoritairement des femmes- en
souffrent d’autant plus que la SEP se déclenche souvent chez des
individus jeunes : la vingtaine, à l’instar de Sarah. Les traitements
actuels sont lourds, mais efficaces pour un temps.
La recherche est très active pour tenter de trouver
la cause encore mystérieuse de cette maladie et un traitement efficace. Chaque
mois apporte son lot de découvertes et d’espoir.
Pour rassurer les anxieux(ses), à propos de l’histoire de Sarah : bien entendu, les
picotements dans les jambes ne sont pas un signe pathognomonique –c’est-à-dire
lié à 100% à la maladie- de la SEP. Dans l’immense majorité des cas, il s’agit
de simples « fourmis » dues à une mauvaise circulation sanguine
–lorsque vous croisez les jambes par exemple. Aucune raison de vous inquiéter
par rapport à cela. De plus une poussée de SEP dure par définition plus de 24h.
L'histoire de Sarah est un mélange de vécus de patients que j'ai pu croiser au cours de mes stages en neurologie clinique. Le prénom ne correspond bien sûr à aucun d'entre eux.
L'histoire de Sarah est un mélange de vécus de patients que j'ai pu croiser au cours de mes stages en neurologie clinique. Le prénom ne correspond bien sûr à aucun d'entre eux.
Merci beaucoup d'avoir lu cet article jusqu'au bout, j'espère qu'il vous aura plu ! N'hésitez pas à laisser vos impressions en commentaire.
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SOURCES :
- Cambier, Masson, Masson et Dehen. Neurologie. Elsevier Masson, 2012.
- Le corps calleux : sa vie précoce, son oeuvre tardive. A.
Bénézit, L. Hertz-Pannier, G. Dehaene-Lambertz, J. Dubois
- Syndromes de déconnexion interhémisphérique. Encyclopédie Médico-Chirurgicale.
17-036-C-10- http://levraimariusse.unblog.fr/category/copies/